Présentation

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Donc, il ne suffit pas d’écrire pour avoir quelque chose à dire. Je pourrais bien évidemment me mettre à décrire l’endroit où je me trouve, pour que vous puissiez vous faire une idée précise. Voilà, je commence un vaste mouvement de panoramique. Devant moi, l’écran du portable, grosses lettres à l’écran pour ne pas me fatiguer les yeux (silence, le spécialiste en ophtalmologie, personne ne vous demande votre avis, ni si les lettres doivent être petites ou non) ! A ma droite, une grosse tasse couleur brun clair avec sur l’arrondi un tigre gravé ; vide la tasse, j’ai déjà bu ma tisane. Plus à droite la lampe de bureau avec son socle noir et son halogène en position douce, ensuite la bougie qui scintille… non halte là, erreur, elle ne scintille justement plus du tout, elle est éteinte, à bout de souffle. Au-delà, la première étagère pour ranger les livres. Oui, je sais on dit : bibliothèque, mais cela fait moins de mots et j’ai comme tâche de remplir cette page de mots !

 

Mes coffres de guitare maintenant : tous les 3 rangés comme des soldats prêts au combat. La Takamine acoustique, cadeau de ma chère épouse pour mon anniversaire, la Washburn, vieille compagne des temps anciens, rescapée de toutes les histoires de concert de rue et autres aventures africaines, et finalement la Fender Jazz Bass, petit bijou battant neuf, qui va me servir pour mes prochaines sessions d’enregistrement. Je peux lire dans vos yeux l’étonnement que cette révélation suscite. Oui, je fais aussi de la musique, pas seulement de l’écriture, je suis polyvalent, comme on dit. Après le canapé lit constellé de coussins, ma console d’enregistrement et ses accessoires. Quand je vous dis que je fais de la musique, vous pouvez me croire. Il y a même un micro posé en permanence sur son pied, branché pour recueillir mes moindres moments d’inspiration. Ensuite, le piano Technics, pas la place pour un vrai piano chez moi ! la porte d’entrée de cette petite chambre que mon épouse et moi avons décidé d’appeler chambre de lecture, romantique, non ? Continuons notre 360° et découvrons 2 grands armoires murales couvrant les murs du sol au plafond, une fenêtre donnant sur l’arrière de la maison, fermée à cet instant précis, vu qu’il n’est que 6 heures 30 du matin et que le froid est intense. Le thermomètre que j’ai par ailleurs oublié de vous décrire, indique une température de 8° sous zéro (vous pourrez vérifier, nous sommes le 26 novembre 2005). Après ce tour du propriétaire, je vais vous demander de bien vouloir vous rasseoir, pour que je puisse continuer mon travail. Il y a de la place sur le canapé-lit. Oui, nous avons choisi un canapé transformable prévu pour les amis et pour l’heure il n’a pas beaucoup servi. Non, que nous n’ayons pas d’amis, mais l’occasion ne s’est pas présentée.

Maintenant que les présentations sont faites… ah ! Oui ! Elle est bien bonne celle-là… je vous présente tout le matériel, les lieux, etc. et j’oublie le bonhomme qui tape sur le clavier, appelé communément : l’écrivain, l’auteur, le faiseur de mots, ou autre, c’est vous qui choisirez. Le cheveu hirsute à cette heure matinale, enveloppé dans une robe de chambre en tissus éponge vert tendre. J’ai gardé mon pyjama, au cas où ce moment d’écriture m’aurait donné sommeil ! Je vous rassure tout de suite, c’est assez rare. 1 m 85, peau mate, cheveux bruns bien plantés, la quarantaine, sourire éclatant, je… excusez-moi, il y a erreur. Oubliez cette dernière phrase je vous en prie. Cela ne va pas du tout avec ce que j’ai écrit précédemment. Je reprends donc et j’avoue avoir une cinquantaine d’années et habiter un tout petit village au beau milieu de l’Europe. Bien informés comme vous l’êtes, vous savez que le centre parfait de la communauté européenne, n’appartient justement pas à l’Europe. C’est tout simplement la Suisse qui traîne les pieds pour se mettre au diapason des autres pays environnants. Elle a ses raisons, la Suisse, et surtout ses habitants qui ont quelque chose à dire sur la question. Dans mon pays, en effet, à chaque fois qu’il faut décider de quelque chose, on consulte le peuple, on organise un référendum. Cela va du prix des pommes de terre à l’élargissement de l’assiette de référence de la caisse de pension des personnes âgées, en passant par les heures d’ouverture des magasins durant le week-end. Cette parenthèse politique refermée, je reviens à mon tout petit village, dans un tout petit pays, entouré de vastes contrées pour la plupart explorées et cartographiées. J’y suis bien, les montagnes au loin sont couvertes de neige depuis le jour précédent, les routes ont été rapidement déneigées comme il est de coutume par ici. Je m’assieds chaque jour pour écrire, mais aujourd’hui, j’ai choisi de VOUS écrire, ce qui est très différent de l’ordinaire mission simple que je me fixe de passer un moment à ma table d’écriture, pondre 3 pages de tout ce qui me vient à l’esprit et ensuite aller soit prendre mon petit déjeuner, soit me recoucher, soit quitter ma maison pour une nouvelle mission plus importante, mais chut, cela ne regarde que moi. J’ai bien droit à une vie privée comme tout le monde.

