Créé le: 02.12.2020
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Wild west women

Fiction, Histoire, Roman

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© 2020-2024 Caroline Bench

Sally

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SALLY DAVIS

Dans la vie, il y a plusieurs catégories de gens, ceux qu’ont reçu une bonne éducation avec des manières et tout ça. Puis les autres, des comme moi, une mal née qu’a perdu sa mère très tôt et qu’a dû s’occuper de ses frères et sœurs à sa place. Mon père je le connaissais pas vraiment, il était toujours à travailler.

Je suis née en 1834 pour que vous sachiez.

Quand j’ai 10 ans, le vieux il décide de faire fortune dans l’Ouest. On va bien finir par trouver une pépite, qu’il disait. Il est pas allé plus loin que Springfield à cause d’une balle perdue à ce qu’il paraît. Je sais même pas si avec mes frères et sœurs on était tristes. Toujours est-il qu’on a été placés chez des personnes qui voulaient bien s’occuper de nous. Avec Clara ma sœur la plus jeune, on a atterri chez une bigote transparente mariée à un homme d’église, qu’avait pas que les yeux sur ses ouailles mais les mains aussi. Enfin, tant qu’il nous touchait pas ma sœur et moi, on allait pas se mêler de ses affaires non plus ! D’autant qu’on était plutôt vernies et que la nourriture était pas mauvaise. En fait, c’est après la mort de Clara que les choses ont mal tourné. L’hiver de mes douze ans elle s’est mise à cracher beaucoup de sang la pauvre chérie puis une nuit ses petits yeux se sont fermés et pff… plus rien.  Morte. Elle m’a laissée toute seule. Et ça, ouais j’ai eu du mal à m’en remettre.

Pas longtemps après, le vieux il a commencé à vouloir me protéger, qu’il me soufflait à l’oreille. Un peu trop à mon goût alors quand ses mains sont descendues un peu plus bas que ce qui est permis, je peux dire que je lui ai fichu un sacré coup de couteau. Il est pas mort. Pas avec une blessure dans le bras mais au moins c’est sûr ça lui servirait de leçon ! Après, je me suis fait la belle et je sais plus trop comment mais j’ai atterri chez Clélia Cooper. Elle tenait un saloon à Kansas City, Missouri et quand elle m’a vue la première fois, je crois qu’elle a eu un peu pitié. Elle m’a pris sous son aile. Comme j’étais jeune et pas mal roulée déjà, elle a dû me trouver du potentiel !

Clélia, c’était comme une seconde mère pour moi. Elle m’a tout appris de la vie et des hommes surtout. Et sans me vanter, grâce à elle, je les avais tous à mes pieds ! Mais pour la petite gâterie, si vous voyez ce que je veux dire, il fallait qu’ils paient. Et cher encore.

J’aurais pu continuer encore longtemps la belle vie au saloon mais il y eu l’autre, la Constance qu’est arrivée et après c’est là que les choses ont commencé à se pourrir. On s’entendait pas des masses elle et moi alors quand un jour que je reluquais un gars, elle m’a crié Çui là tu m’le laisses, compris ? Je l’ai pas des masses bien pris, forcément  !

Pourquoi que j’frais ça ? Il t’appartient pas !  que je lui ai répondu et là, elle m’a traité de salope   :  Salope, j’t’aurai un jour ! 

J’étais prête à lui montrer qu’on me parle pas comme ça à moi, mais il a fallu que j’m’arrête parce qu’y avait une urgence à cause d’un de ces sales esclaves de la plantation du coin qu’était venu se planquer chez nous. C’était pourtant une maison tout ce qu’il y a de bien chez Clelia. Heureusement que le sheriff il était là, il l’a descendu d’un coup. Pan ! Et on a fêté ça pour sûr. Du coup j’ai oublié Constance. Enfin, pas trop longtemps parce que après elle a remis ça et elle a voulu me piquer Marlow.

Marlow, c’est mon homme, mon préféré quoi, alors cette fois-là on s’est vraiment foutues dessus. Clélia, elle a pas été contente mais quand elle m’a balancé Tu sais comme je t’aime ma Sally ! J’ai vite compris qu’elle sentait l’entourloupe sa phrase. Même que ta vraie mère elle a jamais été comme je suis avec toi, elle a rajouté, et là j’ai su que j’allais en prendre une sévère. En fait, elle voulait se débarrasser de moi et m’envoyer chez son amie Carrie son saloon manque d’un petit coup de neuf si tu vois ce que je veux dire !

Pourquoi que ce s’rait à moi d’y aller là-bas ? Pourquoi pas Constance ? C’est vrai, la merde c’est elle qui la fout, pas moi ! 

La peau de vache, elle m’a même pas écoutée et elle s’est barrée. Sûr que là, y a comme une fureur noire qu’a tout balayé chez moi. J’ai pris mon colt, j’ai cherché Constance et une fois que j’lai eue en face de moi, j’ai tiré. Elle s’est écroulée mais je suis sûre que je l’ai pas tuée. En tout cas elle avait l’air de respirer.

