Avoir l'écologie dans la peau. Où cela nous mène-t-il ?
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Quand dans la plaine

L’amour ramène le printemps,

Si chéri des amants :

Tout reprend l’être,

Son feu pénètre

Dans les fleurs

Et dans les jeunes cœurs

La puissance lyrique de la mélodie enchante la salle comble du Kungliga Operan de Stockholm.

Soudain, la voix mezzo-soprano de Rosine se trouble. La jeune femme se plie en deux, se tord de douleur, cherche désespérément un siège, et finit par se coucher sur les planches, dans la scène IV de l’acte III du Barbier de Séville.

Le regard de Malena, alias Rosine, reflète, tout à la fois, la tristesse face à son public privé d’Acte final, la peur de ce qui l’attend, et la joie de bientôt enfanter. Le Comte et Bartholo, interloqués, doivent improviser une scène jamais imaginée dans leur vie d’artiste.

Les deux chanteurs d’opéra saisissent délicatement Malena par les pieds et les aisselles, l’emportent dans les coulisses, sous l’oeil incrédule du public, qui commence à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une lubie du metteur en scène.

Au milieu des décors et de l’imposante machinerie du théâtre, le Comte et Bartholo cherchent un endroit où coucher Malena. Ils se précipitent, aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire, vers le canapé qui, ce soir-là, ne sera pas destiné au notaire, dans la scène VII de l’Acte final.

A peine étendue, Malena perdit les eaux. Engoncée dans sa volumineuse robe de scène à volants, le trac l’envahit. La répartie ne venait pas. Instinctivement, elle cria : « Appelez Svante, mon compagnon, et aidez-moi à accoucher ici ; il est trop tard pour se rendre à l’hôpital ».

Les deux hommes, dégoulinant de stress, assistèrent de leur mieux la mère en sueur. Ils firent comme ils l’avaient vu au cinéma. « Poussez, poussez, poussez… relâchez ! ». Après de gros et longs efforts, le sommet de la frêle tête apparut, puis tout alla très vite. « C’est une fille, s’exclama Bartholo, comment allez-vous l’appeler ? »

Greta, répondit, épuisée, Malena en serrant le nourrisson contre sa poitrine gonflée de colostrum. Etrangement, la nouvelle-née n’avait pas crié. Elle gigotait, insouciante d’avoir vu le jour dans un monde en piteux état, ce dont elle ne se doutait pas encore.

Svante arriva trop tard pour assister à la naissance. En guise de consolation, Malena le laissa choisir le deuxième prénom de leur fille. « Ce sera Tintin, car je suis certain qu’elle va vivre de belles aventures », décida-t-il. La mère en rajouta un troisième. L’enfant entra donc dans la vie sous le nom de Greta Tintin Eleonora Ernman Thunberg.

Greta parla tard. Ses parents, d’un naturel calme, ne s’en alarmèrent pas. Ils durent patienter plus de trois ans avant d’entendre le premier mot sorti de la bouche de leur fille. Ils attendaient mamma, ou pappa, mais ce fut blomma, fleur en suédois.

A l’âge de 9 ans, Greta, d’humeur contemplative, commença à poser des questions très sérieuses concernant, par exemple, les traces blanches des avions dans le ciel, ou l’indécrottable habitude des gens de toujours vouloir se déplacer en voiture.

A l’âge de 12 ans, la fille Thunberg refusa de manger et de se rendre à l’école. Elle passait ses journées, recluse dans sa chambre et ses noires pensées. Greta protestait à sa manière. Elle se sentait impuissante et profondément déprimée face aux comportements schizophrènes de ses semblables, insensibles aux dégâts causés à l’environnement.

Ses parents ne savaient pas comment réagir. Svante se rasa la moustache, et Malena interrompit sa carrière internationale pour consacrer davantage de temps à sa fille.

Ils consultèrent de nombreux spécialistes, avant de tomber sur un vrai professionnel qui diagnostiqua une forme d’autisme, dite d’Asperger. Cela expliquait le caractère entier, obstiné, mais également la très grande sensibilité de Greta. L’enfant parlait peu, éprouvait de grandes difficultés à exprimer ses sentiments. Il lui arrivait souvent de se mêler de ce qui, au fond, ne la regardait pas, ou de se transformer en éponge des problèmes des autres.

