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Chapitre 7

7

Tribom palpitait d’un rythme irrégulier depuis ce matin, Hubert Ruquier le sentait bien, mais il n’aimait pas ça. Lui qui avait accordé les battements de son cœur à ceux de sa ville protégée, lui qui pouvait les yeux fermés prendre le pouls de son royaume rien qu’en humant l’air des ruelles, lui qui partageait les joies et les peines des citoyens, des commerces et des pavés, il sentait que quelque chose s’était déréglé soudainement et une sombre inquiétude l’habitait.

– Monsieur le Maire ? Monsieur ?

Hubert Ruquier entendit la voix de sa secrétaire percer tant bien que mal son cerveau obstrué pour atteindre sa conscience. La femme entre deux âges, qui aurait pu être belle si elle s’en était donné la peine, se tenait dans l’embrasure de son bureau, avec ses éternels dossiers en carton gris serrés contre sa poitrine molle. Jamais Miss Line n’entrait dans le bureau de son supérieur sans y être clairement invitée. Elle tenait en très haute estime la politesse, la discrétion et l’effacement total face à sa fonction d’assistante personnelle. Des qualités qu’elle pratiquait à l’extrême et qui la rendaient, à l’occasion, extrêmement agaçante. Mais Hubert savait reconnaître la valeur d’une employée aussi dévouée.

Il secoua légèrement la tête pour s’éclaircir les idées, fit abstraction du tempo irrégulier et obsédant qui battait dans ses tempes, et leva les yeux vers Miss Line.

– Miss Line, entrez je vous prie. Qu’y a-t-il ?

Le passage lui ayant été accordé, l’intéressée s’avança à petits pas saccadés dans le bureau du Maire. Elle portait ce matin, comme tous les matins selon Hubert, qui n’y connaissait pas grand-chose en habillement, un tailleur gris perle mettant en valeur sa silhouette fine. La jupe serrée, s’arrêtant juste sous le genou, laissait voir des mollets ronds et soyeux, et de délicates chevilles. Les cheveux blonds, attachés en une simple queue de cheval, dégageaient un visage harmonieux, bien qu’un peu plat. Tout en Miss Line respirait le professionnalisme et la simplicité. Elle était la meilleure assistante qu’il soit possible d’avoir, se répétait Hubert lorsqu’il se trouvait un peu découragé par sa politesse et son sérieux. Jamais elle ne se laissait aller à sourire ou à faire des blagues, bien qu’elle ne manquât pas de rire très consciencieusement à celles qu’il faisait, drôles ou pas. Jamais elle ne faisait un pas de travers, ne se plaignait ni ne se réjouissait. Miss Line faisait son travail. Elle le faisait très bien. Il ne fallait pas lui en demander plus.

– J’ai Monsieur Mike au téléphone pour vous, il souhaiterait votre avis sur une question dont il n’a pas voulu m’entretenir. Souhaitez-vous que je vous transfère l’appel ?

Hubert Ruquier hésita un instant. Il n’avait rien contre Mike et appréciait ce jeune homme sérieux qui ne recherchait ni scandales ni remous, mais de l’information simple et utile. Pourtant, avec le tempo brouillé que jouait la ville depuis ce matin, il était sur la défensive. « Jamais deux sans trois », lui répétait toujours sa mère. Une ville perturbée, un journaliste curieux, qu’est-ce qui viendrait ensuite ?

Ce n’était pas dans ses habitudes de repousser les confrontations, mais il sentait au fond de son ventre que quelque chose n’allait pas. Il devait découvrir quoi avant d’être pris à partie par la presse et de faire un faux pas.

– Dites-lui que je n’ai malheureusement pas le temps pour l’instant, mais que je le rappellerai dès que j’aurai un moment de libre, trancha-t-il finalement.

Miss Line hocha simplement la tête et tourna les talons pour aller porter cette réponse à l’intéressé. Ses mocassins ne faisaient jamais de bruit sur les tapis usés de la mairie. Elle tourna à gauche du couloir et disparut de la vue d’Hubert.

Le Maire laissa son regard errer sur les murs blancs de son bureau, les tableaux colorés accrochés aux murs qui avaient appartenu à son prédécesseur et dont il n’avait jamais ressenti le besoin de se séparer. Il laissa lentement ressurgir le battement troublé de la ville, le laissa envahir son corps, se synchronisa avec cette mélodie nouvelle. Un grand vide accompagnait ce mouvement, un néant étrange, paisible et nostalgique. Hubert s’y laissa sombrer et passa le reste de la matinée assis à son bureau, les yeux dans le vague. Il oublia tout, rappeler Mike, prendre une pause-café, demander à Miss Line de lui apporter son courrier. Plus rien n’existait que le rythme entêtant du néant.

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Commentaires (4)

Webstory
09.06.2023

Une petite ville banale dans un paysage digne d'un train électrique miniature. Pourtant des failles apparaissent: un immeuble qui dépasse les autres, des êtres bizarres dans la vitrine du grand magasin. Qui sont-ils? L'inconnu suffit à instiller une peur que rien ne justifie. L'imagination d'Eloiz vous réserve une fin surprenante!

Starben Case
27.07.2022

J'ai beaucoup aimé cette histoire et l'originalité de la fin. Ton portrait m'a fait redécouvrir tes textes que j'apprécie encore plus. Merci Eloiz

Webstory
08.07.2022

Un suspens étrange puisqu'il n'y a pas de danger apparent... Chère Eloïse, nous restons sur notre faim :-)

Eloïz
12.07.2022

Je viens de publier les derniers chapitres de cette histoire, j'espère que la résolution vous plaira! Merci pour votre lecture :-)

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