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© 2019-2024 Willy Boder

Du jour au lendemain en chaise roulante… Quid ? Histoire d'une course d'obstacles, en neuf épisodes.
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                                 Comme dans un fauteuil

 

1. Sortie d’hôpital

 

Je ne l’avais jamais remarqué avant de mériter mon permis provisoire de conduire en fauteuil. Combien de roues voyez-vous sur une chaise roulante ? Deux ? Perdu !

 

En ne détournant pas le regard pour échapper à celui du gars ou de la fille assise à vos genoux, vous devez en distinguer quatre. Les deux grandes, tout le monde les repère en premier. Soudées à un cercle de propulsion à l’huile de coude, elles salissent le bas des manches du conducteur qui les fait tourner à la force de ses poignets, un œil attentif dirigé vers le sol afin de pouvoir s’écarter des déjections solides et liquides des chiens et chats qui, s’il n’y prend pas garde, se retrouveraient, à chaque tour de roue, à moins de cinquante centimètres de ses narines.

 

Et deux petites à l’avant. Les plus vicieuses d’ailleurs, car ce sont elles qui m’empêchent de passer un seuil rikiki de dix centimètres de haut. Pourtant, cela paraissait fastoche. Les basketteurs font corps avec leur fauteuil, virevoltent, accélèrent, freinent, jouent aux équilibristes. Aucun obstacle ne devrait donc résister à une bonne maîtrise technique acquise après quelques solides leçons de conduite.

 

A l’hôpital, l’infirmière avait vite douché mes espoirs d’autonomie. “Je ne sais pas comment vous apprendre à manier votre chaise. Attendez un moment, je vous pousserai moi-même jusqu’aux toilettes, c’est plus prudent. Et vous sonnerez quand vous aurez fini !”

Et si je veux faire le maximum tout seul pour ne pas être encore plus handicapé et dépendant que je le suis déjà ?

 

Posé à la physiothérapeute, avec l’exemple des basketteurs, le problème ne fut pas résolu pour autant. “Franchement, je ne sais pas quelle est la hauteur maximum de seuil que vous pouvez franchir avec votre fauteuil. Il faudrait vous renseigner à Nottwil, au centre suisse des paraplégiques, pour apprendre à maîtriser ces techniques”.

 

Ok, mais moi j’ai besoin de le savoir tout de suite pour faire aménager mon logement avant ma sortie d’hôpital.

 

Sans moniteur de fauteuil-école, je n’avais donc plus qu’à improviser. La première étape fut de trouver des solutions pour me frayer un cheminement adéquat dans mon logement afin de parvenir à accomplir le maximum de tâches quotidiennes. C’est fou comme l’homme devient intelligent lorsqu’il doit s’adapter et apprendre à se débrouiller.

 

*****

 

2. Circulez ! Il y a tout à voir

 

Imaginez qu’en prenant le volant, sans GPS, vous deviez mémoriser votre parcours : nombre et hauteur des gendarmes couchés, routes rétrécies, impasses, emplacements de tourner sur route, manœuvres en marche arrière. Et qu’en fin de compte vous deviez, à cause des contraintes d’infrastructures routières, changer d’itinéraire, voire renoncer à vous rendre à l’endroit prévu.

 

C’est ce qui m’arrivait quotidiennement lorsque je désirais me rendre à un endroit inconnu, dépourvu de GPS réglé sur le programme spécial « fauteuil ». Un logiciel à inventer d’ailleurs. Chers bipèdes sans roulettes, créateurs de start-up, courez vers vos starting-blocks !

 

Au début, les endroits auparavant familiers et facilement accessibles sans réfléchir étaient devenus mal programmés, inconnus en quelque sorte. Et aucune voix doucereuse répétait « faites demi-tour dès que possible ! », pour signaler que je n’étais pas le seul à m’être égaré.

 

Ce sentiment de perte de repères fut un peu angoissant. Une angoisse suffisamment forte et tenace d’ailleurs pour inciter nombre de bipèdes collés sur quatre roues à rester à la maison. En ce qui me concerne, la crainte était mêlée à la soif de découvertes. Cela me poussa à rouler.

 

J’avais l’impression de me retrouver dans la peau d’un touriste, plan de ville ou portable en main, flânant dans les rues de Londres ou New York. Sauf que le voyage débutait devant ma porte. Nul besoin d’avoir dû prendre l’avion et d’ensuite commencer à culpabiliser à cause de mon empreinte carbone.

 

Une fois le parcours de sortie à quatre roues validé, sans GPS mais peut-être avec Google Street, il s’agissait de pouvoir rouler. En automobiliste modèle, auriez-vous imaginé que deux feuilles mortes mouillées mal placées puissent stopper votre véhicule, ou que le franchissement d’un gendarme couché devienne impossible si les roues avant ne sont pas parfaitement parallèles ?

