Créé le: 02.12.2020
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Wild west women

Fiction, Histoire, Roman

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Rose

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ROSE WISE

Je suis née en 1831 dans une famille de modestes fermiers établie près de Cleveland, Ohio. Benjamine d’une fratrie de quatre, j’ai grandi entourée de garçons. Mon père, alcoolique, dont le tempérament colérique s’est exacerbé au fil des années, nous a toujours considérées, nous les filles, ni plus ni moins comme des esclaves. Fort heureusement, ma chère mère bien que résignée, s’opposa maintes fois à lui, à mon sujet notamment, et finit par avoir gain de cause lorsqu’il fut question de me scolariser. J’eus donc la chance d’apprendre à lire, à écrire grâce à la ténacité de ma mère et ainsi rencontrer Diana Jones, une formidable institutrice.

J’appréciais cette femme pour moult raisons, entre autre sa générosité dans la transmission des savoirs et sa façon si particulière de nous ouvrir la voie vers une pensée libre.

C’est elle qui me permit de comprendre qui j’étais, elle encore qui me fit entrevoir ma propre oppression.

Elle était progressiste et ses idées pour une éducation nouvelle, autonome et heureuse ne faisaient malheureusement pas l’unanimité auprès de notre petite communauté. Certains parents se répandaient en récriminations, persuadés de la mauvaise influence qu’elle exerçait sur leur progéniture. Selon eux, on ne devait pas émanciper pas un enfant ni même développer son esprit critique (ils ne l’exprimaient pas ainsi mais tel était le fond de leur pensée) car un enfant, on le bride, on l’éduque pour qu’il obéisse. De terribles reproches, infondés bien sûr, mais qui poussèrent Diana à la démission. Celle qui m’avait éduquée, dans le sens le plus noble du terme, allait nous quitter et la perpective de rester-là, sans elle, me semblait inacceptable.

Je dus m’y résoudre pourtant mais en nourrissant ce fol espoir de la revoir un jour.

Mon institutrice tint sa promesse de m’écrire régulièrement. Elle évoquait alors sa nouvelle vie, sa bataille contre les idées reçues, son rêve d’un monde meilleur et chacune de ses lettres me comblaient de joie, me donnant la force nécessaire pour oser m’affirmer. Ce fut une période à la fois stimulante et pénible. Dès que quelque chose me semblait injuste, je ne manquais jamais de m’en offusquer et en riposte, mon père me battait jusqu’au sang, m’enfermant parfois des jours entiers dans notre grange. Cette solitude forcée ne m’était pas désagréable, loin s’en faut, puisqu’elle me permit de me consacrer exclusivement à la lecture tandis que ma mère m’accompagnait à sa façon, glissant dans les interstices de la porte close de la nourriture ou quelque ouvrage que je lui réclamais.

En 1847, après avoir obtenu mes certificats, un concours de circonstance me permit d’enseigner dans une ville voisine. Mon père ne s’y opposa pas car la mauvaise récolte de l’année avait profondément affecté notre quotidien alors la perpective d’un revenu supplémentaire, aussi substantiel soit-il, ne pouvait que le réjouir. Cette expérience fut formidable certes mais me permit surtout de comprendre que j’avais besoin d’autre chose, d’explorer de nouveaux horizons. Je fis donc part à ma famille de mon désir de poursuivre mes études. Si ma mère fut enchantée, mon père, lui, entra dans une colère noire. Je ne l’avais jamais vu ainsi : J’ai toujours su que tu tournerais mal avec tes études, tes connaissances louches. Depuis que t’es gosse, c’est fou comme t’es pas normale ,vociférait-il. Et en guise de représailles, décida de me marier de force à un marchand d’armes, un ami de mes frères, un certain Jonathan Smith, parce que avec lui ça va tourner rond ! Celui-ci vivait à Oberlin et bien que fortement répugnée par cet homme qui respirait bêtise et violence, je finis par me résoudre à l’épouser avec ce désir secret de pouvoir entreprendre des études supérieures à l’Oberlin College, premier établissement de notre pays à admettre les femmes et les afro américains.

À n’en point douter, ce mariage fut un désastre, Jonathan Smith se conduisait en tyran domestique, je n’étais que sa chose parmi d’autres et devais me soumettre à tous ses désirs. Seules ses absences prolongées m’offraient quelques moments de répit très appréciables.

