Créé le: 03.05.2020
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Une Douille pour les Cieux

Journal personnel

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© 2020-2024 Nicolas Rochey

Chapitre 9

9

Je suis retourné quelques jours plus tard chez le Dr Walter pour recevoir mes résultats. Et la secrétaire m’avait préparé un badge VIP pour le parking: « Aussi longtemps que vous viendrez nous voir, mettez ce badge sur votre tableau de bord et ne payez pas le parking! »

 

Yeah, c’est la première fois que j’ai un badge VIP pour ma voiture, c’est la classe. Bon ok c’est pour le service d’oncologie. Mais tant pis, je me la pète quand même, c’est pas si souvent que j’en ai l’occasion ces temps.

 

Le Dr Walter a les yeux brillants et se racle la gorge avant de commencer:
« Nous n’avons rien trouvé au scanner. Aucune trace de propagation. Rien au thorax, rien au foie, ni dans la région pelvienne. Aucun ganglion en alerte non plus. »
Il fait une pause, s’essuie un œil et se racle à nouveau la gorge.
« Votre scintigraphie quant à elle… est magnifique. Vous avez un squelette de jeune premier. »
Il s’essuie l’autre œil avant de conclure solennellement:
« Monsieur Rochey, vous êtes guéri. »

 

***

 

Il avait l’air beaucoup plus ému que moi, c’en était perturbant. Je me suis demandé si j’étais son sauvetage mensuel… ou annuel. S’il ne supportait de voir des gens mourir que pour ces rares moments où il peut annoncer à quelqu’un qu’il est sauvé.

 

C’est surtout le terme « guéri » qui me dérangeait. Moi j’avais compris que j’étais en guerre, pas que j’étais malade. Que j’allais combattre à mort et qu’à la fin il n’en resterait qu’un. Le cancer ou moi. A aucun moment je me suis dit que j’allais vivre avec lui, être malade, sur la durée.

 

« C’est ce qu’on appelle une rémission ? » ai-je demandé

 

« Non, la rémission c’est lorsque l’affection cède du terrain et que l’état du patient s’améliore temporairement. Chez vous c’est fini… c’est terminé « 

 

Là j’ai percuté. Guerre ou maladie on va pas jouer sur les mots. Il a dit « vous êtes guéri » où j’aurais plutôt dis « putain je t’ai bien bifflé, enfoiré de crabe ». Le fait était là… J’étais sauvé.

 

Je suis resté silencieux un moment en essayant de m’essuyer les yeux le plus discrètement possible.

 

***

 

Et maintenant, on fait quoi? C’est vrai, est-ce que je paie ma chambre, le mini-bar et je rentre chez moi. Comme à la fin de mauvaises vacances.

 

« Je dois quand même vous dire…. » recommence-t-il soudain sérieux « … ça pourrait revenir. Il y a peu de chance, mais on doit en parler. »

 

Aïe, merde. Bon, j’avais eu une minute vingt de joie… et c’était pas rien ces temps-ci… avant que les ennuis ne reprennent.

 

« On observe quand même des cas de récidive de l’ordre de 15% dans les situations comme la vôtre » m’annonce-t-il.

 

Je lui réponds du tac au tac:
« Je peux accepter un risque de 15% »

 

« Mmm, je comprends. 15% c’est un pourcentage tout à fait acceptable, dont beaucoup de mes patients rêveraient. Pourtant il y a un moyen de le réduire à 4% et je voudrais vous en parler. »

 

Il y avait quand même quelque chose d’assez surréaliste à parler de ma vie en terme de statistiques et de sentir qu’il allait me faire une offre de remise de 11% sur Dieu sait quel article. N’empêche que je me suis pris au jeu…
« Je vous écoute »

 

***

 

« D’abord, vous devez savoir qu’à partir de maintenant, c’est vous qui décidez. Le scanner, la scinti, c’était mon protocole post-opératoire. Je ne vous ai pas vraiment laissé le choix. En ce qui me concerne, aujourd’hui vous êtes sauvé, et si vous vous arrêtez là, on fixe simplement un rendez-vous de contrôle dans trois mois et tout ira bien.”

 

Bon, tu l’accouches ton offre de remise !

 

« Mais vous pourriez choisir de faire une séance de chimiothérapie ou de radiothérapie pour réduire le risque de récidive… »

 

Aïe, je les avais complètement oubliées ces deux-là. Non, en fait, j’avais fait exprès de les balancer pour plus tard sans remarquer leurs formes de boomerang.

 

« Est-ce que je vais perdre mes cheveux ? »

 

***

 

Voilà ce que j’ai compris.

 

La radiothérapie, c’est l’artillerie. On définit une zone et on la bombarde de l’extérieur pour tout raser. Il a beau m’expliquer que c’est très précis, qu’on n’est plus à l’époque de la boîte à uranium, que le faisceau est aussi réglable dans sa profondeur pour ne pas endommager les tissus externes… j’ai des images de village sous le napalm qui défilent dans ma tête.

 

« Et vous allez bombarder où puisqu’on n’a rien vu au scanner ? »

 

Il trace un mot sur son bloc-notes et me dit: « On est donc d’accord pour oublier la radiothérapie. »

 

La chimiothérapie, c’est l’infanterie. On vous injecte des soldats en carbo-platine qui vont ratisser l’ensemble de votre corps, centimètre par centimètre, organe par organe. Avec la seule consigne – les soldats en retiennent rarement deux – de dégommer toutes cellules à développement rapide qu’ils pourraient croiser.

 

Les cellules du cancer sont à développement rapide. Celles de la pousse des cheveux aussi.

 

« Et on espère quoi, puisqu’on a rien vu à la scintigraphie ? »

 

Il ne trace rien sur son bloc cette fois.

 

« La scinti, ça reste quand même de l’ordre de grandeur du visuel. Il faut déjà un agrégat de cellules pour que ça devienne visible. Avec la chimio, on cherche des cellules isolées, inactives pour l’instant. Il n’y en a peut-être pas… c’est pour ça qu’on parle plutôt d’un traitement préventif »

 

« Est-ce que je vais perdre mes cheveux ? »

 

***

 

« Vous feriez quoi vous ? A ma place ? » lui demandais-je.

 

Il a souri avant de dire: « Rien. Mais parce que je suis oncologue… Comme vous, je peux vivre avec un risque de 15%, et… aucun oncologue ne s’injecterait une chimio si ça n’était pas indispensable. »

 

J’ai apprécié, une fois de plus, sa franchise. Mais malgré cela, j’ai réfléchi autrement.

 

D’abord, j’étais encore en convalescence. La cicatrisation n’était pas encore terminée et j’avais un petit hématome dans l’aine qui peinait à se résorber. Donc, bloqué pour bloqué, c’était le moment où jamais de le faire et d’aller une fois pour toute au bout de cette histoire. Pour ne rien regretter plus tard.

 

Je me suis aussi dit que le jour où la récidive se pointerait avec sa liste de personne à appeler… j’allais en laisser passer onze de plus avant moi… et vu comme ça, ça n’était plus anodin.

 

J’ai dit : »OK on y va pour la chimio mais… est-ce que je vais perdre mes cheveux ? »

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