Se retournant
9
Dans un marais barométrique qui recouvre l’Europe et l’Angleterre, Roger a quitté le central de Wimbledon en ce mercredi soir de quart de finale. Les secondes pesaient sans que la furtivité des choses n’ait empêché l’instant d’être saisissable par ceux qui le vivaient, dont Roger. Il est parti calmement triste certainement et désillusionné non pas de tout mais de ce qui venait d’arriver. Il a perdu, 6-0 au dernier set contre un nouvel adversaire prénommé Arthur qui joua solidement et tranquillement. Lui manquait de force et de sureté. Il n’était pas là et ne le sera plus, « chassé du temple » ai-je lu. C’est difficile à croire, mais c’est bien ce qui s’est passé. Chacun l’est un jour, même ceux qui n’y sont jamais entré. Roger me comprendra, m’aurait compris. Pas sûr. Quant il s’est retourné, pour nous saluer, triste, j’ai pensé à cette phrase qui me reste en tête et que j’ai servie à des juges et à des amis ce printemps : « nous éprouvons tous un sentiment d’échec que pensait arrivions ou non au faîte de notre parcours ». De faîte, il n’y a pas sinon dans les histoires d’avenir que l’on conjugue au passé, un marais sociobiologique dans lequel se perd toute vie. Roger aura le temps d’y penser lui qui se laisse absorber par son propre langage et que l’on entendra avec moins de passion. Il n’y a plus d’incertitude suprême, juste des questions de gestion et de temps en laissant de côté les faux problèmes d’argent. L’émerveillement auquel il faudra bien revenir a laissé sa place aux souvenirs chiffrés et aux noms de ceux qui l’ont remplacé. Un jour, ce n’est qu’une chronique dépersonnalisée et un droit acquis à l’anonymat autant qu’à l’universalité. On ne l’a pas vu revenir. 2020 c’est, à sa façon distinguée, les débats et les combats se sont entremêlés mais les stades étaient fermés. Approchant de la quarantaine qu’il atteindra dans moins d’un mois, il s’est obstiné, a discuté avec son équipe, fait jouer le silence, instillé des images, insufflé des doutes, tapé dans la balle, moins aisément que jadis. La clameur est plus proche de l’existence réelle que ne le sont les mots et les chiffres là pour ne plus jamais disparaître, ce qui les rend moins absolus pour nos rares instants de vérités, nos tie-breaks individuels qui nous rapprochent de l’épreuve suivante qu’on devrait nommer, mais il reste peu de mots. Une idée d’efficience, de spiritualité, d’abandon et de reconnaissance réelle, de l’individu exceptionnel et du tout applaudissant puis faisant silence. D’un ordinaire renaissant. J’ai oublié les noms et les scores, l’ivresse même et le désir de ses triomphes qui faisaient si opportunément place aux nôtres. J’ai déjà oublié Roger qui rejoint par les allées de Wimbledon mes autres amis oubliés. Nous nous étions connus et reconnus. Les heures vécues, que sont-elles devenues ? Ces deux balles de match en 2019 feront toujours très mal, on regarde Djoko dans ses séries, appréciable sportif, au plus haut point. Nadal nous tranquillise avec sa puissance et son invention d’un nouveau type de mentalité. Les autres souvenirs bougent encore, oseront dépérir. Roger fera une déclaration, mais elle ne sera annonciatrice que d’une absence de défi qu’impose le corps qui pourtant avait tout permis. Le squelette, les muscles, les cartilages et les tendons qu’un jeune cerveau dirigeait.
Ce devait n’être pas tout et pourtant c’est fini et bien fini.
C’est fini tous les jours pour tous et même ceux qui commencent qui continuent. A chaque frappe c’était fini déjà. La fin de l’instant, celle de l’attente. 2000, c’est fini, attente, geste traversant la balle, langage de guerre et de sport, de dimanche en dimanche, le faux sentiment d’un rée accomplissement. Quand est-ce que ça se jour exactement. La carrière de Roger a encore pris fin l’autre soir à New-York, Djoko battu, submergé par ses émotions. Il n’a jamais fait à Roger le cadeau de mal jouer contre lui. Il s’est nourri souvent de l’hostilité du public à son endroit. Vrai deux fois à New-York, deux fois aussi à Londres, les 2000, les 14. les 15, ou 19 tout se mêle et tout défile. Il y a quinze jours, c’était l’US OPEN 2021. Djoko n’avait pas les jambes, plus la tête, il était devant une histoire de quatre grand-chelem dans la même année et de plus grand joueur de tous les temps, qui n’intéresse pas tout le monde. Il s’est écroulé dans son jeux et plus encore quand la foule oublieuse lui chantait qu’elle l’aimait – c’est ce qu’il voulait entendre depuis si longtemps – ou en tous les cas lui apportait un soutient chaleureux et vibrant. Djoko a perdu et les trois en sont à 20 grand-chelem. Il y aura du changement, pour Nadal, ou Djoko mais rein ne changera fondamentalement. Roger a été magistral et merveilleux, Nadal puissant et invincible, Djoko infranchissable et tous trois ont partagé leurs gloires en cette période. Ces émotions de Djoko seul dans son arène m’ont fait l’effet du dernier véritable match de Roger. Une intensité dans le combat et l’atteinte des limites qui marquaient l’être Djoko et l’évènement auquel il participait tout en le créant.
Roger est ailleurs, je ne sais pas très bien où il est. Dans sa sphère privée, dans son passé, dont il ne ressortira que pour des démarches de marketing plus ou moins maitrisées. Briller par son absence, c’est plus encore possible pour les très grands.
Suite de Mon ami le roi: Ce devrait n’être pas tout et ça l’est pourtant
Commentaires (1)
Webstory
30.11.2020
En 5e position des histoires les plus lues. Sur les traces de Roger Federer au travers du regard d'André Birse. Original!
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire