Créé le: 04.08.2018
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Obama

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© 2018-2024 André Birse

Ecrire sur Obama, à tous les temps, qu’est-ce que ça pourrait donner ? Simple prétexte pour parler de quelqu’un d’autre.
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Obama

 

 

« Pendant mon adolescence, j’avais un comportement très destructeur. Et ça a continué jusqu’à ce que j’aie 19 ou 20 ans. A n’importe quel moment entre 15 et 20 ans, ma vie aurait pu dérailler » (Le Monde, 29 décembre 2017, p. 15)

 

Nous sommes quelques-uns à penser comme ça, à sentir dans nos parcours personnels, une fragilité, un risque pris ou un péril encouru, plutôt inconsciemment, une période de vie plus aléatoire encore que ne l’est la vie tout entière, si elle peut l’être, considérée comme un tout. Un voyage, sur terre, en mer puis peut-être dans les cieux. Des moments de tangage, de chemins incertains et sinueux, des vallons quelques sommets, vers une contrée plus accueillante, offrant à nos pas un sentiment de solidité avec la possibilité de lever les yeux et de regarder en soi aussi, pour y chercher l’apaisement plus que des vérités éternelles. Mais, il faut bien le dire, dès que l’apaisement est là, l’esprit ne s’en contente pas. Il cherche, se rend disponible et interroge la réalité qui ne l’aura  pas encore fuit.

 

Barack Obama est un homme d’exception, par situation et peut-être par nature, bien ancré dans la réalité de son temps qui est celui de quelques autres. Lui, qui passe là, 2008, année de son élection, 2016, la fin de son second mandat. Huit ans dévisagés, à la face de la terre, lui-même aura beaucoup changé. Une présence infinitésimale et hypertrophiée jusque dans nos gènes. Les présidents changent tous les quatre ou huit ans aux Etats-Unis et pour nous, qui les voyons désormais de si près, ils gouvernent le monde, se situent immanquablement en haut de l’échelle.

 

Homme de pouvoir, chef de la plus puissante administration du seul monde connu, people incontournable, exemple, contre-exemple, réussite, échec, menace, invité perpétuel, installé dans notre inconscient, roi de l’invasion cérébrale.

 

Ex-président depuis près d’un an, il a répondu aux questions du Prince Harry sur BBC 4 alors que décembre 2017 s’alanguissait dans les bleus et les noirs de l’avant-fêtes. Interview décontractée, sans être sereine. Il s’est prêté au jeu des questions du Prince. Joliment, comme tout ce qu’il fait avec une élégance et une adéquation qui surprennent et lui font des admirateurs et des envieux.

 

Difficile pour chacun d’être adéquat, pas simple non plus d’être élégant et moins encore de l’être tout le temps. Mais les deux à la fois, élégant et adéquat, juste par le geste, le maintien, la parole, ça tient de l’outrance faite à autrui, qui entend et qui regarde mais ne voit pas la faille, la fêlure, le laisser-aller. Il n’y en a pas. Chacun l’aura compris sur l’instant et vérifié à nouveau à chaque réapparition médiatique. Un aboutissement personnel rare, unique. Un succès public inattendu, qui se confirme et rend plus vivants encore les souvenirs venus d’un passé récent et déjà disparaissant. Il est sympa, Barack, de nous rappeler que, pour lui, entre 15 et 20 ans, ce ne fut pas facile. Tout, alors, aurait pu basculer, « dérailler ».

 

Cette personne si performante a-t-elle été judicieuse dans son action politique ? Postérité de l’efficience. Certains disent et diront que oui et d’autres que non, comme toujours. Comme est aussi dérangeant que toujours. L’élection c’est avant. Un nécessaire préalable, un accomplissement éprouvant, un paroxysme tout autant qu’un commencement. Ensuite, c’est le mandat, renouvelé pour lui, une seule fois, conformément au 22ème amendement de la constitution qui date de 1951, peu après les trois mandats de Frank Delanoe Roosevelt de 1933 à 1945 – « aucune personne ne sera élue à la fonction de Président des Etats-Unis plus de deux fois », voilà qui est dit – ainsi l’action, le bureau ovale, les souvenirs, les analyses et les ressentiments. La plasticité des esprits et des jugements opère jusqu’au fini de l’histoire.

 

Individu citoyen qui fut assistant social à Chicago, il apparut au monde en sa qualité de candidat surprise et vainqueur inattendu à l’élection au poste de sénateur de l’Illinois en 2004. Un jeune noir élégant et prometteur venu se greffer au déroulé du programme habituellement servi aux foules électives. Un type ordinaire qui a su se singulariser et nous a bourré le crâne – car depuis l’Europe nous participons abstraitement – à coups de flash-infos jusqu’à intégrer corporellement cette exception qui demeure.

