Chapitre 1

1

Et si le Théâtre-Guignol pouvait se révéler magique...
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Personnages :

Guignol

Le gouverneur

Le chef de village

Le policier

 

ACTE I

 

GUIGNOL, passe à côté d’une voiture rouge.

Quelle belle voiture électrique ! Je me demande à qui elle appartient. J’ai bien envie de l’essayer.

Il tente discrètement d’ouvrir la portière

LE GOUVERNEUR

Qu’est-ce que vous faites ? C’est ma voiture !

GUIGNOL

Quelle chance de posséder une voiture américaine pareille ! Vous m’emmenez faire un tour, même si je n’ai pas besoin d’un taxi ?

LE GOUVERNEUR

Ça dépend du « deal » qu’on fera ensemble.

GUIGNOL

Seriez-vous intéressé à ce que je vous emmène sur des terres rares ?

LE GOUVERNEUR

Formidable ! Allons-y ! Et si le « deal » me convient, je vous offre la voiture. Je veux d’ailleurs m’en débarrasser, car elle m’a été donnée par un traître.

GUIGNOL, prend le volant

Les terres rares se situent dans le désert, hors de la ville. Elles appartiennent à de faibles indigènes sans le sou. Ils n’ont pas les moyens de vivre sur leur sol, alors que la fortune se cache sous leurs mocassins.

LE GOUVERNEUR

C’est parfait. Mon programme c’est < fore, « baby », fore>, pour que le pays soit fort, à nouveau fort.

GUIGNOL

Nous sommes arrivés. Je vais vous présenter au chef du village, Œil-de-Lynx.

LE GOUVERNEUR

Quel chef ? Je suis l’unique chef ici, car je suis le seul à avoir toutes les cartes en main.

LE CHEF DU VILLAGE

Monsieur le gouverneur, vous foulez la terre sacrée de nos ancêtres. Ils ont su comment trouvez de l’eau sur une terre aride, parler aux oreilles des chevaux, chasser le bison. Nous avons aussi appris à écouter la nature, à entendre ses gémissements, à faire ce qui est bien pour elle et pour nous. Il y a quelques semaines, des voix se sont élevées du sous-sol. Elles nous indiquaient qu’un homme puissant cherchait des terres rares, et qu’il les trouverait ici.

LE GOUVERNEUR

Alors « deal » ! On commence à forer demain. Vous deviendrez immensément riche grâce aux terres rares ou à l’or noir. Et puis, au cas, peu probable, où il n’y aurait ni terres rares, ni pétrole, ni gaz, je pourrai quand même construire un golf pour les grands de ce monde.

LE CHEF DU VILLAGE

Mais vous n’êtes pas chez vous, puissant visage pâle ! Nous vivons ici de génération en génération depuis 15 000 ans. Votre race, en revanche, n’est présente que depuis moins de 250 ans.

LE GOUVERNEUR, fâché

« Fake news ! ». Votre peau a la couleur de celle d’un immigré d’Amérique du Sud entré illégalement sur notre territoire en longeant le golfe d’Amérique. Eh oui, j’adore les golfs (es) dans tous les sens du terme. Assez bavardé : j’ordonne votre expulsion. J’appelle immédiatement la police.

LE POLICIER, empressé

Vous m’avez convoqué, gouverneur ?

LE GOUVERNEUR

Oui. Passez les menottes à cet individu ! C’est un immigrant clandestin à peau rouge qui doit être expulsé sans délai.

LE POLICIER

Pour quelle raison ?

LE GOUVERNEUR

Grave diffamation à mon égard, donc aussi envers les Etats-Unis d’Amérique.

GUIGNOL, sort son bâton caché dans son dos

Holà ! Du calme. Sinon je tape dans le tas.

LE POLICIER, au gouverneur

J’arrête aussi ce guignol ?

LE GOUVERNEUR

Non, pas encore. Je le convoquerai d’abord dans mon bureau ovale pour parler de terres rares, et accessoirement de paix. Le monde entier doit savoir qu’il n’a pas les cartes en main.

GUIGNOL

Allons les amis, discutons calmement. Monsieur le gouverneur, vous admettrez qu’expulser les descendants des premiers habitants de ce pays n’est pas une idée géniale. C’est indigne de la plus grande et de la plus forte Puissance du monde.

LE GOUVERNEUR

Ne dites pas n’importe quoi ! C’est vous le guignol, pas moi. Lorsque je dis ce qui me passe par la tête, les gens pensent que je suis fou. En réalité, ce ne sont pas mes idées qui comptent, mais le fait qu’elles vont être immédiatement diffusées par tous les médias à ma solde. Elles font le buzz. Vous connaissez tous le principe du bâton dans la fourmilière. C’est simple et très efficace. J’adore l’utiliser. Tout le monde s’agite, et après on peut commencer à discuter avec un rapport de force largement en ma faveur. Guignol, vous avez un bâton, mais le mien est mille fois plus gros.

GUIGNOL

Sachez que mon bâton n’est jamais planté dans une fourmilière. Il sert à taper sur les méchants pour défendre les gentils. Cela fait toujours rire les enfants. Quant à moi, cela ne m’amuse guère, car, au fond, je suis non violent. Ce bâton a toutefois une autre fonction, magique celle-là, que vous découvrirez plus tard. En attendant, je vais vous raconter une histoire.

LE GOUVERNEUR

Cela ne m’intéresse pas. Et puis j’ai soif !

GUIGNOL

Ca tombe bien. J’ai une excellente source, de La Fontaine, à vous offrir.

LE GOUVERNEUR

De l’eau ! Ne me vexez pas car, comme vous le savez, les conséquences seraient terribles pour vous. Je veux et j’exige du Coca Cola garanti d’origine, à base de sucre de maïs.

GUIGNOL

Très bien, cher et excellent gouverneur, Maître du monde, roi des Amériques et du Groenland. Permettez toutefois, le temps que le policier vous apporte votre Coca, que je vous raconte une histoire.

LE GOUVERNEUR

Ok, mais soyez bref ! J’attends un coup de fil de mon ami Benjamin, futur directeur du club house et golf cinq étoiles de la Riviera Gaza. 18 trous dans le sable : ce sera le premier golf de ce type au monde. Et pas de risque d’ensablement trop important de la balle, car le sous-sol sera pavé, à faible profondeur, d’ossements de toutes tailles.

GUIGNOL

Revenons à nos moutons, ou plutôt à notre corbeau et notre renard, héros de l’histoire.

LE GOUVERNEUR

Quels héros ? Le seul héros ici, c’est moi !

GUIGNOL

Très bien votre Excellence ! Disons qu’il s’agit de personnages, ceux de La Fontaine.

LE GOUVERNEUR

Vous n’allez pas recommencer avec votre eau !

GUIGNOL

Non. Je parle de Jean de La Fontaine, un auteur français qui a écrit des fables.

LE GOUVERNEUR

Petit impertinent au bâton ridicule ! Je suis le seul ici à pouvoir raconter des fables auxquelles les gens croient. J’ai promis la paix en 24 heures et une baisse du coût de la vie grâce à des taxes d’importation. Il suffit de dire que ce sont MES bonnes idées pour que les gens soient d’accord. De fidèles amis économistes renforcent la thèse selon laquelle augmenter massivement les prix des produits provenant de l’étranger diminue les prix aux Etats-Unis et améliore le pouvoir d’achat des Américains. Un vrai miracle !

GUIGNOL

Cher et excellent gouverneur, Maître du monde, roi des Amériques et du Groenland, permettez-moi, tout de même, de conter la fable du corbeau et du renard. « Maître Corbeau, sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l’odeur alléché, lui tint à peu près ce langage… ».

LE GOUVERNEUR

Ca suffit ! Vous m’ennuyez avec votre histoire. Allez directement à la conclusion !

GUIGNOL

Ok. Le renard se prosterne devant le corbeau et lui fait de grands compliments. Le corbeau, fou de joie, commence à chanter et à danser sur la mélodie d’YMCA. Il lâche alors le fromage.

LE GOUVERNEUR

Et alors ?

GUIGNOL

La morale de l’histoire est : « Mon bon Monsieur, apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ».

LE GOUVERNEUR

Je n’ai rien compris à cette fable. Il va de soi que je suis le corbeau, le plus beau, le plus fort, celui qui chante le mieux.

GUIGNOL

Sans doute. Mais qui gagne à la fin ? Et pourquoi ?

LE GOUVERNEUR

Vous m’embrouillez avec vos questions. Passons aux choses sérieuses. Je suis venu ici pour les terres rares. Policier, allez chercher le chef du village ! Peut-être est-il revenu à de meilleurs sentiments, et que, cette fois, il respectera la loi du plus fort.

LE CHEF DU VILLAGE, s’approche, tenu par le policier

Cher gouverneur de ce Nouveau Monde, j’aimerais vous offrir un cadeau. Otez-moi les menottes pour que je puisse aller le chercher dans mon tipi.

LE GOUVERNEUR

Ok. Mais faites vite, je n’ai pas de temps à perdre. Je dois être de retour en Floride pour ma partie de golf.

