Créé le: 16.06.2021
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La larme de Rhéa

Fantastique, Fiction, Science fiction

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© 2021-2025 Kurt Fidlers

Sur Deryl, le mythe de la déesse Rhéa se perpétue depuis un millénaire. Qui est-elle réellement ? Et que sont ces artefacts qui permettraient d'entrer en communication avec elle ?
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ARBORISSIAN

Aucun de ses rêves les plus fous n’aurait pu dépeindre avec autant de réalisme Arborissian.

Alors qu’elle descendait le flanc d’une colline aux pâturages gras, à dos de mornoth, un bestiau courtaud tout en laine, Tanka découvrit, effarée, l’Arbre-Mère déployer ses branches jusqu’à atteindre l’horizon et sa cime tenter de saisir les étoiles naissantes.

Embrasant le pilier du monde de Deryl d’une couleur automnale, les deux soleils ; Myrtel et Tyrel, disparaitraient bientôt derrière les montagnes crénelées de l’Isfortam, inondant la plaine d’une voûte étoilée.

Tanka, subjuguée par le paysage, resta sans voix.

— Ferme la bouche, dit Shritch, l’équarisseur avec qui elle avait fait la route pendant douze jours depuis la cité australe d’Hélion.

Le jeune garçon scrutait son amie, habillée de peaux qui révélaient sa poitrine pleine malgré son jeune âge et ses cuisses cuivrées dénudées par un short trop court, révélant le mâle reproducteur que l’avenir lui prédestinait indéniablement.

— Chut, laisse-moi l’admirer.

Le silence se prolongea puis, Tanka jeta un « Allez » à sa monture qui s’élança à l’assaut des hautes herbes, y disparaissant jusqu’à ses pattes massives.

Shritch, surprit dans sa rêverie, se rua à sa suite.

— Rappelle-moi ce que nous sommes venus chercher ici ? lança-t-il.

— Richesse, gloire…

— Mmm ouais, pas emballé… bon si le tout est saupoudré de jolies minettes, moi, ça me va.

— Pffff, rétorqua Tanka les yeux levés au ciel pour signifier l’incorrigible attitude de son compagnon de route.

Malgré sa vantardise, Shritch l’équarisseur n’était pas l’irrésistible homme que toutes les « minettes » s’arrachaient, juste un piètre conteur. Mais elle se l’avouait : Shritch la faisait rire dans ses maladroites tentatives d’impressionner. Elle l’aimait bien.

Son attention fut reportée sur l’Arbre-Mère alors que s’étalait la plaine jusqu’au pilier du monde. Et plus son mornoth avançait, plus son rêve semblait s’éloigner tant la structure enveloppait l’espace.

Noués autour de l’arbre titanesque, telles les tresses d’une chevelure aux teintes aube et blé, des villages ; ces excroissances, se concentraient en formes hélicoïdales autour du tronc et s’élevaient dans l’horizon de ses branches aussi longues et tortueuses que des rivières. De toutes parts s’échappaient les vols de drakos, ces reptiles ailés montés par les chasseurs d’Arborissian.

Le mornoth de Tanka haleta entre ses jambes. Capable de parcourir de longues distances, il devenait irritable lorsqu’on l’obligeait à forcer l’allure.

— Tu vas l’épuiser, et tu sais ce qui se passe après, lui rappela Shritch.

Tanka n’avait pas envie d’écouter, trop empressée de se tenir sous l’Arbre-Mère pour contempler son immensité.

Soudain, son mornoth pila, et Tanka, surprise, passa par-dessus l’encolure de l’animal.

L’équarisseur cria son nom, arrêta sa propre monture et en descendit lestement. Il courut vers l’endroit où Tanka avait culbuté.

Aussitôt, sa tête furibonde émergea des hautes herbes. Petite en taille, les herbes lui arrivaient au niveau des oreilles, tableau qui fit hurler de rire Shritch.

— Stupide animal ! Ici… ici j’ai dit… au pied ! brailla la jeune fille en brandissant
un index menaçant au mornoth indifférent.

De longues secondes s’écoulèrent où Tanka tenta d’imposer son autorité à l’animal puis, abandonnant, se dirigea vers lui en ruminant sa colère. Shritch remonta sur son mornoth étouffant ses rires.

Lorsque Tanka s’agrippa à son destrier, elle jeta un regard furieux à son ami.

— Je ne veux pas t’entendre.

Une fois en selle, ils redescendirent la colline sur le pas claudiquant des bestiaux.

Les soleils avaient disparu derrière les montagnes de l’Isfortam lorsqu’ils atteignirent les abords de la ville où se tenaient les festivités de la moisson.

Les habitations, dressées sur pilotis s’étendaient jusqu’aux rivages de la Drisse dont les eaux sombres frémirent sous l’apparition de la lune pâle.

Pendant les crues, le fleuve sortait fréquemment de son lit, drainant sur ses berges des anthropodes, d’immenses reptiles que la saison froide poussait hors de l’eau en quête de nourriture facile, incitant ainsi les habitants d’Arborissian à dresser des remparts autour de l’Arbre-Mère. Et derrière l’enceinte en bois s’étalait une cité où le commerce, principale source d’activités, se mêlait aux ouvriers qui travaillaient dans les champs alentours.

L’accès y était autorisé par le paiement d’un droit d’entrée, mais accéder à l’Arbre-Mère lui-même n’était réservé qu’aux plus nantis. Seuls la Confrérie de Rhéa, les prêtres qui alimentaient le culte de la déesse, la Corporation Mercari, une guilde de commerçants, et un monde hiérarchisé, logés dans les ramifications selon le statut social, avaient un droit inné d’y pénétrer.

L’extérieur des remparts accueillait pour la circonstance les commerçants venus étoffer leurs bourses durant les festivités de la moisson. Dans les champs avaient poussés des carrés de pâturages, délimités pour permettre aux mornoths d’y paître, et à leurs propriétaires d’y ériger leurs habitats temporaires.

Tanka et Shritch s’installèrent non loin des berges, plantèrent leur tente, et délimitèrent un espace pour permettre à leurs montures d’y brouter tranquillement. Une fois la tâche achevée, les deux compagnons se dirigèrent vers les portes de la ville gardées par des hommes aux larges épaules, munis de lances.

— Que Rhéa te soit propice, salua Tanka au garde de faction.

— Que Rhéa te le rende au centuple, lui répondit-il selon la formule consacrée. Pour assister aux festivités, la dîme est de trois quarters par tête…

Tanka extirpa six piécettes frappées de l’emblème de la Corporation Mercari de sa bourse et les tendit au garde qui ajouta :

— Et d’un quarter par tête de bétail.

Le rouge monta aux joues de la jeune fille qui, surprise, suspendit son geste.

— La plaine ne fait pas partie de l’enceinte d’Arborissian, s’interposa Shritch.

Le garde le jaugea avec dédain. Un sourire mauvais étira sa bouche.

— Payez ou repartez.

Tanka grommela et extirpa deux quarters supplémentaires de sa bourse, que le garde s’empressa de glisser dans son sarouel.

Les remparts franchis, les deux amis se retrouvèrent dans un labyrinthe d’habitations sur pilotis où, à chaque coin de ruelle, des marchands s’évertuaient de vendre leurs camelotes. Et à mesure qu’ils progressaient dans ce dédale, les étoiles disparurent sous les larges branches, en même temps que l’air se rafraîchissait.

Des feux, placés autour des habitations, rendaient leur cheminement plus clair. La liesse se répandait de tous côtés, des enfants se glissaient parmi la foule en riant de joie. Tanka était subjuguée par tant de beauté, d’effervescence.

Le vieux Barkis ne lui avait pas menti, songea-t-elle.

Des danseurs aux milles couleurs exécutaient un ballet gracieux sur un rythme tribal des peuples septentrionaux, alors qu’ils débouchèrent à l’orée d’une place efflanquée autour du tronc central. Des théâtres ambulants aux spectacles, tout invitait à se laisser aller, à célébrer avec les habitants la saison des récoltes.

Le souvenir de Barkis fit ressurgir dans l’esprit de Tanka la cause de sa présence à Arborissian, information qu’elle s’était gardée de révéler à Shritch.

Subrepticement, elle passa une main sur sa besace et le renflement de l’objet qu’elle contenait. Il était toujours là. A un moment où un autre, elle devrait le transmettre à Maître Arkaryas de la Confrérie de Rhéa, ordre auquel Barkis appartenait.

Elle comptait bien remplir sa mission, avec ou sans l’aide de Shritch.

Les deux compagnons se joignirent à la fête et furent attirés par les exploits d’une troupe de jongleurs cracheurs de feu, et autour desquels ils se regroupèrent.

 

LA LOI DE RHEA

Arkaryas jaugea le Mercantile.

— Vous connaissez la Loi, Bornym, trancha-t-il.

Sa voix ne trahissait aucune compassion. Il toisa l’homme qui lui faisait face.

Ventripotent, petit, et aussi superficiel que les breloques qu’il portait autour du cou, il n’inspirait que dégoût au prêtre gracile, engoncé dans sa toge pourpre frappé de l’œil de Rhéa. Son col relevé dessinait un visage allongé, percé d’yeux semblables à des fentes. Calculateur et froid, son regard pouvait se révéler de glace lorsque les circonstances l’exigeaient. Comme c’était le cas à cet instant.

Bornym se sentit brusquement petit et très seul en présence du Grand Maître.

Dans un enchevêtrement de panes, de noues et d’arbalétriers, la charpente en bois épousait la structure de l’Arbre-Mère et donnait un sentiment de grandeur à la pièce baignée par les globes luminescents, produits par les insectes claustrés dans leurs écosystèmes, et disposés aux différents endroits de la Maison de Rhéa.

Le prêtre se tenait au centre, dominait de sa taille le négociant. Celui-ci avait froid malgré la chaleur diffusée par les sphères.

Pour Arkaryas, il se dégageait de Bornym un parfum auréolé des négociations faciles, d’une certitude que chaque situation pouvait se négocier, il était comme ces insectes, songea-t-il, cloîtré dans leur univers hermétique où ils finiraient par s’entretuer faute d’air.

— Certainement Frère Arkaryas, mais je n’avais pas le choix, j’avais une dette envers
Kris Khan, contra Bornym. Et vous n’avez pas le pouvoir de condamner un marchand sans
tribunal, c’est contre les accords entre la Confrérie et la Corporation…

Sa phrase mourut tel un gémissement.

Les poils d’Arkaryas se hérissèrent. Toute cette condescendance. Il se l’avouait, les membres de la Corporation Mercari le faisait vomir. Cette plainte mesurée en était la preuve. Elle sous-entendait d’éventuelles sanctions contre lui ou la Confrérie si ses exigences n’étaient pas exaucées. D’abord on tente d’amadouer par les sentiments, ensuite, on menace.

Arkaryas n’était pas homme à se laisser mener sur ce terrain-là. Ses yeux sombres plongèrent dans ceux, fuyants, de Bornym qui recula d’un pas.

— Je ne permettrai pas que les reliques de la déesse Rhéa soient marchandées comme de simples breloques, de celles dont vous êtes habitués à la Corporation Mercari. Vous le savez aussi bien que moi, tout doit retourner au Sanctuaire.

— Mais…

— La Loi, Bornym ! gronda Arkaryas, perdant son calme devant l’insistance du
marchand.

Bornym grommela.

— Si c’est là votre dernier mot…

— Il l’est, oui. Maintenant, partez, et dites à votre caste que nul n’est censé ignorer
la Loi : les objets de culte ne se commercent pas.

Le commerçant sortit furieux sans un mot, laissant Arkaryas seul avec l’objet entre ses mains. D’un noir profond, le prêtre flatta sa surface ovale d’une main calleuse dans laquelle le mal qui déforme se répandait.

Heureusement, et grâce à son espion infiltré dans la Corporation, songea-t-il, il avait pu intercepter l’objet avant que celui-ci ne tombe entre les mains d’un collectionneur vénal.

Il traversa la pièce de réception qui émit des craquements. Un salon dans le fond servait de pièce de retraite et dans laquelle le prêtre s’engouffra. Lambrissée du sol au plafond, la chambre mansardée s’accrochait aux ramifications de l’Arbre-Mère.

Dans le plancher, Arkaryas actionna une latte qui pivota et révéla une cache secrète d’où il extirpa une boîte rectangulaire qu’il ouvrit. A l’intérieur, alignés sur un coussin, deux autres objets de même dimension et forme reposaient.

En plaçant le dernier, il ne restât plus que deux espaces de libre. Il remit la boîte aux côtés d’un livre ancien sur lequel figurait l’inscription « Uzanta Manlibro ».

 

AU SERVICE DE RHEA

Frère Koubarian œuvrait sous couverture pour son mentor, le Grand Maître de la Confrérie de Rhéa depuis plusieurs années déjà. Ses missions consistaient à dénoncer les marchands qui, fallacieusement, utilisaient le réseau de la Corporation Mercari pour négocier les objets saints de la déesse Rhéa. « Un héritage divin ne saurait être monnayé », assénait régulièrement celui qui l’avait modelé.

Confié par ses parents aux soins de l’ordre dès l’âge de dix ans, Frère Koubarian n’avait que des souvenirs lointains de sa famille. Le seul remontait au jour où, depuis la caravane qui emmenait d’autres comme lui, et que s’éloignait son enfance, ses parents étaient restés sur leur perron, figés.

C’est ce que voulait le système.

Recrutés dès leur plus jeune âge pour leurs aptitudes intellectuelles, les enfants étaient arrachés – de gré ou de force – à leur noyau familial. Qu’ils soient issus de milieux favorisés ou non, ils étaient la relève des prêtres de la Confrérie de Rhéa. Ainsi disait la Loi. Aujourd’hui encore, quand la perspective d’arracher un enfant à son foyer venait, il se revoyait, mortifié par le mépris de ses parents.

Comme d’autres, il se souvenait d’avoir beaucoup pleuré ce jour-là et les jours qui suivirent. Des premiers mois difficiles, naquirent le besoin de se fortifier, de se couler dans le moule, le temps avait cet immense pouvoir d’atténuer les blessures du passé. Mais parfois, ce sentiment de solitude revenait. Chez certains, naissait alors le désir de fuir, chez d’autres le besoin de se révolter, comme ce fût le cas de Frère Koubarian. C’est là que les coups de bâtons pleuvaient, et grâce à eux et à Maître Cendiras aussi, il apprit à courber l’échine.

Quand vint l’émancipation, lui, le meilleur élève dans toutes les disciplines, marqua le désir de prendre pour mentor Maître Arkaryas, le plus dur d’entre tous. A croire que les coups de bâtons de Frère Cendiras n’avaient pas suffis à le faire plier.

D’être au service du Maître depuis six ans offrait de nombreux avantages, notamment, celui d’aller et venir où bon lui semblait. Naturellement, on ne pansait pas si facilement les blessures du passé, et c’est, presque inconsciemment, que Frère Koubarian se mit à apprendre du monde, celui qu’il n’avait qu’esquissé dans ses manuels.

Tout d’abord, il s’intéressa au recensement de la population, car ce qui constituait une terre, l’était d’abord par les hommes qui foulait son sol. Ainsi, il s’instruisit sur le mouvement des populations de Deryl et sa géographie. Et pour une raison qu’il ne s’expliquait pas – peut-être l’enfant au fond de lui n’était pas complètement pansé – il s’intéressa à l’histoire profonde, celle qui se transmettait par la parole, les chants, et l’écriture.

Ses études le menèrent bien au-delà des manuels d’histoire dispensés par la Confrérie. Il y avait d’étranges légendes. De celles qui envisageaient la possibilité de communiquer avec la déesse Rhéa, ce qui était évidemment insensé.

Des tribus septentrionales aux zones australes, toutes recoupaient le mythe par un chant qui racontait ceci :

 

Sempiternelle Rhéa,

Ensemence Deryl de Tes enfants,

Dans Ton palais des étoiles, Tu créeras,

Un nouveau cycle de descendants,

Entretemps, rêve et attends.

 

Consterné par sa découverte, il la relaya à Frère Arkaryas qui l’encouragea à poursuivre ses investigations. Ce qu’il fit sans poser plus de questions.

Dans la cité forestière de Wooden, une région méridionale de Deryl, là où la chaleur était étouffante et l’air humide, il découvrit le premier élément clé. L’un des cinq artefacts mentionnés dans différents carnets et livrets.

Un Frère du nom de Kim-Yo, indifférent à la politique d’Arborissian, déjà avancé dans l’âge, transmit d’anciens écrits où il était question d’une « masino », et l’aida dans ses recherches. Elles furent complétées lorsque Kim-Yo lui confia un objet qui étaya ses découvertes. Un objet de forme ovoïde. L’élément fondamental qui servait à faire fonctionner un mystérieux mécanisme dans un lieu nommé « Sanctuaire » selon certains manuscrits.

Fort de cette découverte, Koubarian n’eut de cesse de rechercher les artefacts et ce lieu.

De son côté, Arkaryas constitua une gigantesque bibliothèque avec les récits récoltés par son disciple, qu’il persuada d’être investi par une quête mystique, de celle qui pourrait remettre en question la fondation même de Deryl.

Koubarian, déguisé en marchand de la Corporation, emprunta les passerelles, longea les pontons en bois, et l’espace d’un instant, entre les ramifications de l’Arbre-Mère, scruta l’effervescence qui régnait plus bas.

Il songea un instant qu’une fois l’an, au solstice d’automne, Arborissain découvrait sa splendeur aux peuples de Deryl, leur promettant richesses et débauche. Lui, il s’imaginait que ce n’était qu’un leurre de la Corporation Mercari pour s’enrichir sur le dos des honnêtes gens venus étoffer leurs bourses depuis longtemps asséchées.

Une fois au cœur de la cité où, à chaque coin de ruelle naissait un spectacle, le prêtre évita les quartiers festifs et se dirigea vers la maison d’Al-Jazred, un commerçant vicieux, banni de la Corporation pour d’obscurs raisons.

Et malgré son bannissement, le contrebandier avait toujours des bonnes affaires, de celles qui plairaient à son Maître.

 

PAS DE REPONSES SANS QUESTIONS

Une vie.

Alors que certains destinaient leurs existences à nourrir leurs pairs, d’autres, comme lui, la consacrait à découvrir l’origine d’une question à laquelle il n’avait eu, jusqu’à ce jour, aucune réponse. Cela faisait de lui quelqu’un de curieux, d’insatiable. Peut-être à l’excès. Mais Antho était ainsi. La question qui l’avait obsédé depuis l’enfance, trouverait réponse tôt ou tard, peu importe le temps et les moyens qu’il devrait y consacrer.

Au cours de sa vie, il en avait parcouru des distances. Glanant dans les villages septentrionaux, des troglodytes des déserts australs, jusqu’aux cités des forêts méridionales, des informations, des documents, et des parchemins oubliés d’un temps immémorial.

Après toutes ces années, où ses articulations lui rappelaient qu’il n’était plus en âge de conduire ces expéditions, il trouva un début de réponse dans la région de l’Isfortam, plus précisément à Lyria. Le peuple qui y vivait n’entretenait aucune communication avec la Corporation et la Confrérie, destinant son commerce aux communautés dispersées dans les vallées.

Antho y découvrit dans les archives, un livret écorné, jauni par le temps, écrit un millénaire auparavant par un certain Capt. Mark Sködeborg. Ancêtre du dialecte de la région, le langage utilisé par Sködeborg remontait à l’esperanto, la langue de Deryl, et contenait des instructions détaillées pour remettre en fonction un mécanisme de communication à l’aide de cinq artefacts.

Skjalg, l’ancien du village, avec qui Antho entretint de longues conversations sur les origines du livre, lui confia qu’un prêtre de la Confrérie de Rhéa était venu quelques mois auparavant, à la recherche des mêmes informations et en savait déjà plus que lui sur les légendes de Deryl. Fort heureusement, le vieil homme ne lui fit pas confiance quand celui-ci lui apprit qu’il servait Arkaryas, le prêtre qui arrachait les enfants à leurs foyers pour constituer sa milice personnelle. Il s’était donc gardé de lui révéler l’existence du livret.

Quelqu’un cherchait donc au même titre que lui, songea Antho.

Évidemment, il aurait dû s’en douter. Il y avait des légendes, des mythes oubliés qui courraient sur Deryl. De ceux que la mémoire efface au fil du temps. L’histoire d’un millénaire éveillait des questions et en l’absence de réponses on cherchait, comme lui, à la question qui l’obsédait depuis tant d’années.

Après avoir établi la confiance avec la communauté de Lyria, Skjalg confia à Antho le livret, ainsi qu’un des objets convoités par la Confrérie de Rhéa, et qu’il avait religieusement tenu entre ses mains lorsque l’ancien le lui avait confié, abasourdi par sa beauté, sa perfection.

Aujourd’hui, il sentait qu’il se rapprochait du but.

Ce but qui l’avait si souvent fait lever les yeux au ciel comme quand il était gamin. Cette chose impensable capable d’ébranler les plus profondes croyances, et qu’il n’osait imaginer. Cette question à laquelle il n’avait encore trouvé aucune réponse.

Qu’avait-il vu ce jour-là grâce à sa lentille de fabrication artisanale ? Quel était cet objet céleste qui traversait le ciel étoilé ?

 

LA MOISSON DES DETROUSSEURS

Tanka se souvint qu’elle était en mission. Mais comment atteindre un Maître de la Confrérie de Rhéa qui se situait dans les frondaisons, en haut du pouvoir ?

Elle ne savait pas, quand soudain, toute l’effervescence lui tomba dessus. Shritch la vit chanceler et la rattrapa d’un bond au milieu d’une foule hilare devant un théâtre burlesque où Frère Arkaryas y était dépeint avec des grandes serres et un nez crochu.

Il l’emmena à l’abri des regards, prit sa gourde et humidifia le visage de la jeune fille. Celle-ci reprit vite des couleurs, cligna des yeux, voyant le visage inquiet de Shritch.

— Tu es là ?

Il opina.

— Je serai toujours là pour toi, Tanka.

Cet aveu sonnait comme la promesse d’une vie, à cet instant, elle fut convaincue de sa sincérité. Il serait là en toutes circonstances, pour elle. Il n’y avait subitement plus d’équarisseur, de joli cœur aux boniments maladroits, et ne put s’empêcher d’être soudainement attiré vers lui. Elle sourit.

— Je sais.

Il fronça les sourcils.

— T’es sûre que tu vas bien ?

— Maintenant, oui, dit-elle en se levant grâce à la poigne de son ami.

Elle garda un instant le silence avant de lancer :

— Notre présence ici n’était qu’une excuse, Shritch, lui avoua-t-elle.

Voyant qu’elle était sérieuse, il s’abstint de lancer une de ses vannes et l’incita à poursuivre.

— Barkis m’a demandé de ramener ceci à Maître Arkaryas, sur quoi elle extirpa de sa besace l’artefact.

Voyant l’objet, il la pressa de le ranger, le regard à l’affût, et réfléchit avant d’ajouter :

— Je comprends que les festivités de la moisson n’était qu’une excuse, mais écoutes-moi Tanka : Arborissian n’est pas la cité dorée dont tu rêvais. Pendant que tu admirais tous ces spectacles, j’ai observé des trafics, des rapines faciles. Les détrousseurs agissent ici de manière organisée. Si ce que tu dis est vrai, alors Barkis jugeait cet objet d’une valeur
inestimable, suffisante en tous cas pour intéresser la Confrérie de Rhéa. Je t’en conjure, il faut remettre ceci aux prêtres, et au plus vite.

Tanka le vit subitement sous un autre angle. Jamais il n’avait fait preuve d’autant de maturité.

— Qu’est-ce que tu proposes ?

— Allons trouver un prêtre de la Confrérie et donnons-le-lui.

— Non, non, Barkis a été clair, je dois le confier à Arkaryas.

Shritch secoua la tête.

— Tu ne t’imagines quand même pas aller à l’Arbre-Mère, frapper à la porte et demander à voir Arkaryas, c’est absurde.

— Je sais, je sais…

Avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soit, surgit de nulle part, une poignée d’enfants vinrent s’immiscer dans leur giron, chantant et criant. Shritch, agacé, les chassa.

— Allez fichez le camp !

Ils crièrent de joie et s’enfuirent à peine fussent-ils apparus.

Shritch les regarda détaler, sourcils froncés. Ne venait-il pas de prévenir Tanka du danger des rapines faciles ?

— Tanka !

Glissant la main dans sa besace, elle ouvrit de grands yeux. Shritch comprit instantanément.

Aussitôt, il se précipita à la poursuite des gamins qui allaient bientôt disparaître dans la foule. Ils devaient être au nombre de six et, voyant que Tanka et Shritch se lançaient à leurs trousses, se séparèrent. D’un signe de tête entendu, les deux amis prirent chacun un groupe en filature.

Shritch était habitué aux courses à pieds, mais en ville, pendant les festivités, celle-ci s’avéra plus ardue que d’ordinaire. Il prit le parti de filer le maillon faible, celui qui aimait un peu trop la soupe. La distance qui les séparait s’amenuisait alors que le gamin, effrayé, lançait des regards par-dessus son épaule. Soudain, il disparut du champ de vision de Shritch, qui s’arrêta, et jeta des coups d’œil alentours par-dessus la foule.

Il y avait une petite allée, à l’orée d’une foule de festivaliers qui parlaient forts et étaient passablement avinés. Shritch se posta à l’ombre des regards et attendit.

Tanka avait filé deux gamines qui s’étaient finalement séparées. Mais plus vive que l’éclair, elle choisit celle qui courrait le plus lentement, et la coinça dans une ruelle sans issue.

— Rends-moi ce que tu m’as volé, menaça-t-elle en sortant un long coutelat de son ceinturon. Le petit visage ovale, parsemé de poussière, la regarda d’un air terrorisé.

— C’est Yanish qui l’a, gémit-elle.

Tanka la saisit par le col.

— Alors tu vas me conduire à lui, imposa Tanka en la poussant devant elle. N’essaie
pas de t’enfuir où je te fais la peau.

Shritch observa de longues minutes tous les environs lorsqu’il vit, deux maisons plus loin, une ombre se glisser de dessous les pilotis. Sur la pointe des pieds, il surprit le jeune garçon et le maîtrisa sans trop de difficultés.

— Voleur !

Le souffle court, le garçon tenta de se débattre quand tout à coup une hache se ficha sous sa gorge.

— Je suis équarisseur, la découpe, ça me connaît, murmura Shritch à son oreille.
Conduis-moi à celui qui m’a volé.

— Tu sais pas à qui t’as à faire, répondit-il effrontément.

— Ça m’est égal, inquiètes-toi plutôt pour ta peau, garnement.

Après plusieurs minutes à sinuer dans les ruelles bondées où aucune attention ne leur fût portée, Shritch se tint devant une maison imposante. Une cour intérieure était ceinte par une haute clôture. Ça sentait le riche commerçant.

— C’est ici qu’habite Al-Jazred, dit l’enfant.

— Tu vas m’accompagner.

Le gamin recula instinctivement, faisant non de la tête.

Au coin de la rue apparut Tanka précédée par une petite fille à peine en âge de se tenir debout.

— J’ai trouvé ça, annonça-t-elle.

— Et moi ça, fanfaronna l’équarisseur.

— Maintenant, dit Tanka en regardant la maison qui se dressait devant eux, va falloir jouer serré.

 

L’ARRANGEMENT

Antho était arrivé la veille à Arborissian.

Il avait commencé par participer aux festivités, puis, de guerre lasse, s’était laissé convaincre par un marchand habile de rencontrer son employeur qui avait toujours des objets intéressants à vendre. Cela l’arrangea, il détestait la foule.

Le type l’emmena chez Al-Jazred, l’un des commerçants les plus en vue d’Arborissian, et se retira.

Une fois dans la demeure, il y fût accueilli par un homme élancé, élégant, et mielleux qui irrita immédiatement Antho. Il détestait par-dessus tout ces bonimenteurs, ces vendeurs de rêve.

Ils prirent place dans une vaste pièce lambrissée et commencèrent à discuter affaires.

Antho se présenta comme un collectionneur et joua son rôle dans le but d’obtenir les avantages de son interlocuteur, persuadé qu’il disposait des objets qu’il convoitait. Al-Jazred écouta patiemment, les mains jointes, jaugeant la capacité financière de son client.

Frère Koubarian pénétra dans l’enceinte de la demeure. Il avait l’habitude de négocier avec Al-Jazred, ce pourceau habitué à la revente d’objets de culte.

A l’abri, derrière la façade en rondins, le prêtre surprit une discussion entre le commerçant et un homme d’un certain âge. L’évaluant, il sentit le traquenard. Il n’avait pas l’allure du collectionneur, mais plutôt celle du rat de bibliothèque dont les vêtements auraient trop longtemps trainé dans la poussière des livres. A la surprise du prêtre, l’homme sortit un objet ovoïde de sa besace, le montra au marchand, et lui demanda s’il en avait déjà vu de ce genre.

Koubarian choisit ce moment pour s’introduire par la porte-fenêtre entrouverte.

Al-Jazred, surpris, se leva.

— Que faites-vous ici, Mirmon ? Je suis en négociation avec un important collectionneur. Revenez me voir plus tard.

Ignorant sa remarque, Frère Koubarian l’interrompit sans ménagement.

— J’ai entendu votre conversation. Cet homme n’est pas celui qu’il prétend être, il
possède une chose que je veux impérativement.

Antho se leva prêt à quitter les lieux. L’affaire sentait le roussi. Mais le jeune homme le retint fermement par le bras.

— Je ne suis pas certain qu’il soit disposé de s’en séparer, intervint Al-Jazred. Il en cherche d’autres. En avez-vous déjà entendu parler de ces artefacts, Mirmon ?

Frère Koubarian jaugea l’homme.

— Bien sûr… ce sont des objets de culte de la déesse Rhéa, et leur commerce est illégal. Où l’avez-vous eu ?

Antho ne quitta pas de yeux celui qui le maintenait.

— Je n’ai pas à vous répondre, je ne vous connais pas. Par ailleurs, je n’ai pas l’intention d’en faire commerce, ce n’est pas illégal d’en posséder un qui m’a été donné, n’est-ce pas ?

Le prêtre fut décontenancé.

Soudain, la porte s’ouvrit à la volée sur quatre gamins dont deux étaient sous la menace d’armes blanches.

— Que se passe-t-il encore ? grogna Al-Jazred.

La jeune fille avait une voix forte qui le fit taire.

— Rendez-nous l’œuf que Yanish nous a volé, où nous faisons la peau à vos voleurs.

— Un œuf ? s’exclamèrent de concert Koubarian et Antho.

Shritch opina.

— Rendez-le ou périssez…

Tanka le regarda et haussa un sourcil.

— C’était bien nécessaire cette réplique ?

— Ouais, j’ai trouvé pas mal dans le contexte, rétorqua le garçon tout sourire.

Al-Jazred voulut intervenir lorsque tout à coup, un gamin d’à peine onze ans, à la tête ébouriffée, pénétra dans la pièce, un œuf en mains et s’écria :

— Regarde papa ce que j’ai…

Tanka, dans un geste fluide, lâcha son otage, saisit le jeune Yanish et pointa son coutelat sous sa gorge. Pétrifié, le gamin tenait l’objet dans sa main dont Tanka se saisit aussitôt.

— Petit voleur, tu mériterais que je t’égorge.

— Non… intervint Al-Jazred, laisse-le partir… tu as récupéré ce qui t’appartenais, alors maintenant, vas-t-en d’ici.

— Tu ne t’en iras nulle part, admonesta Frère Koubarian, ces reliques appartiennent à la Confrérie de Rhéa.

— Quoi ? dirent en chœur les protagonistes rassemblés en se tournant vers celui que tous prenaient pour Mirmon, un commerçant.

Koubarian, qui se rendait compte qu’il n’avait plus le choix, prit le parti de dévoiler sa couverture.

— Je suis Frère Koubarian. Sur ordre de Maître Arkaryas, j’ai œuvré dans l’anonymat à la Corporation Mercari pour découvrir les artefacts de la déesse…

— Vous… ? éructa Al-Jazred.

— Silence, gronda Tanka, laissez-le parler.

— L’objet que tu tiens entre tes mains a une valeur inestimable pour notre ordre…

— Frère Barkis m’a demandé de remettre cet œuf en mains propres à Maître Arkaryas.

Koubarian approuva.

Ce fut au tour d’Antho de questionner le jeune prêtre.

— Pourquoi votre Maître tient-il tant que ça à réunir ces objets ? Quel usage veut-il
en faire ?

Koubarian haussa les épaules.

— Conduisez-nous à votre Maître, Frère Koubarian, s’interposa Tanka, et nous serons disposés à lui donner l’objet.

Koubarian hocha la tête en signe d’accord et se tourna vers Antho.

— Venez avec nous, qui que vous soyez, ces reliques représentent quelque chose qui va bien au-delà de leur beauté matérielle, et je me suis laissé dire que vous aviez parcouru un long chemin pour les trouver.

Antho acquiesça. Être à la recherche de ces artefacts lui avait pris toute une vie, il serait idiot de ne pas saisir cette occasion de découvrir enfin à quoi servaient ces objets.

Ils quittèrent Al-Jazred encore secoué qui se promit de relayer ces évènements à la Corporation, peut-être retomberait-il alors dans leurs bonnes grâces ?

 

LE SANCTUAIRE

Le temps de parcourir le chemin jusqu’à l’Arbre-Mère, Antho interrogea celui qui, comme lui, s’était intéressé à l’histoire de Deryl. Après un long échange de paroles, Antho s’aperçut que le jeune prêtre en savait bien plus que lui comme l’avait prévenu le vieux Skjalg.

Il sentait cependant les failles dans l’esprit du prêtre. Être si jeune et emplit d’illusions, c’en était presque pathétique. Il comprenait l’endoctrinement qu’avait subi Frère Koubarian tant on l’avait persuadé de sa légitimité, mais il voyait aussi en lui la contradiction qui se jouait autour de ces œufs, et la remise en question de ses croyances, de sa foi, que cela pourrait lui causer.

Dans l’Arbre-Mère, tandis que Tanka appréciait la vue depuis les frondaisons du pilier du monde, persuadée que rien ne pouvait être aussi beau, Antho s’adressa à elle sans que Frère Koubarian l’entende :

— Tu as fait preuve de courage jusqu’ici, maintenant, fais bien attention, il se prépare quelque chose. Et surtout, ne donne ton œuf à moins d’y être contrainte.

La jeune fille regarda le vieillard et fronça les sourcils.

La troupe fut reçue par Maître Arkaryas dans une grande demeure qui faisait corps avec l’Arbre-Mère. Frère Koubarian se tenait à ses côtés.

— Bienvenue dans la Maison de Rhéa. Frère Koubarian m’a fait part d’une précieuse découverte. Puis-je les voir ?

Tanka exhiba son œuf et Antho, méfiant, montra le sien.

— Oui, parfait, ils sont parfaits. Bien, je crois qu’il est l’heure de faire la lumière sur ces énigmatiques artefacts. Vous le méritez tous.

Il s’éclipsa tel un serpent et revint après quelques instants avec une boîte rectangulaire qu’il posa sur la table où jonchaient papiers et manuscrits frappés d’anciens langages. En l’ouvrant, il révéla trois œufs.

Stupéfait, Koubarian s’exclama :

— D’où sort ce troisième ?

Avec condescendance, Arkaryas répliqua :

— Moi aussi j’ai été jeune, moi aussi j’ai cherché, mais j’avoue n’avoir pas été aussi persévérant que toi, mon disciple.

— Vous saviez depuis tout ce temps, et vous m’avez laissé dans l’ombre de vos découvertes.

Arkaryas opina sans sourciller.

— A quoi servent-ils ? demanda Shritch naïvement.

— C’est un moyen de communication avec la déesse Rhéa, mon ami.

Dubitatif, il répondit du tac au tac.

— Qui voudrait communiquer avec un dieu ? Ce serait idiot, non ?

Arkaryas s’esclaffa.

— Bien dit, jeune Shritch. Qui le voudrait en effet ? demanda-t-il en balayant du regard l’assistance.

Antho bouillonnait. Il ne put s’empêcher de dire :

— J’y vois clair Maître Arkaryas, mais je n’ose y croire. Avouez-le, vous n’avez pas cherché à les retrouver pour les utiliser, mais pour… les détruire, n’est-ce pas ?

Alors qu’un silence parcourut la Maison de Rhéa, Maître Arkaryas répondit :

— Vous êtes très perspicace, Antho. Vous auriez fait un parfait disciple.

— Suffisamment perspicace en effet, pour dissimuler mes aptitudes intellectuelles et ne pas me retrouver, comme Frère Koubarian, enchaîné à des valeurs réductrices où les enfants sont utilisés comme ces objets et non éduqués.

Le regard du prêtre se durcit, alors qu’à ses côtés, Koubarian parut ébranlé. Arkaryas siffla entre ses dents :

— Grâce à moi, la Confrérie a pris un essor encore plus grand que sous l’égide de mes prédécesseurs. J’ai rédigé les Lois pour protéger le peuple…

Le jeune prêtre tiqua, l’esprit parcouru d’une foule de questions.

— Dites plutôt pour l’assouvir, répliqua Antho.

— Ne voyez dans mes actions que des actes de foi, Antho. Il n’est pas souhaitable que n’importe qui puisse avoir accès à cette connaissance. Communiquer avec une déesse, ce n’est pas à la portée du simple venu. Prenez exemple sur Shritch…

Frère Koubarian, le coupa.

— Qui pourrait y avoir accès dès lors… Vous ?

— Je vous en prie mon ami, répondit Arkaryas d’un ton dédaigneux, ne soyez pas surpris, c’est l’évidence même. Même un enfant l’aurait compris.

Tanka sentait que se jouait ici une situation à laquelle sa venue à Arborissian ne l’avait pas préparée. Il fallait agir et vite. Elle tira discrètement sur le pantalon de Shritch et désigna la porte extérieure. Il lui adressa un clin d’œil signifiant qu’il avait compris.

Soudain, elle bouscula d’un coup de coude Arkaryas qui, surpris, tomba à la renverse sous les yeux ébahis d’Antho et de Frère Koubarian.

— Que fais-tu ? cria ce dernier.

— Je prends mon destin en mains, vous feriez bien d’en faire autant. Venez ! dit-elle en s’adressant aux deux hommes pétrifiés.

Puis, voyant qu’Arkaryas reprenait ses esprits, ils emboîtèrent le pas des gamins qui s’étaient, au passage, saisis du coffret aux artefacts.

Ils se précipitèrent hors de la Maison de Rhéa et Tanka commanda à Koubarian :

— Où sont les drakos ?

— Par là, désigna Frère Koubarian en projetant deux gardes dans le vide sur son passage.

Dans un enclos, ils volèrent quatre montures sans s’imaginer qu’il fallait une certaine agilité pour les chevaucher.

Des gardes, mus par les cris de Maître Arkaryas et le grabuge provoqué par la petite troupe s’élancèrent à leur poursuite.

Montés sur les destriers, le groupe s’élança dans les feuillages. Les drakos, désorientés, volèrent aléatoirement, par l’inexpérience de leurs cavaliers, mais furent cependant amadoués après quelques essais infructueux et sous les conseils de Koubarian qui les précédaient.

Après une nuit à dos de drako, poursuivis à bonne distance par la garde personnelle de Maître Arkaryas, ils arrivèrent au Sanctuaire, que Koubarian découvrit quelques mois auparavant.

Au pied de l’Isfortam, de grandes concrétions formaient un plateau calcaire qui délimitait les contreforts de la chaîne montagneuse.

L’aube n’allait pas tarder à apparaître.

Devant un large portique dissimulé dans un pan de rochers, ils descendirent de leurs montures. Shritch tenant toujours entre ses bras le coffret.

A l’entrée, il y avait l’empreinte d’une main où Koubarian apposa la sienne faisant coulisser deux panneaux dans la roche.

Au loin, le cri des chasseurs d’Arborissian se fit entendre.

— Dépêchons-nous, pressa Antho.

Ils pénétrèrent dans une large cavité aux angles travaillés par la main de l’homme, empruntèrent des couloirs qui débouchèrent sur une large salle concave constitué du même matériau opaque que les œufs. Et devant ce qui semblait être un panneau de contrôle, ils découvrirent cinq niches destinées à recevoir les artefacts. Les quatre se regardèrent dans une réflexion entendue.

Shritch ôta les trois œufs de leur socle et les glissa dans les alcôves prévues à cet effet, puis ce fût au tour d’Antho et de Tanka.

— Voyons ce qui se passe maintenant, souffla Antho, le cœur tambourinant.

Subitement, dans l’entrée des éclats de voix se firent entendre. La garde se rapprochait tandis que les panneaux de contrôle se mirent à émettre une lumière aléatoire. Et tout à coup, la voûte fût inondée de lumières clignotantes. D’étranges sphères prirent forme dans l’espace devant eux.

— C’est Myrtel et Tyrel, souffla Tanka. Et là… Deryl… c’est incroyable…

Sa phrase mourut lorsque le sol se mit soudain à trembler, à vibrer comme un tremblement de terre. Les portes se fermèrent. Ils furent plongés dans un noyau de lumières, tandis que sous leur pieds la terre vrombissait. Ils eurent la sensation de s’élever, de briser la montagne autour d’eux.

 

RHEA

Sempiternelle déesse.

Elle rêve et attend.

La larme s’écoule.

Un appel…

 

Impulsion

Synapses connectés

Message du système : réinitialisation

Fonction primaire de reboot

Activation centrale

Enclenchement

Cartes mémoires enclenchées

Système amorcé

Navette de secours en approche

… Temps astronomique… 5’662 après J.-C. …

 

Le palais des étoiles était vaste. Bien plus que l’Arbre-Mère. La demeure d’une déesse. La cité aux parois concaves, dont la perspective s’éloignait dans un enchevêtrement de métal et de verre, était baignée dans un silence de cathédrale.

Soyez les bienvenus à bord de l’Omicron, annonça une voix métallique qui emplit l’air et les fit sursauter.

— Qui… qui êtes-vous ? dit Antho.

Rhéa, intelligence artificielle, conception de Marvell Ltd.

— Vous êtes Rhéa, la divinité ?

Le concept de « divinité » ne m’est pas étranger. Mais c’est vous, les humains, qui êtes les créateurs de cette notion. Je suis l’unité centralde l’Arche-Monde, réalisée par les humains pour fuir une Terre dévastée, atomisée.

— La Terre ?

Le monde d’où nous venons tous.

— Et cette Terre, interrogea Shritch, où se trouve-t-elle ?

Une mappe en trois dimensions se figea au-dessus de leurs têtes.

Terre : distance de 13.9 milliards d’années-lumière, système solaire…

— Stop ! coupa Tanka. Rhéa, définition de « Terre ».

Et longtemps, ils apprirent ce que fût la Terre, son histoire, et le peuple qui foula son sol, qualifié par l’I.A.; avec une pointe d’humour cynique, de « désastre humain ».

— Pourquoi nous avoir conduits sur Deryl ? demanda Koubarian.

Pour un nouveau départ.

— Mais alors, pour quelle raison nous avoir fait oublier qui nous étions, d’où nous venions ?

Hésitation.

L’absence de mémoiredélestés des chaînes de votre passévous permettait de construire un monde nouveau, or, je me rends compte que dans toute votre complexitétout ce qui vous caractérise, vous n’êtes pas en mesure de vous soustraire à ce que vous êtes réellementA croire que c’est inscrit dans votre code génétique. Vous êtes si beaux, si
prévisibles et si imparfaits à la foisque c’est ce qui vous rend unique dans l’univers. C’était une erreur de vous ôter la mémoire, mais un choix cependant calculé. Aujourd’hui, vous êtes prêts à ensemencer un autre monde, pour qu’à nouveauvotre espèce se perpétue.

— Nous voilà donc « Des Astres humains », conclu Antho.

 

FIN

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