 

Il a été présent et nous revenons à lui, par accoutumance et par nécessité, pour fixer une image qui tienne, un espoir qui ait de la gueule. « Hope », était son crédo labellisé et nous travaillons au transfert d’une époque à l’autre de ce mot-notion, admirablement coloré, vers un avenir et à tout ce qui l’aura précédé ou lui succédera.

 

Nous oublions.

 

Nous nous accrochons en nous évertuant, par une sotte inadvertance, à devenir crédibles et sérieux face à l’espoir.

 

La réalité précède le mandat. Barack ne fut jamais avide. Il aura été parfait. Il a tourné les pages en toute sécurité, à Washington, dans son palais, de par le monde dans son avion, souvent nommé, jamais tombé. Les services de sécurité l’ont pris en main dès son élection et ne l’ont plus lâché. Mais l’au-delà des mandats est si vite arrivé. Quatre ans si vite passés. Le temps de se faire réélire et l’on assiste à sa propre succession. Il aurait volontiers recommencé. Mieux, selon lui. C’est pourtant du passé. Il est bien né aux Etats-Unis mais ne sera plus président. Les ex-présidents de ce pays encore en vie sont tous des hommes. Implacables syllogismes. Il ne pouvait en être autrement, aucune femme jamais n’a été à ce jour élue. Barack est un ex-président des Etats-Unis. Il est donc un homme, ce qui ne dit pas tout de lui.

 

Nos vies aussi en ont pris un coup. Ça se voit sur les images. Le président tué en 1963. Nos enfances et leurs avenirs. Puis cet autre qui prêta serment dans l’avion, et celui qui buvait, et dont le vice-président dut lui succéder mais chuta au bas de l’échelle, sur le tarmac, un autre encore qu’on n’attendait pas le fit tomber à nouveau aux élections puis qui s’effondra aussi rapidement dans l’estime des gens. Une histoire d’otages à Téhéran. Et nous ne sommes qu’en 1980. C’est dire si le temps passe et chaque président est un chiffre sur l’horloge. Nous sommes les contemporains de ces grains de sable, qui se succèdent et ne font que tomber.

 

Obama ne veut pas de cette logique. Il sourit au destin et assure son maintien non pas à la tête du pays mais devant le monde, entre nous et le sablier. Au mieux de sa forme et de son expérience, il fait déjà partie de notre passé et de celui de son pays. Nageant, jouant au golf, exerçant ses talents de conférencier, risquant la confusion entre aura et auréole, il sourit magnifiquement mais n’exercera désormais son pouvoir que de façon mystique. Nous n’oublions pas Obama mais n’ignorons pas non plus que quelqu’un élu le 8 novembre 2016 – « qui s’enfuit déjà » – l’a remplacé depuis le 20 janvier 2017. Une avant-veille qui s’éloigne aussi et se fait lourde alors que Barack est si impeccablement vivant et nous promets de beaux souvenirs de jeunesses, la sienne et la nôtre, et les moyens de saisir les âges de la vie, dont celui de la maturité individuelle. Collective, c’est plus incertain, dans le monde des sociétés et des nations que parfois l’on dit post-moderne ce qui n’a pas beaucoup de sens. Post va bien à toutes les époques, moderne aussi. Post-Obama, c’est mieux.

 

Les tueries, domestiques, dans les écoles et en Syrie, Obama ne cesse d’y penser. Nous le connaissons personnellement en quelque sorte et nous pouvons l’affirmer. Le temps du charisme peut être celui de la violence. L’un et l’autre ne s’excluent pas. En résumant ses années de mandat c’est à cela que nous penserons. La violence d’abord, qu’il n’a en rien provoquée, peut-être indirectement causée, par choix politique, pour la Syrie, c’est impossible à vérifier. Non le désastre, mais les causes effectives et certaines. Son projet d’assurance maladie pour presque tous, « Obamacare », qu’il a su mettre en œuvre par un subtil corps à corps avec le congrès, le pouvoir législatif aux Etats-Unis. Le bilan qui est le sien scruté par les historiens. Avec lui, on n’a pas marché sur la lune, pas de guerre au Vietnam, c’était plus calme avec les russes, sans être amical, pas d’intervention non plus au Moyen-Orient, on discute avec l’Iran et l’on croyait réaménager l’Irak, après le printemps arabe, qui répandit ses chaleurs et ses froidures, dès 2011. Les costumes orange comme en Amérique de prisonniers exécutés par les combattants de l’EI, c’était sous Obama. Comment bien faire après Guantanamo ? Des mises en scène atroces et réelles, accessibles en quelques clics que nos doigts stylés ne provoquent plus. Avoir présidé les USA, nécessairement, c’est être dévasté. Obama ne l’est pourtant pas. Il ne présente pas les symptômes d’un combattant traumatisé, à son retour de guerre. Son successeur nous fera bien une suite de démonstrations en matière de dévastation, mais, de sa part, ni dentèle – qui le lui demanderait ? – ni scrupule, ce n’est pas non plus exigé. Certaines fenêtres ouvertes sur le monde inspirent la peur et l’horreur. Obama a toujours bien parlé, avec calme, intelligence et émotion. Distance parfois.

 

Cette contradiction-là, qui n’en n’est peut-être pas une, entre les faits insupportables et le discours élégant qui les prend en considération et les condamne, est au centre de l’action d’Obama que d’aucuns nomment inaction. Les noms de ceux qui l’ont précédé, Ronald Reagan, Bush père, Bill Clinton, Bush fils, double v, signifient-ils quelque chose ? Avec la précision qu’ils sont toujours vivants, à l’exception de Reagan, mort en  2004 , sans avoir connu Obama (peut-on risquer) et qu’il faut y ajouter Jimmy Carter, battu en 1980 et qui aura vu  Obama, éclore, vaincre et se retirer.

 

Ces noms ne signifient rien sinon la contemporanéité des faits survenus sous chaque mandat et la lignée qu’ensemble historiquement ils constituent. C’est pour cela qu’on les rassemble parfois pour les photographier. Et la bibliothèque. Chaque ancien président a sa bibliothèque. Celle d’Obama est prévue pour 2021, à Chicago. Voilà une vraie occupation pour tout ancien président, prendre part à la réalisation de la bibliothèque vouée à son action et portant son nom. « Obama library » sera un phare pour permettre aux futures générations de trouver les repères explicatifs de ce que furent les années 2008 – 2016 en Amérique et dans le monde.

 

69’456’897 personnes ont voté Obama le 4 novembre 2008 donnant ainsi mandat à 365 grands électeurs de le désigner Président des Etats-Unis. Un processus électoral très bien organisé qui a longtemps paru solide, infaillible. Peu à peu toutefois, des failles se font jour. En 2000, quelques voix ont modifié le sort de l’élection et la Cour Suprême a été saisie. En 2016, pour le successeur d’Obama, la bataille des petits électeurs, soit le total des voix pour tout le pays, a été gagnée par le perdant à l’élection, son adversaire ayant réuni par états plus de grands électeurs. Tout cela est très formel, vrai, très constitutionnel, mérite examen, tout à fait démocratique, c’est ce qu’on nous dit. La formalité, la vérité, la constitutionnalité et la démocratie sont des notions que l’on ne s’arrache plus mais que l’on déchiquette.

 

Obama a été élu, ce n’est plus contestable, son prédécesseur, pour qui la Cour Suprême a dû intervenir a sans conteste non plus été président des Etats-Unis de 2000 à 2008. Le nom, le visage, les attitudes, les décisions, les amis et les ennemis, tout et entériné par l’histoire, que l’on réécrit au fil du temps. Celle d’Obama, avant l’ouverture de sa bibliothèque, est encore en mouvement, secouée par le nouveau président 2016 qui est un Monsieur inquiétant dont beaucoup se réjouissent de l’élection. Obama a donc disparu. Il est insaisissable. On ne le retrouve pas. Son sourire est imprimé quelque part dans nos têtes, nos esprits, voire nos émotions, notre inconscient, dans la virtualité de notre mémoire biologique. Nous ne saurions dire. Il a souri, il a pleuré, sérieux, grave, éloquent, en larmes, il reste là.

 

Plus que les amis qui ont voté pour la majorité  ou en toute petite minorité ont été élus, les ennemis sont ceux qui comptent. Sombres, déterminés, armés, prêt à tout, les ennemis d’Obama ont mûri leur revanche.

 

Avoir été. Avoir voulu être, devenir. L’image de l’espoir, son porteur, sa représentation, était-ce bien raisonnable ? Doit-on parler de tromperie dès qu’il y a adhésion majoritaire valant soumission ?

 

Ce 18 juillet 2018, Nelson Mandela aurait atteint l’âge de 100 ans . Obama, s’est rendu à Johannesbourg. Il a dansé comme Madiba, a souri aux gens de pouvoir et à la foule et s’est fendu d’un discours, tout en suggestions, sur les hommes  exerçant le pouvoir. Cette élocution lente et sûre qui reste la sienne, le regard toujours ailleurs, en lui ou sur son texte. Le basketteur-orateur nous a séduits. Les hommes au pouvoir lui vont sur les nerfs, il appelle à «l’empowerment » des femmes. Sa femme aussi d’ailleurs, Michelle, comme la chanson des Beatles, le demande depuis longtemps, pour l’Afrique surtout. Elle n’a peut-être pas tort. Mais en quoi Barack aurait-il raison ?

