Je commence par réfléchir, poser le problème, puis j'ose et la prose vient avec la poésie me désincarcérer.
Reprendre la lecture

Inévitable dans un test cognitif, la vérification des capacités d’orientation. Première observation aussi dans toute expertise psy, le sujet est-il orienté aux trois modes ? Il y en a parfois un quatrième. Je n’ai pas très bien suivi. Quel jour sommes nous ? Dans la semaine, la date, l’année. Puis où vous trouvez vous ? Qui êtes-vous ? Quelle est votre propre perception de votre identité ? En psychiatrie, pour le cognitif et le comportemental, qui vont de pair, il faut passer ce test des modes d’orientation, sans quoi c’est très mal parti. Je me mets en situation. Je suis André, homme dans sa soixantaine, vivant dans le flux réel du 21ème siècle. Nous sommes à Genève, le 27 décembre 2021, près de la Place du Cirque. Date, jour, mois, année, endroit, ville. J’y suis, j’y reste. Ce pourrait être différent, ailleurs, à un autre moment. Mais ce n’est pas ce qu’on me demande, ce qu’on nous demande à tous. Qui suis-je, où et quand ? J’ai répondu. Ça passe pour cette fois, mais ça ne passera pas toujours. Un jour, tôt ou tard, on ne sait plus, en un instant. Progressivement, par dégénérescence, on s’y perd. Il faut s’y attendre et vivre entretemps son privilège d’existence, suffisamment conscient – et la conscience implique une secrète vitalité – pour le considérer comme tel.

 

Etant donc en forme à ce stade, souhaitant en profiter un peu, je vais aller plus loin dans la réflexion.

 

Les mêmes questions transposées en philosophie, qu’en advient il ? Est-ce que je sais comment nous situer exactement dans le temps. Doit-on répondre aussi à cette question ? Cet avant existence dont ne sait rien sinon que nous en avons surgi ? Une néantisation qui nous définit par le fait même que nous l’avons quittée pour un temps. Sommes nous figés dans un entre-deux temporel et que dire de notre fixation dans l’espace ? Être lucide lors d’un test cognitif revient à se situer, dates et lieux. En philosophie, c’est l’inverse, la lucidité mène à l’interrogation permanente avec de petits ilots de réalité voire de spiritualité sur lesquels l’on pourrait se poser un moment. Mais le voyage continue et les questions demeurent. Personne ne saura dire où l’on se situe « par-delà les confins des sphères étoilées ». L’« en quête » est sans fin ni répit. Elle ne permet de décrire, éclat par éclat, en les chiffrant et les nommant, qu’un tout petit coin de cette irreprésentable étendue à jamais trop vaste pour les vivants. L’inexistence seule aura permis un voyage dans les infinités, celui-là même qui nous a laissés égarés et perplexes à ce stade et en ces lieux.

 

Pas de lieu certain ni définissable alors même que l’on peut manquer un rendez-vous. Pas non plus de moment saisissable alors même qu’il en existe d’agréables vécus seul ou accompagné. L’apprenti philosophe – statut de l’homme mur – doit disposer de toute sa tête mais il mentira pour échapper à l’examinateur cognitif ou pour mieux lui plaire. Peut-être s’accorderont ils ? La duplicité est observable chez les plus honnêtes experts et les mieux disposés. Entre existence réelle et existence concrète, il ne faut pas choisir, ni se tromper. L’une exclut l’autre mais partage avec elle le souci de lucidité, celle-là même qui s’exerce dans l’ombre puis se confond avec elle. C’est si beau le lieu et le moment pour se perdre davantage. Tant que l’on ne doute pas de son identité, penser revient à un simple jeu de vertiges mais quand l’interrogation revient à parler de soi qui s’interroge, le vertige se fait sidéral. Et soi c’est chacun dès qu’on vient au monde.

 

J’en suis venu à présumer que l’individualité ne sera jamais le but et ne l’aurait jamais été. Le triomphe serait une méprise et la beauté n’a de sens réel que pour autrui qui s’y voit projeté. Seul tu ne fais rien vaut autant que tu ne fais rien que seul. Tout se joue en réel, être, individu et culture avec ou sans absorption dans le néant. A mon avis, et ce n’est pas une croyance, juste une cognition, l’être s’imposera un jour, non comme un fauve ni comme un guerrier mais par nécessaire aboutissement d’une création aléatoire qui est en cours et jamais encore ne fut acquise sinon par individualités nées pour voir et pourvoir à son accomplissement. Le souvenir du réel individuel, concret et potentiel, serait un équivalent de ce que l’on ose nommer âme.

Commentaires (0)

Cette histoire ne comporte aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire