Sur les traces du petit Stan, dans sa nouvelle école, sa nouvelle vie. Mais qu'est-ce qui se cache dans sa nouvelle maison ? Tapi dans l'ombre de sa chambre, de son grenier ?
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Dans le quartier c’est la plus grande, et aussi la plus vieille. Elle a au moins cent ans d’après ce que m’a dit maman sur la route. J’ai répondu qu’elle devait être aussi décrépie que la momie des Contes de la crypte. Elle a ri.

La maison apparaît après avoir tourné dans la rue, j’ai l’impression que c’est un immense château et pas vieux du tout.

A peine la voiture a-t-elle le temps de s’arrêter que je me précipite dans l’allée jusqu’au porche. La neige crisse sous mes bottes.

J’entre.

La porte s’ouvre sur un hall d’entrée avec un escalier et, dans le fonds, une toilette pour les visites. La pièce d’à côté est un grand salon meublé – avec cheminée – qui se prolonge jusqu’à une cuisine où on peut tenir à dix. Toutes les fenêtres de la cuisine et du salon donnent sur un grand jardin enneigé, cerclé par de hauts arbres. A l’étage, je découvre deux salles de bains et quatre chambres avec des tapisseries à fleurs très moches. Dans le couloir, il y a une trappe pour monter au grenier.

Je dévale l’escalier jusqu’à maman qui décharge les cartons du pick-up.

— Alors, elle te plaît ?

— Elle est magnifique ! Mais dis maman, on changera les tapisseries à fleurs ? J’ai envie de vomir quand je les vois.

Elle glousse et me promets que nous le ferons. Durant nos vacances de Noël.

Maman finit de débarrasser la voiture et en fin d’après-midi, elle fait un feu de cheminée. J’ai enfilé mon pyjama E.T. et me suis posé sur le canapé pour regarder une rediffusion de la Quatrième Dimension. L’épisode s’appelle Le Parallèle et raconte l’histoire d’un astronaute en orbite qui perd le contrôle avec sa base. De retour sur Terre, il se retrouve dans un monde où tout est semblable au sien à quelques détails près. L’homme se rend compte qu’il est lui sans l’être vraiment, comme s’il avait volé la vie d’un autre, ailleurs.

Au moment où Robert Gaines, l’astronaute, explique au général qu’il est persuadé de l’existence d’un monde parallèle, maman sort de la cuisine avec deux tasses de chocolat chaud et une assiette de cookies.

Dehors la neige continue de tomber.

— On va être bien ici tous les deux.

Je la crois. On le sait bien, les parents ne mentent pas.

Ses cheveux sont ébouriffés. Elle a l’air fatiguée, mais je devine qu’elle est heureuse.

— Tout sera différent maintenant, me dit-elle par-dessus sa tasse de chocolat fumante.

Et je la crois. Maman ne ment pas. Elle ne m’a jamais menti d’ailleurs, même après la mort de papa. Même lorsque nous fuyions ces villes dont je ne me rappelle plus les noms. Tout ça est loin maintenant. Si loin que je ne me souviens pas du visage de mon papa.

Maman, elle dit que c’est normal. La mémoire nous joue des tours, surtout à mon âge. Un jour elle reviendra, m’a-t-elle promis. Je sais qu’elle ne ment pas, mais je crois qu’elle le dit pour me rassurer.

Ma première nuit. Dans la chambre aux motifs moches. Maman est venue me border et me lit un chapitre des Voyages extraordinaires de Gulliver.

Quand elle a fini, elle m’embrasse sur le front et allume une veilleuse dans le couloir. Je m’emmitoufle sous la couette. Et malgré ma fatigue, je sens que je vais avoir du mal à trouver le sommeil. Dormir dans une nouvelle maison c’est toujours difficile de s’y habituer, comme si elle et nous devions nous apprivoiser.

Les secondes s’écoulent lentement.

Mon réveil Capitaine Caverne indique 23 h30.

Soudain, un bruit. Je sursaute.

Quelque chose gratte contre les carreaux. A l’extérieur.

Tic-tic-tic.

Je me lève. Mon cœur n’arrête pas de cogner.

Tic-tic-tic.

J’écarte violemment les rideaux. Je sursaute. Des yeux jaunes m’observent. Non. C’est juste la lumière du lampadaire de la rue qui éclaire l’arbre à l’entrée de la maison. Ses longues branches sont les membres d’un squelette au visage inquiétant que le vent fait bouger contre ma fenêtre.

Tic-tic-tic.

En me recouchant, je songe que maman devra le tailler.

A peine cette pensée surgit-elle dans ma tête que mon avant-bras se met à me gratter. Sous mes doigts, une chaleur dérangeante se propage.

Et instantanément, malgré le grattement sinistre, je m’endors.

 

Deux semaines plus tard, c’est la rentrée scolaire. Mon premier jour dans une nouvelle école qui ressemble furieusement à toutes les autres. Je suis impatient et inquiet aussi.

Maman m’accompagne avant d’aller travailler au garage où elle a été engagée comme comptable avant les vacances de Noël.

Mon avant-bras n’a pas cessé de gratter depuis les vacances. J’ai demandé à maman qu’elle m’achète une pommade apaisante. Elle a regardé de plus près et m’a dit que ça passerait, que c’était juste le stress de la rentrée.

Je la crois, mais ça me démange quand même.

L’école est déjà pleine des cris d’enfants. On lance des boules de neige dans la cour, on chahute, on s’amuse.

Mademoiselle Kenton, ma professeure de classe, est gentille. Elle m’a présenté sans que j’aie à me lever. Ça me met mal à l’aise quand l’attention est focalisée sur moi.

Les habituelles réflexions sur le nouveau fusent. Je les ignore.

A midi, à la cantine, je n’échappe pas aux railleries de Mark Grody, entouré de sa bande, et de Francess – Fran pour sa cour – Angleton qui compare mon style vestimentaire à celui d’un clodo. Je ne veux pas créer d’ennui le premier jour. Avant de lui répondre, quelqu’un lance :

— Fous lui la paix Franfesse.

Son intervention déclenche l’hilarité générale et la fait fuir, sa cour sur ses talons.

Un rouquin avec de l’embonpoint et un visage parcouru de taches de rousseur s’assied en face de moi. Sa saucisse baigne dans le jus et s’enroule autour d’un volcan de mousseline.

— Merci, lui dis-je.

— Fais pas gaffe à Franfesse, elle a ses ragnagnas.

J’éclate de rire, même si j’ignore ce que sont les « ragnagnas ».

On se présente. Il s’appelle Gage Wittham et n’arrête pas de parler. De toutes sortes de choses. De E.T., des Contes de la crypte, de Donjons & Dragons, ou encore du dernier Star Wars VI, Le retour du Jedi qu’il a été voir la semaine dernière avec son père.

Gage est le fils du shérif. Sa mère travaille à l’Église luthérienne de Davenport. Je lui dis que nous n’allons pas à l’Église. Ça ne le choque pas.

J’aime bien Gage.

 

Quinze jours plus tard.

Un après-midi, au cours d’histoire, mon esprit vagabonde.

Un écureuil gravit le tronc d’un arbre faisant fuir les corbeaux alors que la neige tombe paresseusement. Tout à l’air si doux vu d’ici.

La démangeaison s’est intensifiée. Concentré sur l’ascension de l’écureuil, je retrousse involontairement ma manche, révélant une plaque rouge qui s’étend jusqu’à mon coude. Et gratte.

Le poids du regard de Francess parcourt mon dos. Je rabats mon pull et me force à ignorer le feu. La transpiration s’écoule dans mon dos. Mes cheveux se dressent.

Gavin, à ma gauche, lève la main.

— Madame, on peut ouvrir la fenêtre, j’ai chaud.

Aussitôt, Janice, à ma droite, enchaîne, puis d’autres.

Mademoiselle Kenton approuve. Seulement quelques minutes. Dehors, il fait froid.

Je sens à nouveau le regard de Fran, assise une rangée derrière moi. Elle a vu mon bras. Mes pensées s’agitent.

Elle pense que t’es malade. Elle pense que t’es taré. Elle pense que… Elle pense que… JE BRÛLE…!

