Créé le: 25.09.2019
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La malédiction de l’osélé

Histoire, Nouvelle

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© 2019-2024 Willy Boder

Le vol TK589 en provenance de Libreville via Istanbul se posa à l’heure sur le tarmac de Genève-Cointrin. Zambé foulait le sol helvétique pour la première fois de sa vie, chargé d’une mission secrète vitale pour sa tribu installée à proximité des chutes Kongou, lieu sacré sur la rivière Ivindo.
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La malédiction de l’osélé

 

Le vol TK589 en provenance de Libreville via Istanbul se posa à l’heure sur le tarmac de Genève-Cointrin. La grande horloge Patek Philippe de l’aéroport indiquait 14 h 30, ce dimanche d’août, lorsque Zambé foula le sol helvétique pour la première fois de sa vie. Le Gabonais de la région forestière tropicale d’Ivindo se remémorait le voyage avec effroi. Il fut pris de panique dans cet oiseau de fer à trous d’air, capable de franchir les chaînes de montagnes à très grande vitesse à dix kilomètres du sol.

 

Pourtant,  cette peur irrépressible ne lui était pas coutumière. Depuis que le natif du village d’Angwé-taba avait réussi, à la sortie de l’adolescence, les impressionnantes épreuves du rite initiatique de Mungala, il se sentait protégé et guidé par les esprits de ses valeureux ancêtres.

 

L’Africain de l’ethnie Ba-Kota dégageait une étrange aura d’invincibilité. Même ici, sur cette terre étrangère asphaltée sur laquelle des Blancs stressés s’agitaient comme des fourmis dérangées par le bâton enfoncé dans leur fourmilière.

 

Zambé n’était pas né de la dernière pluie tropicale. Il avait acquis de bonnes notions de mécanique, d’électronique et d’informatique au lycée technique de Makokou, au bord de la rivière Ivindo. Cela allait lui être très utile pour accomplir, à Genève, la mission secrète confiée par Mbokwa’munga, l’éboto, ou chef de clan en langue kota.

 

Zambé s’était habillé à l’occidentale pour passer inaperçu dans les rues de Genève. Il disposait de quelques heures avant de mettre son plan à exécution dans le musée d’ethnographie. Sur son chemin, il croisa un Africain, planche à roulettes sous le bras. Et décida de le suivre.

 

Arrivé à la plaine de Plainpalais, il s’assit sur un bloc de béton, fasciné par la danse des adeptes du roller qui tentaient les figures les plus improbables dans le vaste skatepark hérissé de petites montagnes russes.

 

La compétition bon enfant permettait à chacun de se mesurer aux autres, de montrer son habileté, son sens du rythme, d’étaler son physique avantageux pour impressionner les filles. Ces sauts, et autres cabrioles-exhibitions, exécutés sur des sons lancinants de rap répétitif, projetèrent Zambé dans sa forêt natale.

 

Les fêtes liées au rite initiatique de Mungala, bien que strictement codifiées autour de rôles d’hommes et de femmes masqués, de corps peints, de pagnes en feuilles de bananier virevoltant au son des tams-tams, sublimées par des chants et des danses endiablées, sont aussi l’occasion, pour les hommes, de faire valoir, devant les jeunes femmes du village, leurs qualités athlétiques et leur art des pulsions intérieures transformées en mouvements instinctifs évoquant un animal ou un personnage.

 

Plongé dans ses pensées, Zambé faillit oublier l’heure. Sa mission exigeait qu’il pénètre dans le musée d’ethnographie peu avant sa fermeture à 18 h. Il pressa le pas, franchit la porte du bâtiment dont la façade lui fit immédiatement penser aux écailles du pangolin.

 

Au village, les os de ce mammifère édenté, mélangés à du lait maternel et de l’huile d’amande, soignent et protègent le nourrisson des mauvais esprits. C’était un signe: Zambé fut désormais persuadé que sa mission pour redonner vie à sa communauté de pêcheurs et de chasseurs allait réussir.

 

L’Africain passa inaperçu parmi la foule des visiteurs dont la majorité se pressait déjà vers la sortie. Il s’intéressait à l’exposition permanente gratuite, ce qui le dispensa de passer à la caisse et, surtout, lui évita de se faire dévisager par l’employée. Pour des motifs statistiques, manie typiquement helvétique songea-t-il, il dut tout de même délivrer à la préposée un numéro postal et son âge. Il donna le code d’un quartier genevois et tricha aussi sur son âge. Cette dernière précaution lui parut un peu exagérée car un Blanc a toujours beaucoup de difficulté à estimer l’âge d’un Noir. Cela l’a plusieurs fois amusé. Mais ce n’était  pas le moment de rigoler. Les choses sérieuses allaient commencer.