LE CHEF DU VILLAGE, coiffé d’une couronne de plumes indienne

Voilà.  Vous reconnaissez cette coiffure, je suppose.

LE GOUVERNEUR

Oui, c’est celle portée par un des membres de Village People, mon groupe préféré qui chante YMCA. Ils ont activement soutenu ma campagne électorale. Etiez-vous à Washington le 19 janvier 2025, lorsqu’ils ont chanté pour moi lors de la célébration de mon investiture ?

LE CHEF DU VILLAGE

Non, je n’étais pas à Washington, mais j’aimerais vous raconter l’histoire des gens qui portaient des couronnes de plumes dans ce pays, avant que cette tenue devienne un simple déguisement. Suivez-moi dans mon tipi, on sera plus à l’aise pour parler de cela, et aussi des terres rares.

 

ACTE II

 

LE CHEF DU VILLAGE, assis dans le tipi, en face du gouverneur

Bienvenue dans ma modeste demeure. Je n’ai pas de Coca à vous offrir, ni en liquide, ni en feuilles. En revanche, je vous propose de fumer un mélange de ma composition. Cette substance détend. Elle facilite la discussion, la conclusion de « deals », et améliorera votre handicap au golf, bien que vous ne soyez pas du tout handicapé, cher gouverneur.

LE GOUVERNEUR

Je préfère fumer des cigares, ceux de la Havane de préférence. D’ailleurs, après le Groenland et le canal de Panama, je vais reconquérir Cuba. Cette île possède une Riviera de 300 plages, au sud du Golfe de l’Amérique. Ma prochaine décision, après la prise de contrôle de Panama, sera donc de renommer la mer des Caraïbes, mer Donald. Qu’en pensez-vous ?

LE CHEF DU VILLAGE

On s’éloigne un peu du sujet. Revenons à nos bisons, comme dirait votre ancêtre Buffalo Bill, celui qui a tué dans l’œuf une Amérique qui aurait pu devenir grande. Bref, voici le calumet qui contient cette fabuleuse substance euphorisante qu’on nomme « apache », du nom de mes ancêtres, ou aussi « dance fever », pour évoquer YMCA.

LE GOUVERNEUR, tire une bouffée

Son goût est agréable, bien que cela ne vaille ni les Havane, ni le Coca. Je ne sais pas si c’est l’effet de votre « apache », car, contrairement à mon habitude, j’ai envie d’écouter mon interlocuteur.

LE CHEF DU VILLAGE, décrit la vie des premiers habitants de l’Amérique

Voilà. Une heure de discussion, sans que vous vous impatientiez, est déjà passée. Vous connaissez désormais l’histoire et la culture des premiers Américains, ces Peaux-Rouges qui vivent aujourd’hui dans la pauvreté, abrutis par l’alcool à la suite d’un génocide conduit par l’armée américaine. Génocide semblable à celui que vous soutenez aujourd’hui à Gaza. Dans votre état normal, vous me feriez arrêter et jeter en prison pour ces propos que vous auriez jugés outrageants, alors qu’il s’agit simplement de « trust news » qui devraient remplacer, dans votre esprit, les « fake news ». Je vois que la fumée « apache » commence à faire effet.

LE GOUVERNEUR, euphorisé

Fabuleux ! C’est la première fois qu’on me parle de cette manière.

LE CHEF DU VILLAGE

Venons-en aux terres rares. Vous êtes assis, en ce moment, sur des terres rares. Les terres qui ont fait vivre les Amérindiens, vos ancêtres en quelque sorte. Sans eux, vous n’auriez ni terrain de golf, ni bureau ovale, ni YMCA. Ces terres rares, pas besoin de forer pour les trouver. Elles sont là, en surface. Il suffit de les contempler et de les vénérer pour comprendre ce que signifie la grandeur de l’Amérique et de ses traditions, empreintes du respect de la nature et de l’être humain. Ah ! Votre calumet s’est éteint. Je vous en allume un autre.

LE GOUVERNEUR

Volontiers. Je me sens bien avec vous.

LE CHEF DU VILLAGE

Je peux vous le dire maintenant. Vous fumez un mélange à base de fentanyl, un analgésique qui atténue les douleurs du corps et de l’esprit. Pris à faible dose, il est sans danger.

LE GOUVERNEUR

Ok. Personne ne me l’avait dit.

GUIGNOL, assis dans le tipi

Permettez-moi de poursuivre cette conversation avec la suite de l’Histoire de l’Amérique, après les Amérindiens. Vous connaissez bien George Washington, je suppose.

