Chapitre 1
1
Lolotte continue de nous narrer ses années de jeunesse, son mariage, ses débuts dans la vie professionnelle. Elle évoque aussi le parcours de son frère Nesto, la perte de sa maman, le soutien nécessaire à son père endeuillé. Soudain, elle revient au présent et à la raison de sa présence ici.
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Chapitre 4
L’école secondaire qu’on appelle chez nous Cycle d’Orientation ou plus communément CO se fréquente entre 13 et 16 ans. Ces trois ans constituent presque un rite initiatique tant il est vrai qu’ils coïncident avec le débarquement de l’adolescence, l’éveil de la sexualité et les premiers choix professionnels pour celles et ceux qui optent pour la filière d’un apprentissage.
Nesto put réintégrer le cursus régulier à son entrée au CO. Il ne fréquenta cependant pas la même classe que moi, ayant été dirigé dans une section plus facile alors que je fréquentais une classe prévue pour l’entrée au lycée ou collège comme on l’appelle dans notre canton alors que d’autres cantons francophones nomment ces établissements gymnases.
Quand je dis qu’il put réintégrer le cursus régulier, ce serait plutôt qu’il dût le faire. En effet, l’application sans nuance et souvent non différenciée du concept d’intégration et d’une école pour tous, se traduisait parfois par un refus des autorités de placer ou de laisser un élève dans l’enseignement spécialisé alors même que les moyens mis à dispositions dans l’école régulière pour accompagner ces enfants et ces jeunes à besoins particuliers n’étaient de loin pas à la hauteur des discours intégratifs. Cette pratique s’apparentait même aux yeux de certains, à une manière d’économiser sur le dos des plus vulnérables. Paradoxalement, cette belle idée de l’école pour tous se traduisait parfois par une stigmatisation de l’élève concerné de la part de ses pairs, une lassitude des profs et, pour l’élève, par un sentiment d’échec et d’abandon. En cela, cette pseudo-intégration préparait infiniment moins bien certains jeunes à entrer dans la vie active que ne l’eussent fait les structures spécialisées.
Pour Nesto, cette « intégration obligatoire » déboucha sur une véritable désintégration de ses repères. Mis de côté en raison de ses difficultés et de ses sautes d’humeur qui réapparurent dans les premières semaines de sa « réintégration », il accumula les bêtises et les comportements déviants qui faisaient rire la galerie. Cette attitude lui conférait une certaine aura et une reconnaissance de son rôle « d’amuseur » public auprès de la frange de ses camarades aux comportements les plus problématiques, parfois déjà à la limite du délictueux.
Pour ma part, je travaillais beaucoup, sortais assez peu malgré les sollicitations de mes camarades de classe qui se faisaient parfois un point d’honneur à boire plus que de raison au moins une fois par mois et à collectionner les garçons auxquels elles attribuaient des points en fonction de leur conversation, de leur aspect physique et, pour les plus audacieuses, selon leurs performances au lit.
De toutes façons, et jusqu’à mes 16 ans, mes parents étaient assez stricts avec les sorties. Je pouvais aller au cinéma ou à des invitations au maximum deux fois par mois et avec une heure de rentrée fixée à minuit. Le non-respect de cet horaire entraînait une suppression de la deuxième sortie
Cela me convenait assez bien. J’avais du plaisir à passer une soirée avec mes copines de l’école ou de l’équipe de volleyball mais sans plus. Les garçons m’intéressaient mais j’étais tellement exigeante que je m’arrangeais pour décourager les prétendants ne répondant pas à mes critères. Ce n’était pas toujours facile et certains garçons étaient vraiment « relous » et l’on avait vraiment l’impression qu’ils avaient la fâcheuse tendance de penser plus avec leurs burnes qu’avec leur cerveau. Mes parents réussirent à me convaincre de suivre des cours d’auto-défense dont j’avoue qu’ils m’ont été utiles à plusieurs reprises, simplement pour savoir comment décourager des avances inopportunes, appeler à l’aide ou repousser un agresseur d’un coup de genou dans les bijoux de famille. Deux incidents rendus publics avaient poussé mes parents à me faire cette proposition : une camarade de classe fut victime d’une « tournante » organisée par des élèves de quatrième du collège (terminale, pour nos amis français) dans les sous-sols glauques d’un immeuble proche du lycée. D’autre part, une jeune somalienne qui s’était trouvé un gentil copain de confession juive avait été hébergée dans un foyer secret pour femmes après avoir été menacée de mort par son père et son frère. Le petit ami avait échappé à la mort grâce à l’alerte donnée à la police par la mère de la jeune fille qui n’avait pas pu dissuader son mari et son fils de s’en prendre au jeune homme.
Ce n’était pas encore l’époque de « balance ton porc » et de « me too » mais j’étais, comme un bon nombre de mes camarades, déjà bien consciente des inégalités salariales, du machisme ambiant qui pousse les hommes à se croire tout permis : de l’excès de vitesse à la drague grossière et imposée en passant par la condescendance incrédule et amusée face aux femmes qui réussissent mieux qu’eux.
Bien sûr, je flirtais parfois un peu lors de fêtes d’anniversaires où les danses étaient une occasion de serrer de près un garçon. C’est lors d’une de ces soirées que j’en embrassai un pour la première fois : je trouvais cela assez agréable et je me rappelle avoir ressenti des sensations assez sympathiques à quelque part dans le ventre lors du baiser mais plus encore quand il faisait osciller latéralement son torse contre mes seins en dansant. La grosse bosse bien dure que je sentais grandir dans le pantalon de mon partenaire m’intriguait. Non que je sois ignorante de ces choses-là, les cours d’éducation sexuelle et une bonne information parentale m’ayant mis au courant de l’essentiel, mais je me demandais de quoi pouvait bien avoir l’air, en vrai et pas dans les livres, un pénis en érection qui, de limace disgracieuse, devient carotte vivante.
D’une manière générale, je vécus une jeunesse relativement sage et rangée et mes parents bénirent le ciel de ne pas ajouter aux soucis que leur donnait Nesto, une révolte anti-parentale ou des sautes d’humeur de leur fille. Contrairement à la plupart de mes copines, ce n’est qu’à l’orée de mes 17 ans que je perdis ma virginité avec le premier garçon dont je tombais vraiment amoureux. Il faisait bien l’amour, avec délicatesse, douceur et patience. N’ignorant pas l’importance du clitoris, il me fit jouir avant même de me pénétrer et la rupture de mon hymen ne fut qu’un détail un rien douloureux qui se noya dans la jouissance qu’il m’avait donnée. Mais si c’était un bon amant, c’était aussi un salaud et un pauvre type qui me largua comme une vieille chaussette à peine trois mois plus tard pour une pimbêche, une « pinta », qui devait mieux tortiller du popotin que moi et surtout, ne pas le soûler avec de grands discours sur l’avenir du monde.
Je décidai donc de me contenter des amitiés, une valeur sûre, et me concentrai sur mes études que je tenais à terminer et à réussir dans les meilleurs délais possibles.
Comme prévu, après l’école secondaire, j’avais donc poursuivi mes études au collège du Sud, le lycée du sud du canton. Je continuais à m’intéresser avec enthousiasme aux langues, à l’histoire et à la géographie avec des notes qui faisaient la fierté de mes parents mais un peu moins aux maths et en physique dont mes résultats étaient corrects mais sans plus. Je militais dans un groupe d’étudiants écolos et participai aux activités de la section locale d’Amnesty International, Je ne saurai dire s’il s’agissait d’un atavisme familial ou d’une simple évolution de ma conscience mais L’injustice et l’arbitraire m’avaient toujours révulsée.
De son côté, Nesto tenta un apprentissage de maçon qu’il abandonna en deuxième année malgré d’assez bons résultats aux cours et de réelles qualités dans l’accomplissement de son travail. Il était doué pour les langues et apprit certainement autant de portugais et d’albanais avec ses collègues de travail qu’il n’engrangea de connaissance sur les propriétés du béton et les bonnes proportions de sable, de ciment et de gravier calibré. Il est vrai que le fait d’avoir assis son contremaître dans une brouette pleine de béton frais, après une remarque acerbe de ce dernier, provoqua, plus que ses notes très moyennes, la rupture de son contrat d’apprentissage. Malgré les encouragements de ses professeurs, Nesto ne chercha pas un deuxième patron formateur, quitta la maison au lendemain de ses 18 ans et vivota de petits boulots temporaires, surtout dans le domaine de la restauration où il se prit de passion pour la cuisine sans toutefois, au désespoir de mes parents, aller jusqu’à recommencer une formation de cuisinier. Il vivait souvent sur place, dans les établissements qui voulaient bien l’engager, dans des chambres parfois étriquées, peu confortables et souvent à des kilomètres de chez nous. La première année, je réussis à obtenir de lui, mais avec peine, qu’il revienne au moins une fois par semaine à la maison, pour moi, certes, mais aussi pour mes parents, rongés d’inquiétude, dévorés de culpabilité et tentant en vain de voir ce qui n’avait pas fonctionné pour que leur fils en arrive là.
