Créé le: 03.05.2020
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Une Douille pour les Cieux
Chapitre 3
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Bon, donc j’ai dix jours. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ces dix jours ?
Dix jours c’est pas énorme, c’est pas comme dix mois ou dix ans. Mais je vais devoir les vivre en sachant que j’ai peut-être un crabe entre les jambes…
J’ai pas le courage d’allumer le moteur de ma voiture pour rentrer chez moi. Toute la famille m’attend pour savoir quelles sont les nouvelles. Enfin, surtout Marie, je n’ai encore rien dit aux filles.
Pas trop envie d’envoyer un message non plus… J’ai peur d’être maladroit. Alors je reste là, bien droit, forçant mes mains à rester sur le volant pour pas qu’elles attrapent ma tête. Je me demande si je devrais pleurer, mais je suis même pas sûr d’en avoir envie.
Dix jours donc. Ça me rappelle ces jeux d’ado où l’on se demandait: »Tu ferais quoi s’il te restait dix jours à vivre ? »
Ben je casserais ma tirelire et j’irais au magasin m’acheter de quoi faire une orgie de fils de réglisse. Ou alors, je dévisserais les pieds du bureau de la prof d’allemand et je les fourrerais de Munster.
Faut que je m’enlève ça de la tête parce qu’il ne me reste pas dix jours à vivre… Juste dix jours avant… avant quoi en fait ? Avant d’avoir la confirmation d’avoir un cancer ? Avant qu’on m’ampute d’une couille ? Avant qu’on se rende compte qu’il y a des métastases partout et qu’on m’annonce qu’il ne me reste plus que dix jours … à vivre.
Merde. Je vais passer acheter un Munster pour mon directeur…
Bon, il va quand même falloir en faire des trucs pendant ces dix jours. Il faut que j’annonce ça à Marie et aux filles, ça c’est chaud. Je dois aussi l’annoncer à mes frangins, à mes parents, à mes amis, à mon boulot. En résumé je vais passer mon temps à parler de ça tout le temps et à tout le monde. Je me demande si une manchette de journal ne serait pas le plus pratique.
Il me semble que c’est à ce moment que j’ai délibérément choisi d’abandonner toute pudeur pour le coup, et que je me suis promis d’en parler le plus ouvertement possible à tout ceux qui se trouveraient sur ma route.
C’est aussi à ce moment que je me suis demandé si mon classeur d’assurance-vie était toujours autant en bordel et si quelqu’un pouvait s’y retrouver là-dedans en cas de besoin.
***
« Quoi, t’as un concert ? Mais je savais pas que tu faisais de la musique Papa ! »
Mathilde, impayable. L’éclat de rire me fait du bien… mais fait craquer Marie.
Mathilde, onze ans qu’elle cohabite avec ce que les médecins ont appelé une coquetterie génétique, une légère différence, une jolie particularité. Du blabla bien fleuri pour ne pas dire le mot qui fait peur: trisomie.
Une trisomie 11. Ouais c’est bien ça 11. Moi non plus, avant, je ne savais même pas qu’il y avait ça en catalogue. « Vous la voulez en 21 votre trisomie ? »
« Non merci, je pense qu’une 11 sera suffisante ».
Y a pas moyen, je peux pas la laisser tomber cette petite. Il va bien falloir que je trouve une solution pour lui faire sa fête à ce crabe…
Je vais faire comme elle. Je vais me battre. Prendre chaque épreuve, l’une après l’autre, après l’autre, après l’autre… Et puis entre chacune, s’arrêter pour sourire. Comme Mathilde.
Je sais comment faire, je t’ai vu faire Mathilde. Tu vas m’aider, je vais faire tout comme toi. Parce que depuis ce matin, c’est Papa qui a le mot qui fait peur.
***
J’ai demandé à Marie si elle avait une préférence pour la boule. « Ben quoi ? Tant qu’à se faire mettre une prothèse autant pouvoir la choisir! » Enfin, je crois, j’ai oublié de demander au docteur Verge.
« J’aime bien la tourmaline, parce que c’est élégant. Ou alors émeraude, ça ferait un rappel avec mes yeux. »
Ça doit peut-être être possible d’en avoir plusieurs. De se clipser le matin la boule qui va le mieux avec son humeur ou sa cravate. Du kevlar pour faire du sport, de l’or pur pour faire l’amour.
En fait, je ne suis pas à l’aise. Je m’engouffre dans n’importe quelle blague pour éviter de parler de la seule chose qui intéresse Marie et pour laquelle je n’ai aucune réponse: « Et je fais quoi moi, si tu meures? »
***
Pauline est redescendue vers moi ce soir, elle n’arrivait pas à s’endormir et ses yeux étaient pleins de larmes. Elle s’est blottie contre moi, du haut de ses treize ans et m’a dit: « J’ai peur Papa »
Je me suis redressé et lui ai pris les mains. Je lui ai dis « Voilà ce qu’on va faire ma grande. On va attendre cette opération, sans paniquer. Et on va voir ce qu’il en sera. Ok ma belle? »
« Oui, mais si c’est un cancer ? » me demande-t-elle.
« Alors on lui dira poliment bonjour et après toujours poliment, on lui PETERA sa gueule. Je te le promet. Ça te va ? »
Elle s’est blottie plus fort encore avant de retourner se coucher.
Et moi je suis resté là. J’avais fanfaronné pour maintenir tout le monde à flot depuis le matin, mais franchement… je crevais de trouille… et il me restait neuf jours.
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