Créé le: 02.12.2020
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Wild west women

Fiction, Histoire, Roman

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© 2020-2025 a Caroline Bench

Rose

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ROSE

L’état du Missouri n’était guère tendre avec les esclaves en fuite, ce que nous fit comprendre l’employé de la compagnie de steamboat en nous refusant l’accès à bord, pour votre bien avait-il ajouté doucement. Cette déconvenue nous affecta, conscientes que l’unique solution désormais consisterait à emprunter des voies plus hasardeuses. Charlotte s’en voulait de m’avoir entraînée dans cette mésaventure et me supplia de la laisser seule, ce qui était inenvisageable bien entendu. Nous devions être plus fortes que nos peurs et cesser de nous lamenter. Nous trouvâmes une barque de fortune,  seul espoir à vrai dire pour atteindre l’autre rive du Mississippi. Un pari un peu osé car le fleuve était terrible, il roulait ses flots dans une fureur épouvantable, nous entraînant malgré nous vers une mort certaine pour autant, l’instinct de survie, pregnant, décuplait nos forces et nous mîmes alors en œuvre toutes nos capacités d’êtres humains pour résister aux forces bouillonnantes de la nature. Nous combattîmes bravement puis tout à coup la berge nous sembla accessible, quelques pieds encore et nous serions sauves, et tandis que nous retrouvions timidement le sourire un événement inattendu vînt nous contrarier. Charlotte venait de lâcher sa rame et par réflexe se levait pour tenter de la récupérer.

Non Charlotte ! Asseyez-vous, vous déséquilibrez l’embarcation ! Asseyez-vous vous dis-je ! 

De vaines paroles… Charlotte venait de sombrer dans un bain tourbillonnant d’une puissance incroyable.

Rose, au secours Rose, je ne sais pas nager ! 

– Attrapez ma main, vite  ! 

– Je… Je…

– Charlotte ? Où êtes-vous Charlotte ?

Je n’ai jamais cru en Dieu mais à la providence oui. Sur la berge, un jeune homme nous avait aperçues, et saisissant notre détresse prit des risques incroyables en se jetant à l’eau puis par je ne sais quel miracle, parvint à récupérer Charlotte et à la ramener sur le rivage. Quant à moi, je manœuvrais tant bien que mal avant d’accoster, épuisée mais si heureuse.

Notre providence se nommait Ollie.

– Vous nous avez sauvé la vie. 

– Je n’ai fait que mon devoir. 

– Comment vous sentez-vous, Charlotte ? 

– Mouillée ! 

Nous nous mîmes à rire tous les trois et ces moments de complicité partagée nous firent du bien.

Nous rions mais que de malheurs sous ces rires, ai-je pensé à cet instant.

Tous les trois savions que nous ne pouvions demeurer à vue et qu’il fallait faire preuve d’une extrême prudence aussi nous quittâmes le rivage pour nous dissimuler dans les sous-bois.

Un peu plus tard, tandis que nous conversions Ollie nous avoua s’être lui aussi échappé d’une plantation avec le secret espoir de rejoindre le Canada.

– Là-bas, je serai en sureté. C’est également votre idée j’imagine Mademoiselle Charlotte ? 

– Le Canada ? Non, ma priorité c’est mon fils, pas le Canada. 

– Votre fils ? 

– L’histoire de Charlotte n’est guère heureuse à partager lui racontai-je. La seule chose qui rend ses journées tolérables c’est l’espoir de retrouver un jour son enfant volé.  

Nous restâmes quelques jours ainsi, à tenter d’échafauder un plan avant de reprendre notre route et comme l’Oregon Trail commençait à Saint Joseph nous décidâmes de nous y rendre sans plus tarder. Après plusieurs jours de marche, notre retour à la civilisation fut étrange, nous usions de stratagèmes pour passer inaperçus et heureusement dans cette ville point de départ de nombreux migrants, nous pûmes aisément nous fondre dans la masse. Nous fîmes donc en sorte qu’Ollie et Charlotte soient considérés comme étant à mon service. J’étais désolée de leur imposer cette humiliation et m’en excusais maintes fois auprès d’eux.

Ce n’est pas une humiliation, Rose.

– Toute servitude, même factice, en est une Charlotte.

Il était convenu tous les deux iraient nous acheter un chariot et des chevaux. Dans une ville telle que celle-ci, nous trouverions tout ce dont nous avions besoin avant d’entamer notre périple.

J’ai besoin de savoir, Ollie. Votre décision est-elle irrévocable ? 

– Je n’ai qu’une parole. Le Canada faisait partie de mes projets mais depuis notre rencontre, j’ai d’autres priorités. J’ai fait ce choix de vous accompagner. Charlotte et vous êtes une si belle rencontre. 

Charlotte semblait tout émue, j’aurais presque pu ajouter amoureuse même si à ce stade cela me semblait prématuré.

– Ollie, c’est vous notre providence ! En me sauvant la vie, vous avez failli perdre la vôtre. Je ne l’oublierai jamais. 

– Cela m’aurait ennuyé de laisser se noyer une jolie fille ! 

Je me sentais quelque peu embarrassée d’assister à cet échange aussi en profitais-je pour les abandonner. Depuis quelques jours en effet, je ne me sentais pas bien et avant d’entamer un si long voyage, préférais-je consulter un médecin. Sans doute n’était-ce qu’une fatigue passagère mais je souhaitais m’en assurer.

Ce médecin ne m’inspirait aucune confiance mais je n’eus d’autre choix que de me faire ausculter. Mon état semblait le tourmenter, il tournait sa barbe entre ses doigts, et cette manie m’agaçait plus que de raison. Enfin, n’y tenant plus :  Alors docteur, mon cas est-il désespéré ? 

Je n’emploierais pas ce terme pour une femme qui attend un enfant ! 

Cette nouvelle me glaça d’effroi.

– Cela vous étonne on dirait ? 

– Mais comment est-ce… Cette idée m’est insupportable ! 

– N’avez-vous pas honte ! Avoir un enfant n’est-ce pas là une chose merveilleuse ? C’est le but de toute femme normalement constituée me semble-t-il ! 

– Même lorsque cet enfant est le fruit d’un viol ? 

Il y eut un long silence. Cet homme cherchait ses mots, ne désirant pas me blesser davantage. Du moins était-ce ce que j’imaginais. Enfin, il se racla la gorge.

Votre devoir est de l’accueillir malgré tout. Cet enfant à venir vous fera oublier le petit désagrément lié à sa conception. Si vous mari n’est pas au courant, inutile de l’affoler pour si peu. Les hommes sont d’une telle susceptibilité parfois !

– Mon mari et ce violeur ne font qu’un. 

Mes paroles le mirent en colère. Il tapa des poings sur son bureau, il fulminait :

– Enfin Madame, on ne peut considérer cela comme un viol ! Satisfaire son époux fait partie des prérogatives liées au mariage. Vous devriez vous sentir fière d’être aimée à ce point ! 

Tant d’ignominies me donnèrent la nausée.

Mon silence fut la seule réponse.

Mon silence et mon désespoir.

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Commentaires (6)

Starben Case
17.03.2024

Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline

Caroline Bench
06.03.2022

Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline

Caroline Bench
05.08.2020

Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?

Naëlle Markham
04.08.2020

Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.

Caroline Bench
03.08.2020

Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !

Alice Leloup
02.08.2020

C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.

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