Souvenirs de tout et de rien

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Quand j’ai décidé de fouiner un petit peu dans mes souvenirs, la première pensée qui m’a traversé l’esprit était qu’il était risqué de remuer certaines histoires et que le mieux à faire était de les laisser là où elles étaient. Les jours de neige sont toujours propices à l’introspection, vous ne trouvez pas ? non ! bon, c’est au moins une opinion que nous n’avons pas en commun. Car voyez-vous, pour que l’exercice ait une chance d’être utile, il faudrait au moins que vous ayez la franchise de dire ce que vous pensez. Cette petite mise au point faite, je reprends donc.

 

Depuis le temps que je crapahute de-ci de-là, j’ai toujours eu l’impression d’avoir beaucoup plus à transporter que je ne l’aurais souhaité. Au fur et à mesure de nos déménagements, j’ai tenté, je dis bien tenté, de supprimer le superflu, en ne conservant que ce qui, à nos yeux, semblait revêtir une certaine importance. Le reste devait finir, parfois à la décharge, sinon, être donné à des œuvres de charité qui s’occuperaient de les redistribuer à des personnes dans le besoin. Depuis que la société est devenue « de consommation », qu’est-ce qu’on n’a pas pu gâcher comme matériel ! oui, l’expression fait sourire mes contemporains qui, à l’époque, n’y voyait qu’un slogan de plus dans la bataille qui opposait les tenants de la modernité et ceux de la réflexion intelligente. Il nous semblait, qu’après la seconde guerre mondiale qui avait ravagé la terre, laissant derrière elle des millions de cadavres, les personnes en place n’avaient pas trop de conseils à donner, que leurs opinions étaient discréditées par le simple constat des conséquences désastreuses qu’elles avaient engendrées. Politique moi ? même pas. Nous voulions vivre une autre sorte d’existence, basée sur des valeurs différentes et surtout plus altruiste. Nourri comme tant d’autres à la mamelle de l’action catholique, nos aspirations nous menaient tout naturellement vers le bien : bien-faire, bien-pensant, bienfaisance, et tout ce qui s’ensuit.

 

Donc, en conclusion de tout ce qui précède, ma maison me semble bien encombrée de vestiges du passé que nous traînons d’un déménagement l’autre, sans plus trop savoir finalement ce que nous allons trouver dans ces cartons toujours bien fermés, ces malles cadenassées, ces housses hermétiques. Quand je passe le seuil de mon sous-sol, j’ai l’impression d’être dans la caverne d’Ali-Baba, vous savez la légende des 40 voleurs… Je jure sur ma tête que je ne suis pas un voleur et que tous les objets ici présents m’appartiennent en propre et n’ont été dérobés à personne. Y compris cet immense tableau religieux, en forme d’arcade romane, que je n’arrive évidemment jamais à vendre à quiconque. Il est pourtant daté de 1893 et représente une scène de l’évangile, lorsque Jésus accueille les enfants. Il est représenté entouré d’une nombreuse marmaille qui se presse autour de lui. On peut même apercevoir un coquin en train de se moucher dans la robe bleue du Christ. J’ai rêvé parfois que cette œuvre assez maladroite avait été créée par un grand maître au début de sa carrière ou qu’un élève peintre particulièrement inculte aurait carrément recouvert un chef-d’œuvre de sa modeste barbouille. Voyez ce que l’imagination peut faire. C’est comme d’acheter un billet de loterie et croire que la richesse va vous tomber dessus au prochain tirage.

 

