Créé le: 02.12.2020
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Wild west women

Fiction, Histoire, Roman

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© 2020-2024 Caroline Bench

Moi

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MOI

Ces trois femmes n’avaient rien en commun, si ce n’est fuir un passé douloureux et violent.

Sally ne partageait pas encore notre notre quotidien, c’est donc accompagné de Rose et Charlotte que débuta cette aventure.

Nous étions tous logés à la même enseigne, en route vers Saint Louis dans une patache à la suspension douteuse. Outre celles qui plus tard deviendraient mes amies, il y avait un couple Mrs et Mr Glove, ainsi qu’un jeune homme, William Quantrill .

La chaleur était épouvantable et cela faisait un bon moment que nous étions partis lorsque j’engageai la conversation. À vrai dire j’étais fort intrigué par la drôle de tenue que portait Miss Wise, une sorte de culotte, mi-jupe, mi-pantalon, sans doute très pratique mais bien peu orthodoxe. Serait-ce la mode en Amérique ? lui demandais-je taquin.

Mrs Glove en profita alors pour donner son avis,  selon elle ces oripeaux frisaient l’indécence ! La réponse de Rose fut cinglante et sans doute est-ce ce qui me la rendit aussitôt sympathique.

Sans vouloir vous offenser, l’indécence me semble un bien grand mot pour si peu de choses. Ce bloomer est je crois le signe précurseur d’un mouvement en devenir ! 

La prude Mrs Glove lui rétorqua qu’elle ferait mieux de croire en autre chose. Et son époux d’ajouter le ton sec, sans appel, que cet habit signait purement et simplement la disparition de la femme.

Cela m’aura échappé, lâcha Rose, désinvolte.

Comme chacun sait la femme manque souvent de lucidité, conclut Mrs Glove.

Je dois dire que cette petite entrée en matière, fort épicée, nous permit tous de faire plus ample connaissance.

Lorsque je leur appris que j’étais écrivain, Rose fut absolutly enchantée car elle-même était une lectrice de romans exigeante et fidèle.

Commencez par lire la Sainte Bible, c’est vrai pourquoi lire plus loin  ? lui  fit remarquer Mr Glove.

Certes la Bible est une bonne base, mais il faut savoir lire ailleurs ! 

Vous blasphémez Miss Wise ! Et en tant que chrétienne vos propos me heurtent profondément !

Mrs Glove avait décidément un certain sens de la répartie.

Charlotte, que nous avions peu entendue jusqu’à présent, sortit de sa réserve. Elle n’avait guère apprécié les propos de Mrs Glove et la voix mal assurée, nous le fit comprendre :  Miss Wise est chrétienne ! Et dans les actes, elle ! Je ne la connaissais pas et pas plus tard que…

Elle ne put achever sa phrase car William Quantrill sortit aussitôt de sa torpeur, il avait une très bad expression sur le visage et un parler, comment dire, agressif : Comment ça vous êtes pas sa domestique ? 

Pourtant vous en aviez tout l’air, commenta Mr Glove

Vous êtes affranchie au moins ?

Rose ne saisissait pas le sens de cette question, affranchie ou pas quelle importance ? Il s’agissait de son amie, c’était aussi simple que cela.

En Amérique, une amitié de telle nature n’avait aucune raison d’être. En Amérique une Noire et une Blanche ne peuvent pas être amies. Il ne servait donc à rien de faire entendre raison aux trois affreux, leur opinion était faite, cela faisait partie de leurs gênes, d’être racistes.

J’étais, dois-je l’avouer, absolutely choqué ! D’autant que dans mon pays, l’Anti Slavery Society avait permis l’abolition de l’esclavage depuis 1838 déjà.

En dépit de nos protestations, il fut décidé par le couple Glove et l’arrogant Quantrill que Charlotte serait dénoncée et remise aux autorités lors de notre prochain ravitaillement. Cette idée me révulsait et je songeais aussitôt à l’élaboration d’un plan afin de sortir Charlotte de cette tourmente. Toutefois, il ne me fut pas permis d’aller au-delà de l’idée même de ce plan à cause d’un brusque arrêt de la diligence.

L’imprévu faisait sans doute partie de tout voyage mais cet arrêt au milieu de nulle part me semblait bien étrange.

Soudain la porte s’ouvrit d’un coup sec et un homme armé surgit brusquement devant nous.

Mains en l’air tout le monde et on sort sans jacter, pigé ? 

Cet irruption nous laissa sans voix tandis que Mrs Glove ne sut que s’évanouir. Son époux réclamait des sels à corps et à cris ce qui amusa le bandit.

Des sels ? Puis quoi encore ? Foutez-lui des claques !  Et se tournant vers Quantrill :

Alors Will, bon voyage ? 

– Ben qu’est-ce que tu foutais Joe ? 

– Un problème de canasson. Mais tu vois j’suis là et ton cocher, il est K.O !

– Oh Mister Quantrill ! Seriez-vous le complice de Monsieur, ne seriez-vous pas ? 

– Ouais l’english. Je serais que ça m’étonnerait pas ! avant de sortir une arme.