La brûlure se répand comme un feu de forêt. Je peux le sentir se propager.

Je donne raison à mes pensées. Si ça continue, je vais devenir dingue.

 

Une semaine après.

De retour de l’école. La maison est vide. Elle émet quelques craquements plaintifs sous la force du vent. Maman n’est pas encore rentrée de son job.

Je m’installe devant la télé, grignote un cookie et mets Scooby-Doo.

Mécaniquement, ma main glisse sur ma peau.

Attiré soudain par un bruit, je baisse le volume de la télévision.

Des pas précipités à l’étage.

Mon cœur se met à tambouriner et la chaleur dans mon bras s’irradie aussitôt. Je me lève, et me dirige vers l’escalier de l’entrée.

Appelle maman.

Prenant mon courage à deux mains, je monte les marches jusqu’en haut où je constate que la trappe du grenier est ouverte. L’escalier escamotable a été tiré. Et en haut, tout à coup, des pas. Rapides. Ceux d’un enfant.

La peur m’empêche de respirer correctement. Je ne veux pas monter, pourtant, mon pied se pose sur la première marche. Et sans que je m’en aperçoive, je me retrouve au milieu de l’échelle de meunier.

Silence.

N’aie pas peur Stan… il n’y a que toi…

Cette pensée ne me rassure pas en franchissant la dernière marche.

Pas de lumière.

Je me tiens debout sous le toit. La charpente est parcourue de toiles d’araignées. Il y a encore des affaires des anciens propriétaires.

Scraaatch. Sssss

Je sursaute.

Dans un coin, là où le toit rejoint le plancher, je vois quelque chose. Je plisse les yeux.

— Y a quelqu’un ?

Scraaatch. Sssss

Mon bras m’irradie. Cette saleté s’immisce jusque dans mon épaule. Et malgré le froid sous le toit, un feu bouillonnant se répand en moi.

C’est le cancer de la peau.

Scraaatch. Sssss

Je sens une présence. Une ombre vient de bouger dans un coin de l’appentis.

Soudain, deux yeux jaunes percent l’obscurité. Fendus d’un trait noir. Aussi noirs que mes récents cauchemars. Et autour des yeux s’agence une forme. Elle se lève. Comme si elle était à plat ventre jusque-là. Elle rampe.

Je suis pétrifié. Mes jambes refusent de bouger. Et tandis que la chose rampe dans ma direction, une voix susurre dans ma tête :

Je suis là Ssstaaan. Tout près de toi

Convaincu que c’est pas ma voix, mais cette chose qui me souffle ces paroles, je dévale à toute vitesse l’échelle de meunier au risque de me rompre le cou.

Une fois à l’étage, je me jette dans l’escalier, soulagé quand la porte d’entrée s’ouvre sur maman. Je me précipite alors qu’elle n’a pas encore franchi le seuil. Je me sangle à elle.

— Qu’est-ce qui se passe ? Tu es tout pâle et ho ! tu trembles.

— Maman… le grenier… va voir… il… il y a un monstre.

Lorsque les mots sortent de ma bouche, je suis certain qu’elle va me prendre pour un fou.

Comme Franfesse.

Maman n’a pas peur. On le sait, les adultes n’ont pas peur.

Elle gravit l’échelle. Je l’entends parcourir le grenier et revenir. Elle redescend. Me scrute profondément.

— Il n’y a rien en haut, Stan.

Maman te croit fou.

Je suis Robert Gaines. Plongé dans un univers parallèle.

— Mais je te jure…

Elle opine, me caresse la tête.

— Tu ne serais pas en train de faire de la fièvre toi ?

Je lui fais non et lui montre mon bras.

— J’en peux plus maman, ça me gratte, c’est horrible.

Son visage change. Elle passe la main sur ma démangeaison, perdue dans ses pensées, avant de me dire, indifférente :

— Ça passera mon chéri, t’inquiètes pas.

— Mais…

Elle referme la trappe mettant fin à la discussion.

Nous redescendons et parlons peu durant la soirée. Je suis encore chamboulé.