 

Zambé connaissait les locaux du musée par coeur, le site internet du MEG étant très bien documenté. C’est d’ailleurs aussi en surfant sur internet au lycée technique de Makokou que le Gabonais – ancien brillant élève de l’établissement à qui il doit la maîtrise des nouvelles technologies et la connaissance du mode de fonctionnement des Blancs – a pu préparer sa mission avec minutie.

 

L’aborigène venu au monde à Angwé-taba, village au pied des chutes sacrées Kongou, sur la rivière Ivindo, savait exactement ce qu’il allait chercher au deuxième sous-sol du MEG, dans la vitrine 53, entre celles exposant des objets du Nigeria et du Cameroun. Cependant, pour ne pas éveiller les soupçons, il flâna dans les allées, et s’arrêta longuement devant un machin de forme ovale sur fond bleu, blanc, rouge, qui se voulait à la fois didactique et tableau de chasses territoriales.

 

Ce montage rotatif s’intitule “Roue des colonies”. Conçu comme la roue de la fortune bien connue des habitués des foires foraines, il est muni d’une grande flèche qui s’arrête sur l’une ou l’autre de la trentaine de colonies françaises de la fin du XIXe siècle. Par un étrange hasard, la flèche s’était immobilisée, ce dimanche à Genève, sur le Gabon.

 

L’instrument indiquait une “superficie coloniale” de 274 870 km2, désignait le bois précieux okoumé comme principale richesse d’exportation, et précisait que la durée du voyage à partir de Paris était de 40 jours pour 5470 km. La flèche rappelait aussi que la vaste contrée sous occupation française avait pour capitale “Libreville”.

 

De quelle liberté osait-t-on parler, exulta Zambé, puisque la  “libération” de la côte gabonaise a consisté à passer d’un oppresseur portugais à un oppresseur français ?

 

Son sang bouillonnait à la pensée de la violence, des pillages, de la destruction des valeurs culturelles et du mode de vie causés par les colons, qu’il aient été esclavagistes, militaires, commerçants-trafiquants, administrateurs-percepteurs, ou missionnaires. Dans son village, la tradition orale regorge de ces souvenirs d’exactions, transmis de génération en génération.

 

Mais il était encore un peu trop tôt pour régler ses comptes, se persuada l’Africain en retrouvant lentement son calme. Il se concentra et fit, une nouvelle fois, défiler le plan d’action dans sa tête. Il devait se rendre rapidement aux toilettes, muni de son petit sac à dos en cuir de léopard : dans quelques minutes il serait 18 heures.

 

Bien caché dans le lieu d’aisance, debout sur la cuvette des WC afin d’éviter qu’un gardien trop scrupuleux puisse  apercevoir ses pieds sous la porte, Zambé attendit patiemment que toutes les lumières s’éteignent, que toutes les portes du musée ferment, qu’un silence profond enveloppe le bâtiment.

 

Il tira alors de son sac un qamis court, un keffieh, et le couteau suisse acheté à l’aéroport. Déguisé en Arabe, l’Africain sortit des toilettes et s’approcha du tableau électrique principal afin de débrancher le système d’alarme. Chose faite, il s’attaqua à l’installation de surveillance vidéo. Elle lui résista.

 

Ce n’est pas grave, songea-t-il, en imaginant les policiers qui, mardi matin à la réouverture du musée, visionneront en boucle les images en cherchant quel Arabe (terroriste, pas terroriste ?) se cachait sous son keffieh rabattu sur le visage.

 

Zambé, sous l’œil des caméras de surveillance, se précipita vers la vitrine 46, l’ouvrit avec son couteau suisse, et s’empara fébrilement de la planche coranique provenant d’Harar, ville sainte de l’islam en Ethiopie, symbole de la résistance au monde chrétien.

 

Il passa ensuite nonchalamment devant la vitrine 53, hésita longuement, puis marqua un intérêt soudain, mais mesuré afin d’égarer les enquêteurs, pour une arme de jet en fer, osélé, en forme de hache à bec d’oiseau. Quelques tours de vis au couteau suisse plus tard, l’objet disparut dans une poche intérieure du qamis.

