Chapitre 1

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Je me suis décidé à vous offrir à nouveau un de mes romans J'essaierai de vous poster un chapitre par semaine, ce qui en fera un feuilleton qui vous conduira au moins jusqu'en novembre.
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Avant de commencer, précisons que ce roman, ( comme les autres du même auteur) est disponible en librairie ou sur les sites de vente en ligne. Dans ce roman précisément, il y a un petit concours: il faut trouver une incohérence temporelle( une même action qui se répète deux fois le même jour). J’offre un autre de mes romans à qui découvre ce détail (page et brève description). Si vous trouvez, écrivez à Webstory qui me transmettra). Pour faire votre ( éventuel…) choix, suivez  le lien suivant:

 

http://www.sfe-fsv.ch/publications-auteur-106.html

 

 

Chapitre 1
Il y a un barrage de police à la sortie du village. Je dois présenter ma carte de presse émise par le quotidien local pour lequel je travaille afin d’obtenir l’autorisation de monter à pied… sous la pluie ! Partie trop brusquement, ce vendredi matin, quand le réd’ en chef m’a appelée, j’ai bien évidemment oublié mon parapluie et me protège comme je peux sous le capuchon de la parka empruntée à Pierre, mon mari, dans l’urgence du départ. Au pire, ils mettra son vieux K-way et prendra un parapluie. Aujourd’hui, il ne travaille que l’après-midi. Il restera ce matin avec les enfants à la maison et mon papa prendra la relève cet après-midi. Au vu de la météo, de toutes façons, je doute qu’ils aient envie de sortir.

 

Le sac contenant mon téléphone et le petit enregistreur numérique est assez étanche pour supporter un déluge. De ce côté, il n’y aura pas de problème.

 

Il pleut sans discontinuer. Le ciel est plombé de gros nuages noirs qui éternuent des éclairs dans un bruit d’enfer. Le vent n’arrange rien et les gouttes de cette pisse céleste qui tombent en rangs serrés m’attaquent méchamment, piquant mon visage et ruisselant sur mes lunettes. Une eau brunâtre coule sur la petite route qui monte à la buvette du téléski et s’échappe parfois dans le lacis de ruisselets qui se forment sur les bas-côtés, vers la forêt. Les champs alentour, saturés de liquide, peinent à déglutir leur eau. J’évite de poser les pieds en dehors du bitume : les rares fois où je l’ai fait, contrainte et forcée pour laisser le passage à une voiture de police ou une ambulance, j’ai peiné à retirer mes chaussures qui ne se sont finalement et péniblement extirpées de cette gangue de boue qu’avec un horrible bruit de succion. Ces borborygmes glougloutants, déclenchés par la traction verticale de mes pieds cherchant à se libérer, avaient engendré au tréfond de mon être la peur viscérale d’obscures forces chtoniennes, ces monstres souterrains et infernaux de la mythologie grecque, tentant de m’aspirer dans les sombres entrailles de la terre.

 

Je continue donc mon chemin en faisant le maximum pour éviter les talus et ces ersatz de sables mouvants. La Croix du Sault, sur la colline à ma gauche, surplombe le village et me rappelle la légende d’un diable qui aurait entrainé les jeunes de la région sur ce modeste sommet pour les dévoyer en d’infernales bacchanales. D’ordinaire, et dans mon souvenir, la petite chapelle dominée par une croix flanquée de deux arbres, est visible de loin. Ce lieu de pèlerinage, d’habitude paisible et bucolique, est aujourd’hui à peine visible et semble participer à l’ambiance lugubre que génèrent à la fois l’orage et les événements qui m’amènent ici ce matin.

 

Au moment d’atteindre le dernier virage au-delà duquel je pourrai apercevoir le téléski et la buvette, je me heurte à un deuxième barrage de police devant lequel se trouvent déjà une équipe de télévision et deux confrères de la presse écrite. Je m’enquiers de la situation puis commence à prendre mon mal en patience.

 

Je regarde autour de moi et m’imprègne de ce paysage familier. Il y a quelque chose de surréaliste à me retrouver ici. Le lieu, les odeurs d’humus, de forêt, déclenchent du fond de ma mémoire des fulgurances de l’enfance qui m’assaillent sans discontinuer. Je me revois avec mes parents et mon frère, dévalant ces pentes en luge ou en ski, arpentant en été les innombrables sentiers de randonnées qui nous emmenaient pique-niquer sur les crêtes où la vue porte d’un côté jusqu’au Jura et au lac de Neuchâtel et de l’autre s’ouvre sur les Préalpes, Bulle et le Moléson. J’entends les conseils de prudence de mes parents et les cris de joie de mon frère, courant à mes côtés ou me dépassant en ski.  Je me remémore, plus que tout, le serment que nous avions fait avec mon frère jumeau, sur une autre montagne, moins boisée mais bien plus haute, le Moléson, alors que nous arrivions au sommet après une montée en téléphérique. Mon frère était vert de peur, empruntant pour la première fois ce moyen de locomotion. Arrivés au sommet, nous nous étions jurés de nous soutenir mutuellement et de nous entraider « jusqu’à ce que nous soyons très, très, très vieux et même presque morts ».

 

Après 20 minutes d’attente, un porte-parole de la police nous informe de la situation.

 

Mesdames, messieurs, Bonjour !

 

Il y a maintenant 4 heures qu’une cinquantaine d’otages environ sont retenus par cinq, peut-être six, hommes armés dans la petite buvette du Mont Gibloux. La cabane avait été louée par une organisation d’aide aux réfugiés qui y avait organisé une fête des familles pour la fin de l’année scolaire des enfants et la pause estivale des cours de français dispensés par des bénévoles aux parents et aux jeunes requérants d’asile célibataires. La pluie a contraint tout ce petit monde, réfugiés et bénévoles, à rester à l’intérieur plutôt que de profiter de la place de jeu et de la nature environnante. Cette situation a facilité la tâche, si j’ose dire, des agresseurs.

 

A 12.35 heures, un gros 4×4 de marque allemande est venu se parquer juste en dessous de la buvette. Des hommes cagoulés et lourdement armés en ont surgi et sont immédiatement entrés, ordonnant à toutes les personnes présentes de se coucher par terre. Pour souligner ses propos et accélérer le mouvement, l’un des individus a tiré une rafale en l’air, juste devant la porte ouverte.

 

Un réfugié afghan et un bénévole de l’organisation d’entraide, qui fumaient à l’extérieur mais hors de vue des assaillants ont réussi à s’enfuir en courant en direction de la route d’accès et du couvert de la forêt adjacente. L’un des malfrats les a aperçus et a tiré à plusieurs reprises dans leur direction. Le jeune bénévole a pris une balle dans l’épaule mais ils ont pu tous deux atteindre la forêt et poursuivre leur chemin vers le petit quartier de chalets où ils ont trouvé refuge et donnée l’alerte.

 

Moins d’une demie- heure plus tard, les forces de l’ordre étaient présentes, dont le groupe d’intervention de la police cantonale. Nous avons bouclé toute la zone sur un rayon de 400 mètres, fermé la route à la sortie du village de Villarlod et ordonné aux habitants les plus proches de ne pas sortir de chez eux. Une tentative de notre part d’approcher de la buvette a déclenché des tirs de la part des preneurs d’otages. De peur d’exposer nos hommes en terrain découvert et surtout, craignant pour la vie des otages, nous avons disposé des véhicules blindés sur la place de parc et c’est à l’abri de ceux-ci qu’un négociateur a tenté de de prendre contact avec les attaquants en utilisant un mégaphone. N’obtenant aucune réponse si ce n’est deux coups de feu dont les impacts n’ont atteint personne, nous nous sommes alors contentés de faire savoir que nous cherchions le dialogue et avons répété à plusieurs reprises un numéro de téléphone que les preneurs d’otages pouvaient appeler pour négocier.