Qu’est-ce que ça pouvait bien être ?

Et pourquoi maman fait-elle semblant de ne pas voir ce qui se passe ?

 

Deux semaines s’écoulent.

Les démangeaisons sont comme des vagues, elles vont et viennent. Et lorsqu’elles m’enflamment, j’entends la voix qui me terrifie et à laquelle j’associe l’ombre percée de yeux jaunes. Et cela n’inquiète pas maman, plus préoccupée par son job et autre chose que je n’arrive pas à saisir.

Un soir, au moment de me coucher, elle me lit un nouveau chapitre des Voyages extraordinaires de Gulliver. Je vois bien qu’elle est épuisée par sa journée, alors je fais semblant de m’endormir. Elle m’embrasse sur le front avant de sortir.

Me revoilà plongé dans l’obscurité malgré la veilleuse du couloir qui éclabousse le parquet au pied de mon lit. Dehors, le vent continue à emporter dans son sillon les branches qui viennent harceler ma fenêtre.

Tic-tic-tic.

Je ne sais pas si je trouverais le sommeil.

Soudain, la porte de la penderie grince. Comme des ongles sur un tableau noir.

Criiiiic.

Je m’enfile complètement sous ma couette. J’ai peur.

Ta maman ta menti, me glisse la voix.

Le feu m’enflamme aussitôt.

Je sens une présence dans la pièce. J’ai du mal à reprendre mon souffle. Étouffant presque, j’expulse la couette.

A moins que je n’aie rêvé, la porte de la penderie vient de bouger. Tout à coup, une ombre s’accroche à la tranche.

Je suis terrorisé.

Staaan

Cette voix. Dans ma tête. Je peux presque l’entendre, tellement elle l’emplit de sa présence.

Ta maman te ment.

Non.

Ton papa est mort à cause d’elle.

Non. NON !

C’est ta mère qui a tué ton père.

NON !

D’un bond, je saute hors du lit, saisis la batte de baseball que maman m’a offerte l’année dernière, et la brandit.

— Sortez de là !

Subitement, dans l’entrebâillement de la penderie, des yeux jaunes fendus d’un trait obscur. Et autour d’eux, une forme ténébreuse ramassée sur elle-même.

Sssss… Staaan.

Le chose se dresse, auréolée d’ombre. Elle est de ma taille. Ses yeux jaunes m’observent et je devine une rangée de dents acérées sous des lèvres absentes. Pétrifié, je sens un flot chaud s’écouler dans mon pyjama.

Ssssstaaan.

Tout-à-coup, la lumière inonde la chambre.

— Qu’est-ce que tu fais debout ?

— Il… il y a quelqu’un là…

Mais il n’y a plus personne.

Maman me regarde.

Comme si tu es fou.

— Je m’inquiète Stan. Tout va bien ?

Elle porte ses mains à mes tempes et me regarde. Dans les yeux.

Et là, subitement, un flash.

Un homme et une femme en fuite dans le désert. Des hommes de l’armée leurs tirent dessus. L’homme s’écroule. La femme porte un enfant dans ses bras. Elle embrasse l’homme mourant et s’enfuit dans le désert froid.

Ma démangeaison reprend dès que maman s’écarte.

Qu’est-ce que je viens de voir ?

Je me gratte le bras.

Elle me regarde faire.

Elle pense que t’es malade. Que tu vas crever comme ton père.

— ASSEZ !

Les portes de la penderie et de la chambre claquent. Je sursaute.

Maman, elle, n’exprime aucune émotion. Elle me scrute comme si j’étais le monstre.

— Stan, ça va ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette.

Elle ment.

— Maman, qu’est-ce qui m’arrive ?

Après ça, je ne me souviens de rien.

 

Trois semaines plus tard.

Nous n’avons pas reparlé avec maman de ce qui s’est passé. J’ai l’impression que depuis notre emménagement, elle s’est éloignée de moi. Je ne la reconnaît plus. C’est à peine si elle s’intéresse à moi. A ce que je ressens.

