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© 2021-2024 Willy Boder

Une rencontre improbable pour construire un monde meilleur
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En cette année 2025, l’été indien était superbe. La forêt resplendissait de mille couleurs. La palette de l’arc-en-ciel s’était lentement glissée dans les arbres. Seuls quelques sapins, inconditionnels du vert, refusaient de s’adapter aux impératifs de la mutation.
Insensible au paysage, Adam, patron-propriétaire majoritaire d’un géant des réseaux sociaux, avait forcé l’allure. Rat des villes, il détestait la nature. De guerre lasse face au chemin forestier qui se rétrécissait, il avait dû abandonner sa Porsche, et continuer à pied. Tout en pensant à la belle plante qui lui avait proposé un rendez-vous galant dans un endroit inhabituel, il s’énervait contre cette nature encore trop envahissante à son goût.
Malgré tous les défrichements et le bétonnage au service de la croissance économique et financière, l’Homme avait détruit son environnement. L’anéantissement se dessinait, dans l’indifférence générale. Ce n’est pas la petite Greta et ses quelques groupies qui allaient pouvoir changer le cours des événements. Adam trouvait parfaitement normal que l’être humain domine la nature, la dompte, l’asservisse. « C’est dans la nature des choses », aimait-il répéter dans ses messages automatiques diffusés sur la cinquantaine de profils différents, malicieusement construits sur la Toile.
Arrivé dans la clairière du rendez-vous, Adam fut ébloui par la jeune fille qui l’attendait.
– Je m’appelle Eve », dit-elle, d’une voix douce sortie de ses lèvres pulpeuses.
Ses longs cheveux blonds retombaient sur ses épaules. Ils dissimulaient une grande partie de sa poitrine dénudée.
– Moi c’est Adam, bafouilla le jeune homme, subjugué
– Je sais. Je connais tout de toi, par les réseaux sociaux, mais surtout grâce à la science infuse qui m’habite, susurra Eve.
Intrigué, Adam hésita un quart de seconde. Puis, sentant monter en lui la force d’un désir irrésistible, il s’approcha d’Eve. Le parfum de la jeune fille, subtil mélange musqué et floral, fit tomber sa dernière hésitation. Adam se mit à embrasser la jeune fille. Telle une fée venue de nulle part, Eve répondit avec fougue aux avances d’Adam. Ils firent l’amour. Frénétiquement.
Epuisé par les ébats, le jeune homme éprouva ensuite un sentiment bizarre, celui d’être collé au sol. Il n’avait aucune envie de se lever. Je ne vais tout de même pas prendre racine ici, songea-t-il. Eve, en revanche, se redressa comme une fleur, et le quitta précipitamment. Avant de s’enfoncer dans la forêt, elle se retourna et lui lança, avec un large sourire : « Ta vie va désormais changer le monde Adam. C’est dans la nature des choses ».
Adam se leva à grand-peine. Il rejoignit sa Porsche en titubant, se glissa dans l’habitacle, parfumé de cuir. Le riche homme d’affaires se surprit, pour la première fois, à n’éprouver aucun plaisir à la piloter. Il n’avait plus besoin, non plus, de contrôler si les badauds, le regard envieux, le regardaient passer.
Quelques jours plus tard, Adam fut pris de violents maux de ventre, puis vinrent des nausées. Son travail, comme son train de vie princier, ne lui procuraient plus aucun plaisir. Les nombreux médecins consultés affichaient une profonde perplexité. Les symptômes, contradictoires, rendaient vaine toute tentative de traitement, lui annoncèrent-ils, embarrassés.
Licencié pour manque de performance, Adam dut être remplacé, au pied levé, par un incompétent. Le cours boursier de la multinationale chuta brutalement. La panique s’empara des investisseurs. Le monde économique, stupéfait, assista à la faillite de la société aux ramifications planétaires. Les gouvernements, surendettés par la crise sanitaire liée aux mutations perpétuelles du virus Covid, avaient été contraints de renoncer à sauver l’entreprise.
Adam, de son côté, avait des préoccupations beaucoup moins matérielles. Il s’inquiétait vraiment de la détérioration de son état de santé. Les nausées, suivies de vomissements de plus en plus fréquents, l’empêchaient de se nourrir. Il maigrissait à vue d’œil. Il avait tenté de revoir Eve, pour essayer de comprendre ce qui lui arrivait depuis leur inoubliable rencontre. La jeune fille ne donnait plus aucun signe de vie.
100 jours après leur idylle dans la clairière, il découvrit, avec effroi, la formation d’une petite ouverture dans le dos. Sa peau se nécrosait, mais la blessure ne saignait pas. Le trou s’agrandissait chaque jour davantage.
Mu par l’instinct, Adam retourna dans la clairière. Il s’assit en tailleur. Lorsqu’il voulut se relever, une force invisible l’en empêcha.
Quelques semaines plus tard, vissé au sol, Adam ressentit une forte douleur. Dans un jaillissement libérateur, un flot de plantes vivaces sortit de ses entrailles. Horrifié, il tenta de les arracher. D’un geste rageur, le jeune homme en fit un bouquet qu’il tint dans sa main gauche. Rien à faire : la nature était la plus forte.
150 jours après avoir fait l’amour avec Eve, les plantes jaillirent de plus en plus rapidement de son ventre, des racines s’implantèrent dans le sol. Adam, transformé, en végétal appelé à croître et se multiplier, comprit soudain qu’il était condamné à la sédentarité, au milieu de cette clairière.
La nature avait commencé à se venger de tout le mal que l’Homme lui avait fait. Elle reprenait ses droits. Grande aurait été la surprise d’Adam, s’il avait su ce qui se passait, au même moment, partout dans le monde.
Cinq mois auparavant, des milliers d’Eve avaient séduit tous les hommes influents qui conduisaient le monde à la catastrophe. Elles avaient fait l’amour avec des centaines de milliers de dirigeants, piliers de la dégradation climatique et de la mondialisation : des chefs d’entreprise, des politiciens, des influenceurs, des magnats de la presse et des réseaux, des juges, des banquiers, des armateurs, des généraux, des fabricants d’armes.
En l’an 2026, la planète reverdit un peu, puis de plus en plus vite. Chaque année, des millions de hauts responsables tombaient sous le charme des Eve, devenues amazones. Personne n’avait compris ce qui se passait. Sitôt remplacés, les nouveaux dirigeants disparaissaient dans la nature, sans laisser de trace.
En quelques années, le monde économique, basé sur la consommation et le profit, s’effondra. Dans un premier temps, les hommes et les femmes furent complètement désemparés. Puis, de nouvelles structures, basées sur la solidarité, l’échange des savoirs, le troc virent le jour. L’humanité se réconcilia avec la nature, apprit à vivre avec elle, et non plus contre elle. La nature des choses avait repris ses droits.
En cette année 2030, l’été indien était superbe. La forêt s’était parée de mille couleurs. Les roseaux ondulaient sous la brise. Les grenouilles coassaient. Un couple de canards fouillait la vase. Adam avait envahi la clairière. Il s’était donné du mal pour faire de cet endroit un biotope connu loin à la ronde.

Commentaires (1)

Marie Vallaury
10.01.2022

Ne nous dit-on pas qu'il faut planter des arbres pour sauver la planète ? Bravo pour cette histoire écolo-fantastique !

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