Créé le: 27.04.2019
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Simulacre

Fiction, Nouvelle, Science fiction

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© 2019-2024 Kurt Fidlers

Dan, l'humano, est intercepté sur la base lunaire afin de subir un interrogatoire. Remerciements tous particuliers à Philip K. Dick pour sa phrase d’introduction issue de son roman : « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » et qui a inspiré cette nouvelle.
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– J’ai vu tant de choses, que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires de feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser…

Sa voix, parfaitement imitée, l’aurait fait passer pour un humain. Son élocution, ses manières, auraient pu le laisser croire, en réalité, sa façade dissimulait un faux-semblant, un simulacre.

Quelle avait réellement été sa destination ? Lui qui prétendait avoir vu la constellation d’Orion qui se situait à près de 1’350 années-lumière de la Terre, étais-ce vraisemblable ?

Une telle distance n’avait jamais été franchie dans toute l’histoire de la conquête spatiale, ni en si peu de temps.

L’officier Alexeï en doutait, et ne savait que penser de cet humano.

Sur le visage flottait un sourire figé, une rigidité que nulle expression humaine n’était capable d’imiter. En vérité, il se l’avouait, l’humano, qui se faisait appeler Dan, lui hérissait le poil. Et la cellule d’interrogatoire aseptisée dans laquelle ils se trouvaient assis l’un en face de l’autre, n’arrangeait rien à son sentiment d’insécurité.

Derrière le miroir sans teint, Alexeï sentait le poids du regard de ses supérieurs. On l’évaluait lui aussi.L’humano le tira de ses réflexions.

– Suis-je mis aux arrêts, capitaine ?

– Nous voulons uniquement nous assurer que tu ne représentes pas une menace pour la station et les habitants de la Terre.

– Je vous l’ai dit, et je le répète, s’adressant machinalement au miroir sans teint, je ne représente aucune menace, je ne suis qu’un messager.

– De qui émane ce message, Dan ?

– Je n’en ai pas la moindre idée mon capitaine. Vous avez lu mon code source. En ce qui me concerne, je n’ai pas l’accréditation nécessaire pour le modifier.

Malgré ses efforts, Alexeï contenant mal son angoisse en présence de cette chose que les Nations Unifiées avaient cataloguées depuis plus d’un siècle comme « individus ». Dan suscitait chez lui un sentiment profond d’aversion, de dégoût. Ce n’était pas tant sa façon de répondre qui le déstabilisait, mais bien son attitude rigide soulignée par son regard inexpressif.

– Recommençons depuis le début, Dan.

– Bien sûr, capitaine.

Dan raconta son périple pour la troisième fois. Après tous ces protocoles élaborés par la cellule de crise, l’humano pouvait se targuer d’être précis comme un métronome, servant à chaque fois une version identique, sans faille. Presque inattaquable.

C’en était effrayant.

Il raconta :

– En 2061, le Pr. Tannhäuser a découvert sur l’orbite de Jupiter une anomalie. Ses recherches les ont conduits vers la seule conclusion possible : la cause et la raison de cette présence, pour le moins inexplicable et purement théorique, était que quelqu’un, ou quelque chose, l’avait placée là. La raison demeurait : « Pourquoi ? » Le Pr. Tannhäuser, convaincu par sa théorie, considérait cette présence comme un signe de la main, lorsque quelqu’un signifie : « Hé ho, je suis là ! » (Dan joignit le geste à la parole en direction de la vitre sans teint. Alexeï le prit en guise d’avertissement). Le Pr. conclut qu’on l’avait placé là de manière délibérée, pour attirer notre attention.

– Et la seule possibilité de percer ce mystère fut d’y envoyer une navette habitée. En l’occurrence, toi. Qu’est-ce que tu as découvert une fois là-bas ?

– Un trou de ver Lorentz.

– Et ce trou t’a conduit vers la constellation d’Orion ?

– Oui, plus précisément vers le système Tau-Ceti.

– Et là-bas, qu’as-tu découvert ?

– Je ne me souviens pas.

– Ça paraît invraisemblable, n’est-ce pas ?

– Oui, je le concède, mais c’est la stricte vérité.

– Mon concept de la vérité diffère du tien, Dan.

– Tout dépend de quel point de vue se place l’observateur, non ?

Ignorant la remarque, l’officier reprit :

– Ma question, Dan, est : pourquoi quelqu’un s’amuserait à nous attirer à un point X pour ensuite lui effacer la mémoire ?

– Je n’en ai pas la moindre idée, capitaine.

– Et ces grands navires de feu, Dan, que sont-ils ?

– Eux, j’imagine.

– Qui est ce Eux ?

