Créé le: 03.11.2022
109
0
1
TU, MOI!
CHAPITRE 3
5
Ce soir, le ciel est plutôt dégagé. Du canapé, que mon maître a bien entendu, choisi avec soin, j’observe le paysage. Mes pensées se fixent d’abord sur ce canapé d’angle, dont la forme ressemble plus à un -U-, mais attention : un très grand -U-. Il est de couleur taupe ; mais je n’en suis pas certaine… En vrai, je n’ai jamais vu de taupe ! Il est bien trop grand pour le salon et il ressemble à un trône majestueux où personne ne s’assoit jamais. C’est drôle, je trouve que l’aménagement de cette maison, que je déteste tant, ressemble au sourire de Zulmiro : beaucoup trop grand pour son visage ! Par la fenêtre, je peux admirer la lune et si je plisse légèrement les yeux, je devine quelques étoiles. J’aime rêver qu’un jour, une de ces étoiles me guidera vers quelque chose de moins grand, quelque chose de la bonne taille. Je me perds dans ce magnifique paysage de nuit, d’un bleu merveilleux ; comme un tableau de Dali où les horloges du temps me sourient.
Pendant ce temps-là, Zulmiro se prend pour un grand chef de cuisine. J’ai donc le temps de me remémorer ma dernière fuite. Perdue dans mon ciel, j’ouvre à nouveau ma bibliothèque et le texte est là ; orné de peur et coloré d’échecs :
« Ce matin, j’ai décidé de m’en aller et de sortir de cette cage ! Je suis sûre de moi et la lumière de l’aube me sourit déjà … Il est tôt, le ciel m’encourage pourtant déjà à prendre mon envol. Un sourire se dessine sur mon visage et je démarre ma voiture d’un geste doux. Je roule, je roule et je m’éloigne de mon enfer, décoré spécialement pour moi par mon maître. Je pense être libre, mais ce soir, mes mains seront tâchées de sang. Je roule, il m’appelle, je roule et il m’appelle encore. Je refuse de lui répondre, je refuse de lui obéir. Que va me coûter cette escapade, cette tentative d’évasion ?
Mes yeux quittent un instant la route pour regarder cette image postée sur mon portable. C’est lui : une belle photo de son bras couvert de sang. Les tâches sont petites, juste de quoi me manipuler ! Il appelle au secours et je dois l’aider ! Encore une fois, il s’est ouvert les veines et s’est empressé d’en faire de jolis clichés… Dans cette forêt, il me crie doucement son désespoir, juste assez fort pour me manipuler !
Le ciel reste bleu, mais il ne me tend plus les bras. Je dois rouler ; entrer dans la forêt qu’il a choisie pour colorer les arbres et m’impressionner avec son tee-shirt blanc, tâché de sang, choisi exprès pour l’occasion. Il pleure, ou plutôt, il a assez mouillé ses yeux, pour me manipuler.
Tentative d’évasion échoue : je dois rentrer et soigner sa blessure ; la mienne restera sous cet arbre, tâché de sang.
Je rentre et je sais déjà ce qui m’attend… »
Tout à coup, une odeur familière me tire hors de mes souvenirs. Je souris, je connais bien la bonne odeur des plats de mon bien-aimé.
Zulmiro est en cuisine depuis trois heures, et pourtant, la Bénichon* est terminée depuis six mois. Il prépare simplement, des pâtes aux crevettes. Les crevettes ont été achetées précuites et équeutées. Mais Zulmiro aime préparer des petits plats qu’il classe lui-même très haut sur l’échelle culinaire. Il cuit une première fois les crevettes dans le beurre, puis une deuxième fois dans l’alcool, pour ensuite les faire flamber plus d’une fois. Oui, les crevettes lâchent de l’eau et le spectacle flamboyant ne prend pas toujours dès le premier essai… Puis, il assaisonne : sel de l’Himalaya, sel de fleur, sel marin, poivre noir, poivre moulu, poivre rose, piment, paprika (pour la couleur !), ail, oignons, persil, ciboulette, aneth et finalement : Zulmiro sort son morbier ! Il décide de sublimer son plat en n’y rajoutant son propre mélange d’épices. Puis, il rince, égoutte et remet sa préparation sur le feu. Il y ajoute de la crème, puis du lait pour adoucir le gras de la crème et finalement de la farine pour épaissir sa sauce trop liquide à cause du lait. Il brasse et y ajoute de l’huile de sésame pour le petit côté asiatique. Il remue et laisse reposer. Attendez, ne vous méprenez pas, ce n’est pas fini… Épuisé, il s’accorde une pause détente et tire joyeusement sur son mégot. Pendant ce temps-là, la sauce se couvre d’une pellicule jaunâtre, qui ressemble un peu, à la peau que l’on trouve sur le lait chaud, mais en plus moche.
