Créé le: 02.12.2020
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Wild west women

Fiction, Histoire, Roman

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© 2020-2024 Caroline Bench

Moi

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« Les femmes ne devraient pas lire de romans, qui sont autant de ramassis d’insanité sauf rares exceptions. Pour le même genre de raison, la poésie devrait également être bannie. L’éducation des femmes doit se cantonner aux plaisirs et agréments de la vie : la danse, le dessin, la musique. »

Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis d’Amérique

 

MOI

Après le départ de Rose et Charlotte, je n’eus guère l’esprit serein, je me sentais en faute au plus fort de l’incertitude et du doute. Pourquoi n’avais-je pas pris la seule décision qui s’imposait ? Plutôt que de les accompagner, je m’étais une fois encore laissé attraper entre les griffes du devoir  à accomplir plutôt que de m’en remettre à mon instinct.

Nous avancions vers le sud, toujours dans cette même patache et deux jours insupportables s’étaient écoulés depuis notre séparation. Le soleil occupait totalement le ciel, je ne me sentais pas bien, comme un poids de pierre qui roulait vers l’abime. Cet état d’incertitude devait cesser de flotter sur ma vie, il me fallait à présent affirmer mes désirs pour en finir avec ces tourments et c’est donc subitement que je renonçai à me rendre à Saint Louis. Je chargeais les Glove de remettre à qui de droit le pli confié par mon père puis rebroussais chemin. Le retour fut un peu plus long que je le pensais mais permit de me remémorer les délicieuses conversations que j’avais eues avec mes amies. Dans l’une d’entre elles, Charlotte avait évoqué Saint Joseph, le Famous Gateway to the West , et point de départ de l’Oregon Trail. Si la chance me souriait, il me semblait envisageable que je puisse les retrouver là-bas aussi est-ce l’esprit serein que  j’embarquais à bord du Louisa, un steamboat aux courbes remarquables et à la puissance éblouissante, qui remontait le fleuve.

Et la croisière eut été formidable si de funestes pensées ne venaient troubler chaque instant ;  je tentais  de me raisonner, rien n’y fit. Se sentir ainsi dépossédé de tout discernement me rendait fou,  je tournais en rond dans ma cabine, parlais seul, j’avais manifestement besoin d’air et n’y tenant plus, je la quittais avec l’idée de profiter de la clémence des températures en admirant ce beau Missouri.

J’étais sur le pont quand un homme attira mon attention qui immédiatement m’apparut antipathique, les traits durs, la parole vulgaire, l’arme en évidence. Infecte, vraiment ! Il cherchait sa femme et s’adressait de façon peu aimable à un employé de la compagnie. Je désapprouvais cette attitude et me rapprochais afin d’écouter leurs échanges : C’est ma femme, elle a disparu et on m’a dit qu’elle aurait pu prendre un des bateaux de votre compagnie. Tenez, un portrait d’elle. 

Par curiosité je décidais de m’immiscer dans cette conversation.

L’employé bien que très courtois semblait pressé d’en finir aussi profita-t-il de ma venue pour s’éclipser adroitement.

– Pardon monsieur mais puis-je regarder votre femme, en tout bien tout honneur of course ! Son visage me dira peut-être quelque chose. 

Il me tendit alors le portrait et je ne sus qu’émettre un Oh de surprise. Ce visage m’était à vrai dire très familier.

– Il y a quelque temps, j’ai fait un voyage, fort pimenté d’ailleurs, avec une femme qui lui ressemblait. Incredible ! Ce pourrait-il être elle ? 

Aussitôt l’homme changea d’attitude, devint péremptoire :  Vous allez me dire quand et où c’était ! 

Je n’aimais décidément ni ce ton, ni cet homme.

– Si vous continuez sur ce ton, mon flegme so british risque fort de me faire défaut. Sur ce, monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer. 

Et je tournais les talons non sans l’avoir entendu marmonner :  Tu finiras bien par parler l’english. J’ai une méthode infaillible pour ça. 

J’étais contrarié, cet homme à l’évidence recherchait Rose, le portrait que j’avais vu ne laissant guère de place au doute. L’imaginer unie à cet horrible personnage me révulsait et j’imaginais sans peine le besoin impérieux qui l’avait poussée à fuir.

Le reste de la journée fut sans conteste tourmenté toutefois je ne croisai plus l’homme et passai un long moment avec un couple charmant. Enfin, je regagnai ma cabine et m’offris un petit repos.

Je suis né avec un sommeil lourd cependant je défie quiconque de ne pas se réveiller tandis qu’un individu pénètre par effraction dans votre cabine, tente de vous étrangler et menace de vous tuer si vous ne lui dites pas tout ce qu’il a envie d’entendre. Je me suis débattu fièrement mais cela ne servit à rien, il avait le dessus, me faisait horriblement mal et de surcroît me mettait dans une position fort délicate.

Vous me faites mal ! 

– Je peux forcer sur la douleur si tu préfères. Je sais que tu l’as reconnue. Elle est où ? 

Ses doigts serraient de plus en plus gravement mon cou et autant l’avouer tout de suite, je n’ai jamais été doué pour la souffrance.

– Elle est partie vers l’Ouest. 

– C’est vague ça l’Ouest ! Où ? 

– Oregon Trail. Vous pouvez me lâcher maintenant ? 

– Te lâcher ? Mais tu rêves l’english ! Je vais te foutre par dessus bord et t’iras toucher le fond de big muddy ! (l’autre nom du Missouri !)

Ce qu’il fit.

J’aurais pu mourir noyé et c’en eut été fini de ma personne mais fort heureusement des trappeurs qui campaient sur la berge assistèrent à la scène et me virent passer par dessus bord. C’est à eux que je dois d’être en vie aujourd’hui et c’est grâce à leurs témoignages que Jonathan Smith, le mari de Rose, eut droit à un accueil digne de ce nom lorsque le Louisa accosta à Saint Joseph (d’où nous n’étions plus si loin). Il fut emprisonné sur le champ tandis que je me remettais doucement de mes émotions.

Heureux d’être en vie certes cependant malheureux d’avoir perdu toute trace de Rose et Charlotte.

Rose, mon inspiratrice, ma muse dont je savais maintenant qu’elle serait l’héroïne parfaite de mon premier roman d’aventure, si toutefois je parvenais à la retrouver.

Bientôt un nouveau chapitre

Commentaires (6)

Starben CASE
17.03.2024

Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline

Caroline Bench
06.03.2022

Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline

Caroline Bench
05.08.2020

Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?

Naëlle Markham
04.08.2020

Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.

Caroline Bench
03.08.2020

Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !

Alice Leloup
02.08.2020

C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.

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