 

Quoique ! au vu des innombrables émissions télé réalité, dans lesquelles Monsieur et Madame tout le monde, jeunes et aînés, viennent dans la lumière, j’en suis à me demander si les personnes normales s’imaginent qu’il leur faut brader leur anonymat et sacrifier leur vie privée pour avoir l’impression d’exister. Au moins une fois, voir les projecteurs se braquer sur eux, les micros s’ouvrir tout grand pour recueillir leurs paroles et l’œil de la caméra commencer une relation quasi sensuelle avec l’image sublimée de leur personne, c’est le rêve qui devient « réalité ». Sauf que la réalité réelle, ce n’est pas la télé réalité qui n’est qu’une mode comme une autre, donc éphémère par essence. Que vont-ils devenir, lorsque la lumière sera éteinte, que la mode aura changé, qu’ils seront retournés à leur vie ordinaire, qu’ils auront fait le tour de la question, sans y trouver une quelconque réalité qui puisse leur communiquer autre chose que l’impression factice d’exister ? je pose la question, réponde qui pourra… A cet instant précis, nous devrions voir se lever et sortir de l’ombre un homme grand, costard impeccablement coupé, sourire carnassier, phrasé sans défaut pour nous expliquer à nous mortels ordinaires, ce que nous devrions avoir à penser, à croire, à faire. Mais heureusement pour vous, vous vous rappelez que je vous avais demandé de vous asseoir près de moi, sur ce canapé, oui c’est sur le canapé et non pas dans le canapé, il n’est pas prévu pour se vautrer, mais au contraire pour être bien installé, en position d’écoute.

 

Ecouter l’autre, c’est une très belle idée ! J’en conviens, mais qu’auriez-vous à me dire, si vous n’étiez que vous, avec votre expérience ou inexpérience, avec vos ratés et vos réussites (allez n’essayez pas de me faire croire que vous avez tout réussi !), avec votre vie qui s’écoule, avec vos espoirs qui s’amenuisent, avec vos égos qui se gonflent, avec vos corps qui vieillissent tous les jours, 24 heures sur 24 ? que pourriez-vous bien me faire avaler comme couleuvres, après toutes celles que j’ai déjà eu de la peine à faire passer ? il est vrai que l’écoute c’est plutôt le domaine des psy (chiâtres ou chologues), des curés, des infirmières, des assistantes sociales, des grandes âmes charitables. Mais en dehors de ces catégories de spécialistes, chacun désire surtout être écouté, entendu si possible. Je vous passe les détails et je continue mon solo. Je soliloque et vous écoutez si vous en avez envie.

 

Sinon, merci de me le signaler, car si je peux m’économiser de la peine, je ne dirais pas non. Depuis tout ce temps passé à écrire dans toutes sortes de positions, avec des outils aussi différents qu’un crayon de couleur ou qu’une machine à écrire. Cela peut vous sembler extraordinaire que j’aie pu taper à la machine, n’est-ce pas ? et pourtant, bien que cela ne se remarque pas trop, je viens du siècle dernier, même du dernier millénaire ! donc, à cette époque héroïque de mes 17 ans, j’avais commencé mes premiers écrits, excité comme je l’étais par des proses de toutes sortes que j’absorbais comme une éponge : Sartre, Céline, Zola, Giono, Jules César, Miller, et un auteur dont j’ai oublié le nom, dont j’aimais le style hyperréaliste, qui jouait du saxo à St-Germain des Prés, dans l’immédiat après-guerre. Cela me reviendra. Pour l’heure, je ne vais pas vous casser les pieds avec mon passé. Juste pour terminer sur cette histoire de premier livre à 17 ans, j’avoue que j’ai pris une décision très difficile au bout de la 20ème page. J’ai admis que j’avais plus besoin de vivre que de raconter ce que je n’avais pas vécu. Dont acte… l’histoire de Sabigny, réceptionniste d’un grand hôtel international de Genève, s’est stoppée net. La Remington paternelle a été rangée dans son placard pour n’en plus jamais ressortir.

 

Moi, j’ai vécu tout ce temps, appris un jour à utiliser un ordinateur, continué à aimer écrire à la main. Ah ! vous n’imaginez pas le plaisir que je peux avoir à entendre ma plume glisser sur le papier et à sentir l’odeur de l’encre se mélanger au parfum discret de la bougie qui se consume au coin du bureau. Sentimental moi ? juste un peu, rien de trop, pensez avec toutes ces histoires d’identités masculines dont on nous bassine jour après jour, je me surveille. Un peu métrosexuel, une touche d’übersexuel, pas trop sexuel quand même, pour ne pas passer pour le satyre que je ne suis pas. Trouver le bon équilibre pour rester un homme tout simplement, représente un travail non négligeable, pour certains un travail à plein temps. J’espère que vous personnellement, vous avez déjà réussi à vous identifier vous-même, en tant qu’homme ou femme, sans avoir besoin de passer par les explications tarabiscotées des faiseurs de modes en tous genres qui nous infligent des désirs qui nous affligent, comme écrivait magistralement Alain Souchon, non pas le laitier du coin, mais le chanteur, auteur-compositeur français.

 

Je cause, je cause et pourtant vous ne dites rien, ou si peu, des petits rien, comme quoi la chambre est bien chauffée et que vous aimeriez bien, quand je le déciderai, m’accompagner pour prendre un délicieux café-croissant dans un endroit idyllique, façon carte postale, mais que rien ne presse puisqu’il n’est même pas 9 heures. Allons donc voir si c’est possible ou non d’avoir un peu d’intimité avec ma douce qui n’en demande pas tant, il est vrai !

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Commentaires (1)

Webstory
28.01.2021

Cher Thierry Villon, enfin un langage non adapté à certains réseaux, même pas utile de rajouter "sociaux". Seul le webwriter-écrivain peut se permettre d'être authentique, comme les artistes, les poètes et les créateurs. Ecrire, c'est le souffle de vie qui pulse de l'oxygène! Merci pour ce billet d'humeur!

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