Créé le: 03.11.2022
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TU, MOI!

Auto(biographie)

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© 2022-2024 SILA

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CHAPITRE 2

4

Ce matin, c’est la lueur du soleil qui me réveille. Le mois de mars commence à peine et les journées sont déjà magnifiques. Cette année, le temps est clément, mais l’ambiance l’est bien moins. Le COVID a quitté la Chine, puis l’Italie. Il est aujourd’hui à nos portes, mais je m’en moque. Les rayons du soleil s’installent au creux de mon visage afin d’éveiller mon joli sourire. J’ouvre les yeux, d’abord le gauche, puis le droit et d’un bond, je sors de mon lit. Le lit est grand, confortable et pourtant, il dégage une odeur immonde. Il est humide et il sent le pourri. Je souris en donnant cette description de mon lit car étrangement, il ressemble à ma vie. J’adore rigoler et ce que j’aime le plus, c’est mettre de la dérision dans ma vie. Je préfère en rire et pourtant, je sais ce qui s’est passé là-bas.

Ce matin, derrière ses rideaux gris, le soleil brille et les oiseaux chantent ; une de ces belles journées que les gens adorent. J’hésite un peu avant de sortir de la chambre. J’attrape ma boîte de « Cipra » et je prends mon courage à deux mains.

 

– Bonjour Chéri ! Tu vas bien ? Bien dormi ?

Il me regarde, avec ses grands yeux cernés de noirs et me répond, comme bien souvent, d’un silence lourd, sombre et pourtant si bruyant. Ce silence résonne si fort en moi qu’il paralyse à chaque fois, chacune des cellules de mon corps.

– Ça ne va pas ? Un souci ?

– Quoi ? Pourquoi tu me demandes toujours ça ? Ce n’est pas parce que je ne parle pas que je vais mal. Et Zulmiro s’en va.

Zulmiro n’est pas très grand ni très imposant d’ailleurs, mais son charisme est tellement énorme, même démesuré, qu’il envahit tout l’espace. Ses yeux son noirs et son regard est plutôt indescriptible. Je me souviens de notre rencontre, de l’amour que je lui portais. Un désire intense, comme une espèce de fascination, rongeante et malsaine. Aujourd’hui, c’est autre chose que je ressens… Je préfère penser à mon présent et pour le moment, je laisse le passé derrière moi. Un jour, je dirai tout, un jour, j’expliquerai tout. Je me laisse même à rêver qu’un jour je pourrai m’exprimer. Mais pour le moment, je dois penser à moi. Je me demande souvent comment je vais faire pour m’échapper de cette belle cage de plastique que mon maître m’a construite. Je souris et je mets des images amusantes sur cette relation que je ne juge même plus. Je sais pourtant ce qui s’est passé dans cette maison, mais je le range bien au fond dans ma mémoire.

 

Zulmiro est en bas, il s’adonne à sa passion, sa grande passion : fumer et regarder son téléphone portable. Le temps passe et cela fait plus de deux heures maintenant que j’attends de connaître le programme de la journée. Je me prépare, range la maison et je lui envoie même quelques sms. Oui, nous avons l’habitude de communiquer par texto et cela même lorsque nous sommes dans la même pièce. C’est amusant, oui ; ça peut… Mais parfois, ces messages sont la simple et pure préparation de ma mise à mort.

 

Lorsque Zulmiro revient, il m’énonce le programme de la journée : Ranger un peu, faire quelques courses et ce soir, un bon repas pour nous deux. Il sourit avec ce sourire qui est bien trop grand pour son visage. Son sourire prend toute la place et tout l’espace de son visage ; il fait peur et j’aime le comparer à celui du « Joker ». Mais bon, je préfère le sourire du Joker, aux yeux noirs et vides de l’abîmé… Oui, je l’appelle aussi « l’abîmé », mais que dans ma tête.

 

– Ok Chéri, et tu penses partir vers quelle heure ?

– Quand je serai prêt !

 

Je sais d’avance qu’il ne sera pas prêt avant minimum deux heures… Ce matin, je l’ai observé et j’ai bien compris qu’il n’avait plus de quoi fumer.