 

En fauteuil, il fallait sans cesse anticiper, imaginer des solutions de rechange, décider si la marche arrière valait mieux que la marche avant pour franchir l’obstacle, juger si la place était suffisante pour effectuer un tourner sur trottoir ou sur terrasse sans abîmer le mobilier urbain ou privé. La gymnastique intellectuelle remplaça rapidement la désormais révolue gymnastique physique sur deux pattes. Griffonner une liste de produits à acheter au supermarché, puis enclencher le GPS, ne suffisait plus à combler mon emploi du temps le samedi matin.

 

*****

 

3. Home, but not sweet home

 

Reste qu’avant de pouvoir prendre l’air en fauteuil, il fallait d’abord se pencher sur le logement. 77 centimètres : c’est la largeur minimum pour pouvoir se faufiler à quatre roues chez soi sans devoir vivre avec des éraflures permanentes aux mains. Je n’imaginais pas le nombre d’endroits devenus tout à coup inaccessibles. Et je ne parle pas de la cave et de la perte du plaisir de choisir une bonne bouteille pour les invités. Ou de la chaufferie qui péclote par manque d’eau dans les radiateurs à l’approche de l’hiver. Une seule marche d’escalier allumait le feu rouge. Quant au feu orange, il s’enclenchait aussi sans arrêt.

 

C’est bête, mais je n’entrais plus dans les toilettes. Je n’allais tout de même pas régresser, reprendre la bouteille et le vase qui m’étaient proposés à l’hôpital, devoir me mettre en position couchée pour faire mes besoins à la maison ! Mon handicap étant a priori provisoire et relativement léger, j’eus le privilège de pouvoir opter pour un transfert intermodal. Passer du fauteuil, qui s’obstinait à ne pas entrer dans les toilettes, au déambulateur qui, lui, pouvait s’y contorsionner.

 

Les autres transferts, vers le lit, le canapé, le siège passager de la voiture, le fauteuil relaxant, le siège des toilettes « normales » représentaient à chaque fois une prise de risque. Elle fut progressivement réduite au fur et à mesure de la maîtrise des changements d’appui.

 

Trois règles fondamentales durent se transformer en réflexe : serrer les deux freins en quittant le véhicule, vérifier, au retour, qu’ils le soient, et ne jamais être tenté d’utiliser un point d’appui branlant.

 

Les problèmes de largeur ayant été réglés, il s’agissait ensuite d’aborder ceux liés à la hauteur. Ce fut plus compliqué. La salle de bains étant parfaitement inadaptée, la seule solution fut de faire ma toilette à la buanderie. Cela eut l’immense avantage de me faire découvrir le chant des oiseaux au petit matin et apprécier à leur juste valeur les cancanements des canards des voisins.

 

Et puis, quel plaisir de rajeunir en mangeant, lorsque la table se rapprochait naturellement du menton. Je devins soudain complice de mon petit-fils de 3 ans, sans oser aller jusqu’à retomber en enfance en imitant sa manière expéditive de manger avec les doigts.

 

Lever les yeux pour consulter l’écran de l’ordinateur ? Aucun problème, le regard lancé au-dessus du front améliorait grandement ma capacité de concentration selon les psy, et, en prime, j’appris à maîtriser un nouveau style de dactylographie. Faire couler l’eau froide à la cuisine parce que le robinet d’eau chaude devint inaccessible ? Aucune importance, ce fut excellent pour la circulation sanguine.

 

En fauteuil, deux phénomènes contradictoires se produisirent : le rajeunissement en rapetissant, mais aussi le vieillissement par l’incapacité d’aller chercher des objets coincés au sommet des armoires. Lorsqu’un enfant grandit ses parents mettent beaucoup d’objets hors de sa portée en les déplaçant vers le haut. En fauteuil, le mouvement se fit en sens inverse. Je n’avais jamais imaginé, dans une cuisine par exemple, le nombre d’objets indispensables placés à plus d’un mètre de haut ou, à cette hauteur, posés à plus de 10 centimètres de profondeur.

 

Et, bien entendu, il manquait toujours une tasse, un verre, une assiette, le pain ou le beurre à la bonne hauteur et profondeur. Sans parler des biscuits ou du chocolat que les écureuils avaient toujours pris un malin plaisir à cacher le plus loin possible des prédateurs. Tant pis pour le chocolat et les biscuits, mais tant mieux pour ma ligne. Mon fauteuil fonctionnait à l’huile de coude dont le rendement dépendait directement du poids du passager. La carence de chocolat ne pouvait donc qu’améliorer l’efficacité du binôme chaise-bonhomme.

 

Ah ! La force de l’habitude ! Le principe « chaque chose à sa place », assorti du réflexe de rangement « comme avant », devint mon ennemi juré. Heureusement, dans la cuisine il y avait toujours un sauveur du bipède à roulettes. Son nom ? Le lave-vaisselle. Derrière sa porte placée à bonne hauteur, on trouvait tous les ustensiles d’habitude éparpillés dans de multiples tiroirs et armoires. Bon, je passais sur le fait qu’il pouvait aussi souvent contenir de la vaisselle sale. Et que personne n’y mettait le chocolat.

