Créé le: 03.05.2020
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Une Douille pour les Cieux

Journal personnel

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© 2020-2024 Nicolas Rochey

Chapitre 10

10

Ça faisait un moment que j’avais cette blague en tête, sans savoir si quelqu’un allait me donner l’occasion de la faire. Finalement c’est Robert qui s’y est fait prendre:
« Hey Nico, t’es libre demain matin pour prendre un café ? »
« Je ne peux pas, j’ai chimio…! »

 

***

 

Je suis dans le bus pour me rendre au service d’oncologie et je regarde les gens. Les écouteurs ont l’air d’avoir eu une panne de réveil, le costard s’en va au bureau et les lunettes d’écailles font leur promenade du matin. Et moi je vais faire une chimio.

 

Une seule. C’est ce que m’a dit le Dr Walter.
« Ça va être une seule séance, mais on va y mettre une bonne dose. Il y a peu de chance que vous perdiez vos cheveux avec une seule séance. Par contre les nausées et la fatigue qui s’en suivront, ça vous les aurez. »

 

Je viens d’échanger une année de perruque contre une cascade de gerbe de trois jours, et j’ai l’impression que c’est une bonne affaire.

 

Par contre, si je peux encore moins bouger que maintenant ça va pas faire lourd. Moins que rien, ça fera pas grand chose. Un phasme quoi !

 

***

 

La salle d’injection est au premier étage à l’arrière du bâtiment, avec une immense baie vitrée qui donne sur la forêt. Les fauteuils sont alignés face aux vitres et une fois assis, il n’y a absolument plus rien de médical à portée de vue, uniquement la forêt.

 

Tout le reste se passe derrière les fauteuils, même les appareils d’injection sont légèrement décalés vers l’arrière.

 

« Comment ça se passe aujourd’hui M. André ? Mieux que la dernière fois ? » demande une infirmière au monsieur âgé du dernier fauteuil.
La bouche pleine de son croissant, il lève juste un pouce sans quitter son journal des yeux.

 

Il y a donc des habitués, qui viennent chaque semaine regarder la forêt comme on irait au cinema. Je parierais qu’ils ont leurs fauteuils habituels, comme d’autres ont leur table au bistrot.

 

***

 

« Bonjour Monsieur Rochey, je suis Clémentine, et c’est moi qui vais m’occuper de vous ce matin. Mais avant de commencer, est-ce qu’un café vous ferait plaisir ? »

J’ai soudain l’impression d’être chez le coiffeur.

 

Le type plus loin lève les yeux de son journal et jette un regard vers moi. Il a l’air déçu en ne me reconnaissant pas. Mais me sourit quand même. Il se dit sûrement qu’il a tout son temps pour me recroiser, pour faire connaissance, puis pour me dire adieu…

 

Clémentine revient avec un plateau, il y a mon expresso. Elle y a ajouté quelques petits gâteaux. Sûrement pour m’amadouer. Elle s’assied près de moi sur un tabouret  à roulettes.

 

« Je vous félicite d’avoir choisi la sécurité en faisant cette séance. Vous allez faire partie de ceux que l’on ne voit qu’une seule fois. C’est mon souhait en tout cas… Comment vous sentez-vous ? »

« A la fois inquiet et déterminé. J’ai hâte d’avoir tout ça derrière moi, pour être honnête. »

 

***

 

« Je vais d’abord vous faire 15 minutes d’injection de cortisone et d’anti-vomitif. Ensuite, ce sera 30 minutes de carbo-platine, la chimiothérapie proprement dite. Et ensuite… et bien ce sera déjà terminé. »

 

J’ai bien envie de remercier Clémentine pour l’anti-vomitif, d’autant que Marie ne va pas tarder à me rejoindre.

 

Bon, c’est parti. Je m’accroche à l’idée que je n’en ai plus que pour 45 minutes, alors que le type d’à côté remet sa veste et quitte la salle en lançant un « À vendredi ! »

 

***

 

Je vois le liquide traverser le tuyau transparent et entrer dans mon avant-bras. Je ne sens rien, absolument rien. J’attends une vague de chaleur, un shoot ou n’importe quoi d’inhabituel, mais rien.

 

La voie veineuse a été posée avec tellement d’habitude que je suis moins gêné qu’à un simple don du sang.

 

Marie arrive enfin, elle a l’air sereine. Je blague un peu sur l’anti-vomitif et réussis à la faire sourire.

 

« Allez on y va ! » me dit Clémentine en actionnant une dérivation sur le tuyau. « Vous avez sûrement mieux à faire d’une si belle journée. »

 

Et j’imagine les armées du Mordor s’engouffrer à travers moi en hurlant.

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