Chapitre 1

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Où l'on découvre ce que ce sont devenus les protagonistes de cette histoire, vingt-cinq ans plus tard..
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ÉPILOGUE / 25 ans plus tard
C’est donc là, ami lecteur, que se pose un dilemme. Vais-je vous dresser un tableau pessimiste de la situation en me vautrant avec délectation dans les prédictions les plus sombres, cauchemardesques en diable au point de démoraliser même le ravi du village à qui l’on aurait donné à la fois Manon, la source, la boulangerie et la mairie. Je pourrais vous décrire les affres vécues par les personnages qui vous ont accompagné au long de votre lecture, pris et broyés dans une tourmente futuriste aux relents d’apocalypse.

 

Je pourrais les faire périr victimes d’infection nosocomiale, empoisonnés par les pesticides, disparus dans une guerre qui opposerait la Suisse à ses voisins. Je pourrais également les faire dépérir ou vivoter d’expédients, de petits travaux alimentaires accomplis au profit d’une poignée de nantis qui règneraient sur une planète surpeuplée, opprimant une population confinée sur les quelques zones que la succession des accidents nucléaires aurait épargnées.

 

Je pourrais vous décrire les énergies fossiles presque épuisées mais dont les reliquats auraient continué à aggraver l’effet de serre et le réchauffement climatique, précipitant les humains vers une fin inéluctable, décimés qu’ils seraient par les catastrophes naturelles, les inondations, les ouragans, les avalanches et j’en passe. Je pourrais imaginer des maux inguérissables, des soins indisponibles à l’immense majorité, le tout doublé d’une stérilité généralisée provenant de la pollution atmosphérique ainsi que d’une alimentation frelatée, trafiquée, saturée d’additifs chimiques toxiques.

 

Je vous laisserais imaginer ces privilégiés vivant dans les quelques villes encore habitables, barricadés à l’intérieur de quartiers fermés et gardés comme des forteresses et le reste de la population entassée dans des cités-dortoirs ou des villages éloignés de tout, situés dans les régions les plus inhospitalières du pays.

 

Je dresserais le tableau d’un chômage endémique et de migrations incontrôlées de populations en quête de survie, dont la violence serait à la mesure de leur désespoir. Je pourrais décrire des bandes armées crapuleuses ou communautaristes qui terroriseraient tout le monde et se battraient pour des territoires d’influence ; une agriculture réduite à peau de chagrin en raison de la mort des abeilles, de la pollution, de l’indisponibilité des énergies nécessaires.

 

S’ajoutant à cela, l’oppression, les dictatures, les guerres, la violence crapuleuse, le terrorisme obscurciraient la vie sur terre à n’en plus finir ; et j’en passe …

 

Eh bien NON ! étant d’un naturel positif et m’octroyant le droit de rêver, de croire que l’espoir contient une part de bon sens, je préfère vous conter la fin de cette histoire de la manière suivante même si, je vous l’accorde, le réalisme et la lucidité ne sont pas à première vue et tenant compte de l’état actuel du monde, les qualités premières de cet épilogue heureux. Le voici donc :

 

Lolotte et Pierre sont à la retraite et habitent toujours le même logement à Bulle quoique séjournant de mai à septembre à Saillon dans la maison de Romain parti rejoindre sa Laetitia il y a une bonne vingtaine d’années. Ils occupent leur retraite par des promenades, de petits voyages, la garde des petits-enfants, l’entretien du verger et du potager à Saillon et des coups de mains occasionnels dans l’exploitation agricole bio de Maxence.

 

Ce dernier, dans sa jeunesse, avait fait la connaissance du papa de Sylviane et développé une passion pour les choses de la terre. Comme aucun des frères de Sylviane, ni leurs enfants, n’avaient voulu reprendre le domaine, le papa de Sylviane a proposé à Maxence de le prendre en apprentissage d’agriculteur puis de s’occuper de l’exploitation après ses études en agronomie à l’école d’ingénieurs de Berne. Cela fait quelques années qu’il a créé, avec quelques copains issus des mêmes études que lui, une coopérative d’agriculteurs bio. Renonçant à l’élevage, à part les poules et les lapins, il s’est centré sur les fruits et légumes qu’il vend à la ferme ou livre à la coopérative. Maxence a une compagne mais ils n’ont pas jugé bon, comme le chantait Brassens, de mettre leurs noms en bas d’un parchemin. Un bébé est annoncé pour le début de l’été.

 

Montse a suivi les traces de son papa et enseigne à temps partiel l’anglais, l’espagnol et l’histoire au lycée, Elle est mariée avec un médecin bernois d’origine sénégalaise et ils ont un garçon et deux jumelles. Récemment, elle a emmené sa famille au sommet du Moléson et leur a raconté le serment de leur grand-maman et du tonton Nesto. Les deux jumelles ont voulu faire pareil et se sont jurées un soutien mutuel éternel.