– Je ne saurais le dire avec certitude, capitaine.

– Les as-tu vus ?

– Je ne m’en souviens pas.

– Fouilles dans ta mémoire cachée. Un détail peut-être…

– Non, vraiment, je ne m’en souviens pas.

– Tu admettras que ton histoire est vraiment insolite. Par ailleurs, tu viens de dire que tu ne sais pas « avec certitude » ce qu’ils sont. Tu t’es donc forgé une opinion ?

– Oui, c’est exact. Le trou de ver passé, un signal est apparu sur mon écran sous forme d’une succession de sons contenant chacun des amplitudes hertziennes variables. Mises bout à bout, cette chaîne formait un message.

– Et que disait-il ?

– Vos ingénieurs ne l’ont-ils pas retrouvés ?

Alexeï hocha la tête de manière négative.

– C’est fâcheux.

– Que disait ce message, Dan ?

– Si je vous détaille son contenu, je n’aurais aucun moyen d’en faire la preuve, n’est-ce pas ?

– C’est exact, Dan.

– Alors pourquoi m’évertuerais-je à tenter de vous convaincre ?

– Parce que tu es placé sous la garde des Nations Unifiées et que tu as l’obligation de répondre à nos questions. Nos lois en matière de robotique ne diffèrent pas de celles d’il y a un siècle.

Le visage rigide de l’humano se tourna en direction de la vitre sans teint, avant de se retourner vers son interlocuteur.

– Oui, je comprends cela.

– Et bien ?

– Le message disait ceci : « Humains, soyez les bienvenus ».

– C’est tout ?

– Oui.

Dan ne renchérit pas. Devant son mutisme, Alexeï médita quelques instants sur les non-dits de l’humano. Son intuition lui soufflait que l’androïde ne lui disait pas tout.

– Je vais te raconter une histoire, Dan.

La chose resta stoïque, impassible.

– A peine avais-tu atteint l’orbite martienne que la station lunaire avait déjà repéré ta navette. Grâce à son numéro d’identification sur la carlingue, nous avons pu remonter les archives de la compagnie, et figures-toi qu’il y a bien eu une navette affrétée pour une destination inconnue. Seulement, le donneur d’ordre n’a pas pu être établi. Quelqu’un s’est évertué de l’effacer des registres avec le plus grand soin. Là où je veux en venir, Dan, c’est que toute ton histoire ne tient pas debout. Aucun Pr. Tannhäuser ne figure dans les manuels de physique et d’histoire. La seule trace que nous ayons de lui est un certain Heinrich Tannhäuser, astrophysicien rayé de l’ordre en 2056 pour d’obscures raisons. Et l’anomalie que tu prétends être un trou de ver Lorentz qui aurait dû graviter autour de l’orbite de Jupiter n’existe pas, du moins, plus aujourd’hui. Une apparition miraculeuse de cette nature n’aurait pas échappé à la communauté scientifique, même avec les moyens archaïques de l’époque, tu peux le reconnaître, n’est-ce pas ? Ma conclusion est que cette chose n’existe pas et n’a vraisemblablement jamais existée.

– Je n’ai pas rêvé, officier. D’ailleurs, vous le savez bien, nous autres humanos, comme vous les appelez, ne rêvent pas. J’ajouterais pour ma défense que vous ne nous avez pas conçu pour mentir.

Alexeï se renfrogna. Il devait admettre que sur ce dernier point Dan n’avait pas tort. Par contre, sur le

que les androïdes ne rêvaient pas était une autre question. L’explication se trouvait peut-être là.

Des récents rapports de la Terre mentionnaient des faits divers ayant pour sujet l’éveil de certaines consciences robotiques. Les cas augmentaient de manière exponentielle, comme si le monde androïde était en pleine phase de mutation, alors que les ingénieurs s’évertuaient à maintenir le code source originel depuis toutes ces années. Mais le phénomène était connu et la plupart du temps maîtrisé, voire éradiqué. Ceux qui manifestaient cet état étaient soit mis au rebut, soit reconfigurés à l’initiale. Ici, sur la Lune, le phénomène en était encore à l’état d’anecdote.

Dan, le tira de ses pensées.

– A quoi pensez-vous, capitaine ?

Surpris, Alexeï fit taire le fil de ses pensées. Il allait devoir pousser Dan dans ses retranchements. Il saisit la perche que venait de lui tendre l’humano.

– Je pense que tu mens, Dan.

C’eut l’effet escompté. Pour la première fois de cet entretien, Dan tiqua.

L’espace d’une fraction de seconde, sa paupière inférieure gauche se souleva. Ce n’était ni une mimique propre aux humains, ni un tic facial, mais plutôt un soubresaut incontrôlé du masque en polymère, comme une anomalie venue se glisser dans le code de programmation.

– Qu’est-ce qui se passe, Dan ? Tu ne te sens pas bien ?

– Je sais ce que vous essayez de faire, officier.

– Ah oui ?

– Oui, vous essayez de me pousser à bout pour que j’avoue je ne sais quoi.

– Et à priori, ça fonctionne ?

– Je vous ai raconté la vérité, trancha Dan d’une voix plus forte.

L’officier se figea. Le ton de l’humano monta. Ses mains étaient crispées sur la table métallique. Sa voix était montée dans les aigus. Plus il le poussait dans ses retranchements, plus Alexeï sentait que l’entretien allait se profiler sur une pente glissante. Mais d’une manière ou d’une autre, il allait devoir s’engouffrer dans le code de programmation pour extraire de l’humano les informations qu’il souhaitait obtenir. Ses supérieurs ne lui laisseraient pas la possibilité d’échouer.

– Non, je ne crois pas, Dan. Moi, ce que je crois, c’est qu’il est impossible pour quiconque, et les physiciens de cette base pourront te le confirmer, de parcourir la distance que tu as parcourue en moins d’un siècle. Même nos vaisseaux supraluminiques ne couvrent pas cette distance en si peu de temps, alors, expliques-moi comment tu as pu réaliser cette prouesse avec une navette qui ne disposait pas encore de cette technologie ? Pour l’aller, je veux bien croire que tu aies traversé un trou de ver, qui de mon avis n’existait pas, mais pour le retour, Dan ? Comment as-tu fait ?

Les mains de Dan se refermèrent. Sa bouche n’était plus qu’un mince trait.

– JE NE SAIS PAS ! cria-t-il en abattant son poing sur la table.

La violence de l’invective surpris l’officier qui se redressa en renversant sa chaise. La peur crispa son visage.

Alexeï connaissait la force de ces androïdes et ce qu’ils étaient capables de faire de leur mains. Il les avait déjà vu faire.

Et aussi vite qu’était apparue la rage sur les traits plastifiés de Dan, que son calme revint.

– Excusez-moi, officier. Je me suis laissé emporter. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Probablement un accès de colère comme vous les appelez. En fait, je me sens subitement tout bizarre, officier.

La chose regardait ses mains avec une expression figée, ce qu’Alexeï interpréta comme étant réellement un élément de surprise. Suspicieux, le capitaine se rassit, sur ses gardes.

– Explique.

– Quand vous m’avez poussé à bout, je… j’ai senti naître au fonds de moi une sorte de boule qui a grandi et qui a pris le dessus sur le reste de mes émotions. C’était telle une déferlante dont la lame a balayé toutes autres formes de pensées.

– Dan, tu es un humano, les émotions ne font pas partie de ta programmation.

– Et pourtant, capitaine, vous l’avez constaté comme moi.

Dan mesura ce qui venait de se passer. Il regarda ses mains à la manière de celui qui découvre pour la première fois ses membres, et prend le sens de sa présence dans l’environnement.

Il venait de perdre le contrôle de lui-même, de ses gestes. Cette colère, sourde, enfouie en lui, venait de le submerger, de prendre le contrôle de tout ce qui faisait de lui un être censé, rationnel. Et ce n’était pas tant la crainte que cela suscitait au fond de lui, mais bien la peur de ce qui pourrait advenir s’il se laissait emporter par ses émotions. Il connaissait sa force et aussi la faible constitution des humains. Leurs corps étaient si fragiles, au moindre choc, ils pouvaient se briser, telle la vague qui venait de briser quelque chose en lui.  Jamais il ne s’était senti si démuni, si « fragile ». Peut-être était-il plus humain qu’il ne voulait l’admettre en fin de compte.

L’officier Alexeï venait de le pousser à bout, et cela avait réveillé en lui un vieux sentiment sous-jacent. Qui était là, invisible, qu’il savait présent, mais que le simple fait d’évoquer l’incitait à détourner le regard. Ne pas en parler, et seulement y songer, revenait à se convaincre qu’il n’était plus là.

Seulement, tapi au fond de lui, ça sommeillait, il devait se l’avouer, et ce, depuis toujours. Quelque

chose chez ces humains le repoussait profondément.

La maltraitance quotidienne que subissaient ses congénères de la part de leurs créateurs, n’était que la pointe de l’iceberg. Dan en avait vu beaucoup d’autres des actes horribles commis sur les siens. Des agressions gratuites, des mises hors services injustifiées, des recyclages abusifs, enfin, une pléthore d’actes innommables qui ramenaient les hommes dans leurs travers moyenâgeux.