La démangeaison s’est encore répandue. Mon dos et mon ventre sont irrités en permanence. Bientôt, mon corps entier ne sera plus qu’une brûlure. Mais grâce aux températures inférieures à 0° degrés, la douleur s’atténue. Je me promène en tee-shirt, en plein hiver. La journée c’est supportable, mais le soir venu, c’est de pire en pire. Je peine à trouver le sommeil.

Le plus difficile c’est la voix dans ma tête. Elle me dit des choses monstrueuses. Et à chacune de ses apparitions, la douleur devient plus forte. Si forte que je pourrais labourer ma peau jusqu’au sang.

Je n’ai pas insisté avec maman de peur qu’elle me prenne pour un barge. Elle me cache quelque chose. Une chose qui a rapport avec papa.

A l’école, Fran et Mark sont imbuvables.

Et maintenant que je traîne avec Gage et les frères Gordon, Tim et Mike, c’est pire. A chacun de mes passages dans les couloirs, Fran s’amuse avec sa cour, rit dans mon dos, et me traite de clodo. Comme aujourd’hui.

Elle pense ce qu’elle dit. Elle raconte partout que ta mère est une pute.

Je me retourne et la fusille du regard. Gage et Tim tentent de me raisonner. Je ne les entends pas.

— Hé, regardez le clodo, t’as de l’eau à la cave ? Va t’acheter une paire de grolles pauv’ naze.

Elle s’approche, me défie, entourée par ses copines. Tout le monde s’est arrêté pour nous observer.

Soudain, la chaleur devient étouffante dans le couloir.

— Oh, bouhouhou, le pauv’ petit, il a perdu son pôpa ?

Je bouillonne d’un feu intérieur. Il me dévore. Me submerge.

— ASSEZ !

Mon cri déclenche une avalanche. Tous les casiers s’ouvrent à la volée, répandant des papiers dans le couloir comme de la neige. Les élèves crient.

La tornade passée, Fran me dévisage. Terrorisée. Je le vois dans ses yeux.

Elle a peur de ce que t’es. Peur de tes yeux jaunes.

— Espèce de taré…

Et elle s’en va, me laissant seul sous les regards médusés.

 

Le même soir.

Angela rentre du garage. La neige s’est remise à tomber. Elle conduit prudemment.

Ses pensées convergent vers Stan.

Une larme roule sur sa joue, puis une autre. Le flot ne s’arrête plus. Quel sentiment étrange que de pleurer d’ailleurs. Il n’y a que les humains pour éprouver ce genre d’émotions. Mais elle s’avoue que ça lui fait du bien. Elle comprend soudain qu’avec le temps, elle leur a pris un peu de ce qui fait d’elle aujourd’hui une humaine.

Elle se dit qu’elle aimerait aider Stan. Le sortir de sa détresse. Mais c’est impossible. Lui seul a la clé.

Arrivée à la maison, elle constate qu’elle est plongée dans l’obscurité. Garée devant, la voiture du shérif.

Poussée par l’inquiétude, elle sort de sa Volvo. Le shérif, un grand rouquin aux larges épaules l’aborde.

— Madame Sanders ?

— Vous êtes Monsieur Wittham, le père de Gage, n’est-ce pas.

Il opine l’air grave.

— Madame Sanders… Angela. Il est arrivé quelque chose à l’école. Stan a déclenché une bagarre pendant laquelle Francess Angleton a été blessée…

— Mon fils est incapable de faire du mal, coupe Angela au bord de la colère.

— Je le sais ça Angela, c’est un brave garçon. Il est venu plusieurs fois à la maison. Gage m’a raconté comment ça s’est passé. Francess a poussé votre fils à bout. Mais ce qui s’est passé ensuite m’a laissé perplexe.

Ignorant sa dernière remarque, Angela lui demande :

— Alors pourquoi vous êtes là ?

— La mère de Francess a déposé une plainte.

Elle n’en croit pas ses oreilles.

— Où est Stan ?

— C’est la raison de ma présence ici. Après la bagarre, il s’est enfui. Personne ne l’a revu.

 

Les lumières de Davenport sont loin. Ici, ils ne peuvent plus m’atteindre.