 

Je suis parti à la recherche d’une réponse à cette question, dans la malle des années 2000, avec au ventre la peur que l’espoir ne serait finalement qu’un devoir.

 

Aretha Franklin a chanté pour tous les présidents démocrates depuis 1976. Carter, Clinton, Obama. Lors de leurs cérémonies d’investitures. Elle vient de mourir et Barack lui rend hommage par quelques mots très forts sur Twitter. « Aretha a aidé à définir l’expérience américaine. Dans sa voix, nous pouvions ressentir notre histoire, tout de cette histoire en chaque ombre – notre puissance notre souffrance, notre part obscure notre part lumineuse, notre quête pour la rédemption et le respect que nous avons gagné si durement. Que la reine du soul repose dans une paix éternelle ». Ces mots doivent être les siens. Ceux d’Obama. Ils sont aussi ceux d’un représentant de la communauté noire. Obama aimait écouter Aretha chanter.

 

Il a été saisi d’une émotion devenue illustre en décembre 2015 quand Aretha est apparue sur scène aux premiers mots de « You make me feel », une femme naturelle. Un montage vidéo, proposé par Le Guardian, décortique des séquences de cette chanson interprétée par elle en studio télé dans les années soixante, puis nonante, puis devant Obama à cette occasion et à d’autres reprises sur six décennies. La vie dans un sens, les images dans l’autre. Les succès d’Aretha « Pense », ou « Respect », disent beaucoup de son voyage. Il y avait aussi un combat, une détermination ferme et sereine, née au cœur de son enfance à Détroit. Nous connaissons sa voix. Un nom fameux, depuis notre plus jeune âge, de la musique une légende, des mélodies revenues d’un ancien présent, perceptible en soi, une inconnue que nous rencontrons à l’invitation d’Obama qui le devient aussi.

 

Bill Clinton a sorti un best-seller cet été 2018. Mélange de fiction et de réalité, écrit avec un romancier. Il revient sur ses années de présidence, 1994 – 2000. La décontraction qui était la sienne à Little Rock au jour de son élection. Il avait répondu au journaliste. Je le vois assis sur une pierre dans sa ville de naissance. C’est ainsi que je le vois. Il y avait un changement, un programme, une annonce. Je le percevais encore comme une promesse, la dernière avant Obama et il ne devrait plus y en avoir sauf excès crépusculaire de naïveté dont nous sommes capables. Crépusculaire, le curseur, on peut le placer ici ou là. C’est un choix.

 

Bill Clinton parle de ses adversaires, de ce dont ils sont capables. Puissance de l’inimitié. Le combattre, le battre, l’humilier et en faire de même avec sa femme Hilary qui fut l’adversaire de Barack lors des primaires en 2008 puis sa secrétaire d’Etat. Elle devait être son successeur. Barack l’avait soutenue comme il a été soutenu par Bill dont les discours étaient presque aussi efficaces que les siens. Mais ça n’a pas marché. Bill est affaibli, Hilary battue et Barack a rejoint les ex.

 

Un autre « former » .

 

On m’invite à lire ce livre. Le premier en entrant dans les librairies. Sa part de fiction, une attaque sur le capital information, plus de données, plus d’argent. Un raz-de marée informatique qui nous paralyserait et nous permettrait de savoir enfin qui nous sommes en nous privant des données qui font de toute vie une “second life”, ce jeu-programme qui avait eu du succès avant l’arrivée au pouvoir d’Obama.

 

Clinton pâlit.

 

Il y en a toujours un qui pâlit.

 

Obama ne prendra bientôt plus la peine de briller.

 

Il réapparait, ces dernières semaines dans la campagne de son « ami » Joe Biden. La puissance fine et subtile de ses discours fait merveille et nous réchauffe quelque chose qui doit être le coeur. Il est très présent, très crédible, invite les gens souvent nommés « folks » par son candidat à voter. Vote, vote, vote. C’est une leçon, des kilomètres de file d’attente, sans le  « hope », juste une histoire de justesse et de renversement. Il ne faut pas désespérer d’ être raisonnable, de le devenir, ni d’exercer au mieux son intelligence. Les nuits étatsuniennes exhalent beaucoup de pauvreté et de lourdeur climatiques, mais ne nous en laissent pas moins percevoir une clarté qui ne serait qu’humaine. Obama, reprend sa route pour un temps et résume l’histoire à ses dépens mais non à ceux de son pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

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