En-dehors du tableau, plusieurs malles en métal occupent l’espace. De ces malles qui se ferment en passant une tige de métal dans les anneaux qui joignent le couvercle avec la caisse. Si nous nous penchons un peu sur leur contenu, nous allons comprendre comment les souvenirs vieillissent, jaunissent, ternissent et finissent par tomber en lambeaux. Dans l’une, il y a des vêtements ayant servi de costumes de scène, à l’époque où je me produisais en public. Quand je vous disais que j’étais aussi musicien et non seulement gratte-papier ! Les chemises à col long, paillettes bleutées et autre noir scintillant, les petits gilets brillants, font bon ménage avec les robes de mousseline et les écharpes colorées de ma coéquipière. C’est à peu près tout. L’autre coffre de métal renferme des milliers de photos et de négatifs, de diapositives. Mais si, cela se faisait beaucoup à l’époque, ces projections de diapositives sur un grand écran, des soirées à visionner les aventures de vacances, les grimaces des grands et les petites choses de la vie des plus petits. Du cynisme encore ? pas du tout. Je conçois qu’on puisse aimer les souvenirs, les bons surtout, car les autres, chacun préfère les oublier et même les détruire si possible. Ce qui est frappant concernant les souvenirs, c’est la faculté que possède chaque être humain, de trier et de sélectionner dans sa collection, ceux qui lui conviennent le mieux. Certains sont même spécialistes en réécriture de l’histoire, gommant tout ce qui les dérange et ne présentant que la belle face des évènements. J’ai pu me surprendre parfois à ce petit jeu pour lequel il n’y a pas de récompense, mais juste une manière souvent satisfaisante de brouiller les pistes. A qui ? ne manquez-vous pas de demander… c’est bien, je constate que votre attention ne s’est pas relâchée. Brouiller les pistes au sentiment de culpabilité qui nous course notre vie durant : pas assez performant, trop lent, juste pas la moyenne, jamais dans les premiers, trop gros, pas assez baraqué, trop bavard, pas assez causant, trop violent, pas assez dynamique, trop pauvre, trop riche. Le bon réglage n’est jamais facile à trouver. J’en connais qui ont essayé toute leur vie, sans jamais pouvoir s’asseoir enfin et souffler un peu dans la quête de la perfection. Oui, parfait, c’est ce que l’être humain exige des autres, tout d’abord et ensuite de lui-même, ce qui est embarrassant pour tout le monde. Finalement, personne n’y parvient et tous se sentent dans l’échec ou s’arrange avec, ce qui nous ramène après une jolie boucle à ce qui nous occupait plus haut, concernant le tri des souvenirs.

 

Le grenier est également rempli de cartons pleins de bandes d’enregistrements. Oui, il fut un temps où le support favori pour le son était la bande magnétique. Pour plus de détails, prière de vous reporter à votre dictionnaire, ou plus efficace, faire une recherche sur Internet. J’ai dans ces cartons soigneusement étiquetés tout ce que fut ma carrière de musicien : des chansons, des musiques de film, des chants chorals, des essais de son, des maquettes, des cassettes et même quelques disques vinyle en 33 ou 45 tours. Là, il n’y aura que les initiés pour comprendre ! un peu de mystère fait toujours bon effet, vous ne trouvez pas ? D’ailleurs, les greniers sont propices à la découverte de mystères en tous genres. Voyez le nombre de bouquins, de films, de feuilletons, qui commencent tout bêtement dans un grenier. Et l’idée n’est pas tellement mauvaise, voire carrément très bonne, suivant l’usage que l’on désire en faire. Ici, il ne s’agit pas d’inventer des elfes ou des fantômes sortant tout à coup d’un vieux carton, ni même de l’image de l’ancêtre sur la vieille photo jaunie qui s’anime soudain et se met à nous faire vivre l’histoire comme elle a vraiment été, nous permettant de comprendre en un seul épisode, pourquoi personne ne prononçait jamais le nom du grand-père paternel, pourquoi j’avais l’impression de ne pas ressembler vraiment à mon père et pourquoi ma mère avait fui la ferme des beaux-parents un beau soir d’hiver, en m’emportant avec elle, emmitouflé dans un vieux manteau qui sentait le moisi ?

 

Je dérive, je dérive, mais cela aurait pu être vrai, d’autant que personne ne va pouvoir vérifier, empêtrés comme nous le sommes tous dans nos contradictions et nos désirs insensés de justice et de vérité. Pour en revenir au mystère, je n’arrive pas à comprendre de quelle manière la prose que je tiens à cet instant dans les mains a pu arriver là. J’étais bien certain de l’avoir enfouie dans les profondeurs du carton brun foncé, aux angles fatigués, mais qui tenait encore le coup, après 3 transports successifs dans des conditions extrêmes. Les cahiers à couverture cartonnée dans lesquels j’ai tenu moultes réflexions matinales sont empilés sur la gauche du bureau. Leur présence me laisse perplexe, c’est le moins que je puisse dire. Il faudra que je sache comment ils ont atterri à cet endroit, comme par enchantement. Quand je vous dis que les greniers sont propices au mystère, ce n’est pas de la fiction, c’est au contraire bien réel, voyez-vous. Le meilleur moyen d’y comprendre quelque chose, c’est encore d’essayer d’examiner le contenu de ces cahiers. Voyons donc, je prends le premier qui me tombe sous la main, soit le premier sur la pile, couleur bleu foncé, une écriture relâchée, voire un peu brouillonne par endroits, une numérotation régulière en haut à droite de chaque page, un lieu, la date du jour…

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Commentaires (1)

Webstory
28.01.2021

Cher Thierry Villon, enfin un langage non adapté à certains réseaux, même pas utile de rajouter "sociaux". Seul le webwriter-écrivain peut se permettre d'être authentique, comme les artistes, les poètes et les créateurs. Ecrire, c'est le souffle de vie qui pulse de l'oxygène! Merci pour ce billet d'humeur!

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