LE GOUVERNEUR

Evidemment. Son portrait est accroché dans mon bureau. C’est le premier président des Etats-Unis, élu en 1789, mon prédécesseur en quelque sorte.

GUIGNOL

Exactement. Il n’était ni démocrate, ni républicain. Il avait choisi une forme de neutralité politique, pour le bien de l’Amérique. Cela change de l’époque actuelle, pas vrai ?

LE GOUVERNEUR

Ne remuez pas le couteau dans la plaie. Vous me déstabilisez avec toutes vos histoires.

GUIGNOL

Revenons à votre illustre prédécesseur. Savez-vous qui était l’un des meilleurs amis de George Washington ?

LE GOUVERNEUR

Non.

GUIGNOL

Il s’appelait Gilbert du Motier, un citoyen français.

LE GOUVERNEUR

Je suis censé le connaître ?

GUIGNOL

Et si je vous dis La Fayette ?

LE GOUVERNEUR

Ah oui. C’est une ville en Louisiane, où j’ai tenu un grand meeting, avant de largement remporter les élections.

GUIGNOL

Mais non ! Je vous parle du marquis de Lafayette, alias Gilbert du Motier. Il a servi sous les ordres du général Washington, et s’est dépensé sans compter pour fonder les Etats-Unis d’Amérique. Dépensé au propre et au figuré, puisque le don de sa grande fortune et son habileté au combat contre les Anglais, ont fait de lui l’un des pères fondateurs de la démocratie américaine.

LE GOUVERNEUR

Vous m’en apprenez des choses ! Je ne savais pas que c’est grâce à l’esprit révolutionnaire français, soufflé à l’oreille de George Washington, que l’Amérique a été fondée.

GUIGNOL

Ce n’est pas tout. Vous connaissez sans doute la Statue de la liberté, à l’entrée du port de New-York ?

LE GOUVERNEUR

Bien sûr. Mais, si mes souvenirs sont exacts, je ne l’aime pas. La principale liberté c’est la mienne, pas celle des autres. Enfin, c’est ce que je pensais avant de fumer votre « apache ».

GUIGNOL

Savez-vous que cette statue est un cadeau de la France ? Elle contient une armature métallique créée par le constructeur de la Tour Eiffel. Souvenez-vous ! C’est la tour que vous avez aperçue au loin, lorsque vous étiez invité à l’inauguration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, monument à la grandeur retrouvée.

LE GOUVERNEUR

J’adore vous entendre parler de grandeur retrouvée. C’est mon projet. Pourtant, j’hésite. Je ne sais plus si j’ai vraiment choisi la bonne voie. Promettre de faire cesser la guerre en Ukraine en 24 heures, exiger des taxes d’importation à la tête du client, forcer un petit pays comme la Suisse à payer des droits de douane de 39%, asphyxier son industrie pharmaceutique : je ne sais pas si c’est la bonne méthode pour devenir le roi du Monde, aimé et respecté.

GUIGNOL, en aparté au chef du village

Œil-de-Lynx, combien de temps dure l’effet de l’ « apache » ?

LE CHEF DU VILLAGE, en aparté à Guignol

Quelques heures. Si tu veux vraiment que l’esprit du gouverneur recouvre la santé, il n’y a qu’une seule solution : lui offrir un cours intensif et immersif de culture amérindienne.

GUIGNOL, en aparté au chef du village

Ok, mais on n’a pas le temps. J’ai une autre idée.

GUIGNOL, au gouverneur

Gouverneur, vous souvenez-vous de la fable du corbeau et du renard ? Elle a été écrite par un Français, au temps où les Amérindiens vivaient encore paisiblement en Amérique, car les Blancs n’avaient occupé qu’une petite partie de la côte Est ?

LE GOUVERNEUR

Oui je m’en souviens. Dans cette histoire, j’avais choisi d’être le corbeau, le plus beau.

GUIGNOL

Je crois sincèrement que vous seriez beaucoup mieux en renard. Le renard n’est pas parfait, mais il ne fait pas de grosses bêtises qui desservent son pays et le monde entier.

 

Aussitôt dit, aussitôt fait. GUIGNOL saisit son bâton magique et l’assène sur la tête du gouverneur, qui en perd son calumet de fentanyl. Son cerveau, anciennement de canard Donald grincheux et colérique, mute en renard.

Si vous pensez autrement, si vous remettez en question ce qu’on vous demande de croire… En résumé, si vous chérissez la liberté de pensée, Webstory vous recommande également Underground city de © Kurt Fidlers

 

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