 

Zambé quitta le musée par la porte de service de la cafétéria qui n’était plus sous alarme. Dans le jardin désert, à l’abri des caméras, il ôta son déguisement qu’il remit dans le sac à dos. La première partie de sa mission secrète était accomplie.

 

Il voyait déjà le grand sourire de soulagement de l’éboto, qui aura bientôt en main l’osélé, le vrai, celui en fer et en laiton sacrés, capable d’accomplir des prophéties, de faire converger les énergies bénéfiques et maléfiques, de soigner les malades et les fous, d’entrer en contact avec les ancêtres.

 

La nuit du rituel Bwété misoko, en tête à tête avec Mbokwa’munga, éboto, mais aussi devin-guérisseur, nganga, lui revint en mémoire. C’était il y a deux mois, à la pleine lune.

Au crépuscule, Zambé quitta le village sur les pas de l’éboto-nganga. Le chef de clan s’enfonça dans la forêt tropicale, puis longea la rivière Ivindo, avant d’atteindre les chutes Kongou. La troisième plus précisément, dans laquelle vivent les esprits de la renaissance multiple, matérialisée sur terre par la venue au monde de jumeaux. Cette symbolique de la double naissance agit de manière puissante, vitale même, dans la culture Ba-Kota.

 

L’endroit, enveloppé dans le brouillard des eaux violemment brassées par une double chute provoquée par un îlot rocheux, a pour nom Bunia-Ngonde, le soleil et la lune en langue kota. La présence de cette autre gémellité était nécessaire au plein succès des rituels auxquels se livra Mbokwa’munga, avec la participation active de Zambé, afin d’influer sur le cours des événements.

 

Le village d’Angwé-taba vivait en effet la pire catastrophe de son histoire. Pire que l’exode originel provoqué par des combats meurtriers contre d’autres ethnies venues de l’amont de la rivière Ivindo.

 

Pire que l’invasion économique, militaire et culturelle de la colonisation.

 

Pire que les prophéties de Zoaka Pascal, un nganga vendu aux Blancs, qui avait mis en oeuvre, sous prétexte d’éliminer les sorciers, son illumination, dite “Mademoiselle”.

 

C’était au milieu des années 1950. Cela avait poussé les chefs de clan à détruire la plupart des reliques du rite Bwété, indispensables pour entrer en communication avec les ancêtres.

 

Les rites initiatiques de Mungala ont survécu, mais ils sont moins efficaces que l’étaient ceux, originaux, du Bwété.

 

La terrible catastrophe qui s’abat aujourd’hui sur le village a pour nom dénatalité. Les femmes n’enfantent presque plus, et surtout, aucune d’entre elles n’a donné naissance, depuis de nombreuses années, à des jumeaux.

 

La malédiction a commencé à s’étendre sur le village il y a longtemps, mais elle s’est fortement aggravée ces dernières années. Mbokwa’munga a tout tenté pour éloigner les mauvais esprits de la stérilité.

 

Lors d’une nuit rituelle dans la plus grande case du village, il a d’abord fait boire aux membres de Mungala, exclusivement des hommes, une potion composée de feuilles hallucinogènes d’iboga et de peau pilée de potamogale, petite loutre vivant sur les berges de l’Ivindo. Les hommes sont devenus très excités, ont multiplié leurs relations amoureuses et sexuelles, mais les femmes ne tombèrent pas enceintes.

 

Le nganga s’est ensuite tourné vers les femmes. Elles ont été contraintes d’ingurgiter, après avoir chanté, puis dansé en imitant la panthère, un liquide noirâtre issu de la macération de testicules de civette. Inefficace aussi. Le village se mourait, faute de descendants.

 

Mbokwa’munga ne savait plus comment conjurer les mauvais esprits. Au terme d’une nuit de profondes réflexions entrecoupées de mélopées, il se souvint d’une cérémonie rituelle Bwété, tombée en désuétude, dont lui avait parlé son grand-père.

 

En désespoir de cause, il tenta le coup. Le nganga sortit de sa cachette une relique qu’il n’avait jamais utilisée: celle de Ngoboto, fondateur du village. Il posa, sur une peau de panthère recouverte de feuilles de bananier,  la statuette de bois au visage plaqué de cuivre, surmonté d’un croissant convexe en laiton. Sous l’objet sacré pendait un petit panier en liane tressée contenant les os de la main gauche et les dents de l’ancêtre.

