Créé le: 03.05.2020
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Une Douille pour les Cieux

Journal personnel

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© 2020-2024 Nicolas Rochey

Chapitre 4

4

C’est lundi, il est 8 heures. Il faut que je chope Régis, mon directeur, dès qu’il arrive. C’est son retour de vacances et comme j’ai rendez-vous chez le docteur Verge cet après-midi, je dois lui parler de ma couille.

 

Régis est plutôt cool, enfin c’est ce qu’il aime dire. Il a une formation de psy, c’est ce qu’il aime dire aussi. En fait, il le répète si souvent qu’il a réussi à mettre le doute à toute la boîte. Plus personne n’y croit à cette formation de psy.

 

Et comme il fait une faute de français toute les deux phrases environ, c’est dur de le défendre. C’est le gars qui annonce en séance plénière qu’à cause des travaux, il a dû faire un détour par Mathusalem… Ou qu’envoyer un rappel, ça ne paie pas de pain… Ou qu’on ne va pas prendre midi pour quatorze heures
Un génie quoi, enfin c’est ce qu’il aime dire.

 

Je reconnais ses pas dans le couloir, et l’entend déverser quelques bonjours, avec l’entrain d’un châtelain qui distribuerait des restes. Par ma porte ouverte, je vois d’abord une tête, puis des épaules desquels pendent des bras, et enfin un torse, voûté, bien plus tard. C’est dingue ce qu’il ressemble à une hyène souriante.

 

« Salut Régis, bienvenue. Comment ce sont passées tes vacances ? »
« Une catastrophe ! De bout en bout » me dit-il en souriant fièrement « Sérieusement! J’ai passé deux semaines à devoir faire le psy pour toute ma famille ».
Et bingo ! Régis est bien de retour, pas de doute là-dessus. « Mais je te raconterai. Et les tiennent de vacances ? »
« Pareil. Mais j’te raconte tout de suite. Ferme juste la porte ! »

 

***

 

C’est peu commun, de parler de ses couilles à son chef. En dehors du milieu du X j’entends. Mais c’est dommage, parce que c’est une expérience tout à fait jubilatoire.

 

Vous pouvez y aller bien cash, avec plein de détails écœurants. Lui, il est obligé d’écouter, pris au piège parce que vous avez dit le mot qui pétrifie « Cancer ». Vous sentez bien qu’il est gêné quand vous racontez l’échographie en mimant un sexe bien plus grand que la réalité. On s’en fout, au besoin redites « Cancer ». Et quant en plus, il commencera à réaliser qu’il va perdre l’un de ses cadres pour une durée indéterminée, il sera mûr pour vous signer une pétition pour la sauvegarde des trompes d’éléphant. Parce que vous avez dit « CANCER ».

 

Quant j’en ai eu fini, il a mis du temps à réfléchir à la phrase la plus adéquate à cette situation. Pour dire enfin « Tu sais que j’ai une formation de psy, alors si je peux t’aider à surmonter ce recueil… n’hésite pas ! »

 

J’ai même pas rit intérieurement… Il avait l’air sincère.

 

***

 

Une heure après, on a une réunion avec le Management Team. C’est pour ça que je voulais absolument voir Régis avant. Il va falloir que je l’annonce à toute l’équipe et ça me paraissait normal qu’il ait l’info en avance.

 

Là, c’est moins drôle. On fait une séance de rentrée tout ce qu’il y a de plus normale, mais quand je reprend la parole avant de conclure, j’ai la gorge nouée. La bonne humeur s’efface dès mes premiers mots et les teints bronzés deviennent laiteux.

 

Je déballe tout ! Sans pudeur ! Juste la vérité de l’instant. Je prends bien la peine d’ajouter « suspicion » avant chaque « cancer » mais ça ne change rien. Les mines s’allongent, on dirait des collègues à gueules de cire, que je suis en train de passer au chalumeau.

 

Je leur demande de ne s’investir d’aucune confidentialité sur ce coup-là. On joue la transparence totale. Si le pire est confirmé, on annoncera la couleur de la façon la plus claire et directe possible. J’en ai besoin ! Si je dois me battre, j’aimerai avoir une armée à mes côtés. Alors chaque aide sera la bienvenue.

Aucun secret, on dit uniquement la vérité… crue et entière.

 

J’essaie de rattraper le coup avec un peu de dérision, mais ça ne change toujours rien et certaines gueules passent déjà sous la table. Et quand je conclu sur une note de confiance, un peu forcée, il ne reste devant moi que des costards vides.

 

***

 

Régis, jamais à l’aise quant il s’agit d’être courageux et transparent m’a encore demandé si j’étais bien sûr de vouloir que l’information parte à TouTâzimut

 

Ce type est un génie. Il devrait avoir sa place dans Kaamelott.
Et pourtant, là non plus,  je n’ai pas rit.

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