Au moment de m‘endormir, après avoir recopié dans mon cahier les phrases qui m’avaient marqué, au moins un aspect de ma vie me semblait devenu d’un seul coup irrémédiablement différent. La Poétique d’Aristote avait rendu ma famille bien moins évidente à cerner et mes certitudes la concernant avaient disparu à jamais.

La phrase suivante de mon carnet m’avait montré que l’on pouvait être vu comme inférieur ou comme supérieur, indépendamment de ce que l’on était. Cette perspective m’avait tellement bouleversé que cette phrase était resté gravée dans mon esprit : « ce qui distingue la Tragédie de la Comédie : celle-ci veut représenter les hommes inférieurs, celle-là supérieurs aux hommes de la réalité. »

Ma Grand-Tante qui avait toujours été considérée comme supérieure aux autres membres de la famille ne l’était peut-être pas. Était-ce la représentation tragique d’elle-même qui la rendait supérieure ? Et mon père, le clown de chaque occasion, était-il réellement inférieur de par sa capacité à faire rire et amener une ambiance festive ?

J’avais passé une nuit entière à essayer de distinguer ce qui était montré de ce qui était vu, sans comprendre si ce qui était représenté était montré, vu, ou n’était pas. Qui étaient mon père, ma Grand-Tante, les membres de ma famille ? Et que voulait dire « étaient » ? Quelles unités uniques se cachaient sous ce sujet pluriel ? Quelle action de ce sujet représentait ce verbe passé ?