Moi
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I
MOI
Né à Reading, dans le Bekshire, comté royal (notre Queen Victoria y demeure) et porcin (son bacon y est excellent, loué par Cromwell lui-même !), je suis anglais et écrivain. Enfin, ce dont je suis absolument certain c’est d’être anglais parce que l’écrivain, lui, est en devenir.
Reading, pour ceux qui l’ignoreraient encore, est une charmante bourgade qui outre le cochon, est connu pour sa première bataille en 871, suivie 871 ans plus tard par sa seconde bataille. Je ne vous livrerai pas tous les détails mais disons que ce déploiement d’armes et d’hommes fut affaire de territoires et comme dans tout conflit qui se respecte, il y eut un gagnant et un perdant. Ceci étant, si l’on se réfère à la fréquence somme toute limitée de ces affrontements, nous pouvons convenir que la ville de mon enfance fut un endroit paisible mais d’un ennui mortel. Fort heureusement, avant le trépassement éternel, quelque chose qui ressemblait à l’envie d’un Ailleurs m’a réveillé d’un coup, au point d’en écouter mon instinct et filer à l’anglaise, si je puis me permettre cette expression !
Ce qu’il y a de troublant avec l’instinct c’est que si vous faites le choix de vous laisser porter par la petite voix qui hante votre esprit nuit et jour, loin de toute rationalité, vous risquez fort de vous retrouver sur un vapeur entre Liverpool et New York, sujet au mal de mer et peu enclin à savourer les délices d’une première transatlantique.
Ce fut mon cas en avril 1851.
Mais ne nous hâtons point et revenons à la genèse.
J’eus la chance de bien naître, dans une famille d’excellente réputation, en d’autres termes je suis fils de baron, et en dépit de tout ce que cela représente comme obligations (oserais-je dire contraintes ?), ce statut privilégié me permit de jouir d’une aisance matérielle, à l’abri des servitudes de la vie quotidienne. Pour autant, cette vie-là n’eut qu’un temps car comme chacun sait – ou ne sait pas après tout- dans chaque famille se terre souvent un vilain petit canard.
Je puis m’ enorgueillir d’avoir été celui-ci.
La faute sans doute à un esprit bouillonnant, arborescent, voire non conformiste et des idées un peu too much progressistes et féministes -il se trouve en effet que je suis un homme féministe-, qui ne s’accordaient guère avec le style rigide et réactionnaire d’une partie de ma famille. Or peu importe à vrai dire car en tant que puîné, je pus m’exempter des devoirs liés à la condition d’héritier et m’offrir ainsi une certaine liberté de pensée, qui n’eut point l’heur, il faut en convenir, de plaire à tout le monde. Mon père y voyait là quelque raison d’agacement et m’en faisait les plus vifs reproches, qui ne duraient que le temps de leur énonciation fort heureusement. En revanche mes frères, très attachés à leurs titres et prérogatives ne manquaient jamais de m’accabler d’invectives et me trouvaient d’une différence inacceptable. Je ne sus jamais ce que ce qu’ils entendaient par différence. Ou plus exactement m’abstins de le comprendre car j’étais moi, voilà tout.
Ma mère chérie, quant à elle, m’entourait de sa plus tendre affection sans jamais chercher à me juger. Elle considérait la vie avec légèreté, cela suffisait à son bonheur. Esthète, l’âme artiste et vagabonde, elle ne s’encombrait guère des préjugés et c’est elle qui m’incita, dès la plus tendre enfance, à suivre mes rêves car eux seuls connaissent le chemin, affirmait-elle.
Notre peine à l’un et l’autre fut donc immense lorsque le moment de la séparation arriva tandis que je perçus chez mon père, entre deux accolades distanciées, un certain soulagement, et ce d’autant plus qu’il me fit jurer de ne point compromettre notre famille dans quelque scandale que ce soit, ce que je fis bien entendu. Mes frères quant à eux, plus méfiants, ne se contentèrent pas d’un simple serment et me contraignirent à voyager sous un nom d’emprunt. L’idée de ne plus être celui que j’avais été me révoltait, leur manque de confiance également, néanmoins je finis par me laisser convaincre, admettant qu’ainsi il me serait enfin possible de n’être plus que ce que j’avais envie d’être.
Jonas Johnson, c’est sous ce nom allitéré et passe-partout que j’embarquai à Liverpool et c’est sous ce nom que je mourrai sans doute.
Physiquement, je ne pourrai me décrire avec précision ; l’image que nous renvoie le miroir n’est qu’un moi inversé donc inexact mais disons que ce qui me caractérise -et continue de me caractériser- est un adorable cokehat bowler , chapeau melon si vous préférez, acheté 12 shillings chez Lock à Londres ainsi que le port de costumes somme toute classiques mais de très belle facture. D’aucuns pourraient me qualifier de dandy, ce qui serait faux , étant d’une excentricité trop raisonnable pour mériter une telle appellation. Quant à la couleur de mes yeux, la forme de mon visage, ma taille… quelle importance en fait ? L’imagination fait le reste est c’est très bien ainsi.
Je vous livre cependant un point essentiel : mon accent et mon humour so british qui peuvent être à la fois agaçants ou amusants. Voire les deux en même temps, ce qui est pire !
***
À cette époque, le Nouveau Monde, plus si nouveau que ça d’ailleurs, faisait rêver. La fièvre de l’or apparue trois ans auparavant n’y était sans doute pas étrangère, la promesse d’une vie meilleure loin de la grande famine pour ces pauvres irlandais, ou de la crise pour tous les autres. Mes motivations s’avéraient certes fort différentes mais quelles que fussent nos origines ou notre condition sociale, nous partagions d’une certaine manière l’absolue nécessité de fuir quelque chose.
En posant mes bagages en Amérique, je n’avais guère d’obligations si ce n’est rendre visite à un notable près de Saint-Louis afin de lui remettre un pli confidentiel confié par mon père. Cependant, avant d’entreprendre ce long périple, je décidais de m’octroyer quelques jours pour découvrir New York.
Chaque jour, je me levais tôt car il apparaissait que la matinée était un moment propice à l’observation. Très vite, au hasard de mes pérégrinations, je me rendis compte que la ville grouillait dans toutes les langues et baignait dans un melting pot culturel incroyable. J’en fus, je dois le dire, ébloui.
Cet enchantement malheureusement ne dura guère, car quoi que je fasse, où que j’aille, inexorablement une force centripète tendait à me ramener vers mes compatriotes et tandis que je rêvais d’exotisme, me retrouvais à converser avec tous ceux auxquels je pensais échapper.
Je ne sais plus à quel moment je pris cette décision mais toujours est-il que dans les tout premiers jours de juin, j’entrepris de rejoindre Saint Louis.
***
Il faisait déjà chaud en cette saison et nous étions six, tous logés à la même enseigne dans une exécrable diligence -ou devrais-je dire patache- tant l’inconfort était de mise. Les routes cabossées, la poussière, tout participait à la promesse d’un voyage insupportable, or à ma grande surprise il n’en fut rien, grâce aux plus délicieuses créatures qu’il m’eut été donné de rencontrer et qui transformèrent cet enfer un délice.
Le journal que je tins pendant cette période rapporte nos aventures communes. À l’origine fruit de mes seules observations, il s’est ensuite élargi en laissant la parole à mes très chères amies (il me semblait nécessaire en effet de confronter nos différents points de vue, afin que vous lecteurs, puissiez forger votre propre opinion) qui, d’abord réticentes finirent par se livrer en toute sincérité.
Charlotte fut the first à m’accorder sa confiance. Nous nous connaissions depuis plusieurs mois déjà et venions de traverser ensemble les pires épreuves qu’un être humain puisse imaginer. Pendant les quelques semaines de répit qui nous avaient été accordées, il nous arrivait souvent le soir de profiter de la quiétude du moment, en discutant auprès d’un feu. L’histoire de sa vie me bouleversa.
Pour les autres girls, il me fallut davantage de persévérance mais ma patience, presque héroïque, finit par payer je dois dire.
Certains sujets, certains événements choqueront sans doute les âmes sensibles, je m’en excuse, mais n’oublions pas qu’en Amérique, quoi que l’on fasse, où que l’on aille, se trouveront toujours la civilisation d’une part et la barbarie de l’autre.
Cette même barbarie dont la Femme est bien souvent l’une des victimes.
Puissent les choses changer un jour.
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Commentaires (6)
Starben Case
17.03.2024
Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline
Caroline Bench
06.03.2022
Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline
Caroline Bench
05.08.2020
Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?
Naëlle Markham
04.08.2020
Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.
Caroline Bench
03.08.2020
Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !
Alice Leloup
02.08.2020
C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.
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