J’avais compté sur mon sens de la copie pour rendre réelle notre bibliothèque mentale; je devais compter désormais sur mon mental pour recopier notre bibliothèque. J’étais simplement dépassé, conséquence tragique de l’oubli des livres de ma famille. De ses auteurs, de ces dialogues entre savants, entre gens d’éducations. J’étais dépassé par le passé, sans futur.Les membres du club familial de déclamation de livres perdus disparurent tels des nœuds sur une corde dénouée. Il ne restait rien d’autre que le souvenir qu’ils avaient récité des livres oubliés.La bibliothèque mnésique n’était plus qu’une vieille image sans plus aucune réalité; toute virtuelle qu’était cette réalité, elle n’était plus atteignable: l’entrée de la grotte était perdue. Mais que reste-t-il de moi, hors de ma famille, de mes histoires, de mon sujet ? Sans famille, sans réel passé, sans plus d’identité autre que ma carte qui a si peu de crédit.D’ego héros, j’étais devenu un simple ‘je suis’ de par la magie du grec d’Aristote.Dans un dernier effort pour comprendre ma famille perdue, cette famille qui se souvenait du Livre II de la Poétique mais dont je n’avais rien gardé, je rouvris mon cahier de note, avec l’espoir fou d’y trouver le trésor perdu. De quel Livre était tirée cette dernière phrase arrachée à l’oubli du passé, ressuscitée de mes ancêtres disparus ? « Il faut préférer l’impossible qui est vraisemblable au possible qui est incroyable ».

© Jean Cérien, Genève, 2014