Créé le: 19.09.2020
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Salutaires chaussures
Réparer le passé
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Il débarque seul derrière un hangar de l’aéroport. Il quitte l’enceinte par un grillage abîmé et marche d’un pas rapide sur le remblai du bord de mer, enchanté d’avoir cette fois-ci choisi lui-même sa mission.
Au loin, le chantier soulève des nuages de poussière que le vent emporte vers la mer. En vain, il lutte pour chasser le souvenir de ce 16 octobre 1979, quand la secousse tellurique a englouti leur chantier sur le nouveau port, tuant son oncle et deux de leurs ouvriers. Depuis lors, il n’a jamais cessé de se demander où son père et son frère aîné avaient trouvé la force de rebondir après un tel drame.
Sur le chantier, près d’une gigantesque pelleteuse, un homme imposant discute avec un ouvrier. A peine l’a-t-il aperçu, qu’incrédulité et colère se lisent sur son visage et qu’il lui lance :
“Alors, le winner descend de sa colline pour visiter son looser de frère ? Laisse-moi deviner : tu t’ennuyais trop dans ta villa de luxe, tu te disais qu’un peu de distraction…
Pour toute réponse, l’intéressé sourit à son interlocuteur et lève les mains, en signe d’apaisement : “Je suis là pour faire la paix.
– Ça, c’est un scoop. Tu fais ta vie dans ton coin, sans te soucier de nous. Et tu arrives là, comme ça, par un heureux hasard, mais qu’est-ce que tu t’imagines ?
L’envie de répondre agressivement et de tourner les talons le démange. Il s’en veut d’avoir été si naïf, en imaginant que tout pourrait s’arranger. Mais il choisit de garder le silence. Son frère finit par se calmer et l’invite d’un ton plus conciliant: “Allez, viens, excuse-moi, on va discuter.”
Un peu plus tard, ils sont assis sur le petit muret de pierres qui borde la paillote familiale. Il n’y était jamais revenu depuis la brouille. Il se tourne vers son frère et soupire : “Je comprends tes reproches et je m’en veux terriblement. A tes yeux, j’ai commis l’impardonnable quand, au-lieu de rester à combattre les problèmes avec le père et toi, j’ai vendu mes parts de l’entreprise.
– Tu voulais surtout éviter d’avoir à te salir dans la boue et d’affronter le vent et le froid.
– Ecoute, frangin, j’ai fait ce choix et cela ne m’a pas trop mal réussi. Et de ton côté ?
– Au début, remonter la pente a été très difficile, nous avons dû envisager les affaires autrement. Papa a eu du mal à accepter de moderniser l’entreprise, mais il a fini par se rendre à l’évidence et c’est ce qui nous a sauvés.
– Je vois que cela n’a pas dû être facile.
– Je ne sais pas si tu arrives encore à voir ce que nous, ici en-bas, nous vivons. Malgré tout notre travail, beaucoup de choses nous manquent : du temps pour souffler, un joli voyage ici ou là, des études dans de bonnes écoles pour les enfants, une maison confortable.
– Oui, c’est vrai que je vis dans une situation privilégiée, mais des expériences récentes m’ont montré des réalités que j’avais oubliées. Je te raconterai…”
Ils sont interrompus par une vive lumière qui les éclaire de la mer. De surprise, ils se lèvent d’un bond. A quelques mètres d’eux, le drone en vol stationnaire brille au-dessus des vagues. De l’engin, la voix amplifiée de Lexa propose : “Prêts pour une petite dernière ? Allez, je vous embarque tous les deux.”
Commentaires (2)
Thierry Villon
21.09.2020
Merci Mouche, ton commentaire m'encourage, content que tu aies aimé.
Mouche
20.09.2020
Superbe imagination, belle leçon de vie... bravo, j'ai beaucoup aimé !
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