a a a

© 2022-2024 Eloïz

Chapitre 13

13

Les voilà qui étaient onze à présent dans la vitrine. Certains presque aussi grands qu’un adulte. D’autres plus petits qu’un enfant. Hormis les variations de taille, ils se ressemblaient tous avec ces grands yeux fixes, cette peau sèche et terne, ces membres longs et secs qui, dès le début, avaient rendu curieux et mal à l’aise les passants. Ces derniers étaient cependant de moins en moins curieux et de plus en plus mal à l’aise. Ils se faisaient plus rares devant la vitrine. Pressaient le pas, là où il y a quelques jours à peine ils ralentissaient. Baissaient les yeux au lieu de dévisager les mannequins vivants. Le nombre croissant des créatures les rendait nerveux et commençait à leur faire peur.

La vieille dame avait assisté de sa fenêtre à la multiplication des créatures. Un sentiment tenace d’inquiétude la ramenait sans cesse à venir observer, depuis la fenêtre de son salon, les habitants désormais indésirables de la vitrine. Elle savait que son fils avait perdu tout contrôle sur la situation, l’inquiétude creusait ses traits de jour en jour et il passait un temps fou à appeler sa responsable marketing qui ne semblait pas être d’une grande aide.

– Il ne faudrait pas que ça devienne exponentiel ! l’avait-elle entendu dire au téléphone la dernière fois qu’elle avait pris un café avec lui. Il avait la mine soucieuse et l’enthousiasme qu’il avait manifesté au début de la campagne n’était plus qu’un vague souvenir.

– Tout va bien, Martin ? avait-elle demandé timidement.

– Oui, oui, tout va bien ! avait-il répliqué d’un ton faussement dégagé. Un simple différend avec Katie sur l’avenir de notre campagne, avait-il ajouté devant la mine dubitative de sa mère, avant de changer de sujet.

Les créatures, bien que visiblement plus nombreuses, ne faisaient pourtant rien de menaçant. Elles restaient debout, légèrement vacillantes sur leurs longues jambes. Fixant le vide devant elle. Jamais on ne les voyait communiquer. Ni entre elles, ni avec les humains. Ni par geste, ni par son. Elles ne se touchaient pas, ne se regardaient pas. Ne regardaient rien en fait. Cette apathie, qui avait touché la vieille dame au premier abord, la déstabilisait à présent. On peut plaindre quelqu’un qui souffre. Tenter de réconforter quelqu’un qui a mal. Apaiser la tristesse et partager la joie. Mais que faire face à un être qui ne montre rien ? Qui semble indifférent à tout et qui échappe à tout échange ?

De sa fenêtre, la vieille dame observait le ballet étrange de la foule qui évitait désormais la vitrine. Elle scrutait les êtres, comptait les nouveaux venus et tâchait de les différencier. Cependant, jamais elle ne voyait comment arrivaient les nouveaux. Elle avait beau rester des heures à sa fenêtre, elle ne voyait jamais entrer une nouvelle créature. Si c’était Katie et son équipe qui ramenaient sans cesse de nouveaux membres, ce dont elle doutait fortement, ils devaient faire cela très discrètement, sûrement de nuit. Cela n’avait aucun sens.

La vieille dame avait guetté avec plus d’acuité encore, pensant qu’elle verrait une créature se diviser soudain pour donner naissance à un nouvel arrivant. Ou peut-être un nuage de fumée viendrait-il spontanément déposer une créature dans un des espaces libres de la vitre. En vain. Jamais Magda ne réussit à saisir l’arrivée d’une nouvelle créature. Tout d’un coup, elle était là, simplement. Un battement de paupières, un aller-retour à la cuisine, une seconde d’inattention, et voilà qu’un être de plus venait grossir les rangs qui se resserraient. La vieille dame en avait la chair de poule et passait des nuits à se retourner sur son matelas, tentant de comprendre le malaise qui grandissait en elle.

Lire le chapitre suivant

Commentaires (4)

Webstory
09.06.2023

Une petite ville banale dans un paysage digne d'un train électrique miniature. Pourtant des failles apparaissent: un immeuble qui dépasse les autres, des êtres bizarres dans la vitrine du grand magasin. Qui sont-ils? L'inconnu suffit à instiller une peur que rien ne justifie. L'imagination d'Eloiz vous réserve une fin surprenante!

Starben CASE
27.07.2022

J'ai beaucoup aimé cette histoire et l'originalité de la fin. Ton portrait m'a fait redécouvrir tes textes que j'apprécie encore plus. Merci Eloiz

Webstory
08.07.2022

Un suspens étrange puisqu'il n'y a pas de danger apparent... Chère Eloïse, nous restons sur notre faim :-)

Eloïz
12.07.2022

Je viens de publier les derniers chapitres de cette histoire, j'espère que la résolution vous plaira! Merci pour votre lecture :-)

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire