Portrait de Jean Cérien

Par quoi commencer ? Plutôt où ? Car les textes de Jean Cérien se situent quelque part dans l’espace de l’instant. Les mots, les phrases, les personnages échappent sans cesse à votre attention pour réapparaître à la prochaine lecture. Vous referrez le chemin plusieurs fois et ce ne sera jamais le même, mais son double ou son contraire.

C’est la piste à suivre… si elle ne disparaît pas aussitôt. Commençons doucement : Silence nous était compté

« Dans un concert philarmonique, il y plus de soupirs que de notes
Qu’entendrions-nous si les instruments jouaient sans cesse ? »
Qu’en est-il des images ? Des mots ? Goûtez la page blanche avant l’écriture. Ce silence là vous ouvre le monde. En 849 signes (espaces compris), Jean vous emmène sur un chemin périlleux, sans ceinture de sécurité. Sans espaces, il reste 720 signes. Les 129 silences sont indispensables à la respiration de cette poésie.

Pivotez sur vos gonds, vous êtes un battant. Ouvert, fermé. Ouvert, fermé. Le rythme continue à battre dans cette nouvelle qui a participé au concours Trésors. Un objet laisse passer des visiteurs qui vont voir des objets « émasculés de leurs usages, de leur pouvoir symbolique…  » Vous descendez dans l’antre de l’ethnologue « chez les peuples qui ont perdu la guerre culturelle »; des mots forts pour décrire une réalité dévoilée. La porte reflète l’âme de chaque visiteur et en jauge la vibration. Couleur, vêtements, regards, âges, provenances… aucun détail n’échappe à ce miroir massif qui catalogue les humains et son jugement est sans appel. Un mug moderne ne peut pas devenir un verre en crystal de Bohême; la musique du ipod ne transmets pas l’émotion que suscite le battement du tambour japonais. Certains visiteurs disparaissent, d’autres en reviennent émus: ceux qui savent découvrir le trésor caché dans la beauté de chaque objet. Il reste beaucoup de trésors à recueillir dans ce battement. N’hésitez-pas à le franchir !

Dans notre quotidien, il arrive de plus en plus que les humains remplacent les objets. Le comble dans Les clowns, un humain qui se déguise en automate. Dans un hall de gare où chaque automate s’active – distributeur de billets, composteur de timbres, ascenseur – un seul est vivant: le clochard statufié. Et pour vous, « quand ton clown te rend visite, quelle est la couleur de son chapeau ? »

La vie et son double, Jean Cérien les sort de son chapeau, l’une et l’autre comme un magicien attentif à faire apparaître la vie de nulle part. Vous avez été note, chapeau, porte, automate… vous voilà rivière. Est-elle vivante ou pleine de vie ? Transparente, elle n’existe que par des reflets, lisses ou ridés. Elle contemple le ciel découpé « en confettis » par les arbres, et frémit au chuchotement du vent.  Et puis, l’eau reflète un promeneur qui s’installe un livre à la main. La rivière n’a qu’une envie, le bousculer. « Vider son livre de ses mots, le rendre à sa blancheur initiale… » et rendre la vie à cet humain.  Quittant peu à peu les mots, le lecteur se métamorphose en peintre de lumières pour unir son destin à l’eau. Relisez plusieurs fois Les perles de la rivière avant que les mots ne se dispersent.

Beauté, lumière et liberté. Le sculpteur tente de reproduire la réalité jusqu’à la perfection. Le chant des signes devait être sa dernière création, la plus aboutie, la plus parfaite. Catherine (savourez le premier prénom que l’auteur vous dévoile), une belle femme, son modèle, dont il va gommer les imperfections. Il l’a choisie jeune et simple, sorte de terre vierge sans histoire pour la remodeler à sa guise. Ce sera son œuvre ultime. En retouchant la vie de ce visage, il laissera un chef-d’œuvre  de perfection en marbre, son chant du cygne. Mais Catherine est bien vivante et reprend sa liberté laissant le sculpteur devant un nouveau défi: l’imperfection.

Les miroirs qui narguent, reflètent, réfléchissent, troublent, révèlent… vous croiserez votre double dans toutes les histoires de Jean Cérien, pseudo savamment choisi pour nous renvoyer notre humanité. Peindre un miroir est la rencontre onirique avec la peinture d’un arbre qui se reflète dans un miroir. Comment interpréter cette image ? Une passante va jusqu’à toucher la peinture pour s’assurer que ce n’est pas un mirage. La magie opère. Elle y trouvera l’inspiration de son prochain roman. Dissolvez-vous dans le miroir pour absorber l’arbre généalogique de votre imaginaire.

Même la Terre a un double nommée Gaïa. Une aventure fantastique entre deux cantatrices, un face à face de clones, deux ombres qui se découvrent au-delà de l’espace-temps tout en habitant deux planètes jumelles au concept différent. Sur Terre, le temps passe et nous y croyons. Sur Gaïa « seul l’espace existe. Le temps est de l’espace parcouru. » Avez-vous déjà rêvé que vous dormiez ? Vous évoluez avec consentement dans ce labyrinthe cosmique – verbeux dirait l’auteur – qui s’amuse à vous perdre.

A quel mémoire familiale appartenez-vous ? Celle qui s’efface ? Plongez dans La bibliothèque virtuelle et passez une soirée avec les descendants d’un gardien de la bibliothèque d’Alexandrie. Une lignée dont il ne reste qu’un enfant, héritier d’une responsabilité colossale ! Sa place est déterminée dans la sinuosité des générations qui se transmettent les récits avec méthode. Le désordre causé par les accidents de la mémoire et du langage vont mettre les membres de cette famille à rude épreuve jusqu’à l’effacement cruel des livres perdus. Avant que cela ne vous arrive, déclamez, écrivez, compilez vos histoires !

Son – silence, plein – délié, matière – vide… la démarche créative de Jean Cérien est une oscillation entre écart et résonance. Mettez-vous au diapason de cette respiration cosmique et laissez-vous bercer par le souffle entre le réel et l’imaginaire.

Peinture et photo: ©Eric mai 1981