 

*****

 

4. Le regard des autres

 

Se déplacer en fauteuil roulant, c’est être continuellement à la merci du regard des autres. Regards inquiets, angoissés, furtifs, détournés, absents, fermés, stressés, irrités, fâchés, curieux, intrigués, interrogateurs, perçants, insistants, intrusifs, attristés, peinés, prévenants, bienveillants, compatissants, aidants, ouverts, souriants.

 

La liste est longue, mais bien réelle. L’ancien bipède que je suis se souvient s’être souvent offusqué du sans-gêne, ou de l’indifférence assumée, de ses congénères croisés dans la rue, les transports publics ou les centres commerciaux.

 

En fauteuil roulant par contre, oh surprise, je ne laisse plus personne indifférent !
Les êtres différents, atypiques, ont toujours suscité des réactions bizarres de leur entourage.  J’étais pourtant loin d’imaginer qu’il suffisait de rouler assis dans la foule pour devenir, du jour au lendemain, un sujet d’intérêt. Décidément, la célébrité n’est pas toujours là où on le croit.

 

Parmi tous les regards rencontrés ou échangés, une catégorie me touche tout particulièrement. Il s’agit des regards des enfants. Ils ont en effet la particularité d’être naturels, et surtout sans jugement, sans arrière-pensée.

 

Jolie découverte que celle de croiser le regard curieux d’un enfant qui m’observe attentivement et se demande comment je fais avancer mon fauteuil, comment je tourne, comment je freine, comment j’enclenche la marche arrière. Aucune pitié, pas d’interrogations compliquées : juste des questions basiques concrètes. Et même de l’envie. « J’aimerais bien pouvoir essayer ton véhicule. Tu me le prêtes ? », semblent dire les petits yeux brillants de l’enfant.

 

Il y a aussi, bien sûr, des regards enfantins interrogateurs qui cherchent l’origine de mon problème : est-ce une seule jambe ou les deux qui péclotent ? A-t-il mal ?

 

Cependant, jamais de jugements, ces jugements silencieux de nombreux adultes qui peuvent blesser l’âme alors que le corps est déjà atteint. Aucune parole n’est échangée, mais on devine la réflexion négative : « encore un qui touche l’AI et qui ne fait rien de ses journées ; je travaille moi, pourquoi est-ce qu’il bouche mon passage ; il a tout le temps, pourquoi est-ce qu’il prend un malin plaisir à se déplacer comme un escargot aux heures de pointe ? ».

 

Le regard des enfants peut aussi être comparatif, mais il reste neutre. Je me suis trouvé récemment, au centre commercial, à côté d’un enfant qui avait pris place dans un chariot-voiture bleu et jaune. Il regardait mon véhicule, puis le sien. J’ai vu dans son regard une vraie complicité de situation.

 

A la différence près que mon moyen de transport, contrairement au sien, ne possédait pas d’espace de chargement. Cela renvoie à une autre histoire : celle des courses alimentaires en chaise roulante, qui seront au centre (commercial) du prochain épisode.

 

*****

 

5. Au supermarché

 

Etre en chaise roulante s’accompagne d’une lutte intérieure permanente. Pour garder le moral, pour ne pas s’appesantir sur son sort, pour ne pas se laisser envahir par l’isolement.

 

Où rencontre-t-on des personnes en situation de handicap ? Je ne l’avais jamais remarqué, avant, lorsque j’étais bipède. Rarement dans les endroits de vie et de loisirs des gens dits bien portants.

 

Je ne parle pas des pistes de ski ou des murs de grimpe, lieux à désormais rayer de la carte mentale du handicapé que je suis devenu, mais d’endroits relativement faciles d’accès où chacun se rend souvent. Au restaurant, au théâtre, dans les centres commerciaux.

 

Cette étrange absence de chaises roulantes ne s’explique pas vraiment par ce que les architectes appellent pudiquement « les barrières architecturales ». La raison principale est à chercher dans le lent isolement des handicapés.

 

Faire ses courses ? Le premier réflexe consiste à se demander qui pourrait les faire à ma place, puis de réfléchir à une livraison à domicile. C’est plus cher, mais ainsi on ne croise plus le regard des autres, on n’a plus besoin de se battre pour exister dans la foule des gens pressés de remplir leur chariot.

 

Pourtant, en réfléchissant de la sorte, je ne savais pas ce que je perdais. L’expérience du centre commercial vaut le déplacement.

 

D’abord trouver une place de parc. Là, il faut reconnaître le privilège d’être en fauteuil. La place est large, proche de l’entrée et, surtout, elle vous tend les bras. Plus besoin de tourner en rond, de scruter les feux de recul des véhicules, de se demander si le gars dans son gros 4×4 libère ou, au contraire, entre dans la place convoitée.

 

Bon, il y a bien quelques voitures sans autorisation officielle de parcage scotchées sur une place handicapé. Avant de s’énerver et d’être prêt à lancer « si tu veux ma place, prends mon handicap », respirons profondément. J’ai d’ailleurs appris qu’il y a peu de chance que ce soit des fraudeurs. La procédure administrative pour obtenir la fameuse carte bleue « handicapé » à placer sous le pare-brise est tellement longue et complexe qu’elle dissuade nombre de personnes à mobilité réduite à se lancer dans cette course. En outre, la carte est refusée à un passager handicapé dans une voiture privée autre que la sienne.

 

Une fois bien installé dans le fauteuil roulant au parking, les privilèges sont terminés. Il faut anticiper les pièges et les difficultés.

 

Point 1, prendre de l’élan pour affronter une petite pente en dévers.

Point 2, passer bien droit sur la grille d’évacuation des eaux usées.

Point 3, entrer par la porte automatique de sortie car c’est le parcours le plus court, et se préparer à affronter les regards réprobateurs des clients derrière leurs chariots remplis à ras bord.

 

J’ai oublié de passer par une étape importante : prendre un chariot enchaîné. Oubli tout relatif : ce qui est bon pour les bipèdes ne l’est plus pour moi. Déjà que ce moyen de transport à roulettes m’est devenu inaccessible car à hauteur de ma tête, il m’est, en plus, quasi impossible de lui glisser la pièce libératrice. Et puis comment ferais-je pour le pousser, les mains posées sur les roues de mon fauteuil ?

 

Les chaînes de grands magasins ont pensé à créer des chariots pour enfants, des chariots pour brico-loisirs. Mais rien pour les handicapés. Le jour où le peuple en fauteuil se déplacera en masse pour faire ses courses, il deviendra une clientèle intéressante. Il aura alors sans doute droit à un chariot à la bonne hauteur, enfichable dans le fauteuil roulant propulseur, ou à un panier adapté.

 

Etape suivante : accéder au magasin. Les escaliers roulants, fierté des grands magasins pour avaler le plus possible de clients à l’heure, sont à oublier. Le seul choix est l’ascenseur.

 

Point 1, veiller à ne pas se placer devant la porte afin d’éviter la collision avec le chariot propulsé pressé de retrouver la voiture au parking.

Point 2, se placer suffisamment près de l’ascenseur, car entrer en seconde position après un chariot de commissions relève du gymkhana.

Point 3, repérer les boutons de l’ascenseur car, selon leur disposition, il faudra entrer en marche arrière dans la cage pour pouvoir les atteindre, à condition qu’ils soient à la bonne hauteur. Dans un immeuble, mieux vaut ne pas choisir un appartement au 8e ou au 10e étage, car le bouton de commande de l’ascenseur sera inaccessible.

Point 4, sortir prudemment de l’ascenseur car, contrairement aux autres clients, je ne dispose pas du chariot comme bouclier contre les gens pressés et distraits.

 

Circuler dans un grand magasin nécessite une certaine dextérité. Vous avez besoin d’une largeur de 77 centimètres entre les rayons. Le croisement entre les étalages d’une pharmacie devient, par exemple, impossible, ce qui vous vaut quelques regards courroucés de clients contraints d’entamer un slalom parallèle. Attention aux carrefours ! Personne ne vous voit ou vous entend arriver : votre tête ne dépasse pas des rayons, et votre véhicule est silencieux.

 

Où vais-je déposer mes achats ? Poser un panier sur les genoux, c’est trop lourd. Entasser les articles dans un sac accroché à l’arrière du fauteuil c’est trop compliqué. Porter un sac à dos s’avère impossible…sauf si. La voilà la solution : porter un petit sac à dos sur la poitrine. Tant pis si j’ai l’air d’un handicapé encore plus profond.

 

Reste à parvenir à remplir mon sac dos avec les articles vraiment désirés. Dans ma vie de bipède, j’avais compris la théorie selon laquelle les gérants des magasins placent les produits qu’ils veulent vendre à hauteur des yeux. Par contre, les articles les meilleur marché, souvent de moins bonne qualité, sont déposés en bas. Il a fallu que je sois en chaise roulante pour me rendre compte de la réalité concrète de cette pratique. En fauteuil, oh surprise, j’ai soudain un accès direct et facile à toute la gamme M-Budget. Pas de chance, je suis plutôt bio, ce qui signifie que la plupart des produits qui m’intéressent se trouvent dans la partie supérieure des étalages. Tout comme les fromages rares, ou le jambon de Parme dont je raffole. Et puis ces satanées cartouches d’encre… Je peux saisir la jaune et la magenta, mais la noire reste hors de portée.

 

Je commence à comprendre pourquoi on voit très peu de personnes en fauteuil roulant dans les grands magasins. Faire les courses seul, sans une personne qui récolte les produits pour vous, revient à vous obliger à manger M-Budget. C’est bon pour le porte-monnaie, pas forcément pour les papilles gustatives. Je suis projeté, des dizaines d’années en arrière, dans la peau d’un enfant attiré par une souris en chocolat suspendue au sapin de Noël. Mais la branche, trop haute, est hors de portée. Avaler sa frustration ou demander de l’aide en étant adulte, ce qui peut aussi être frustrant : le choix se révèle finalement très restreint.

 

Dernière étape : la caisse. Le fauteuil passe à peine, attention aux mains ! Le tapis roulant est trop haut. J’ai l’air d’un voleur en sortant un à un les articles de mon sac à dos, puis en les plaçant au niveau de ma tête. Le personnel est aimable et compréhensif, ce qui n’est pas forcément le cas des clients pressés derrière leurs chariots bulldozer débordant de victuailles. Pourtant, ils devraient être contents. L’attente est courte derrière moi. J’ai acheté le contenu maximum de mon petit sac à dos, et aucune grosse bouteille de 1,5 litre, trop lourde. C’est donc vite liquidé.

 

Promis, je devrai revenir. Les courses une seule fois par semaine, avec un butin de 25 kilos de nourriture, c’était à l’époque bipède.

 

L’expérience « en fauteuil dans un grand magasin », quoiqu’éprouvante, s’avère très positive ; j’ai réussi à briser le parcours infernal fléché chaise, canapé, lit, toilettes, dans mon logement. Je suis parvenu à vivre parmi la société. Et tans pis si je ne suis pas toujours et pas partout le bienvenu dans mon fauteuil.

 

*****

 

6. Au restaurant

 

Aller au restaurant : quoi de plus banal pour un bipède gastronome ? En fauteuil roulant, par contre, le plaisir de bien manger se mérite. Il doit être précédé d’un important travail préparatoire. Ce ne fut pas mon cas, mais certains handicapés ne se rendent pas dans un restaurant avant d’avoir fait faire, au préalable, des repérages complets par une autre personne.

 

Il ne s’agit pas, dans ce cas, de savoir si la décoration est plaisante, s’il y a des fleurs sur les tables, des nappes blanches, des sièges confortables, une carte des vins étoffée ou des menus variés d’excellent rapport qualité-prix. Ces critères sont ceux d’un bipède.
Le conducteur d’un fauteuil roulant doit pouvoir répondre à des questions essentielles beaucoup plus terre à terre.

 

Du genre : l’établissement possède-t-il ?
1) Une place de parc handicapé.
2) Des toilettes assez grandes pour permettre de franchir la porte et d’effectuer un tourner     sur roues entre le lavabo et la cuvette.
3) Une entrée d’au moins 80 centimètres de large au rez-de-chaussée, sans seuil de plus de      8 centimètres.
4) Aucune marche ou obstacle pour accéder au bâtiment et à la salle à manger.
5) Des chaises indépendantes déplaçables.
6) Un espace suffisant entre les tables, car une personne en fauteuil occupe une fois et           demi l’espace d’un client « ordinaire ».

 

Les restaurants savent généralement s’adapter aux besoins de leurs clients. Ils ont des menus végétariens, végétaliens, sans gluten, des vins bio, des crayons de couleur, des nuggets et des chaises pour les enfants. Mais ils connaissent mal le niveau minimum des aménagements indispensables pour accueillir des clients en fauteuil. Ils ignorent le plus souvent leurs propres barrières architecturales et pensent que la question est réglée avec un box WC pour handicapé.

 

Dans ma vie de bipède je n’avais jamais remarqué combien étaient nombreux les bons restaurants situés à l’étage, séparés de la rue par une ou deux marches, dotés de lourdes portes à ressort se refermant toutes seules, agencés avec des passages étroits ou des tables très rapprochées. Ils ont bien sûr tous dû être rayés de ma liste de gastronome en fauteuil.

 

Même accompagnée d’informations préalables sur l’état des lieux, une sortie au restaurant en fauteuil roulant se transforme en petite expédition avec son lot de surprises.

 

Quelle chance, ce soir-là une place de parc pour handicapé, aux bonnes dimensions et pas au rabais comme souvent, est libre près de l’entrée. Une fois dans mon fauteuil, j’ai vite déchanté et maudit l’architecte et le paysagiste. Une bordure herbeuse coupe le passage. Elle est interrompue par une étroite dalle branlante, conçue uniquement pour les piétons. Un autre passage direct, par la route d’accès, est dangereux assis dans un fauteuil, et impraticable à cause d’une pente raide. Le seul moyen d’accéder au restaurant consiste donc à effectuer un large détour. Un bonheur pour mes biceps qui grossissent à vue d’œil.
La porte d’entrée, qu’il faut tirer et bloquer d’une main, puis d’une roue, est un peu lourde, mais ça passe.

 

Une fois à l’intérieur, je peux oublier la discrète petite table du fond offerte aux amoureux. Trop loin, trop compliqué d’accès en slalomant entre les tables serrées. Je peux aussi oublier celle près de la fenêtre jouissant d’une belle vue. La banquette n’accepte pas la compagnie de mon fauteuil. Tout comme la terrasse, facile d’accès et très agréable : fermée en novembre.