C’est solide les garces comme elle.

Après, il me restait plus qu’à piquer un cheval et me tirer vers les plaines du Kansas. Adieu Marlow et la belle vie !

J’avais pas d’eau, un canasson qu’avançait au ralenti à cause du soleil qui brûle. Une horreur. Sûr qu’à pied j’irais plus vite j’ai pensé et ça n’a pas manqué, quand je suis descendue du cheval, la sale bête elle m’a lâchée. Partie au galop, je vous jure. Elle m’a plantée-là, comme une imbécile au milieu de rien !  J’ai dû marcher un bon moment puis après c’est plus très clair parce que mes souvenirs, ils ressemblent comme à un grand trou noir.

En fait, il paraît que je suis tombée dans les vaps et c’est un type genre beau, même très très beau qui m’a sauvée. Je sais plus trop ce que je lui ai raconté mais toujours est-il qu’on s’est retrouvés à remonter le Missouri en canoë. Faut reconnaître que pour ramer il était fortiche le gars mais pour la parole, c’était une catastrophe ! Moi j’dis que le vrai problème avec les hommes c’est qu’ils ont pas de conversation. Heureusement que j’avais entendu sa voix quand il m’a sortie de la panade parce que autrement j’aurais pu croire qu’il était sourd et muet. Et à force de lui demander quand est-ce qu’on arrive ? il a fini par me répondre : Dans le genre boulet, vous n’êtes pas mal !  Jamais j’aurais pu imaginer que vous porter secours serait une telle torture !  

Si c’est pour me causer mal, tu peux la boucler , je lui ai balancé. Après, il m’a dit que dans deux jours on aurait remonté le Missouri jusqu’à Saint Joseph et que là, il me laisserait faire mon retour à la civilisation. Mais qu’en attendant il avait besoin d’écouter le silence.

Le silence ! Mais y’a rien à écouter dans le silence ! 

C’est là qu’il a continué à m’embrouiller le cerveau : Il faut saisir le silence pour comprendre ce qu’il a à nous dire.

Mais où c’est donc que j’étais tombée ? Le silence ça va bien un temps mais pas trop long !  À un moment, j’ai fini par lui demander ce qu’il faisait dans la vie. Tu fais quoi dans la vie, toi ? 

Trappeur. 

C’était my first trappeur et en plus il s’appelait Sam.

On avait engagé la causette et j’ imaginais, plutôt contente que ça pouvait continuer encore un moment mais non, ça c’est stoppé-là direct ! Au milieu du silence et de l’eau !

Moi je commençais à en avoir ma claque de ramer dans le silence.

Franchement, t’es pas un drôle, toi ! que je lui lancé à un moment, histoire de le trouer ce silence.

Je n’ai aucune raison d’être heureux. Je survis sans broncher depuis le décès de ma femme.

Je venais de lui faire cracher le truc triste qu’il traînait avec lui. Après il m’a raconté que sa femme avait été assassinée et qu’il s’était même pas vengé. J’hallucinais !

Vous croyez vraiment que la vengeance aurait arrangé les choses et rendu ma femme ? 

C’est clair que sa femme il l’aurait pas retrouvée mais sa dignité oui ! C’est important la dignité quand même !

Plus tard,  on est arrivés à Saint Joseph et il m’a accompagnée au saloon ; là, je sentais bien qu’il était un peu triste de me quitter parce que on s’était apprivoisés lui et moi et même qu’il m’a remerciée pour la conversation C’était plutôt agréable finalement !

On était en train de se dire au revoir Sam et moi quand le sheriff qui buvait un coup dans un coin l’a appelé.

Alors Sam, tu partirais sans dire au revoir à ton vieil ami ? Viens donc t’asseoir à ma table ! 

Il y a des tables qu’on a pas envie de partager ! 

– Tu me connais pourtant, tu sais comment je suis quand je m’énerve ! Encore un pas et tu vas rejoindre ta femme, Sam ! Un pas. 

Alors là, le sheriff a sorti son arme et mon sang n’a fait qu’un tour. J’allais pas le laisser dégommer Sam quand même !

Je ne sais pas ce qui m’a pris à ce moment là, je bouillonnais à l’intérieur,  j’ai sorti le revolver que je cachais dans ma ceinture et j’ai tiré sur lui.

Après, plein de gens sont arrivés, Sam a essayé d’empêcher qu’on me touche mais ça a servi à rien. – Au bout d’une corde qu’elle finira !, qu’ils hurlaient tous.

Et ils m’ont emmenée, enfermée, maltraitée. Ça faisait beaucoup mais j’en avais vu d’autres pour tout dire.

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Commentaires (6)

Starben CASE
17.03.2024

Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline

Caroline Bench
06.03.2022

Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline

Caroline Bench
05.08.2020

Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?

Naëlle Markham
04.08.2020

Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.

Caroline Bench
03.08.2020

Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !

Alice Leloup
02.08.2020

C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.

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