A son retour, il recommence la parade : rincer, égoutter, remettre sur le feu et brasser. Puis, d’une voix presque mélodieuse, Zulmiro déclare, que le repas sera bientôt servi.
Mince, je vais encore une fois devoir faire croire à mon Chéri, que son plat est exquis. J’ai l’habitude de faire ceci car Zulmiro se déclare Grand Cuisinier. En vrai, je vous déconseille de lui dire le contraire… Une fois, j’ai osé dire que sa Carbonara était un peu fade. Cette parole a déclenché un spectacle digne des grandes scènes du Zénith. Les assiettes ont volé… Même la mienne m’a été retirée. Tout est passé à la poubelle et pour une fois, Monsieur a rangé la cuisine. Eh oui, puis ce que je n’aime pas, je n’ai pas besoin de manger. Ha, les spectacles, j’en ai connu tant ! Mais, je ne perds pas espoir, je vais m’en aller et cette fois, j’ai déjà prévu la date. Plus que quelques mois à attendre. Le mois de mars se termine bientôt, avril sera long et mai défilera à une vitesse que je connais bien. Le plus dure, ce sera le mois de juin. Mais après, je vais pouvoir revivre. J’éclate de rire toute seule et Zulmiro ne le remarque même pas. Il ne remarque d’ailleurs jamais la réalité de toute façon. Lui ce qu’il voit c’est ce qu’il pense dans sa tête de condamné à mort. En général, il croit en ce qu’il pense et surtout, il imagine ce que lui-même pourrait faire.
Mais oui, je ris car je sais qu’avant de revivre, je vais devoir affronter l’enfer, les abîmes et les ténèbres. Je sais que tout arrivera et que ma fuite sera plus dangereuse qu’un trek sans guide. Vous pouvez sourire, vous verrez, l’âme de Zulmiro est bien plus riche que la forêt d’Amazonie. Dans sa tête, les animaux n’en sont même pas, les arbres peuvent crier et les plantes venimeuses savent viser.
– Bon appétit mon amour.
– Merci, à toi aussi.
Le repas se passe comme d’habitude : Zulmiro plante sa tête dans l’assiette et ne la lèvera que lorsqu’elle sera vide. Son front est en suceur, Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi lorsqu’il mange, il transpire tant. Serait-ce un effort pour lui, de manger ? Ou peut-être qu’il transpire devant moi, les mensonges sont peut-être lourds à l’heure du repas. Je n’ai jamais pu supporter cette sueur nauséabonde qui coulait sur son front à chaque fois qu’il mangeait un plat. Quel que soit le menu, sauce piquante, aigre-doux, crème fouettée, baba au rhum, pizza surgelée ou tout autres aliments pouvant entrer dans sa bouche, Zulmiro transpire… C’était comme si manger était un supplice. Mais trêve de bavardage, dans ma tête ; il faut que je puisse tenir une conversation avec lui. Il faut que je trouve un sujet, sinon, il va penser que je suis fâchée et la nuit se transformera en cauchemar.
– Tu veux regarder un film ce soir ?
– Oui, bonne idée. Mais d’abord, je dois régler un truc avec Alex.
– Ha oui ? Quoi comme truc ?
Cette question était de trop ; j’avais oublié qu’un truc ne me regarde évidemment pas. Il leva la tête et me répond d’un seul mot ; que je connais bien :
– Rien !
Et le repas se termine entre sueur et silence.
A peine la dernière bouchée terminée, Zulmiro s’en va direction sa pièce favorite. Bien entendu, il ne touchera rien de plus à la cuisine. Les casseroles, les assiettes, les déchets, tout reste à sa place. Je termine son repas seule et je me mets à penser… Ma lettre d’adieu est déjà toute faite dans ma tête, je n’ai plus qu’à l’éditer.