 

« Mettez-vous où vous voulez » : cette phrase de bienvenue dans un restaurant vide est désormais réservée aux bipèdes. Désormais, seuls un ou deux emplacements sont adéquats. Ces rares endroits doivent laisser suffisamment d’espace aux voisins et permettre une manœuvre d’approche en fauteuil. Le personnel se montre charmant, mais, je ne sais pas pourquoi, je me sens soudain dans la peau du poivrot qui est impérativement prié de s’asseoir au bar, ou à la table du fond pour consommer en cachette.

 

Autre périple qui fait douloureusement ressentir la différence : le passage aux toilettes. L’établissement possède des toilettes adaptées. Mais on y accède via un parcours accompagné hors du restaurant.

 

Arrivé sur place, le local, sale car rarement nettoyé, pue les égouts. Le retour, bloqué par des portes fermées à clé, est aussi compliqué que l’aller. Je suis donc à la merci d’une personne inconnue, derrière la porte, à qui je dois crier que j’ai fini ma grande commission.

 

Mais bon, pourquoi s’énerver : de retour dans la salle du restaurant j’ai accès à tous les plats et à tous les desserts. Comme un client « normal ». Je m’offre une meringue double crème suivie du petit limoncello du patron. Rien de mieux pour oublier les tribulations attachées à mon fauteuil.

 

En bon papa bipède, il m’est arrivé, avec les enfants, d’aller croquer un hamburger au Mac Do. A l’époque, je n’avais pas porté grande attention à l’agencement de la boîte à frites.

 

J’y suis retourné récemment. Une fois oublié le fait de devoir se déplacer en fauteuil sur une route à forte circulation, une fois maîtrisée l’odeur d’huile de friteuse qui dérange mes narines, il s’est agi de trouver une place dans le lieu bondé. J’ai failli faire demi-tour.
Une fois écartées les places sur des banquettes, sortis de mon esprit les sièges hauts fixés au sol et les tables inaccessibles à cause d’un passage plus étroit que ma chaise, il n’est resté qu’un seul endroit disponible. Disponible est d’ailleurs un bien grand mot puisque des clients ont dû se déplacer pour m’ouvrir l’accès à la table. Ce jour-là, je n’ai pas poussé l’expérience jusqu’à me frayer un passage jusqu’au WC pour handicapé.

 

Aller au restaurant en fauteuil, c’est tout à fait possible. Mais, je comprends désormais mieux pourquoi on ne voit pas souvent des personnes en situation de handicap rire, boire et manger dans ces lieux publics.

 

*****

 

7. Vous avez dit « discrimination »?

 

Les handicapés sont-ils protégés des discriminations par des conventions liées au droits de l’homme, au même titre que les personnes victimes de racisme, les femmes, ou les enfants ? Sur le papier, oui. Mais la convention de l’ONU en la matière est la plus récente de toutes. Elle date de 2006, soit de moins de quinze ans, et la Suisse n’y a adhéré qu’en 2014. Certains cantons ont, de plus, tardé dans sa concrétisation, notamment Fribourg qui n’applique la loi ad hoc que depuis moins de deux ans.

 

Autant dire, comme j’ai pu m’en rendre compte, que la non discrimination des personnes handicapées n’est pas entrée dans les mœurs. Elle ne se concrétise que très lentement dans le terrain, notamment à l’échelon communal.

 

La discrimination peut être crasse et fortement ressentie lorsqu’elle touche à l’emploi. Ainsi, alors que je disposais d’un contrat de travail, ce dernier a été résilié par un organisme public dès l’annonce de mon handicap qui, pourtant, ne modifiait en rien ma capacité d’exercer les tâches qui m’étaient confiées. De la mauvaise volonté et la forte résistance à vouloir modifier les habitudes de collaborateurs en place ont suffi à me refuser l’accès à des locaux adéquats accessibles en chaise roulante.

 

Inutile de protester : la loi cantonale se veut subsidiaire. Elle édicte des principes, mais n’entraîne aucune obligation claire. Quant à la loi fédérale, elle laisse une très grande marge de manœuvre aux cantons. En matière d’emploi, elle n’engage que la Confédération dans son rôle d’employeur, sans aucune pression sur les autres collectivités publiques et les entreprises privées.

 

Dans deux domaines, cependant, les choses avancent…lentement. Lentement, car le rythme dépend de la volonté politique qui s’applique principalement lors de nouveaux projets. Les deux secteurs qui bougent sont les constructions publiques et les transports.
Dans les nouveaux bâtiments publics et lieux publics les normes imposées font qu’il n’est plus possible d’ériger de barrières architecturales. Rampes pour handicapés, WC adaptés, ascenseurs, places de parc sont prévus. C’est bien, mais cela aboutit parfois à des aberrations.

 

La personne handicapée peut par exemple se rendre dans la nouvelle annexe communale, mais pas dans l’ancien bâtiment principal qui abrite tous les principaux services. L’indifférence ou un banal rapport coût-utilité au moment d’établir le budget annuel conduit à un sous-équipement discriminatoire envers les personnes en situation d’handicap.

 

Je connais une commune de plusieurs milliers d’habitants dans laquelle la moitié des locaux de l’administration communale, la bibliothèque, la ludothèque et une très grande partie de l’école sont inaccessibles en chaise roulante. Des passages piétons restent impraticables, des trottoirs demeurent infranchissables, les places de parc pour handicapés sont inexistantes ou très éloignées de l’entrée du bâtiment. Quant à la salle communale, qui possède de superbes WC pour handicapés, elle est munie d’une rampe d’accès dangereuse et en pente trop raide pour être praticable par une personne seule en fauteuil roulant.

 

Faut-il s’en indigner et protester ? Inutile. Circulez, il n’y à rien à redire, puisque les lois ad hoc, fédérale et cantonale, sont respectées stricto sensu, même si leurs principes sont bafoués.

 

La pente des rampes : c’est également une vaste question. Chaque handicapé en fauteuil l’a dans l’œil avant de s’y lancer. La norme technique prévoit une pente maximum de 6 % qui permet à un handicapé de force moyenne de monter sans trop d’effort. Mais cette norme n’est pas obligatoire, et personne ne peut contraindre un maître d’œuvre à la respecter.

 

Les CFF, par exemple, qui prévoient un agrandissement de la gare de Fribourg sont d’une mauvaise foi crasse. Les nouvelles rampes prévues affichent une pente de 10 à 12% sans arrêt possible sur 30 à 50 mètres. La régie fédérale refuse également, sous des prétextes techniques ou d’organisation interne, de mettre un ascenseur à disposition des handicapés du canton.

 

Pourtant, les transports constituent un domaine où la non discrimination fait le plus de progrès. La ville de Berne, par exemple, a mis en place une véritable politique d’intégration des handicapé et une formation ad hoc des conducteurs de trams et de bus. Les véhicules sont équipés de rampes. Je n’ai jamais entendu un conducteur maugréer parce qu’il perdait du temps à aider une personne handicapée à monter dans son véhicule.

 

Cet exemple n’est hélas pas universel. Dans la capitale d’un canton voisin il est arrivé qu’on refuse à une personne en chaise roulante de monter dans un bus à l’arrêt terminus non officiel, parfaitement plat, pour l’obliger à se rendre à l’arrêt officiel le plus proche en très forte pente. En outre, on ne compte plus le nombre de fois où un conducteur a ouvert ses portes devant un obstacle infranchissable en chaise roulante (arbre, tas de neige, poteau).

 

On comprend donc mieux pourquoi, même dans les transports publics ouverts à la non discrimination, la population croise peu de handicapés.

 

L’isolement et l’utilisation obligatoire de circuits parallèles, basés sur l’entraide pétrie d’une forme de pitié souvent avilissante, sont le lot quotidien des personnes en situation de handicap. Cette exclusion indirecte par absence de vraie politique d’intégration explique pourquoi les bipèdes croisent rarement leurs concitoyennes et concitoyens handicapés en fauteuil roulant dans la rue et les lieux publics.

 

L’indifférence et la pitié sont des formes subtiles d’injures. Il suffit de se retrouver en chaise roulante pour le ressentir et le méditer.

 

Cela dit, comme dans tous les rapports humains, en fauteuil, il se trouve souvent quelqu’un de bienveillant et d’attentionné qui vous redonnera le sourire et vous rendra momentanément optimiste sur l’avenir de notre société.

 

*****

 

8. Au premier rang

 

Parfois je me dis que j’ai de la chance d’être en fauteuil roulant. Globalement, je vois la vie différemment, souvent de manière positive. Une nouvelle philosophie, basée sur les petits plaisirs et les vraies priorités, a envahi mon cerveau. Je pense, en secouant la tête, à l’ancienne époque bipède où je m’énervais pour des détails.

 

Les malades du cancer parviennent aussi souvent à la même conclusion : la maladie a changé leur mode de pensée par un rééchelonnement des valeurs et une approche différente du bonheur. Les choses qui avaient une très grande importance avant la maladie sont devenues futiles. Et inversement. Concrètement, la vie en fauteuil demande évidemment beaucoup d’efforts, mais elle est parsemée de quelques belles récompenses.
Celles que j’apprécie souvent sont liées au monde du spectacle. Je ne m’étais pas imaginé à quel point être en chaise roulante pouvait devenir un privilège dans cet environnement particulier.

 

Au cirque par exemple, une fois passé la difficulté de se mouvoir dans des copeaux, vous vous retrouvez au premier rang, à côté de l’entrée des artistes en ayant payé votre billet le tiers du prix habituel à cet endroit.

 

Pour la première fois de ma vie, j’ai assisté en direct à une partie de la vie des artistes, en bordure des coulisses, à leur entrée ou sortie de scène. La peur d’un jeune acrobate avant de s’élancer dans une triple pirouette, le contrôle tendu et paternaliste, fouet à la main, du grand patron du dressage des chevaux, le stress des garçons de piste dans la sciure, le contrôle minutieux de son matériel par le dresseur de perroquets avant son numéro, l’échauffement des jeunes acrobates derrière le rideau rouge, leur regard gêné de faire fonctionner leur corps au passage d’une personne en chaise roulante, ou serait-ce plutôt leur soudaine crainte de se retrouver dans ma situation si une prise lâchait sur la piste ?