 

Sylviane, ma belle-sœur depuis 24 ans, et mon frère Nesto viennent de prendre leur retraite. Ils ont eu deux enfants. Un garçon, prénommé Suat, horticulteur et fleuriste, qui vient d’emménager à Martigny avec sa copine. Ils ont aussi une fille, Amandine, ingénieure en informatique, qui vient aussi d’emménager avec sa copine, mais à Fribourg. L’orientation sexuelle de leur fille ne pose aucun problème à mon frère et à son épouse, pas plus qu’il n’en pose dans la société d’aujourd’hui, même si c’est du bout des lèvres par des religieux nostalgiques qui ont parfois de la peine à se départir des jugements à l’emporte-pièce et peu charitables de leurs ancêtres.

 

Le paysage n’a pas beaucoup changé si ce n’est la profusion de panneaux solaires sur presque tous les bâtiments et quelques éoliennes sur les crêtes ou dans les plaines les plus exposées aux vents. Les villes comme Fribourg, Bulle ou Romont se sont peu étendues mais l’habitat a été densifié et rationalisé : on ne voit pratiquement plus de nouvelles villas individuelles se construire mais par contre, de nouveaux éco-quartiers sortent de terre et les anciens bâtiments, sans perdre leur apparence extérieure et leur cachet, ont été rénovés, isolés, rationalisés quant à l’utilisation de l’espace disponible.

 

Tous les véhicules roulent à l’hydrogène ou à l’électricité et l’ensemble du réseau routier est équipé en voies cyclables sécurisées. Pour éviter les encombrements, le covoiturage pour les pendulaires est obligatoire. Cette dernière mesure, relativement impopulaire à ses débuts, est maintenant plébiscitée et bien accueillie non seulement à cause de son effet sur la fluidité du trafic mais aussi pour les relations sociales et les amitiés qu’elle engendre. Les trains et les bus affichent des prix dérisoires et circulent à une cadence qui les rend tout à fait concurrentiels avec la voiture individuelle, excepté bien sûr pour les villages et hameaux isolés.

 

Le monde a beaucoup changé, et Lolotte, avec bonheur, y retrouve la réalisation des rêves de son discours controversé à un club service, un premier avril, il y a de ça bien longtemps…

 

Comment conclure mieux ce récit qu’en reprenant la trame de ce discours pour décrire ce qui a changé :

 

La Suisse n’a toujours pas adhéré à l’Union européenne qui n’existe d’ailleurs plus sous la forme qu’elle avait au début du XXIe siècle. Les pays sont maintenant regroupés en fédérations par continents mais avec des lois fiscales et pénales similaires, ou du moins comparables partout, ce qui ne laisse que très peu de place pour l’évasion fiscale, pour l’injustice et l’arbitraire. Si les ressources fiscales sont utilisées au niveau local, les normes, elles, sont par contre mondiales et les taux progressent bien évidemment en fonction des revenus et de la fortune, ce qui a permis aux collectivités publiques de mieux remplir leurs caisses qu’auparavant tout en baissant les impôts des revenus modestes. Il n’y a plus de paradis fiscaux, il n’y a plus aucune concurrence ni échappatoire à ce niveau-la. S’il est toujours possible de s’enrichir par le travail et que l’égalité totale semble impossible, la fiscalité est là pour répartir la richesse et les milliardaires passent évidemment beaucoup plus à la caisse que les revenus bas et moyens.

 

Le niveau de vie moyen de la population mondiale s’est ainsi élevé à, grosso modo, celui des classes moyennes de notre pays. Les structures locales, les communes et les cantons et leurs équivalents dans les autres pays ont gagné en autonomie et en pouvoir de décisions. De cette manière, on gère beaucoup mieux les ressources, les échanges et l’aménagement du territoire à un niveau régional. Les habitants se sentent aussi plus concernés, participent mieux aux prises de décision et s’engagent dans les collectivités publiques et les associations culturelles ou de bienfaisance locales.

 

Les armées nationales existent encore mais à une échelle réduite, assurant surtout un travail de protection de la population en cas de catastrophe naturelle ou assument, sur mandat de l’ONU, des missions de maintien de la paix dans des régions réfractaires au nouvel équilibre mondial, là où des pouvoirs arbitraires résiduels pourraient déclencher des guerres civiles ou de voisinage.

 

Les grands mouvements migratoires se sont essoufflés depuis que les habitants des pays autrefois les plus pauvres ou en guerre, retrouvent peu à peu une vie meilleure chez eux en raison de tous les efforts internationaux faits pour en accélérer le développement, grâce notamment à cette fiscalité mondiale intelligente qui a permis de dégager des moyens pour que ces régions deviennent désormais des partenaires économiques fiables et participant au bien-être de tous.

 

Les ressortissants de ces pays trouvent maintenant sur place de quoi faire vivre leurs familles. Dans la même foulée, le contrôle des naissances est devenu une réalité mondiale qui a permis de diminuer de manière satisfaisante la démographie galopante qui caractérisait certains pays. La population vieillit un peu plus mais se renouvelle également de manière à ce que les ressources mondiales permettent à chacun de vivre décemment.

