Créé le: 02.12.2020
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Wild west women

Fiction, Histoire, Roman

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© 2020-2024 Caroline Bench

Charlotte

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CHARLOTTE BORNFREE

Je sais pas vraiment quand je suis née, 1830 peut-être, en Virginie en tout cas, à la plantation   Mount Pleasant, qu’a rien de plaisant et où il vaut mieux pas vivre quand, comme moi, on est une sale vermine.

C’est comme ça qu’il m’appelait le maître.

Dans ma famille on est esclaves de père en fils ou de mère en fille, comme vous voulez. C’est pas un titre c’est une fatalité, même qu’à force d’être né esclave, on finit par trouver ça normal. On finit par penser que c’est peut-être Dieu qui l’a voulu et que plus tard, là-haut, quand on sera mort, on y aura enfin droit à  notre belle vie.

Je trouve que c’est un peu dommage d’attendre la mort pour avoir la belle vie qu’on aurait pu avoir avant, mais bon on accepte parce qu’on sait pas faire autrement c’est sûr.

Mes parents, ils trimaient six jours de la semaine, du lever au coucher du soleil mais ça les a jamais empêchés d’être fiers de leur sort. Ils voulaient qu’on le soit aussi. Elle, en cuisine,  lui aux champs à superviser les hommes. Fiers d’être des esclaves, on croit rêver !

À travailler comme ça on se demande juste comment ils ont trouvé le temps de les faire leurs six enfants. Quatre garçons, deux filles. Les garçons ils ont été vendus aux enchères, les mêmes que celles pour les chevaux et les mulets, et tout ça juste parce qu’ils étaient bien bâtis. Mon père et ma mère ils ont rien dit, peut-être qu’ils trouvaient ça normal d’être qu’une marchandise après tout, comme du pain ou des animaux. Ou ils faisaient semblant, je sais pas.

À la plantation même si notre vie elle nous plaisait pas on se taisait, parce que Clifford Brown, le maître, il avait tous les droits sur nous.

Moi, on m’enviait il paraît, parce que je m’occupais du fils du maître et de la maîtresse dans le manoir ! Mais il était pire que son père ce gosse. Fallait que je sois son ombre, qu’il mange bien, qu’il pleure pas, qu’il fasse pipi droit et comme à chaque fois rien n’allait, c’est moi qui prenais. Forcément.

Plusieurs fois on m’a punie, on m’a corrigée à coup de bâtons puis on a fini par m’envoyer aux champs. Insupportable qu’ils disaient en parlant de moi !

Après c’est ma petite sœur Ritty qui a pris ma place dans la grande maison et là ça c’est bien passé. Mieux qu’avec moi c’est sûr.

Le champ c’est l’horreur pourtant j’ai jamais regretté d’être allée là-bas. C’est juste que la fatigue elle nous prend tellement qu’on devine déjà qu’on quittera cette terre encore plus épuisé que tout le monde.

Je savais que j’étais plutôt jolie, même avec les cicatrices des bâtons. Je dis pas ça par fierté mais plutôt à cause des regards que les autres ils portaient sur moi. Par contre quand le maître s’est mis lui aussi, à me regarder, autant dire que j’aimais pas. J’étais sa propriété, sa chose qu’il arrêtait pas de crier !

Un jour, quand mes seins ont commencé à pointer comme il fallait, il m’a emmenée dans un coin, il m’a dit déshabille-toi. Comme j’ai pas voulu, il m’a fouettée jusqu’au sang avant d’arracher ma robe. J’ai rien dit, j’ai tout ravalé, parce que toutes les douleurs, toutes les larmes elles coulaient déjà à l’intérieur. Elles brûlaient même, sans jamais s’arrêter.

Pendant deux ans, ça a continué. J’avais honte. Tellement honte que j’avais qu’une envie c’est  m’échapper de Mount Pleasant un jour. À force de réfléchir j’ai même fini par trouver un plan mais le problème c’est que c’est là que mon ventre il a commencé à s’arrondir et que la vraie torture a commencé. Quand je l’ai dit au maître, vous pouvez pas imaginer comme il était dans une colère folle, il est même allé jusqu’à me battre pour faire passer la chose. Avec ses pieds, avec sa rage, avec une barre de fer. Mais il a rien voulu savoir le gosse, il s’est accroché très fort à la vie le gosse.

En janvier 1849, il faisait très froid quand mon petit garçon est né. Jacob que je l’ai appelé.

Il était tellement mignon, je passais toutes mes nuits à le regarder parce que je me doutais bien que le maître finirait par nous séparer. Et plus je le regardais, plus je m’y attachais à mon fils.