 

Ils viennent d’appeler et de nous faire savoir qu’ils nous transmettront un communiqué vers 20 h. ce soir. D’ici là, je vous demande de ne pas tenter d’approcher du périmètre bouclé et d’être patients. Nous ne savons rien des agresseurs sinon que celui qui nous a contacté parle le français sans accent particulier. Nous ignorons donc pour le moment ce qu’ils veulent et qui ils sont. Le prochain point de presse est prévu à 20.30 h. sauf évolution imprévue de la situation. C’est tout ce que j’ai à vous dire pour l’instant. Il n’y aura pas de question maintenant. Je vous remercie de votre patience et de votre compréhension.

 

Malgré les inévitables et multiples questions posées par les journalistes présents, le policier leur tourne les dos, passe derrière la barrière gardée par ses collègues puis s’éloigne.

 

J’appelle alors mon rédacteur en chef qui m’intime l’ordre de rester sur place et d’attendre la suite des évènements. Quelques confrères de la presse écrite quittent les lieux mais l’équipe de télévision et deux autres journalistes restent sur place. Nous parlons un moment entre nous, échafaudons toutes sortes d’hypothèses, du crime crapuleux à l’attentat terroriste, puis, comme rien ne semble se passer, chacun tue le temps à sa manière, la plupart pianotant sur leurs téléphones. Le vent est tombé, la pluie perd en intensité et on aperçoit même une petite lucarne bleue dans un ciel devenu plus gris que noir.

 

J’avise un tronc coupé posé en bordure de la route contre les sapins. Je vais m’y asseoir, ferme les yeux et, sans vraiment le vouloir, je laisse remonter en moi des bulles mnésiques qui éclatent à la surface de ma conscience et reconstituent peu à peu le puzzle de ma vie. Elles vont chercher les pièces qui le constituent par des chemins aux surprenantes trajectoires sinusoïdales qui ne suivent pas toujours, et loin s’en faut, la belle route chronologique qui nous amène tous du premier cri à la dernière peur.

 

Les souvenirs s’amoncellent, les réminiscences s’accumulent, pour finir par former une espèce de magma mental qu’il me faut évacuer au plus vite. Je ressens un besoin impérieux à la fois de m’en soulager et d’y remettre de l’ordre. Je ne peux pas satisfaire cette envie de parler en me confiant aux collègues, réduits comme moi, à l’attente et à l’inactivité. D’abord je ne les connais pas assez pour me confier et ensuite, cela aurait un petit côté exhibitionniste, voire indécent que de dérouler en public le fil de ma vie, surtout en ces circonstances pour le moins dramatiques. Agir ainsi me condamnerait à devenir le catalyseur des derniers ragots de la profession : non merci ! Mon franc-parler et mon impertinence m’ont déjà valu non seulement de rares remontrances de mon réd’en chef mais aussi des remarques condescendantes, voire acerbes, de certains confrères. Je n’ai donc aucune envie d’attirer l’attention.

 

Mais j’y pense, je pourrais peut-être, dans l’anonymat de ces pages à venir, m’épancher sans risques ?

 

Et c’est là, amis lecteurs, que je vais solliciter votre indulgence et votre patience avant de vous faire connaître le dénouement, que j’ignore encore, des évènements dramatiques que je viens de vous narrer et qui m’occupent professionnellement en ce moment. Nous y reviendrons en temps voulu, je vous le promets. Mais dans l’immédiat, laissez-moi libérer ma mémoire, aérer mes circonvolutions cérébrales que j’estime avoir relativement frisées pour me rendre compte que c’est le moment de parler pour ne pas suffoquer et me noyer dans les souvenirs.

 

Permettez-moi donc de vous raconter, de me raconter…

 

(à suivre)

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