 

Les dictateurs et les despotes en herbes, les fanatiques de tout poil ou simplement les malfrats ont perdu ce qui constituait leur logistique : l’argent. De même, la possibilité de recruter des hommes de main s’amenuisait au fur et à mesure que s’éradiquait la misère, l’attrait de l’argent facile disparaissant et ne faisant plus le poids face aux risques encourus.

 

Au niveau énergétique, la sortie du nucléaire est presque terminée au niveau mondial. L’usage du pétrole et du gaz naturel sont sévèrement réglementés et ces ressources ne sont pratiquement disponibles que pour un usage d’utilité publique. Ils ne sont en effet utilisés que par des services d’urgences (transports aériens indispensables, police, pompiers, ambulances, hélicoptères de sauvetage, groupes électrogènes de secours dans les hôpitaux ou centrales de télécommunications etc.).

 

L’électricité provient de l’hydraulique y compris les marées, du solaire, de l’éolien, auxquels s’ajoutent selon les régions, le biogaz de fermentation des déchets végétaux ou des déjections animales. Le chauffage domestique ne se fait plus que par des pompes à chaleur quand il n’est pas devenu carrément caduc à cause de l’isolation très performante des bâtiments et de l’optimisation du rayonnement solaire.

 

Dans une grande mesure, on essaie de produire et de consommer sur place l’énergie produite mais certains pays riches en soleil ou très ventés, exportent aussi leur énergie. Les produits de consommation courante sont essentiellement transformés et consommés sur place. Les échanges internationaux indispensables et le tourisme lointain se font désormais presque exclusivement par bateaux, l’utilisation de l’hydrogène pour les moteurs d’avion n’étant pas encore vraiment fiable. Mais les gens, il faut le dire, ne se plaignent pas de vivre et de bouger plus lentement et de manière moins frénétique que celle qui a caractérisé la fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième.

 

Le monde de la finance a subi de profondes transformations : la bourse a pratiquement perdu son rôle de moteur de l’économie et l’argent alimente en priorité l’économie réelle, la production. Les marchés boursiers sont soumis à des règles drastiques qui empêchent la spéculation par une fiscalité exorbitante de tous les gains qui ne sont pas liés directement à la production de biens et de services. L’augmentation du temps libre et la baisse du rythme de travail a permis de réduire fortement voire souvent de faire disparaitre le chômage.

 

Les dictatures sont tombées les unes après les autres sous la pression des peuples soutenus officiellement par l’ONU et concrètement par les pays dans lesquels les droits de l’Homme n’étaient pas une simple vue de l’esprit. Les tentatives de remplacer certaines dictatures par des théocraties ou des régimes militaires ont fait long feu, les populations ne voulant pas du remplacement de régimes autoritaires par d’autres formes de dictatures. La liberté de croyance est pratiquement garantie partout. Plus personne ne souffre de discrimination grave et en aucun cas de persécutions pour son appartenance ou sa non-appartenance religieuse.

 

Bien sûr, l’être humain restant ce qu’il est, il n’a pas été possible d’éliminer totalement la méchanceté, la bêtise, la violence, l’égoïsme, l’avidité, la jalousie, le goût du pouvoir, les perversités et toutes les formes de psychopathies. La police et la justice restent donc des garants de l’ordre démocratique et du droit de chaque individu à vivre libre, en paix, en sécurité et décemment.

 

Ceux qui enfreignent les lois se voient sanctionnés mais de manière plus efficace que par les peines de prisons d’antan qui devenaient souvent des écoles du crime. En effet, partout, les peines de travaux forcés d’utilité publique en régime de semi-liberté sont devenues la règle et coûtent moins cher à la collectivité que la prison dans l’oisiveté. Pour les individus jugés très dangereux et définitivement incorrigibles, il reste certes des prisons de haute sécurité .En désespoir de cause, un accord international a permis de réquisitionner un  petit nombre d’îles désertes sur lesquelles on exile certains de ces gens-là avec juste le matériel et les outils nécessaires pour en faire fructifier le sol et construire des abris. Bien sûr, comme ailleurs dans le monde, le travail de la police reste nécessaire et ces îles sont surveillées en permanence par satellite et régulièrement par des forces maritimes qui en patrouillent les abords.

 

Bref, tout va bien et le droit de rêver a gagné ses lettres de noblesse parce que, comme disait Sylviane, pour avoir une petite chance de changer le monde et d’obtenir le droit au bonheur pour tous, mieux vaut être un utopiste tenace, un humaniste convaincu, un gentil rêveur qu’un connard égoïste et malfaisant…..

 

Celles et ceux d’entre vous qui ont lu « 18 jours en avril », paru en 2013, me pardonneront certainement d’avoir donné à cette trajectoire fraternelles et les aventures que vous venez de lire, un épilogue présentant quelques similitudes avec celui qui suivait mon roman de 2013. Mais ce que l’on imaginait du futur à cette époque a-t-il vraiment changé ?

 

F I N

 

Janvier 2019, au pied du Gibloux, donc quelque part entre Rhône et Rhin,

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