Portrait de Willy Boder

11 février 2022 – Rendez-vous sur l’écran

Il y a une frontière invisible à ne pas franchir, celle qui vous prive de liberté. C’est un peu comme de vivre dans la zone libre et faire attention à ne pas pénétrer dans la zone occupée Les ailes de Marie. La liberté est une valeur fondamentale pour Willy Boder.  Comme il le dit si bien « elle exprime une forme de bonheur par la libération des contraintes, des habitudes. Elle stimule la créativité, ouvre la porte aux rêves. Le sentiment de liberté pousse aussi à l’action, libère des énergies, et révèle le vrai visage de celui qui la vit. » Cependant, la vie s’amuse régulièrement à nous en priver. A quel jeu joue-t-elle ?

Jouons. A la suite d’un accident ou d’une opération, je suis privée de l’usage de mes jambes. La situation est posée, c’est à moi de jouer. La roue tourne, l’histoire de Delphine, une artiste qui surmonte son handicap en devenant championne de paracycliste puis « sirène » de spectacle. Elle s’invente une motricité qui lui rend sa liberté, celle qui lui permet d’occuper sa place.

La liberté serait-elle provisoire? Jouons à la perdre… provisoirement. C’est ce que fait Willy dans Comme dans un fauteuil, une des rares histoires classée sous la catégorie auto(biographie). Depuis sa sortie d’hôpital, en passant par neuf chapitres d’un apprentissage en chaise roulante – Circulez ! … Jusqu’au Merci d’avoir fait un bout de chemin avec vous, cette expérience devrait être le parcours obligé de tout architecte pour ne nommer qu’un métier concerné. Si l’histoire finit bien, la victoire n’est pas celle de retrouver son autonomie après cette privation de liberté, mais d’avoir surmonté l’obstacle. Voilà le véritable apprentissage. Merci Willy d’avoir pris la peine d’écrire cette période de votre vie, d’en avoir fait quelque chose au lieu de l’effacer. Lorsque vous quittez votre fauteuil devenu inutile, c’est lui qui a besoin de vous pour se déplacer. Discrète métaphore de retournement de situation.

Ramer contre une maladie ou sur les eaux du lac, c’est l’effort d’une vie. Ainsi cette image de Françoise qui trace une parfaite ligne droite avec son aviron. Sans hésitation, elle rame tout en allant vers l’inconnu, puisqu’on rame le dos tourné au but. Nous avançons à l’aveugle en regardant vers le passé.

Fatalité, destin et hasard sont le tiercé gagnant d’une vie qui nous met apparemment sans cesse des bâtons dans les roues ou des coups de pouces. Pour Willy Boder, ce sont les outils de sa création. Des outils neutres avec lesquels il dépeint, avant tout, des situations pour dire les choses. Les personnages ne sont pas des héros et pourtant ils le deviennent à force de vivre. Dans un de ses sonnets – A l’hôpital –  auxquels Willy Boder se plie à contrecoeur, il invite à conjurer la peur car la vie gagne plus souvent que la mort. C’est le cas de toutes ses histoires, sauf une.

Tant qu’on a peur, on est encore en vie comme dans Sang froid où un macchabée se réveille à la morgue, pour son plus grand salut. La vie gagne à nouveau ! En une courte nouvelle, Willy Boder revient sur ses thèmes de prédilection : la séparation haut-bas, la paralysie temporaire, la frontière entre le salé et le sucré, à ne pas mixer sous aucun prétexte. Pourtant, Willy les mélange intimement tout en les séparant à nouveau.

Sur ce terrain de jeu risqué qu’est la société, Willy Boder déplace ses pions sur un échiquier où tous les coups sont permis, sans condamnation. Curieusement, son désir immodéré de transformer le monde tend vers une société idéale. Ainsi, Greta Tintin Eléonore Ernman – noms véridiques – allume la mèche qui va enflammer la jeunesse et mettre au monde le gène de l’écologie. Maeva, Nicolas, Grégor… et les autres sont les acteurs de cette fable utopique. Utopique, vraiment?

S’il est un camouflage que le sort a bien réussi, c’est le Coronavirus et Willy Boder en fait le héros de plusieurs situations. Malgré toute la haine dont il est la cible, c’est notre chance de transformation. Ce virus sans scrupule change le monde, soutient le commerce de proximité, filtre l’air de ses traînées de kérosène, purifie le bord des routes et refroidit pour un temps notre arrogance. Le repli nous a fait redécouvrir la famille, le chant des oiseaux, nous sommes devenus solidaires, nous avons trinqué avec les voisins sans oublier de sortir pour applaudir le personnel soignant à 21h sur les balcons. Nous avons marché dans la forêt au lieu de griller sur les plages des antipodes. A lui seul, il a tenu les promesses que nos politiciens n’ont pas respectées Les gilets bleus. Utopique, vraiment?

A propos de virus, et les animaux dans tous ça ? Hirondelle, hérisson et renard habitent la poésie comme un ultime refuge face à notre folie. Et parfois, ils échappent à notre contrôle en reprenant leur liberté, comme Yoshi, qui a véritablement existé. Jusqu’à ce jour, ses gardiens n’ont pas pu la localiser.

Willy a une place dans son cœur pour l’Afrique. Comme un passeur de mémoire il conte La malédiction de l’osélé qui devient le symbole de notre malédiction. Comme souvent, Willy Boder démarre sur des faits historiques pour insérer une petite histoire dans la Grande. Dans ce récit très bien documenté, il nous raconte la colonisation du Gabon et le long voyage de Zambé qui a pour mission de récupérer la hache à tête d’oiseau pour sauver son village. N’est-ce pas cynique que la capitale du Gabon a été baptisée Libreville par l’oppresseur français sous prétexte de libérer les esclaves.

Zambé a sauvé son village mais pas de la façon prévue. Pour terminer notre périple littéraire : La nature des choses pour sauver notre grand village à nous… Utopique, vraiment?

Pacifiste, idéaliste, utopiste… des qualificatifs qui font de Willy Boder, un poète libre et nostalgique du futur. Toutes ses histoires n’en font qu’une et le lecteur les suit dans un même courant tranquille et fluide. N’essayez surtout pas de mettre des frontières.

Willy, je me suis prise au jeu. J’ai navigué à travers vos histoires et pris la liberté de m’en inventer une durant le voyage. C’est un retournement de situation que je n’avais pas prévu…

Willy Boder webwriter Premium depuis 2019; 38 histoires