 

Toutes ces émotions, ces images fortes, je ne les aurais pas ressenties de la même manière en simple bipède.

 

Au théâtre aussi, quelques places parmi les meilleures sont à disposition des personnes en chaise roulante. La plupart des salles, même anciennes, sont équipées de rampes mobiles ou de dispositifs d’accès. Parfois très sophistiqués. Un soir, j’ai ainsi dévalé, puis grimpé, deux étages dans un lift d’escalier capable d’effectuer un virage à 180 degrés. Je me croyais dans un manège forain.

 

Ce même soir, l’acteur principal jouait dans un fauteuil roulant dernier cri, plus moderne que le mien. Les regards échangés entre le vrai et le faux handicapé, ainsi qu’avec quelques spectateurs qui lorgnaient ma chaise, puis celle sur scène, étaient assez particuliers.

 

Etrange moment que celui où, en fin de pièce, l’acteur sort de son fauteuil et se lève pour saluer la salle sous les applaudissements. J’aurais donné cher pour faire la même chose !

 

Le personnel des salles de spectacle s’est toujours plié en quatre pour répondre à mes besoins. Si un accès est relativement facile pour un handicapé en fauteuil roulant, c’est bien celui à la culture. Certes, la pauvreté des logiciels culturels, ou plutôt l’étroitesse d’esprit des programmeurs, m’a toujours empêché de réserver une place « handicapé » par internet, faute de rubrique prévue pour cela. Mais l’obligation de téléphoner pour acheter des billets a aussi l’avantage d’entendre des voix chaleureuses.
Dans un bistrot, il peut arriver d’être bousculé en fauteuil, pas au concert ou au théâtre. Personne ne s’est, par exemple, offusqué de me voir gêner le passage dans l’allée centrale d’une cathédrale transformée en salle de concert classique.

 

Pourtant, malgré ces avantages indéniables, la proportion de personnes en fauteuil roulant dans les espaces culturels n’est guère plus élevée que dans d’autres lieux publics. La force de gravité de l’isolement est sans doute plus forte que la fugace sensation d’être un privilégié.

 

Cette faible présence de fauteuils sur roues au pied de la scène tend aussi à prouver que rares sont les fraudeurs tentés de s’inspirer de la formule inscrite dans les parkings, à savoir : « si tu veux une meilleure place, entre dans la salle en fauteuil ».

 

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9. Merci d’avoir fait un bout de chemin avec vous

 

Victoire ! Je suis sur mes deux pieds. Certes, je boîte très bas et dois encore m’aider d’une petite canne. Menus détails car je savoure de nouvelles formes de liberté, des libertés retrouvées. Le sport ce sera pour plus tard, ou peut-être impossible, mais vivons le moment présent.

 

Je peux à nouveau conduire une voiture, me balader où je veux, franchir des marches d’escalier, porter un sac à dos, et, comme tout homme, pisser debout. Et dire que sur ce point, les femmes de mon entourage regrettent déjà mon ancienne position aux toilettes !

 

Bref, je suis autonome et n’ai besoin de l’aide de personne. Sacrée différence !
Mon fauteuil est encore dans l’entrée. Aujourd’hui c’est lui qui a besoin de moi pour se déplacer, et plus le contraire. Je retrouve peu à peu les sensations de la vie d’un bipède. Cela fait bizarre après des mois en fauteuil roulant.

 

Mon opération a réussi. Si elle avait raté, le fauteuil serait resté mon compagnon de vie. En ce jour, heureux pour moi, je pense à tous ceux, tétraplégiques et hémiplégiques, qui n’ont pas ma chance et savent avec quasi certitude que jamais ils ne remarcheront.
Désormais, je comprends mieux leur sort, les difficultés à affronter le regard des autres, celui de la société, celui de l’administration bornée, qu’elle relève des assurances sociales ou du domaine des autorisations de construire ou d’aménager un appartement. Sans parler des obstacles architecturaux, des licenciements ou des refus d’emploi sans rapport direct avec le handicap.

 

Mes frères en situation de handicap, je quitte votre monde, mais je ne vous oublierai jamais. Je conclurai par un souhait : que tous les bipèdes fassent l’expérience de passer une seule journée en fauteuil roulant. Et si, dans les écoles, une fois par an, on remplaçait une leçon de gymnastique par des exercices en fauteuil roulant ? Alors, des yeux s’ouvriront, la cause des personnes en situation de handicap avancera à grands tours de roue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires (1)

Webstory
11.03.2022

Merci Willy d’avoir pris la peine d’écrire cette période de votre vie, d’en avoir fait quelque chose au lieu de l’effacer. Lorsque vous quittez votre fauteuil devenu inutile, c’est lui qui a besoin de vous pour se déplacer. Discrète métaphore de retournement de situation.

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