Créé le: 19.09.2020
430
2
3
Salutaires chaussures
Grosse pomme à croquer
4
Le vol est extrêmement rapide. Va-t-on marcher sur la lune avec de vraies Moonboots ? Se poser à New-York, à Central Park, en plein jour, sans provoquer un attroupement monstre, relève de l’exploit. En laçant les chaussures impeccablement cirées, il se rêve déjà en trader vedette. Lexa l’encourage : “Votre expérience comme serveur dans un restaurant français sera inoubliable à coup sûr. Bonne chance.
– Un restaurant ! Serveur ? Et puis quoi encore ?
– Je ne serai pas loin et si l’envie de vous prend de vous échapper, rappelez-vous qu’il n’y a que moi qui peut vous ramener dans votre vie. Allez, bye, bye, have a nice day.”
Il reçoit la tenue officielle des employés du restaurant. Un grand gaillard décontracté du nom de Michel sera son coach pour débuter dans ce travail. Il apprend comment transporter des assiettes sur un plateau porté au-dessus de l’épaule. Il a prié pour ne pas balancer le tout par terre, ou pire encore sur la tête des clients. Il finit par prendre le rythme : enlever le plateau, le déposer sur le chevalet pliant, distribuer les assiettes aux clients sans se tromper, souhaiter un bon appétit à chacun, sans arrêter de sourire. La marche forcée entre les tables, avec ces horribles chaussures vernies, lui arrache des grimaces de douleur. Il évite de se plaindre, sinon Angelo le chef de salle va froncer ses gros sourcils et lui réciter, dans son anglais délicieusement mâtiné d’accent italien :
“Mon gars, tu fonces et tu fonces, après tu encaisses ton fric et à toi la belle vie.”
Un de ses clients l’appelle avec de grands gestes et l’insulte copieusement au-sujet de son plat et du vin. Il se tait devant les propos odieux et le regard dominateur qui lui semblent vaguement familiers. De toute évidence, le type désire ainsi se faire valoir aux yeux de la femme aux formes avantageuses qui l’accompagne :
“Quand on s’intitule Café et qu’on joue sur le côté français, il faut en avoir les moyens. Vous savez à peine tenir un plateau et vous n’arrivez pas à verser du vin sans en mettre à côté. Je ne sais pas ce qui me retient d’avertir Georges, oui votre patron, que je connais personnellement.”Il va pour répondre vertement, mais Michel surgit et, d’une phrase bien choisie, fait retomber la tension.
A la fin de la journée, chacun reçoit son salaire de la main à la main. Sans recompter, il empoche les billets et s’éclipse. Il retourne dans Central Park où l’attend, du moins l’espère-t-il, le drone qui le reconduira chez lui. Tout en clopinant, il s’emporte : “Maudit soit le type qui a créé ces chaussures. Il devrait être condamné à les porter pour travailler un jour entier, avec en plus l’interdiction de les détacher.”
Une voix enfantine, teintée d’accent new-yorkais, interrompt son monologue désenchanté:
“Alors, monsieur fait son ronchon, comme dit ma grand-mère ?”
Il sursaute et voit un petit garçon, en salopette de garagiste et casquette sur la tête. Il s’arrête près de lui et le complimente pour le château de sable assez sophistiqué qu’il est en train de construire. Mais une voix féminine le coupe avec agressivité :
– Dites donc, vous foutez la paix à mon gosse et vous vous éloignez de lui, tout de suite.
– Mais, je ne faisais que…
– Ta gueule, pervers, tire-toi vite, si tu ne veux pas que j’appelle la police.”
Sans se le faire répéter, il s’éloigne du lieu du litige, en espérant de toutes ses forces, avant que les choses ne tournent plus mal, pouvoir échapper à la forcenée qui lui crie dessus. Mais une sirène de police commence à hurler dans le parc. Deux policiers en jaillissent, écoutent la mère du gosse et viennent vers lui d’un pas rapide. Il part à la course en ignorant ses pieds endoloris, les policiers sur ses talons. Heureusement, le drone est là, à quelques mètres, il entend le bruit des rotors. Il n’a que le temps de se jeter à l’intérieur avant le décollage. L’un des policiers parle dans sa radio, tandis que l’autre se gratte la tête en signe d’incompréhension.
“Déjà de retour, ça c’est du rapide, rigole presque la voix synthétique.
– J’exige de rentrer chez moi, répond-il, agressif
– Après cette longue journée, prenez le temps de vous relaxer avec votre musique préférée.
– Merci et plus un mot.”
Commentaires (2)
Thierry Villon
21.09.2020
Merci Mouche, ton commentaire m'encourage, content que tu aies aimé.
Mouche
20.09.2020
Superbe imagination, belle leçon de vie... bravo, j'ai beaucoup aimé !
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire