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Chapitre 15

15

Sandra était en train de faire ses courses pour la soirée lorsque son téléphone se mit à sonner à pleine puissance au fond de son sac. Surprise par la mélodie criarde, la jeune femme sursauta et faillit lâcher le paquet de tomates qu’elle venait de prendre sur l’étalage. Elle se dépêcha de le mettre dans son panier, puis se lança à la recherche de l’appareil bruyant, tout en jetant des regards d’excuse autour d’elle aux personnes qui lui signifiaient d’un regard appuyé qu’une personne civilisée ne laisse pas un téléphone déranger ainsi la douce musique du magasin. Bien entendu, Sandra mit au moins six sonneries à retrouver le coupable, coincé au fond du sac sous une pile de feuilles au lieu d’être sagement rangé dans la poche adaptée. Dans son empressement, elle hésita à renverser carrément son sac par terre, histoire de mieux en dégager le contenu, mais elle mit la main finalement sur son téléphone et répondit d’une voix pressée, sans même avoir pris le temps de vérifier de qui provenait l’appel :

– Sandra, allô ?
Elle regretta aussitôt cette réponse abrupte. Et si c’était la secrétaire de M. Bartan qui la rappelait enfin pour fixer une interview ? Pas très professionnel cette entrée en matière. Elle se promit que la prochaine fois elle prendrait une grande inspiration pour se détendre et qu’elle déclinerait ses nom, prénom et titre professionnel pour faire bonne impression.

– Sandra ? C’est Mike. Ça va ? tu as l’air stressée.
En entendant la voix de son chef, Sandra se détendit. Mike n’était pas du genre à se formaliser pour les entrées en matière. Elle avait eu un bon contact avec lui dès son engagement à la Gazette et appréciait réellement leur travail ensemble. Elle répondit d’une voix apaisée :

– Mike, salut ! Tout va bien, je suis au magasin et mon téléphone est sur volume max. Tu sais comment c’est quand ces machines se mettent à hurler à tue-tête.
– Ha oui, désolé d’avoir créé des remous ! Je voulais juste discuter avec toi d’un point de l’affaire des créatures. Mais ce n’est pas urgent, tu peux me rappeler quand tu as cinq minutes si tu veux.

Tout en parlant à son collègue, Sandra était allée se réfugier dans le rayon perpétuellement vide des aliments pour animaux. Ses yeux parcouraient sans les voir les emballages colorés de croquettes et pâtés pour chats.

– Non non, c’est tout bon maintenant, affirma-t-elle. Dis-moi ? qu’est-ce qu’il y a de nouveau ?

Depuis que Mike l’avait appelée la semaine dernière pour lui donner rendez-vous devant la vitrine du Grand Magasin afin de constater que les créatures se multipliaient étrangement, Sandra avait redoublé d’intérêt pour l’affaire des créatures comme ils la surnommaient maintenant à la Gazette. Elle avait passé des heures à essayer de joindre M. Bartan ou le Maire Ruquier, mais s’était invariablement heurtée à la politesse froide et coupante de leurs secrétaires respectives. Faute d’explication, la Gazette n’avait pu que publier des constatations plates sur l’accroissement de cette population indigène, mais Sandra voulait creuser et découvrir le pourquoi du comment. Elle avait donc demandé à Mike de la tenir au courant de toute nouvelle information sur ce sujet.

Mike s’exécutait avec un empressement qui faisait sourire la jeune femme, l’appelant régulièrement pour toute sorte de raisons factices. Elle avait vite compris, après sa première tentative maladroite devant la vitrine du Grand Magasin de l’inviter à boire un verre, que Mike aurait été prêt à poursuivre leurs relations professionnelles dans un domaine plus personnel. Elle n’avait pas refusé le verre, qui avait d’ailleurs été très plaisant, mais restait sur ses gardes, ne sachant pas si elle souhaitait poursuivre dans cette voie. Leurs échanges avaient donc l’ambiguïté des débuts de relations qui leur donnaient un piquant savoureux, mais elle se gardait bien de franchir une ligne trop intime. Pour le moment en tout cas.

– Eh bien, il semblerait que M. Bartan ait décidé de sortir de son silence. Sa secrétaire a appelé au journal pour demander à fixer un rendez-vous avec toi.

– Hein ? Trop bien ! Mais pourquoi n’a-t-elle pas appelé sur mon portable ? Je lui ai laissé mon numéro au moins dix fois, s’étonna Sandra.

– Alors là, aucune idée. Mais je lui ai dit que tu la rappellerais au plus vite, donc la balle est dans ton camp.

– Merci Mike, je vais faire ça tout de suite. J’espère que M. Bartan aura quelques nouvelles intéressantes, pas juste du bla bla.

– Bah, tu sauras bien le faire parler, j’en suis sûr.

Mike laissa une petite pause puis attaqua.

– Qu’est-ce que tu prévois pour ce soir ? Si tu veux t’éviter courses et cuisines, je t’invite pour une pizza chez Mario, ça te dit ?

Sandra prit une seconde pour peser sa réponse. Elle n’avait pas très envie de finir les courses et de rentrer préparer des pâtes au fromage, seul plat qu’elle sache faire correctement. La proposition de Mike était intéressante. De plus, ils pourraient établir ensemble une stratégie pour l’interview de M. Bartan, ce qui ne serait pas perdu. Et, surtout, elle passerait un agréable moment dans le petit restaurant chaleureux du coin de la rue Jacquier, plutôt que de manger seule devant son ordinateur. Tout pesait en faveur de l’invitation. Seule sa réticence à céder trop vite aux avances de Mike la retenait.

Au diable la prudence ! finit-elle par décider.

– Ah ça c’est une bonne idée ! Alors volontiers pour une pizza. Je te retrouve là-bas vers 19h30 ?

– Oui, parfait, je nous réserve une table, répondit Mike d’un ton qui cachait mal sa joie. Alors à plus, tu me raconteras ton téléphone avec la secrétaire de M. Bartan.

– Oui je te ferai un point de la situation, promis. Alors à tout à l’heure.

Sandra sourit en bouclant le téléphone. La fin de journée s’annonçait sous les meilleurs auspices. Elle décida même que, puisqu’elle n’avait pas à cuisiner ce soir, elle pouvait se passer des courses jusqu’à demain. Elle abandonna son panier à moitié plein au milieu des paquets de croquettes, avec une petite pensée de remords pour les employés qui devraient tout remettre en place ce soir, et se dirigea d’un pas énergique vers la sortie du magasin pour rappeler au calme la secrétaire de M. Bartan.

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Commentaires (4)

Webstory
09.06.2023

Une petite ville banale dans un paysage digne d'un train électrique miniature. Pourtant des failles apparaissent: un immeuble qui dépasse les autres, des êtres bizarres dans la vitrine du grand magasin. Qui sont-ils? L'inconnu suffit à instiller une peur que rien ne justifie. L'imagination d'Eloiz vous réserve une fin surprenante!

Starben CASE
27.07.2022

J'ai beaucoup aimé cette histoire et l'originalité de la fin. Ton portrait m'a fait redécouvrir tes textes que j'apprécie encore plus. Merci Eloiz

Webstory
08.07.2022

Un suspens étrange puisqu'il n'y a pas de danger apparent... Chère Eloïse, nous restons sur notre faim :-)

Eloïz
12.07.2022

Je viens de publier les derniers chapitres de cette histoire, j'espère que la résolution vous plaira! Merci pour votre lecture :-)

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