Créé le: 03.05.2020
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Une Douille pour les Cieux
Chapitre 2
2
J’ai pris le temps de bien m’essuyer avant de remonter mes braies. J’ai comme un mauvais pressentiment. J’ai besoin de temps pour réfléchir. Tout a été trop vite. Il y a à peine 24 heures, j’étais tranquillement sous la douche et là, je suis défroqué par un médecin qui n’arrête pas de disparaître.
Je l’ai rejoint dans son bureau et me suis assis en silence, jusqu’à ce qu’il lève les yeux vers moi.
« J’irais bien voir » a-t-il répété.
Y va me falloir un peu plus de concret qu’un « J’irais bien voir ». Moi aussi « J’irais bien voir » une exposition de Banksy ou le dernier Tarantino ! Mais là, soyons clair, on parle de m’ouvrir le sac !
Alors voilà ce qu’on va faire : vous allez vous mouiller et me dire ce qu’on pourrait découvrir en allant voir, du pire au plus bénin.
Et là, en quelques phrases et moins de deux minutes chrono, il me sort le top 10 des « pires termes que tu ne souhaites jamais entendre chez ton médecin ».
Une tirade du genre ; « Je pense que nous devrions intervenir, pour voir si c’est une tumeur cancérigène. Si c’est le cas, il faudra procéder à une ablation et, le cas échéant, à la pose d’une prothèse. Dans le même temps, pendant l’opération, je propose une biopsie de l’autre testicule pour y chercher d’éventuelles métastases. Ensuite, on contrôlera tout ça par un scanner. Et si les résultats ne sont pas concluants, on aura recours à de la radiothérapie ou de la chimiothérapie. Bref, c’est peut être un séminome, autrement dit un cancer du testicule ».
Waoo la vache. Je suis groggy. J’encaisse pas trop bien le coup. Je me demande bien où il était pendant les cours de relation patient/médecin à la fac. Ou alors c’était juste un module facultatif et il a préféré prendre « Champignons du canal urinaire ».
Pour être complet, il concède juste : « Ou alors c’est un kyste… ». Avant d’ajouter « …mais j’y crois pas trop ».
***
J’ai plus trop envie de faire le malin. J’ai froid tout à coup. Et en même temps un filet de sueur me glisse dans le bas du dos. Putain, on vient de m’annoncer un cancer… C’est pas rien ça, non ? Je veux dire, dans une vie, c’est pas anodin. Du testicule en plus… Merde.
J’essaie de réfléchir mais rien ne vient. C’est comme si mon cerveau avait besoin de quelques minutes pour faire un reset. Verge me les laissent. Il ne dit rien, il me regarde. Il a l’air, comment dire, bienveillant. Après avoir passé de pièce en pièce sans trop s’impliquer, il est maintenant là, ancré dans l’instant et il m’offre son temps.
« Qu’est-ce qui fait que vous n’êtes pas catégorique ? » Ai-je demandé.
« Votre âge. Le séminome est un cancer qui se déclare en général vers 25-30 ans. A 49 ans c’est moins fréquent. »
Merde. Quand on dit qu’on voudrait bien retrouver sa jeunesse, c’est pas exactement ça qu’on a en tête en général. On pense plutôt abdominaux, gueule de bois récupérée en 3 petites heures. Des trucs comme ça quoi. A la limite j’aurai pu choisir grosse flemme, ou une légère poussée d’acné, mais un cancer de la bite, non faut pas pousser !
« Je crois que j’ai besoin d’un peu de temps. J’aimerais vous donner une réponse demain. Ça va pour vous ? » Ai-je demandé.
« Prenez un peu plus. Je vais m’absenter une dizaine de jours. On va fixer un rendez-vous pour le lundi 14, à mon retour. A ce moment-là, on prendra une décision. Entre temps vous aller prendre des anti-inflammatoires, ça va pas faire des miracles, mais on ne sait jamais. Et si on décide d’intervenir, ça sera mieux si rien n’est enflammé.
« Est-ce que je les ai ces dix jours ? Je veux dire, c’est prudent d’attendre dix jours ? »
« Franchement, j’ai l’impression que vous avez détecté ça assez tôt. On n’est clairement pas à dix jours près. Maintenant si vous n’êtes pas à l’aise avec ce délai, je peux vous orienter vers l’hôpital qui prendra…. »
« C’est bon ! Je vais vous attendre. »
Ça sera lui. Il sera l’élu si je décide qu’on doit intervenir. C’est pas seulement que j’ai pas envie de rencontrer un autre médecin, pas envie de courir à travers toute la ville avec ma culotte baissée. Mais je lui fais confiance. Comme ça, instinctivement.
En général, ma confiance je la donne. Ça m’agace d’entendre une expression comme « gagner ma confiance », ça me donne l’impression qu’a priori les gens n’en sont pas dignes et qu’ils devront batailler dur pour espérer la gagner. Moi, j’ai pris le pli inverse; à priori, tout le monde mérite ma confiance, c’est tellement plus simple. Il n’y a pas de registre à tenir.
Bon, le revers de la médaille, c’est que lorsqu’elle est trahie, ma confiance se le rappelle longtemps. Mes rancunes sont des blessures tenaces.
Pour être franc, je ne crois pas qu’il n’y avait que de l’instinct dans la confiance que j’accordais au Dr Verge. Il n’avait rien d’un fanfaron, il était franc et direct, à la fois empathique comme un médecin doit l’être et détaché comme un chirurgien doit l’être. En plus, il avait des mains qui ne tremblaient pas. Qui bougeaient très peu en fait, juste quelques déplacements utiles et précis. Et ça, ça m’a plu.
J’ai serré l’une de ces mains avant de partir, il m’a souhaité une réflexion sereine, juste avant d’ajouter « Mais pour ma part, j’irais bien voir. »
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