Zulmiro était beau lorsque je l’ai rencontré, il y déjà de cela presque dix ans. Aujourd’hui, il est fade, sa peau est comme grasse et la douche ne lui donne même plus cet air de fraîcheur. Il est chauve. Avant, j’adorais ça, mais aujourd’hui, je vois la sueur s’échapper et couler sur son crâne tâché, bien trop brillant. L’homme que j’avais connu est toujours le même, il a besoin de fumer, de se sentir exister à travers son nuage de faux bonheur. Il a besoin d’apaiser son âme ; peut-être même, d’y mettre un peu de couleurs. Il en a toujours eu besoin, mais je l’aimais. Aujourd’hui, je le connais bien et je comprends d’ailleurs pourquoi il a tant besoin de cela. Sa tête n’arrête jamais de réfléchir. Il réfléchit sur tout ; même sur l’épaisseur de mon trait d’eyeliner. Un jour, Zulmiro a passé plus de deux heures à me questionner, sur la raison de ce changement de maquillage. La seule raison de ce changement était le hasard, le manque de rigueur ; mais Zulmiro en avait décidé autrement. Selon lui, je devais sûrement le tromper… A ce moment-là, j’éclate de rire et je décide d’aller tuer le temps sur la terrasse de cette maison que je déteste tant. Je prends mon café, mon paquet de cigarettes et je m’installe loin de lui. Je ferme les yeux et décide d’écrire dans son âme. Souvent, dans ma tête, je chante des lettres, pleure des mots et hurle des phrases :

 

« Enfant déjà l’on vous conte de belles histoires de princes charmants, mais personne ne vous parle de lui…. Pourtant, il existe, ce prince charmant que personne ne souhaite rencontrer !

Il faisait beau ce soir-là, c’était un de ces jolis soirs d’août qu’on aime tous. Mon cœur papillonnait et mes mains tremblaient, comme si j’allais, avant même de le rencontrer, tomber gravement amoureuse. Nos regards se sont croisés et mon cœur a perdu pieds. Il a posé ses mains sur moi et directement, j’ai compris que je ne serais plus jamais la même. Je suis tombée sous le charme de ce prince charmant ; il ressemblait étrangement à celui des contes que ma maman me racontait, le soir au couché. Il était beau, solide et il savait, avant même que je le lui dise, ce que j’aimais. Mon cauchemar a ainsi commencé, par cette belle rencontre remplie d’amour. J’ai été sienne et il a fait de moi sa marionnette. Plus les années ont passé et plus je périssais dans cette cage envahie de cœurs rouges, à ne plus me laisser souffler. J’ai perdu ma famille, mes amis, mes envies et mes rêves. Je vivais sa vie, ses rêves et ses projets. Je n’étais plus que son miroir où il aimait se regarder. Parfois, il frappait si fort que le miroir se brisait et parfois, il le glorifiait si fort que chaque fissure se comblait. Très vite, le miroir ne renvoyait plus qu’un seul reflet : le sien. Ses mots, ses caresses, ses câlins, plus rien ne ressemblait aux contes de mon enfance. Il faisait de moi tout ce qu’il voulait, et je l’aimais assez pour le laisser faire. J’ai pardonné l’impardonnable et même le pardon n’était finalement plus qu’une illusion. Je suis très vite devenue sa vie et je ne me voyais même plus dans le miroir le matin seule, à mon réveil. Je l’aimais assez pour me laisser disparaître. Je l’ai laissé grandir à travers moi, je l’ai laissé briller à travers moi et je le laissais se construire de mes ruines. Il était ce prince charmant que personne ne souhaite rencontrer, si beau et si noir à la fois. Il était ce prince charmant qu’on ne quitte pas, ce prince qui nous offre tout et qui donne aux âmes en ruines une beauté d’exception. Mon monde si gris, si sombre brillait de son amour ; un amour qui vous noie et vous sauve droit derrière, un jeu du foulard sans fin… »

 

Tout à coup, la porte d’entrée claque et je sors, d’un bond, de mes songes. Mes songes sont une magnifique bibliothèque ; j’y range les livres de ma vie. J’en ai plusieurs : « Le combat de mon enfance », « La danse de trop », « Le sapin de Noël », « Sa forêt à lui », et bien d’autres encore… Mais je les garde dans ma tête. J’aime me dire que les gens ne sont pas prêts à entendre ce qui s’est passé. Mais en réalité, c’est moi qui ne veux pas faire face à ses livres.