A l’âge de 13 ans, Greta sortit de son état dépressif. Son profond malaise, face à ce qu’il faudrait faire, et que les hommes refusaient d’entreprendre, n’avait cependant pas disparu. Bien au contraire. Elle s’énervait contre les injustices géographiques nord-sud, l’égoïsme des riches qui laissent les pauvres croupir dans leur misère, les graves dégradations de l’environnement commises dans l’indifférence générale.

A l’âge de 15 ans, Greta gagna un concours d’écriture sur la question climatique. Dopée par des lettres de félicitations d’adolescents prêts à s’engager, elle avança une proposition qui fit un flop. « Tant pis, se dit l’obstinée, j’irai seule au combat contre les autruches, jusqu’à ce qu’elles sortent la tête du sable ».

Méthodique, la jeune fille prépara 35 fiches de documentation, écrivit SKOLSTREJK FÖR KLIMATET en lettres noires sur un panneau aussi grand qu’elle, enfila ses baskets bleues, et s’installa, les sourcils froncés, devant le parlement suédois. La première grève scolaire pour le climat, programmée pour une durée de trois semaines, était née. Aux journalistes intrigués par la démarche, Greta expliqua, synthétisa et vulgarisa le dernier rapport scientifique du GIEC, puis invectiva le pouvoir politique qui ne luttait pas, en urgence, contre le réchauffement climatique.

La petite fille aux allumettes nordiques, sema, sans s’en douter, une traînée de poudre qui enflamma la jeunesse du monde entier. Ecoliers, lycéens, collégiens entamèrent, par dizaines de milliers, la grève scolaire du vendredi. La Suisse romande n’échappa pas à la contagion planétaire.

Maeva, 18 ans, excellente élève au collège St-Michel à Fribourg, passionnée de biologie, tomba, le 13 décembre 2018, sur un article du Monde décrivant la grève scolaire de Greta. Préoccupée depuis plusieurs années par la dégradation de l’environnement, elle s’était souvent demandé ce qu’elle pouvait faire, concrètement, pour combattre le réchauffement climatique. Elle eut soudain la réponse.

Le lendemain se tenait, à Zurich, la première grève du vendredi en Suisse. Maeva, d’un caractère fort mais réfléchi, était décidée à convaincre son entourage. Avant d’agir à Fribourg, elle voulait cependant en savoir davantage.

Vendredi matin, elle enfila ses baskets mauves, passa les bretelles de son petit sac à dos sous sa chevelure rousse, et pressa le pas en direction de la gare. Sur le quai 3, dans l’attente du train de 7 h. 04, elle vérifia le contenu de son sac : un plan de la ville de Zurich, un petit dictionnaire français-suisse allemand, l’article du Monde, un extrait du dernier rapport du GIEC, un sandwich bio, une bouteille d’eau du robinet, et, dans la poche gauche, son bonnet fétiche mauve.

A la sortie de la gare de Zurich, au bas de la Bahnhofstrasse, elle aperçut les premières banderoles encore enroulées, portées par des jeunes de son âge, au look décontracté, écologiquement reconnaissables dans leurs vêtements amples et laineux.

La Fribourgeoise s’approcha d’un petit groupe, sortit les quelques mots de schwytzerdütsch qu’elle connaissait, et se vit répondre, en français fédéral, qu’elle était vraiment la bienvenue.

Quelques heures plus tard, après des discussions, passionnées et passionnantes, autour de l’organisation du mouvement et de l’audience internationale naissante, via, notamment, un grand article paru dans Der Spiegel, elle défilait, avec 500 de ses camarades, dans les rues en pente de la vieille ville. Au bas de la Torgasse, un photographe de Keystone l’immortalisa, brandissant une banderole « STOP WRECKING OUR PLANET. WE WANT ACTIONS NOW ».

La spirale helvétique était enclenchée. Maeva participa, le vendredi suivant à Berne, à une nouvelle manifestation, puis devint le fer de lance de celle du 18 janvier 2019 à Fribourg, pièce du puzzle qui rassembla plus de 20 000 adolescents en grève scolaire dans toute la Suisse.