 

Le chef de clan, devin-guérisseur, fut alors traversé par une illumination. L’esprit de Ngoboto lui parla.

 

–  Mbokwa’munga, tu dois retrouver et faire ramener au village l’osélé original, en fer et en laiton, qui nous a été volé en 1920 par le missionnaire Ferdinand Gerber. Vous avez remplacé cet objet rituel sacré par une copie en bois qui, au fil des décennies, a perdu de son pouvoir car elle ne contient aucun des matériaux nobles vénérés par les ancêtres. La hache à tête de calaos, certains pensent parfois à celle d’un marabout, est prisonnière dans le musée d’ethnographie de Genève, en Suisse. Le petit-fils du voleur, Samuel Gerber, habite à proximité du musée, rue de la Truite 3, dans le quartier de la Jonction. Pour que le village retrouve la fécondité, il faudra utiliser l’osélé dans toutes les cérémonies rituelles, mais, afin d’empêcher tout nouveau vol et protéger la communauté de toute nouvelle colonisation, vous devez aussi tuer Samuel avec la hache à tête d’oiseau. C’est le seul moyen de vous réconcilier avec les esprits fâchés par la séquestration, en Suisse, pays qui ose se prétendre neutre, d’un instrument culturel essentiel à la survie de notre ethnie. J’ai dit.

 

La nuit était tombée au pied des chutes Kongou. Mbokwa’munga, assis en face de Zambé, avait allumé un feu. Il sortit délicatement, d’un panier tressé, la relique de Ngoboto, fondateur du village.

 

Il l’accrocha à une perche qui traversait un kevazingo vieux de 500 ans, arbre sacré aux racines en pieds d’éléphant.

 

Le nganga râcla un peu d’écorce, la mélangea, dans de l’eau puisée aux chutes Kongou, avec des feuilles d’iboga, et posa le récipient dans les braises.

 

Quinze minutes plus tard, en marmonnant des mélopées que lui seul connaissait, il fit boire la décoction bouillante à Zambé.

 

Alors que l’élu appelé à sauver le village avalait le breuvage amer, Mbokwa’munga lui confia la mission décrite par l’esprit de Ngoboto.

 

Zambé, instruit et dans la force de l’âge, déclara accepter cette lourde tâche. Il dut ensuite se remplir de l’énergie de la réussite en sautant cent fois par-dessus le feu et en effectuant dix circonvolutions autour du kevazingo, en présence des esprits des chutes Kongou, et de celui de Ngoboto.

 

Quelques mois plus tard, à Genève, Zambé, sorti un dimanche soir du MEG fermé jusqu’à mardi 11 h, pressait contre lui le véritable osélé. Il se rendit rapidement chez Samuel Gerber, dans le quartier de la Jonction, en longeant l’Arve, dans laquelle il jeta un baluchon. Le paquet, composé d’un qamis, d’un keffieh, et d’une planche coranique, lesté d’un caillou ramassé dans le jardin du musée, coula rapidement.

 

Arrivé 3, rue de la Truite, Zambé consulta les boîtes aux lettres et grimpa au deuxième étage. Il savait déjà qui il allait trouver derrière la porte palière. En surfant sur internet au lycée technique de Makokou, il avait appris que le petit-fils du voleur de l’osélé, âgé de 69 ans, présidait le conseil d’administration d’une grande société. La multinationale spécialisée dans l’agroalimentaire possède ses propres plantations d’huile de palme en Afrique afin d’augmenter – c’était écrit “optimaliser” sur le site du groupe – la marge bénéficiaire distribuée à ses actionnaires.

 

Zambé fit tinter la sonnette. Un homme dynamique ouvrit la porte du vaste appartement avec vue sur le confluent du Rhône et de l’Arve.

 

L’Africain s’enhardit.

 

– Bonjour Monsieur. Je m’appelle Joseph. On m’a beaucoup parlé de votre grand-père missionnaire dans l’Ivindo. De passage à Genève, j’aimerais évoquer quelques souvenirs avec vous. Puis-je entrer?

– Volontiers, répondit Samuel Gerber.

 

Installés dans le canapé en cuir de buffle du salon, entourés de masques et de tableaux naïfs africains, les deux hommes évoquèrent le passé de Ferdinand Gerber. Samuel vanta les mérites de son grand-père qui avait contribué à éliminer la sorcellerie au sein du peuple Ba-Kota, et construit des chapelles dans les villages afin que tout le monde se retrouve uni et apaisé autour d’un seul Dieu.

