J’aimais bien ces soirées calmes de déclamation, ces rêves nourris de tous ces mots que je ne connaissais pas. J’avais un petit cahier dans lequel je notais quelques mots retenus pendant la soirée et la signification que j’avais pu saisir. Bien sûr, je notais de mémoire, dès mon arrivée dans ma chambre, car il était strictement interdit d’écrire durant la cérémonie : le bruit d’un crayon pouvait provoquer l’oubli d’un livre, voire d’un auteur complet, m’avait-on inculqué très tôt.

Je me souviens du premier mot de mon cahier : « substance », une sorte de vitrification des idées. Un oubli d’être. D’autres mots suivaient. En fait, j’avais l’ambition, lorsque j’écoutais ma famille, de mettre par écrit toute leur bibliothèque mémorisée; mais une fois dans ma chambre, je ne me souvenais seulement de quelques phrases, celles qui m’avaient fait réfléchir durant la soirée. Immuablement, je notais en premier les grands pans du livre phare, puis les phrases au mieux de mes possibilités.

Pour la Poétique d’Aristote j’avais noté : « La poésie est une imitation et, comme toute imitation, elle permet d’enseigner avec plaisir. Il faut donc qu’elle soit belle. Pour cela, l’histoire doit être composée selon le genre d’imitation choisi ; or, seule l’imitation des actions humaines permet aux spectateurs de vivre des émotions réelles. Cependant, il suffit que les événements imités soient vraisemblables. Il n’est pas besoin qu’ils aient vraiment existé. En tout cas, l’imitation tragique est la plus noble, car elle décrit des humains meilleurs.»