Alors une nuit ça m’a pris et on s’est évadés lui et moi, même si on quitte pas comme ça une plantation. Sur un coup de tête, sans aide extérieure, on peut pas aller bien loin mais ça je le savais pas encore.

Fallait s’en douter, ils ont fini par nous retrouver ces maudits chasseurs d’esclaves et le maître il était tellement content de me revoir qu’il m’a fouettée encore, et encore. Tu m’appartiens qu’il disait . Tu m’appartiens, tu comprends ?

Il m’avait eue mais j’avais caché Jacob alors il a crié qu’il allait le récupérer ce satané fils de pute, ce sont ses mots. Ce dégénéré qu’il a même ajouté.

C’est vrai qu’il a fini par le retrouver et quand j’ai vu ce petit être sans défense dans les bras de ce monstre, c’était juste pas possible. J’ai fait que hurler, hurler. Mon corps, il ressemblait à un long cri. Le maître ça lui a pas plu du tout  alors il commencé à me frapper, à me fracasser les côtes, le visage et là, je sais pas pourquoi, avant de plus pouvoir parler, je l’ai supplié de me débarrasser de ce monstre, de ce fils qui lui ressemblait tellement.

Je sais qu’au fond de moi, je voulais qu’il me le laisse mon bébé, qu’il me dise ah tu n’en veux pas et bien tu vas le garder quand même ton sale gosse ! Ou quelque chose comme ça. Mais non. C’est à l’orphelinat que je vais le foutre ce sale bâtard, à l’orphelinat ! Voilà ce qu’il a répondu et il est parti avec mon tout petit.

J’ai eu de la chance à ce qu’il paraît. Parce qu’il aurait pu s’en débarrasser autrement. Le tuer. il n’en était pas à ça près.

Un peu plus tard, ma sœur Ritty, elle est venue me consoler, panser mes plaies. Je pouvais à peine ouvrir la bouche mais je lui ai quand même soufflé que je détestais cet enfant. Que c’était à cause de lui si…

Elle m’a caressé le visage, pourquoi tu le détestes tant Jacob ? C’est qu’un gosse.

– C’est pas qu’un gosse, Ritty. C’est le fils de son père aussi. Il est blanc comme lui. Il a une moitié de monstre en lui. C’est mon sang mais c’est pas ma chair. Il me détestera aussi. Il va devenir comme eux. C’est l’enfant du viol Ritty. Du viol. 

Quelques semaines après, j’ai vraiment réussi à fuir Mount Pleasant en promettant à ma sœur de revenir la chercher un jour.

C’est grâce aux Quakers et au chemin de fer clandestin que j’ai pu m’en sortir. Sans eux, je serais morte depuis longtemps.

Des nuits à marcher, des jours à pas bouger, à se cacher. J’avais entendu dire à la plantation que mon petit Jacob on l’avait mis dans un orphelinat, à Akron, Ohio, tenu par une certaine Madame Redding.

Je ne sais plus combien de temps il m’a fallu mais j’ai fini par y arriver là-bas.

J’avais un peu peur que cette dame me renvoie chez Brown mais non, elle a été très gentille. Elle m’a même offert du thé dans une belle tasse en porcelaine. Jamais on m’avait offert du thé comme ça avant. Même si je suis pas allée au bout de la tasse parce que, et là j’étais vraiment désespérée, elle m’a raconté que mon Jacob il avait été adopté par des gens très bien qui voulaient refaire leur vie. Elle savait juste qu’il étaient partis dans l’Ouest en suivant de la piste de l’Oregon.

Je devinais que c’était une folie parce que j’étais noire, en fuite, esclave et que les gens comme moi, on les tue dès qu’ils ont le dos tourné ; mais y a quelque chose qui de plus fort que la peur qui m’a poussé, alors j’ai décidé que moi aussi je la suivrai cette piste et que Dieu il m’aiderait pour ça parce que je vois bien que Dieu il a pas choisi qu’on vive comme ça, parce qu’ il est bon, lui.

Et c’est au comptoir d’une compagnie de diligence que j’ai rencontré ma bienfaitrice. J’avais pas assez d’argent, elle a payé pour le complément. Je lui tout de suite demandé pourquoi elle  faisait ça. Je ne sais pas qu’elle m’a répondu. Je me suis dit que j’aimerais bien voyager avec vous. Moi c’est Rose et vous ? 

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Commentaires (6)

Starben CASE
17.03.2024

Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline

Caroline Bench
06.03.2022

Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline

Caroline Bench
05.08.2020

Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?

Naëlle Markham
04.08.2020

Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.

Caroline Bench
03.08.2020

Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !

Alice Leloup
02.08.2020

C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.

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