Bien évidemment, vous aurez compris que le film ne sera pas au programme ce soir. Du moins, pas en amoureux…
Après avoir terminé de ranger la cuisine, je m’installe sur le canapé. Vous vous souvenez, ce canapé bien trop grand pour notre salon… Je suis fatiguée et mes yeux se ferment tous seuls. Mais tout à coup, juste avant que mon esprit ne s’envole vagabonder aux pays des rêves, la porte du salon s’ouvre d’un geste plus violent que le vent qui soufflait dehors. Zulmiro est là, devant moi, et il a une idée. Il s’approche de moi sans prendre garde que je somnole et pose ses lèvres gercées et froides sur mon cou. Sans prendre vraiment conscience de ce qui allait se passer, je me retourne en marmonnant.
La pièce est à peine illuminée et les fenêtres sont fermées. Zulmiro me retourne d’un seul geste et me plaque contre le canapé. Sans me regarder, il baisse mon pantalon et dépose ses mains rêches et froides sur ma culotte.
– J’ai envie de toi, ma chérie.
Il me parle avec sa voix étrange, celle que personne n’arrive vraiment à déterminer. Est-ce qu’il crie, est-ce qu’il demande, ordonne-t-il ? Quoi qu’il en soit, je n’ai pas envie de lui et encore moins de sentir son odeur sur mon corps. Zulmiro sent un peu le fromage, comme une raclette juste cuite avec de la poudre d’ail. Je me suis souvent demandé d’où venait cette odeur… Il avait sur lui cette fragrance qui pique le nez. D’ailleurs, après ses rares douches, son produit couvrait à peine cette puanteur qui émanait de son corps. Je me suis souvent dit que son âme transpirait ce fumet nauséabond et que peut-être c’était ça, l’odeur de la souffrance. Il y a peut-être une odeur avant celle de la mort et j’aimais la comparer à celle qui embaumait mon mari.
Pour éviter l’acharnement sexuel qu’il exerce sur moi, je me lève d’un bond et je me dirige vers la salle de bain.
– Arrête, je n’ai pas envie et en plus, je dois aller aux toilettes.
Sans remonter mon pantalon et d’un pas pressé, je me dirige vers notre petite salle de bain. Je me souviens avoir jeté un œil à l’horloge, avant de claquer la porte. Il était tout juste 22h quand mes organes vitaux se sont volontairement mis sur pause. Je n’arrive pas me souvenir comment j’ai fini à terre, sur le sol froid de notre salle de bain.
Je me souviens tout de même, de ce froid glacial qui sortait de ses orbites, comme des cailloux de glace transperçant mon âme. Il s’est avancé vers moi, j’ai sûrement pensé pouvoir trouver refuge dans cette salle de bain. Mais très vite, je me suis retrouvée prisonnière entre le carrelage blanc et son corps pourri d’espoir perdu. Il me regardait, sans dire un mot, sans trembler et sans colère aucune. Aucun de ses gestes n’était le fruit d’une impulsion, aucun de ses mouvements ne semblait naître d’une perte de contrôle. Il était là, sur moi, serrant mon cou entre ses mains, en affichant ce joli sourire noirci par le diable ! Ce sourire qu’il affiche et que tout le monde reconnaît. Il serrait, il serrait et plus il serrait, plus son sourire grandissait !
J’ai juste posé ma main sur lui, sans un bruit, en le regardant de mes yeux injectés de sang. Mon visage était assoiffé d’oxygène. Et là, Il a lâché et s’est excusé : « Oh mon amour, je t’aime, pardon ! » Il a continué à serrer mon corps entier dans ses bras. J’ai pu respirer et retrouver de l’oxygène, mais j’étais toujours encerclée.
Je suis partie ce soir-là, mais il faisait froid dehors et tout me semblait vide … Je ne sais pas pourquoi, je suis retournée dans cette maison ! Il était là, assis, à fumer sa petite cigarette… Il m’a juste regardé et ses yeux étaient devenus doux. Il semblait détendu. Une seule phrase est sortie de ma bouche : « C’était quoi ça ? » Il m’a regardé, il ne se souvenait plus de rien ! Une horreur s’est passée et elle s’en est allée comme le passage furtif d’un arc-en-ciel. Pourtant, mon cou portait les marques violette de son emprise sur moi. Mais le prince a parlé :
« Ma chérie, vient dans mes bras ! »
Ce soir là encore, je dormais à côté de celui que j’aimais assez, pour le laisser me faire danser entre le ciel et la terre !
Lire le chapitre suivant
Commentaires (0)
Cette histoire ne comporte aucun commentaire.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire