Créé le: 08.06.2020
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Une singularité

Fiction, Nouvelle, Science fiction

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© 2020-2024 Kurt Fidlers

Pour les Dissidents de la Pleine Lune, une nouvelle écrite sur le thème "Glissement de temps", ou l'histoire d'un gamer trop assidu.
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Junk était un joueur solitaire. No Life, l’œuvre ultime de l’Architecte, était son terrain de jeu favori.

Conçu en système pyramidal, No Life consistait en une pléthore de paliers. Il nécessitait de vaincre des hordes barbares de la préhistoire, des légions de zombies, ou encore de déjouer les plans de colonisation d’une planète mineure.

Après dix ans d’une lutte âpre, la Nef, conceptualisée par l’Architecte, fut à sa portée.

Junk n’était pas au bout de ses surprises, car bien que surclassé au IIème rang, il songea qu’il existât une classe I, et que la Nef n’était donc qu’un palier additionnel.

Configurée comme une cathédrale, elle n’avait de limites que celles de l’imagination. Sous sa coupole aux dimensions chimériques parcourue de brume se tenait la Triade : les trois meilleurs joueurs qui se disputaient le titre. Des avatars dont il faisait partie.

Le Concepteur leur apparut sous les traits de Maître Shifu.

Après les avoir félicités pour leurs prouesses, celui-ci leur indiqua que pour accéder au titre de joueur de classe I un unique niveau restait à accomplir. Pour cela, il leur fallait trouver l’Œil, une « singularité » née de ses travaux.

La mission consistait à mener une Arche-Monde aux confins de l’univers pour découvrir la Source.

En acceptant ce défi, nul n’avait imaginé qu’une vie entière serait nécessaire pour y parvenir, et c’est sans surprise que les deux autres concurrents abandonnèrent en chemin.

Seul rescapé, Junk, fou d’une vie de quête, mena son Vaisseau-Monde jusqu’à ce que la vieillesse le rattrape.

Et tandis qu’il chassait une chimère dans le virtuel, son monde réel devint une allégorie. Connecté en permanence à No Life, l’amas biologique relié à la machine dont le nom fut autrefois Liam, n’était plus qu’un simulacre.

 

Des bas-fonds de l’Arche-Monde aux plus hautes sphères dominées par les excroissances erratiques, la multitude constituée de plus de cinq-cents millions d’individus scrutait, fascinée derrière les remparts translucides, l’aube de son voyage.

Après un millénaire d’errance dans le vide sidéral, la promesse que les scientifiques nommaient « singularité » était là, à portée du milliard d’yeux.

Dominé par une profondeur insondable pigmenté d’étoiles, l’espace offrait une vue sur cet œil perçant le fonds de l’univers, comme si Dieu observait. Sa pupille, l’horizon des évènements, était un océan de néant qui exhortait l’observateur à détourner le regard.

Avec une ardente volonté malgré son âge avancé, Junk s’y engouffra dans l’espoir d’accéder à la Source. La Quête du Soi prenait fin.

Mais tandis qu’il embrassait le fonds de l’abîme, les ténèbres dévoreuses de temps le saisirent, et l’impression de glisser en Enfer le submergea. Comme un élastique, le temps l’absorba, et ce qui restât de Junk/Liam le plongea dans l’abysse insondable de l’éternité où il fut consumé entre le passé, le présent et le devenir.

Junk/Liam ne connut pas la Mort, il découvrit l’éternité par le glissement du temps.

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