Nicolas, 17 ans, avait quitté le cocon familial niché dans une villa cossue de Grandvaux. Révolté par le mode de vie bourgeois sans scrupules de ses parents, il avait rejoint une communauté, solidaire et écologiste, au centre de Lausanne. Le gymnasien rebelle avait suivi avec intérêt la grève scolaire de Greta, mais un autre événement l’avait enthousiasmé : la montée en puissance internationale, début 2019, d’Extinction Rebellion (XR).

Nicolas, barbe en broussaille et cheveux en bataille, studieux pour une fois, avait dévoré tous les manuels de désobéissance civile. Il se reconnaissait pleinement dans la philosophie et le mode d’action coups de poing de XR. Du coup, il décida de créer, à Lausanne, un groupe qui fut à l’origine, mi-avril, de la première action en terre vaudoise. « Les autorités vont se faire niquer par notre pique-nique sur le Grand-Pont », annonça-t-il fièrement à ses potes, après leur avoir expliqué la méthode XR de blocage des ponts.

Voir Greta. Maeva s’était aussi inscrite pour cela au sommet Smile For Future, rassemblement, sur le campus de l’université de Lausanne, de centaines de jeunes activistes accourus de l’Europe entière.

La chaleur était torride ce 9 août. A l’heure de la rédaction de la déclaration finale, Greta, dans sa fine robe en tissu imprimé de laquelle dépassait le haut d’un soutien-gorge vert pâle, fronça les sourcils, et sonna une nouvelle fois l’urgence climatique. « Nous obligerons les autorités politiques à maintenir la hausse de température mondiale inférieure à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».

Maeva réalisait, en la voyant en chair et en os, l’impressionnant contraste entre la faible taille de la Suédoise et la force obstinée du timbre de sa voix. Elle comprit, en un éclair, d’où provenait son aura internationale.

Soudain, l’attention de la Fribourgeoise fut attirée par un garçon qui s’agitait au premier rang. Il brandissait un drapeau arborant un sablier cerclé de noir, signe de ralliement à Extinction Rebellion.

Etait-ce les cheveux bouclés, les yeux bleu azur, le jeans moulant de petites fesses, la posture conquérante ? Impossible à expliquer, mais le fait est là : Maeva tomba immédiatement follement amoureuse de Nicolas.

Ce fut réciproque. Le soir même, ils firent l’amour et se promirent fidélité. Fougueuse au début, leur relation commença à battre de l’aile pour des raisons idéologiques. Maeva ne comprenait pas le durcissement du mouvement Extinction Rebellion, qui cherchait systématiquement la confrontation directe, à la limite de la violence, avec les autorités. « La grève pour le climat est un levier bien trop faible pour faire changer les choses », justifiait Nicolas.

Un petit virus tua leur amour, du moins ce qu’il en restait. Maeva, sensible au sort des personnes contaminées par Covid-19, s’engagea comme bénévole, mettant entre parenthèses son combat écologiste. Nicolas, révolté par les fonds colossaux débloqués pour minimiser l’impact économique de la pandémie, durcit encore les actions de XR, afin de « sauver la planète, plutôt que les vieux », disait-il.

Maeva était tombée enceinte. Lorsqu’elle l’annonça à Nicolas, ce dernier voulut la forcer à avorter car « en plein combat pour le climat, ce n’était pas le moment d’avoir un enfant ».

La militante Covid-19, gréviste du climat, se sentait la force de tout assumer. Elle enfanta donc, seule, au début de l’été 2020. C’était un garçon, qu’elle nomma Gregor. A l’hôpital, les médecins lui annoncèrent que le petit possédait un gène supplémentaire inconnu.

Le premier mot balbutié par Gregor ne fut pas papa, d’ailleurs absent, mais fleur. En grandissant, le garçon, à la très forte sensibilité écologique, prenait naturellement l’ascendant sur son entourage.

15 ans plus tard, Maeva reçut un étrange appel téléphonique. Le professeur Tournesol lui révéla que Gregor était porteur du gène de l’écologie. Il était donc urgent, pour sauver la planète plus carbonée que jamais, que Gregor accepte de laisser croître et multiplier artificiellement son gène supplémentaire, afin que les hommes de science réussissent, là où les hommes politiques avaient lamentablement échoué.

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