 

Samuel ne montrait ni respect, ni la moindre considération pour la culture et le mode de vie des populations.

 

Le ton monta très vite lorsque Zambé évoqua l’étrange disparition de l’osélé. Samuel, qui connaissait les faits, défendit avec acharnement son grand-père.

 

– C’est normal qu’il ait décidé de prendre possession de quelques objets en dédommagement de tout ce qu’il a fait pour votre peuple ! De plus, il a ensuite généreusement accepté de donner l’osélé au musée d’ethnographie de Genève.

 

C’en était trop pour les oreilles de Zambé. Il se précipita sur son sac en peau de léopard, sortit l’osélé, et le brandit en direction du crâne dégarni de Samuel.

 

– Arrêtez ! Je ne suis pas responsable des actes de mon grand-père. Vous n’allez tout de même pas tuer un innocent pour une affaire qui remonte à près de 100 ans !  Je peux vous faire une proposition. Si vous épargner ma vie, je m’engage à supprimer les plantations de palmiers à huile et à les remplacer par des essences indigènes gérées de manière durable par les habitants de la forêt tropicale.

 

Zambé hésita, réfléchit, et décida d’accepter le marché. Il menaça cependant Samuel de lui  jeter un sort s’il s’avisait de ne pas mettre sa promesse à exécution, ou s’il le dénonçait à la police.

 

En partant, l’Africain remarqua un petit bananier  près de la fenêtre du salon.

 

Zambé avait soigneusement planifié son retour au village. L’osélé n’aurait jamais passé le contrôle des bagages à l’aéroport. Le périple du retour était donc complexe, mais il avait pour avantage de laisser très peu de traces de passage.

 

Il monta dans le train de 21 h 49,  destination Bâle. Arrivé à 1 h 26, il passa le reste de la nuit dans le Bar lounge club 59, non loin de la gare suisse. A 5 h, il grimpa dans le convoi suisse qui l’amena à la gare allemande. A cette heure matinale, comme souvent à Bâle, aucun contrôle douanier n’était en place. Zambé s’assit ensuite dans l’ICE allemand en direction d’Anvers. Peu après midi, il débarqua dans le port au débouché de la Manche.

 

Le “Mozart”, cargo céréalier faisant route vers Libreville, via Algeciras et Kribi, l’attendait en tant que passager non clandestin. Un mois après la disparition de l’osélé au MEG, Zambé retrouva son village natal.

 

Désormais, Mbokwa’munga brandit l’osélé au début et à la fin de toutes les fêtes de la communauté. La hache à tête d’oiseau reprit aussi pleinement sa fonction initiatrice protectrice, menaçante ou apaisante, selon les lois de la vie chez les Ba-Kota.

 

Neuf mois après le retour de Zambé, les naissances se multiplièrent. Celles de quatre jumeaux furent célébrées en respectant le rituel de protection de ce signe de vitalité envoyé par les esprits: plumes rouges de perroquet plantées dans les cheveux des parents, breuvage à base de sang de bongo avalé par les nourrissons, moustaches de panthère attachées au cou des nouveau-nés.

 

Tout allait pour le mieux chez les Ba-Kota. Jusqu’au jour où des bruits de pelles mécaniques et de tronçonneuses ébranlèrent la forêt. Les Chinois, mandatés par le gouvernement pour construire un barrage qui fera disparaître les chutes Kongou, avaient débarqué.

 

Zambé était mal à l’aise. De nouveaux colons revenaient parce qu’il n’avait pas tué Samuel Gerber à Genève. Il se confia à Mbokwa’munga qui fut contraint d’utiliser ses connaissances de sorcellerie.

 

Le chef de clan prépara une potion à base de racines de bananier et de viscères d’oryctérope. Au moment où il la fit s’évaporer sur le feu, le bananier de la rue de la Truite à Genève commença à émettre des vapeurs toxiques.

 

Samuel Gerber fut emmené d’urgence à l’hôpital. Les Chinois avaient soudainement cessé leurs travaux sur l’Ivindo. Provisoirement ou définitivement ?

 

Le petit-fils de Ferdinand Gerber, maintenu dans un coma artificiel, était entre la vie et la mort.

 

 

 

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