Mr Glove était ulcéré. Ce Quantrill dont il se sentait si proche il y a un instant encore, dont il partageait, complice, les mêmes convictions, cet homme n’était qu’un voyou !

Cette trahison, je dois le reconnaître, me réjouissait intérieurement même si la situation dans laquelle nous nous trouvions ne se prêtait guère à ce genre de satisfaction.

Rose ne s’était pas encore exprimée aussi ne fus-je absolument pas surpris lorsque je la vis sortir de ses gonds et s’adresser à Quantrill.

Votre intrusion dans cette diligence est inadmissible ! 

Charlotte s’y mit elle aussi :

Vous n’êtes que des…

– Encore un mot la nigga et c’en est fini de toi , la menaça le bandit.

Prenez-la si vous voulez mais nous, nous sommes des gens honnêtes. 

Glove était prêt à tout pour sauver sa peau mais là, on atteignait l’ignominie. Cependant Quantrill lui coupa immédiatement la parole.

Ta gueule-toi ! Maintenant filez-nous votre blé et vos bijoux. 

Dans la diligence, Mrs Glove recouvrait peu à peu ses esprits et Joe commençait à la regarder d’une drôle de façon, ce dont s’aperçut Quantrill qui lui suggéra alors de satisfaire ses besoins, à condition   toutefois qu’il fût rapide !  Glove tenta vainement de l’en empêcher mais pour toute réponse reçut un coup de colt sur la tête avant de s’écrouler au sol. En dépit de tout le mépris que m’inspirait les Glove, je ne pouvais laisser commettre un tel crime, je suis english and gentleman, il en allait de ma réputation. J’étais sur le point de lancer les hostilités lorsqu’un uppercut bien senti me ramena à la triste réalité : celle d’un sol poussiéreux et d’un visage tuméfié.

À chaque fois c’est la même chose, il suffit qu’ils aient une arme en main pour se sentir tout puissants ! 

Charlotte ne tenait plus en place, elle hurlait, semblait déchaînée (enfin, cela m’a été rapporté car il me faut bien avouer qu’à ce moment là, j’avais la tête ailleurs !).

Bute-la Will ! 

– Sûr que j’vais la buter ! 

Mais Charlotte fut plus rapide et au risque de sa vie se précipita sur lui, le rouant de coups.

Ma mort je veux la choisir ! C’est pas un petit voyou comme toi qui décidera à ma place ! 

Quantrill assistait impuissant à la débâcle de son ami tandis que le cocher reprenant ses esprits parvenait à le désarmer.

Lorsque j’ouvris enfin les yeux, Rose me souriait et ce sourire valait really tous les uppercuts du monde. Je serais volontiers resté là, à la contempler, so beautiful, malheureusement il nous fallut repartir. Nous laissâmes donc les deux bandits solidement ficelés sur le bord du chemin, étant entendu que nous préviendrions le sheriff dès notre arrivée à Quincy, le prochain arrêt.

C’est dans cette ville que Charlotte allait nous quitter. En tant que Noire, sa place n’était ni à Saint Louis, ni à Springfield et elle souhaitait traverser le Mississippi au plus vite.

Prendre le vapeur maintenant n’est-ce pas un peu osé ? Lui demanda Mrs Glove

Charlotte haussa les épaules, elle était déterminée à retrouver son fils coûte que coûte et rien n’aurait pu l’effrayer désormais.

Mrs Glove et moi n’oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous ! Vous avez fait montre d’un courage exemplaire ! Vous êtes formidable, Charlotte ! 

Voir les Glove retourner ainsi leur veste m’amusait mais ils semblaient sincères. À mon tour j’allais saluer Charlotte lorsque je vis que Rose s’apprêtait à l’accompagner. J’en fus très surpris :  Que faites-vous Miss Rose ? 

– Je prends mes bagages.

– Pour quelle raison ? N’alliez-vous point jusqu’à Springfield ? 

– Parfois, il faut savoir suivre son instinct. Je me joins à Charlotte, sa compagnie m’est agréable et l’Ouest fait partie de mes projets, l’auriez-vous oublié ? 

Il est clair que ce petit détail m’avait échappé néanmoins je leur fis part de ma contrariété à les abandonner ainsi mais je devais absolument me rendre à Saint Louis pour remettre ce maudit pli et ne pouvais les accompagner.

Votre sollicitude nous touche énormément, cependant, et jusqu’à preuve du contraire, il me semble tout à fait envisageable de continuer notre route, seules ! Nous sommes de grandes filles vous savez ! 

Bien sûr que je savais tout cela mais l’idée de perdre Rose m’était really insupportable. Pourtant, entre la raison et la folie, je choisis la raison et les laissais partir.

Ce que j’allais amèrement regretter.

 

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Commentaires (6)

Starben CASE
17.03.2024

Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline

Caroline Bench
06.03.2022

Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline

Caroline Bench
05.08.2020

Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?

Naëlle Markham
04.08.2020

Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.

Caroline Bench
03.08.2020

Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !

Alice Leloup
02.08.2020

C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.

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