 

– On y va ? Tu es prête ?

– Oui, je mets ma veste et go !

 

Nous nous dirigeons tous deux vers la voiture en nous tenant la main. J’enclenche le moteur et je demande le chemin à mon cher mari. Je le connais d’avance, mais bon, je préfère m’assurer qu’encore une fois, il va falloir faire plus de 100km, aller-retour, pour faire des courses…

– Si cela ne te dérange pas, j’ai besoin de passer chez un pote. Ce serait sympa d’aller à Bienne, comme ça, on pourra faire une balade et un peu de shopping ? Je sais que tu adores cette ville. En effet, j’aime me balader à Bienne, c’est une jolie ville au bord du lac et les magasins sont sympa. Bienne se trouve dans le canton de Berne et j’y ai fait mes études. Mais bon… est-ce une raison pour partir acheter des produits frais à plus de 50km de la maison.

 

– Ha bonne idée Chéri. Ok, allons-y.

 

Il est 15h30 lorsque nous arrivons à Bienne. En regardant ma montre, je me dis qu’encore une fois, il n’y aura pas de balade ni de shopping, d’ailleurs… Encore une fois, je me suis fait avoir… Oui, dans le canton de Berne, les magasins ferment à 17h00 ; nous aurons juste le temps d’aller acheter le repas que Monsieur aura décidé de cuisiner ce soir. Pourtant, je connais ce type de publicité mensongère pour finalement venir faire les courses personnelles de mon cher et tendre. Ce n’est pas la première fois qu’il me promet une balade, du shopping et que je passerai ma journée par procuration. Bref, je tourne à gauche et je me garde en double file.

 

– Ne fais pas trop long, s’il te plaît.

– Non ne t’inquiètes pas, je monte et je redescends.

 

Je recule son siège et je m’installe dans ma bibliothèque intérieure. Je sais d’avance, que je resterai de longues minutes à l’attendre dans la voiture. Je ferme les yeux et je lui écris. Je lui confie l’un de mes plus macabre souvenir. Je sais qu’il ne lira jamais en moi et j’en profite pour lui dire :

 

« Ce matin, je me suis réveillée dans un endroit que je ne connais pas. Je ne sais pas, je n’ai jamais vu ce lieu ni même ressentie cette atmosphère… Dis-moi, je suis où ? Il me semble que hier, il s’est passé quelque chose. Je ne suis pas certaine d’avoir vraiment vécue ceci, mais il me semble que hier, j’ai côtoyé l’enfer. L’as-tu, toi aussi ressenti ainsi ? As-tu, toi aussi connu l’enfer hier ? Je ne pourrais jamais répondre à ta place… Pour toi, c’était peut-être le paradis, finalement. Mais moi, je sais maintenant pourquoi ce matin, je me réveille dans ce lieu si froid que je ne connais pas.

Mon cerveau a enregistré quelque chose que tu m’as dit… Il veut me le faire entendre, mais c’est comme brouillé… Après plusieurs heures dans un silence de plomb, j’arrive à me rappeler… Tu te souviens d’hier, toi ? Je m’en souviens moi, tu m’as tué… Tes paroles se sont installées en moi comme des lames de couteau me transperçant peu à peu le cœur, n’y laissant aucun souffle.

C’est étrange, je n’ose même pas t’écrire ce que tu m’as dit ; peut-être pour encore une fois te protéger… Pourtant il va falloir que tu me regardes périr sous tes mots.