En 1851, je passai et réussis le concours de l’Oberlin College mais ce qui aurait dû me réjouir me terrorisa, en effet comment l’annoncer à Jonathan ?  La tâche n’était pas aisée mais je m’en sentais capable. Et un soir, alors que nous dînions, je m’apprêtais à lui dire lorsqu’il m’invectiva pour une broutille. C’est quoi ce repas, Rose ? C’est avec ça que tu comptes me nourrir ? Avant de jeter toutes les assiettes par terre. J’allais les ramasser quand soudain il m’a attrapée par le col le maître c’est moi ! Compris ?  Un homme violent je vous dis.

Tu n’as pas le droit de me traiter ainsi ! fut ma seule réponse. 

– J’ai tous les droits au contraire, tu me dois obéissance et respect. 

Le tout entrecoupé de gifles et de coups bien sentis. Toutefois, ce qu’il fit après dépassa l’entendement. Il déchirait tous mes livres, un par un, hurlant que désormais tout aller changer. Que s’il tenait mon institutrice qui m’avait mis toutes ces idées dans la tête. Si je tenais ton institutrice qui t‘a mis toutes ces idées dans la tête !  Une femme ça devrait pas lire ! Une femme ça se tait ! Et ta Diana de malheur tu vas me faire le plaisir de plus la voir. Compris ? 

Ensuite, il m’a.

Viens-là toi ! 

Violée.

Tu sens comme c’est bon ça ? C’est pas mieux que les livres ça ? 

Une fois son ignominie achevée, je suis restée très digne, j’ai remis mes jupons en ordre, ai ramassé tous les morceaux de vaisselle, récupéré tous mes livres (ou ce qu’il en restait).

Puis j’ai pleuré.

Le lendemain ce monstre partait pour deux semaines, aussi en profitais-je pour répondre positivement à l’invitation que Diana m’avait fait parvenir quelques jours auparavant, puis je pris le peu de  bagages que j’avais, et me rendit à Akron avec la ferme intention de ne jamais revenir dans cette maudite maison. Dans son courrier, ma chère amie me proposait d’assister à la Convention des droits de la femmes (un événement à la fois unique et si  moderne en ce mois de mai 1851 !), je pensais y renoncer mais la vie en avait décidé autrement.

Nos retrouvailles furent heureuses et si chaleureuses… Nous passâmes des jours entiers à parler de nos vies respectives, des pensées qui nous animaient. Je n’avais pas connu de telle douceur depuis si longtemps… Puis le moment de la convention arriva.

Frances Barker Gage, la présidente, était vraiment formidable et quel dynamisme ! Cette année-là, on accueillait aussi Sojourner Truth, une fervente défenseuse de la cause abolitionniste et du mouvement du droit des femmes. Son discours fut éblouissant.

« Well, children, where there is so much racket there must be something out of kilter. I think that ‘twixt the negroes of the South and the women at the North, all talking about rights, the white men will be in a fix pretty soon. But what’s all this here talking about?

That man over there says that women need to be helped into carriages, and lifted over ditches, and to have the best place everywhere. Nobody ever helps me into carriages, or over mud-puddles, or gives me any best place! And ain’t I a woman? Look at me! Look at my arm! I have ploughed and planted, and gathered into barns, and no man could head me! And ain’t I a woman? I could work as much and eat as much as a man – when I could get it – and bear the lash as well! And ain’t I a woman? I have borne thirteen children, and seen most all sold off to slavery, and when I cried out with my mother’s grief, none but Jesus heard me! And ain’t I a woman? »

Quelle merveilleuse journée ce fut !

Sur le chemin du retour, je ne cessais de parler ! Je me sentais revivre grâce à toutes ces femmes, ces hommes réunis pour la même cause.

Diana et moi évoquâmes Amelia Bloomer, présente elle aussi. En riant, j’ai demandé à mon ancienne institutrice si allait mettre au feu ses corsets à baleines et ses jupons trop longs !

Cette Amélia Bloomer est incroyable. réformer le costume ainsi, quelle trouvaille ! Cependant je me sens un peu trop âgée pour ces culottes courtes et ce jupon. tandis que toi, Rose…

Je lui répondis que j’aimerais tant, et ce furent nos derniers échanges avant que que Jonathan ne vînt nous surprendre.

Ce dernier, de retour à Oberlin,  avait trouvé la maison vide et débarrassée de mes affaires et  bien que peu futé, ne mit guère de temps avant de comprendre où je m’étais enfuie. Sa colère était palpable, ses menaces également, il souhaitait que je rentre chez nous sans discuter. Mon amie tenta de le raisonner, sans succès,  avant de lui ordonner sèchement de quitter les lieux.

Jonathan n’avait jamais supporté la moindre contrariété, contradiction ainsi, loin d’obtempérer, il a dégainé son arme et tiré dans sa direction. C’est cette dernière image de Diana étendue sur le sol qui hantera mon esprit à tout jamais je crois. Fuis cet homme Rose, ou il te tuera, ont été ses derniers mots. Immédiatement, j’hurlai de toutes mes forces et des passants bienveillants accoururent aussitôt, empêchant sans doute Jonathan d’accomplir un second forfait ;  même si, avant qu’il ne disparaisse dans la nuit, j’eus le temps d’entendre ses mots : On se retrouvera Rose, où que tu ailles, je te jure qu’on se retrouvera. 

J’étais pauvre, dépendante, perdue et ne savais comment organiser une fuite devenue impérieuse désormais. Je fis donc une chose affreuse ; j’ose à peine l’avouer mais il en allait de ma survie : je volai à mon amie défunte, une somme suffisamment conséquente qui m’aiderait à subvenir à mes besoins essentiels.

Avant quitter définitivement Akron, je commis cependant une terrible erreur en envoyant un courrier à ma mère, loin de me douter des conséquences que celui-ci engendrerait : J’assume parfaitement de faire ce que j’estime juste et fuis cet homme trivial dont je mesure chaque jour davantage la violence. Faire ce choix, c’est aussi renoncer à d’autres choses, à mon entrée à l’Oberlin College, à te voir. Mais la liberté n’est-elle pas à ce prix ? Sans doute reviendrai-je un jour, avec ce courage qui me fait tant défaut actuellement et serai prête alors à affronter le monstre dont je n’ai épousé ni les principes, ni les valeurs. L’Ouest n’est pas un renoncement, juste une étape où j’espère me familiariser avec l’idée de penser la vie autrement. Je vais suivre la piste de l’Oregon. Cette route est réputée dangereuse et difficile mais nulle montagne n’est infranchissable, n’est-ce pas ? Enfin ne dit-on pas que ceux qui veulent voir tomber la pluie de la liberté, doivent être eux-même le tonnerre et les éclairs ? 

Comment aurais-je pu imaginer que ce simple pli tomberait entre les mains de Jonathan qui, vexé, humilié,  venu se plaindre auprès de mon père, avait fini par lui promettre de me retrouver pour me faire payer cette infamie !

Quelque temps plus tard, j’eus la chance de faire la connaissance de Charlotte Bornfree au comptoir d’une compagnie de diligence. Elle n’avait pas assez d’argent pour régler son voyage. Je ne sais pas ce qui m’a attiré chez elle, peut-être partagions-nous ce même désespoir. En tout cas j’ai su immédiatement que nous allions vivre de grandes choses elle et moi.

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Commentaires (6)

Starben CASE
17.03.2024

Passionnant récit de courage et de résilience. Nanny of the Maroons, Mûlatresse Solitude, Deanna, Flor Bois Gaillard… la liste est longue de ces héroïnes des Antilles qui ressurgissent d’un passé douloureux. Merci Caroline

Caroline Bench
06.03.2022

Wild West Women est à l'origine un texte destiné au théâtre. Cette pièce tourne depuis 5 ans entre la Suisse et la France. Pour information, elle sera jouée le 20 mars à Lausanne au Centre culturel des Terreaux. Au plaisir, qui sait, de vous y retrouver... Caroline

Caroline Bench
05.08.2020

Bonjour Naëlle, Que de pression pour la suite qui, je l'espère, saura vous divertir tout autant ! En tout cas, le voyage ne fait que commencer, isn't it ?

Naëlle Markham
04.08.2020

Dès les premières lignes, et malgré le fait que je sois valaisanne, je suis tombée en amour, comme le disent si joliment les Québécois. Avec son humour so british et cet accent inimitable qui se perçoivent en filigrane à chaque ligne, notre conteur, par la plume admirable de son auteure, nous embarque dans son voyage au gré de son langage au charme suranné. J’attends avec impatience de déguster la suite de ses aventures.

Caroline Bench
03.08.2020

Bonsoir Alice, je vous remercie de votre commentaire et suis ravie que ce récit ait pu vous toucher. J'espère que la suite vous plaira également. À bientôt alors !

Alice Leloup
02.08.2020

C'est délicieusement écrit. Je trouve toujours fascinant d'être emportée à lire d'une traite, portée par l'écriture, alors que l'univers n'est a priori pas du tout de mon intérêt. J'attends la suite avec impatience.

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