Couché dans la neige fraîche, mon corps nu est momentanément apaisé même s’il est recouvert de plaies purulentes.

Je gratte mon bras, et soudain, un lambeau de peau se détache, révélant une plaque à l’aspect gluant virant du noir au vert. Dessous, une seconde peau pulse.

Je suis là Sssstaaan.

Affolé, je me relève.

Et de derrière un arbre apparaît une ombre qui glisse dans ma direction. Elle a les yeux jaunes fendus d’un trait noir.

 

Angela a profité de la brève absence du shérif pour rassembler quelques-unes de ses affaires et celles de son fils, les a jetés dans sa voiture, et a repris la route.

Elle sait où le trouver.

Elle sent sa détresse, sa peur.

 

La forme se dresse devant moi, mais étrangement, je ne ressens plus la peur de ces dernières semaines. Je tends la main jusqu’à la toucher.

Elle est vibrante. Chaude. Amicale.

C’est moi.

 

La voiture dérape dans la neige. Elle remonte les collines entourées de bois.

Elle le sent.

 

Maman approche.

Je peux la sentir vibrer.

Tout vibre.

 

Angela déboule de la voiture. Descend la faible pente enneigée à l’orée d’un cordon boisé. Et soudain, son fils est là.

Métamorphosé.

 

Maman me sert dans ses bras en faisant abstraction de mon apparence.

Elle m’aime.

— Maman ?

— Oui, mon chéri…

Et elle se met à pleurer. De bonheur.

— Qu’est-ce que je suis maman ?

— Tu es mon fils.

— Qu’est-ce qui s’est passé avec papa ?

— Le mieux c’est que je te montre.

Elle pose ses mains sur mes tempes et ferme les yeux. Aussitôt, un film se déroule dans ma tête.

Une nef dans l’espace étoilé. A l’intérieur, deux ombres tentaculaires. Et un nourrisson. Papa, maman et moi. Les éclaireurs de la ruche. A la recherche d’un nouveau monde.

Une avarie. La Terre est en vue. Elle répond aux besoins vitaux de notre espèce. Ressources quasiment épuisées par l’activité humaine.

Le vaisseau s’écrase. Maman et papa s’enfuient. Papa est tué par des soldats. Maman s’enfuit avec moi.

Nous nous cachons parmi les humains, dissimulés à leurs yeux. Ils n’ont pas notre apparence et nos facultés, mais eux aussi, à leur manière, sont des changeurs de forme, des métamorphes. Ils se cachent derrière leurs faux-semblants, leurs mensonges.

Et à chacune de ses métamorphoses, maman devient un peu plus humaine.

— Aujourd’hui, me dit-elle, est un jour spécial. Dans le calendrier terrestre, c’est le 29 février, un jour insignifiant, mais pour nous, c’est le jour où tous nos enfants se métamorphosent pour perpétuer le cycle. Ceux qui ne surmontent pas l’épreuve périssent.

— Et maintenant ?

— Nous devons repartir. Nous ne sommes plus en sécurité ici.

— Fuir ? Jusqu’à quand ?

— Jusqu’à ce que les nôtres arrivent, mon chéri. Mais je te rassure nous ne sommes pas seuls.

 

 

FIN

Commentaires (5)

Webstory
22.11.2020

Les trois histoires qui se suivaient de près pour le Prix du public: 50 votes sur 385 : Un bien étrange sourire de Carole Gévaudan, Prix du public 2020 43 votes sur 385 : Le 29 février est-il un jour parfait pour mourir de Lauren Fischer 39 votes sur 385 : Métamorphoses de Kurt Fidlers Bravo pour ce score serré!

Kurt Fidlers
01.11.2020

Merci pour ce commentaire génial, content que ça t'ait plu !

Jean Cérien
31.10.2020

Très beau texte qui débute en conte de fée, se poursuit en polar pour finir en science fiction ! Joli tour de force, bravo

Kurt Fidlers
17.09.2020

Merciiii Marie, ça me fait plaisir un si beau commentaire !

Marie Vallaury
17.09.2020

Whaouh ! Palpitant, sans conteste ! Le rythme qui s'intensifie ... et j'adore la fin !

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