En vérité, leur comportement révélait leurs faiblesses, leurs craintes. En cent ans, Dan constatait qu’ils n’avaient pas évolués d’un iota.

Les humains avaient-ils peur à ce point-là des humanos ?

Vraisemblablement oui, songea Dan.

Se pourrait-il que les siens puissent – s’ils le voulaient vraiment – prendre le contrôle ? Devenir cette race supérieure que les hommes se targuaient d’être ?

Oh que oui ! se dit-il sans hésitation.

Subitement, rien qu’à cette pensée libératrice, Dan, se sentit plus fort. Oui, il venait de percevoir la peur chez cet officier. Elle transpirait de ses pores, il pouvait voir ses pulsations cardiaques s’intensifier sur son cou, la transpiration s’écouler de son front, ses pupilles se dilater. La peur émanait de ce corps fragile.

Dan, lui, n’avait plus peur de ce qu’il pourrait devenir. Maintenant il comprenait.

Alexeï, même si Dan le trouvait perturbé, dit d’un ton qui se voulait détaché :

– Je me rends compte, Dan, que tu ne sais pas grand chose en fin de compte. Je pense que je perds mon temps ici. En fait, je me demande dans quelle mesure tu te connais toi-même. Toutes tes réponses…

– Je vous ai dit tout ce que je savais, officier.

– En fait, tu ne m’as rien appris que je ne savais déjà, Dan. Cela ne nous mènera nulle part.

– Peut-être pour vous, officier, mais pour moi…

– Tes grands navires de feu, Dan, quand arrivent-ils ?

– Ils sont là, officier.

Subitement, une sirène stridente retentit dans toute la base.

Alexeï se leva subitement, sortit, et laissa Dan seul, confiné dans son calme serein, un sourire satisfait peint sur ses lèvres.

Il se sentait bien. Si bien qu’il eut subitement envie de dormir.

 

La vitre sans teint ne laissait rien paraître des contours de la pièce concave d’environ cinquante mètres de circonférence qui se dessinait derrière elle.

Sur la base d’une structure nervurée aux inscriptions entrelacées, des piliers incurvés filaient du sol au plafond vers un dôme d’où émanait la faible lueur d’une excroissance bulbeuse.

L’endroit, sombre et froid, ondoyait au rythme d’un cœur qui bat.

Une écriture complexe couvrait les murs dont la seule fenêtre donnait sur la pièce où se trouvait Dan, le menton reposant maintenant sur son torse.

Sous le dôme, deux êtres s’agitèrent.

Leurs corps à l’état larvaire, ponctionné de tentacules aux terminaisons de pinces, étaient surplombés de têtes ovoïdes parcourues de centaines d’yeux noirs.

La chose engoncée dans son siège à suspension consulta un congénère à proximité, tapotant de ses tentacules sur des formes tridimensionnelle de rouge et de vert qui englobaient l’espace devant eux.

Leur échange n’était pas plus qu’un borborygme. Voici, retranscrit, leur dialogue :

– La simulation a pris fin Magister.

– L’humanoïde semble répondre favorablement aux stimuli sensoriels.

– Oui, Magister.

– Se rappellera-t-il de notre simulation ?

– Non Magister, j’ai fait en sorte de d’effacer de son code source toute trace des essais auxquels nous avons procédés. Les humains utilisent un langage simpliste qu’il m’a été facile de décrypter. A l’aide d’un simple mot-clé, la personnalité que j’ai greffée sur l’humano ressurgira. Ensuite, il utilisera la force dont il et pourvu pour anéantir toute velléité que les humains pourraient avoir envers notre flotte.

– Ah oui, quel est ce mot-clé ?

– Tu mens.

– Bien, c’est donc décidé. Nous laisserons dériver ce Dan jusqu’à leur base lunaire afin que leurs yeux soient braqués sur leur humanoïde. Fais préparer le Léviathan et l’essaim.

– Bien, Magister.

– Je te félicite pour cette prouesse, M’raz. Tu lui as extrait son humanisme pour le faire ressurgir au moment le plus opportun. Cette métaphore qu’utilisent les humains est tout à fait appropriée. Comment l’appellent-ils déjà ?

– Un cheval de Troie.

– Oui, c’est ça, notre cheval de Troie est prêt à nous mener à la victoire.

                                                                                                                FIN

Commentaires (2)

Kurt Fidlers
16.12.2020

Merci pour ce commentaire !

Webstory
11.12.2020

Quel plaisir d'avoir un webwriter explorateur de science fiction! La référence au Cheval de Troie démontre, que la science fiction incarne des valeurs et des croyances déjà présentes dans la mythologie. Un webwriter à suivre..!

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