Hier, tu es entré, en passant la porte de notre appartement, j’ai vu tes yeux… Ils étaient tous rouges, encadrés de noir. Directement j’ai eu peur, je n’avais jamais, jamais vu ce visage. Tu t’es installé devant moi ; je m’en souviens, c’était à la cuisine… En me fixant, tu as commencé à me tuer à petits coups de couteau. Pas de vrais couteaux, des couteaux en forme de lettres, de phrases, de mots…

« Ma chérie je te hais, tu es le pire monstre que je n’ai jamais rencontré ! Tu as tué mes enfants, tu n’as pas pris soin d’eux dans ton ventre, tu es une merde… » Et tu as continué, encore plus fort et plus profond : « Depuis ce jour, je ne t’aime plus, tu es devenue noire à mes yeux. Va regarder dans les WC, il y a peut-être encore le bébé que tu as jeté ! Je te hais pour la vie car tu es une mère ignoble, une mauvaise personne. D’ailleurs, tout le monde te déteste : ta famille, tes parents, ma famille, tes amis et surtout moi… Tu n’es pas un humain ! Lorsque je te regarde, j’ai envie de vomir, tu me dégoûtes, je ne sais pas comment j’ai pu te toucher un jour… Tu es tellement moche, affreuse, tu as des cicatrices partout sur ton corps et tu dégages une odeur de mort immonde. Tu es tellement laide que plus personne ne te touchera jamais et si j’étais toi, j’irai me faire refaire la face. » Eh oui mon cher, c’est ceci que tu m’as crié à l’oreille. Tu t’en souviens ? Te reconnais-tu ? Oseras-tu te dévoiler ? Non, je pense que non, tu n’as rien fait… Tu t’es uniquement défendu de moi… Qu’elles sont belles tes paroles, que ton honneur est grand…

Mais je sais, tu n’as rien fait… »

 

D’un coup sec, je sors de ses pensées, il est là, avec son sourire trop grand pour son visage. Il entre dans la voiture et ne remarque même pas que je suis tout juste redescendue d’un nuage d’horreur. Il s’installe et me demande même de me dépêcher. Évidemment, il se fait tard et les magasins vont fermer. Je démarre la voiture en me demandant comment me débarrasser de ce parasite qui m’empêche de vivre ma vie. Je le sais, nous ne sommes pas du même monde ; où plutôt plus du même monde. J’ai construit ma vie malgré mon enfance, j’ai étudié et j’ai tenu, avec soin, l’organisation de ma vie. Lui… Comment dire, il vit au jour le jour ou plutôt au crochet de Madame. Il est plutôt minable et sa vie est loin d’avoir une quelconque organisation. D’ailleurs, j’adore en rire. Mais trêve de rêverie, il faut profiter du moment présent. Zulmiro est gentil en ce moment, et je dois en profiter.

 

– Ma chérie, ça t’embête si je fume dans la voiture ?

– Non, non, vas-y.

 

Pourtant, nous savons tous deux que je déteste ça… L’odeur est amère et la fumée me pique les yeux. J’ouvre les fenêtres pour inhaler un peu d’air et je ne dis rien. Je ne préfère pas contrarier mon bien aimé. A mon habitude, je lui réponds et parfois je me défends, mais pas à chaque fois. Si je devais m’affirmer à chaque fois, les combats ne s’arrêteraient jamais et croyez-moi, les combats sont réels et puissants. Nous ne nous disputons pas, nous nous tuons avec des mots, des phrases et parfois les coups viennent apaiser le combat.

 

Il est maintenant 17h00, les courses sont faites et nous reprenons le chemin du retour. Entre la fumée qui n’a jamais cessé d’embaumer le véhicule, la musique et l’odeur piquante que dégage Zulmiro, j’étouffe, mais… je ne dis rien. Seule dans ma tête, je planifie mon voyage, ma fuite, mon départ… Je ne sais d’ailleurs pas encore comment nommer ceci. Mais, c’est pour bientôt.

 

Il y a quelque temps, j’ai déjà tenté de fuir et je me souviens de l’enfer que j’ai vécu. Je suis d’ailleurs rentrée, je n’étais guère prête à affronter cet enfer. Au rythme de la musique, je me mets à compter : une fois en 2012, une fois en 2013, une fois en 2015, une fois en 2017, une fois en 2019… Mais je m’arrête, je ne suis même plus certaine des années…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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