Il vint de moins en moins et un jour il m’avoua qu’il se sentait coupable d’avoir donné tant de soucis à nos parents et qu’il avait décidé de ne revenir régulièrement chez nous que le jour où il serait sûr que nos parents puissent être fiers de lui. Je tentai, mais en vain, de le persuader que papa et maman l’aimaient comme il était, sans condition, et que leur seul vœu, c’est qu’il soit heureux, quel que soit le chemin choisi. Je lui dis aussi qu’il ne devait pas oublier notre serment, que j’étais là pour lui et que j’avais, moi aussi, besoin de savoir mon frère à mes côtés. Ma force de persuasion ne dut pas être très efficace : il se contenta de me rassurer, de me dire qu’il tenait à moi, que les choses allaient changer mais que sa décision de partir était prise.
A 19 ans, il partit habiter Genève avec sa copine du moment, une certaine Rosalba Rossini, puis disparut sans donner de nouvelles à part un message téléphonique ou une carte postale à nos trois anniversaires. Toutes nos tentatives pour en savoir un peu plus sur sa vie ne donnèrent aucun résultat. Ce fut un coup dur pour toute la famille. Maman fit une dépression qui ne dura pas loin de 6 mois et papa tentait de lui remonter le moral par plein de petites attentions et une prise en charge plus importante de toutes les tâches ménagères auxquelles je participais aussi. Après un an, faute de s’être fait vraiment une raison, ma mère commença à se sentir capable de vivre mieux le moment présent et de reprendre goût à son travail et à notre vie de famille, même boiteuse en l’absence de Nesto.
A 19 ans, je rencontrai Pierre, Pierre Crettenand, un authentique « bedjui » et fier de l’être. Bedjuis est le surnom que l’on attribue, en patois valaisan, aux habitants d’Isérables, un village perché au-dessus de Riddes, sur la rive gauche de la vallée du Rhône et qui doivent leurs surnoms aux lointains « bédouins » ou « maures » qui remontèrent la vallée du Rhône aux débuts du moyen-âge. Il me rappela les explications de mon grand-père Raphy Crittin qui m’avait fait la liste de tous les surnoms donnés aux habitants des villages valaisans : Pierre fut très étonné que je connaisse ce sobriquet tout comme, par exemple, les « Vouipes » (les guêpes) pour les habitants de Bovernier ou les « pecà dzotes » (mangeurs de côtes de bette) pour les citoyens d’Ardon.
Assise sur un muret, devant les bâtiments de Miséricorde de l’université de Fribourg, qui abritent les facultés, notamment de lettres, de droit et de théologie, je feuilletais les papiers que je venais de recevoir suite à mon immatriculation en Histoire, en anglais et en espagnol. J’aperçus un jeune homme au physique avenant mais l’air perdu, qui semblait ne pas savoir où aller. Il s’approcha de moi et me demanda où se trouvait les locaux de l’institut de biologie. Il eut l’air paniqué quand je lui expliquai que la faculté des sciences, avec la médecine, la géographie, la chimie et les autres sciences se trouvait à l’autre bout de la ville, tout au fond du boulevard de Pérolles. Il m’expliqua qu’il venait de débarquer à Fribourg de son Valais natal et ne connaissait pas la ville. Il avait une petite dizaine d’années de plus que moi, avait terminé ses études de biologie à Genève et venait d’être engagé comme assistant à Fribourg sans n’y avoir jamais mis les pieds pour remplacer la personne initialement prévue pour ce poste et qui avait fait défection. L’engagement s’était fait d’urgence et par courriels et téléphones. J’avais terminé mes démarches d’inscription et proposai de l’accompagner, ce qu’il accepta avec enthousiasme. Le temps d’arriver à la fac de sciences, le coup de foudre avait déployé ses effets et le soir même, je me retrouvai dans son petit deux-pièces mansardé qu’il louait dans un immeuble vétuste du quartier du Bourg, et, faut-il le préciser, dans son lit pour une nuit où d’emblée l’entente physique fut parfaite et la volupté à son comble.
Ajoutez à cela, dans les semaines qui suivirent, une vision commune du monde, une complicité dans le quotidien, beaucoup d’humour partagé, une gentillesse et une attention de tous les instants à mon égard qui ne se sont d’ailleurs jamais démenties par la suite. Bref, il n’en fallut pas plus pour décider que c’était l’homme de ma vie.
Depuis ce jour-là, nous ne nous sommes plus quittés. Même si l’annonce de notre quasi mise en ménage fut un peu brusque pour mes parents, ils acceptèrent néanmoins de bonne grâce que je partage mes affaires entre le logement familial à Bulle et la chambre de Pierre à Fribourg, de même que mon temps entre mes parents et mon compagnon qui devint officiellement mon mari 4 ans plus tard.
Pierre était fils unique, né sur le tard. Il habitait Riddes, un gros village juste en dessous d’Isérables. Sa mère y avait déménagé lorsque son mari avait perdu la vie dans une avalanche. La vie était plus difficile là-haut, d’autant plus quand on est seule. Elle ne s’était jamais remariée. Jusqu’à sa retraite, elle avait travaillé comme secrétaire et comptable pour un marchand de fruits de Saxon. Pierre était très attaché à sa mère et jusqu’à la mort de cette dernière, survenue peu après la naissance de notre fille aînée, nous allions la trouver au minimum deux fois par mois.
A 25 ans, je terminai l’université avec une licence en histoire, en anglais, en espagnol et une formation de journaliste auxquelles s’ajoutait un niveau C1 en italien et en allemand. Après une année de remplacements dans les lycées de la ville et quelques piges pour divers quotidiens de Suisse romande, j’acceptai une place de correspondante en Espagne où Pierre venait d’être engagé par l’université de Barcelone et le Fonds national suisse pour la recherche scientifique, pour un travail de recherche concernant les effets de l’agriculture sur la faune sauvage du delta de l’Ebre.
Juste avant de partir, j’eus la douleur de perdre ma grand-mère Mercédès parti rejoindre son mari Raphy qui nous avait quitté deux ans auparavant. Malgré le fait que papa ne vendit pas la propriété de ses parents, se contentant de louer la maison à un couple portugais, c’était un peu une page de ma vie qui se tournait. Nous adorions séjourner chez nos grands-parents de Saillon. Mercedes ne s’était jamais vraiment départi de son accent ibérique que j’aimais beaucoup et qui donnait aussi du relief aux récits de la guerre civile de Raphy qui fascinaient surtout Nesto. Ont-ils joué un rôle inconscient dans ma décision d’accepter ce poste en Espagne et de pousser Pierre à postuler pour cette bourse de recherche ? Je ne sais pas mais le fait est que j’avais l’impression d’arriver un peu en terrain connu à Barcelone.
Je travaillais pour 3 journaux suisses et un français. Habitant dans les environs de Barcelone, à Sabadell, plus exactement à la calle San Jaume, je me suis mise un peu au catalan et suivais épisodiquement des cours même si le castillan que je maitrisais aurait été amplement suffisant pour exercer mon métier et vivre au quotidien. Mais je tenais à m’imprégner de la région dans laquelle je vivais et quelques rudiments de catalan ne pouvaient qu’améliorer mon intégration et ma compréhension du pays. L’autonomie accordée à la Catalogne dans l’Espagne post-franquiste, a permis le renouveau de la culture catalane, l’utilisation de cette langue dans les écoles et les documents officiels. Le catalan, après des décennies d’étouffement, revivait en plein jour. Cette langue quittait ainsi le monde confidentiel des chanteurs et des écrivains comme Joan Manoel Serrat, Raimon, Maria del Mar Bonet et tant d’autres, qui s’en étaient servi contre la dictature. J’aimais beaucoup Serrat, qui chante aussi en espagnol et a par exemple mis en chansons de magnifiques textes des poètes Miguel Hernandez et Antonio Machado.
Je voyageais beaucoup dans tout le pays, particulièrement dans la capitale, Madrid ainsi qu’au Pays Basque, encore secoué par les derniers soubresauts des attentats de l’ETA. Comme, par exemple, l’assassinat de Miguel Angel Blanco, auxquels répondaient de manière non moins cruelle, les représailles sanglantes des anciens des « GAL », ces commandos franquistes qui allaient jusqu’à assassiner des militants basques et des membres de leur famille réfugiés en France, avec, si ce n’est la complicité, du moins l’indulgence ou l’indifférence des autorités françaises.
La crise économique n’avait pas encore touché l’Espagne de plein fouet. C’était le temps où des starts-ups informatiques faisaient un carton incroyable en bourse et où des fortunes apparaissaient et disparaissaient de manière fulgurante. Tout à l’euphorie d’un renouveau économique et d’un meilleur niveau de vie, la plupart des espagnols se détournaient un peu de la politique et n’avaient pas encore réalisé à quel point le parti populaire (« el PP », une droite décomplexée et fille naturelle du franquisme) était corrompu et allait, dans un avenir proche, s’avérer incapable de gérer la crise économique qui allait mettre plus du quart des travailleurs au chômage.
Nous nous retrouvions, Pierre et moi, le soir quand nos occupations respectives nous le permettaient et profitions aussi des fins de semaines pour entreprendre des sorties, des promenades, des visites culturelles. Nous nous plaisions dans notre vieil appartement de ce quartier encore populaire à cette époque. Assez souvent, nous empruntions les transports publics, trains, métro ou bus selon la destination et les horaires, pour nous rendre à Barcelone, au bord de la mer et même jusqu’à Gérone et dans les Pyrénées. Nous aimions cette région et notre séjour prenait peu à peu une odeur d’éternité et la forme d’une installation définitive.
Nous voulions aussi que nos enfants naissent sous le soleil espagnol et faisions l’amour aussi souvent que possible, à chaque retrouvaille hebdomadaire, mais parfois aussi plusieurs fois par jour dans nos moments de congés et de vacances. Nous avions une telle complicité et une entente sexuelle si intense que j’avais un orgasme, ou plus, à chaque rapport, que ce soit dans notre lit, sur le carrelage de la cuisine, sous la douche ou contre un arbre à l’écart des sentiers forestiers. Mais rien n’y faisait et aucun descendant ne pointait le bout de son nez. Après avoir consulté quelques spécialistes, nous apprîmes que la spermatogénèse de Pierre posait de petits problèmes de paresse et que mes trompes étaient partiellement obstruées.
Autrement dit, son armée de petits têtards n’était pas assez nombreuse et vigousse pour que l’un d’entre eux réussisse à rencontrer l’un de mes ovules qui, de leur côté, peinaient à se frayer un chemin. Nous dûmes nous faire une raison et commencions à songer à l’adoption quand un événement vint bouleverser notre quotidien et nos rêves de parentalité.
Un vendredi soir, il devait être presque minuit, je reçus un appel de mon père, Romain, bouleversé et peinant à trouver ses mots, qui m’apprit le décès accidentel de ma ma mère. Le même jour, elle était en course d’école à Genève où elle devait, entre autres choses, visiter le Palais des Nations et les studios de la télévision. Le soir, alors qu’elle s’apprêtait à traverser un passage piéton en direction de la gare avec sa classe de lycéens, deux conducteurs se poursuivaient sur l’avenue au volant de leurs voitures de sport. L’un d’entre eux tenta un dépassement par la droite que l’autre voulu empêcher en se rabattant vers le trottoir. Il perdit la maîtrise et faucha maman. Avant le choc qui l’expédia à une dizaine de mètres plus loin sur la chaussée, elle eut juste le temps de repoussser ses deux étudiants les plus proches qui la suivaient. Héliportée à l’hôpital, elle ne survécut pas à ses blessures et décéda dans la soirée.
Mes parents vivaient presque en symbiose. Ils partageaient tout, ne se disputaient quasiment jamais, étaient amoureux comme aux premiers jours et j’imaginais bien mon père complètement désespéré et perdu. Le soir-même, Pierre m’amenait à l’aéroport où je pus, sans trop de problème en ce mois de novembre, trouver un vol pour Genève. Il promit de me rejoindre le lendemain, devant encore terminer un travail à l’université.
En arrivant à la maison, je découvris mon père complètement effondré. Il pleurait sans discontinuer et affirmait qu’il ne pourrait jamais vivre sans son épouse, qu’il voulait la rejoindre et qu’il avait beau aimer ses enfants mais que la vie sans elle ne lui paraissait plus vivable.
Les seuls moments où il ne pleurait pas, il affirmait vouloir aller faire la peau de ce salaud de chauffard qui lui avait tué l’amour de sa vie. Il se contenta de lui écrire, lui disant qu’il espérait bien qu’il ressente de la culpabilité jusqu’à la fin de ses jours, qu’il ne conduise plus jamais, qu’il devienne impuissant et ne trouve jamais de compagne. Papa me fit remarquer que c’était une piètre vengeance et de surcroit inutile, mais qu’il en avait eu besoin.
Nous prîmes tout en charge avec Pierre : les faires-parts, les obsèques, les démarches administratives et surtout l’accompagnement de mon père qui n’était plus que l’ombre de lui-même. Le médecin de famille se chargea de nous procurer pour papa tous les médicaments nécessaires pour l’aider à survivre dans ces jours difficiles.
J’ameutai tous les anciens copains de Nesto pour lui annoncer la triste nouvelle mais fis chou-blanc. Personne ne put me renseigner et Nesto semblait vraiment avoir disparu. Je fis publier le faire-part dans quatre quotidiens de différentes régions afin d’avoir peut-être une chance qu’il les lise mais ne reçut aucune nouvelle jusqu’à cette simple carte, envoyée d’Italie, trois mois plus tard, où il était écrit :
« Salut sœurette, je sais pour maman, je prie pour elle, je prie pour vous. Embrasse papa pour moi. Nesto ».
Mais il n’y avait ni adresse ni téléphone ni rien qui m’eût permis de le localiser et de la contacter. Je trouvais également étrange que Nesto écrive qu’il priait pour nous : à ce que je m’en souvienne, lui et les religions ne s’accommodaient guère. Mais dans l’immédiat, notre priorité était de soutenir mon père. La carte de mon frère me fit mal : J’aurais tellement voulu qu’il soit là, que nous nous soutenions mutuellement face à ce deuil si douloureux pour moi et surtout pour papa.
Ne plus voir Nesto, encore plus dans ces circonstances, était une torture quotidienne. Il n’y avait pas eu un jour, depuis son départ et son absence muette, sans que je pense au moins un instant à mon jumeau ou que je me demande ce qu’il aurait dit, pensé ou fait face à telle situation.
Mais maintenant, la priorité, c’était papa.
Je me rendis assez vite compte que nous ne pouvions pas le laisser seul. Après une longue discussion avec Pierre, nous décidâmes de rentrer pour de bon et d’abandonner pour l’instant en tous cas nos rêves espagnols. Nous prîmes donc la décision de nous installer avec papa et de chercher du travail sur place. Pierre, qui arrivait à la fin de son mandat de recherche, obtint la permission de le terminer en Suisse et décrocha ensuite une nomination comme professeur de biologie au « collège du Sud » à Bulle. Pour ma part, et profitant d’un départ à la retraite dans le quotidien local pour lequel j’avais aussi œuvré comme correspondante en Espagne, j’obtins sans souci un poste à la rubrique locale.
Nous habitions l’appartement de ma jeunesse, à Bulle, avec mon père et tentions de l’accompagner dans son veuvage, d’autant plus difficile pour lui qu’il ne put reprendre le travail, son congé maladie l’ayant amené jusqu’à l’âge de la retraite. A la date fatidique, celle de ses 65 ans, son patron, l’ami d’enfance qui l’avait engagé à son arrivée à Fribourg puis confié la gérance de la succursale de Bulle, organisa une grande fête avec tous les employés, collègues de mon père. Mais nous dûmes faire des pieds et des mains pour qu’il accepte cette invitation et quasiment l’amener de force au garage. Ils lui offrirent une jeep remise à neuf, une paire de souliers de marche et un panier pour les champignons. Ces cadeaux émurent papa aux larmes et contribuèrent, effectivement, à lui changer un peu les idées quand il partait aux champignons avec son cadeau sur les petites routes carrossables des Préalpes fribourgeoises ou de son Valais natal. Nous dûmes lui imposer l’achat d’un téléphone portable avec une application nous permettant de le localiser et une autre, dotée aussi d’une géolocalisation lui permettant, en utilisant qu’une seule touche, d’appeler les secours si nécessaire.
Toutes nos tentatives et tous nos encouragements pour tenter de lui faire rencontrer une compagne se soldèrent par un échec : il n’aurait qu’un amour dans sa vie, son épouse, et, si le destin le voulait, il la rejoindrait bientôt pour l’éternité. Mais en attendant l’éternité, il se mit aux fourneaux et c’est lui qui assura l’essentiel de nos repas familiaux avec, presque, autant de talent qu’en avait eu son épouse, ma mère.
Par contre, en plus de sa passion pour la montagne en général, les myrtilles et les champignons en particulier, mon père se lança à corps perdu dans une série d’activités bénévoles auprès de requérants d’asile ou de réfugiés vivant dans la région : cours de français, soutien pour les questions administratives et les démarches auprès des différents services de l’Etat, aide aux devoirs etc. Il était confronté à des parcours de vie qui comprenaient des récits de viols, de maltraitance et de torture en Lybie, des traversées chaotiques de la Méditerranée sur des coquilles de noix sans parler de la promiscuité des camps de « transit durable » installés sur les îles grecques, j’en passe et des pires… Mais reconnaissons que tout cela l’aidait parfois à relativiser le vide et la douleur laissés par le départ de maman, en se disant qu’elle aurait apprécié de le voir ainsi pratiquer l’altruisme sans pour autant la remplacer.
Contre toute attente, à l’orée de mes 33 ans, année médicale s’il en est, je tombai enceinte et donnai naissance à Montsé, diminutif de Montserrat, prénom catalan en souvenir de nos années passées là-bas. Quelques examens confirmèrent que mes trompes laissaient désormais le passage aux petits spermatozoïdes de mon mari, pour autant que parmi la petite population que Pierre pouvait fournir, il s’en trouvât un capable d’arriver au bout de son périple. Et deux ans plus tard, rebelote, un petit frère prénommé Maxence débarquait dans la famille.
Le quota étant atteint à notre avis, je décidai de me faire ligaturer les trompes mais Pierre proposa de subir une vasectomie, qui est une opération plus rapide et moins invasive que celle que je me proposai d’entreprendre. Pierre a toujours été comme ça : attentif, à l’écoute, pensant d’abord à mon bien-être et à mon bonheur avant le sien. Je bénissais le ciel de vivre une vie de couple semblable au modèle parental que j’avais eu.
Nous adoptâmes nos temps de travail à la nouvelle donne familiale. Mon père fut certes mis à contribution pour la garde des enfants, ce qu’il acceptait quasi aussi souvent que nous le lui demandions mais Pierre réduisit son enseignement à un 60% alors que je continuai à travailler pour le quotidien local à 70%. J’étais en charge de tout ce qui touchait aux faits de société : éducation, droits humains, égalité salariale etc. mais ne coupais pas à l’obligation de couvrir des manifestations culturelles, politiques, des assemblées communales ou d’associations et même des faits divers, la petite équipe du journal ne permettant pas une spécialisation à outrance. Mais cela ne me déplaisait pas et ce côté « généraliste » me convenait bien tout comme me convenait à la fois l’ambiance de travail et la ligne rédactionnelle du journal. Ce quotidien avait échappé aux grandes concentrations dans le pays et n’appartenait à aucun grand groupe de presse. S’il remplissait sa mission de quotidien régional, il offrait également des analyses, des enquêtes factuelles et fouillées et faisait preuve d’une indépendance et d’un professionnalisme pas toujours de mise dans le paysage médiatique actuel.
C’est la raison pour laquelle je m’efforçais parfois de freiner un tant soit peu ma spontanéité et mon franc-parler quand mon indignation prenait le pas sur la distance et la sérénité professionnelle nécessaires pour m’en tenir aux faits et les analyser de la manière la plus objective possible. Je dois reconnaître que cette attitude ne coulait pas de source pour moi dans toutes les situations que je percevais comme des injustices, surtout quand cela concernait des migrants, des femmes, des enfants ou que j’avais en face des interlocuteurs affairistes, bornés, nationalistes, ou même racistes.
J’ai un profond respect pour mon rédacteur en chef, même s’il ne partage pas toutes mes convictions. J’en veux pour preuve la demande qu’il m’avait faite de faire un discours à l’assemblée du club-service dont il fait partie, qui se tenait cette année-là un premier avril. Je vous le livre ici pour que vous vous rendiez compte de son indulgence. Il m’avait certes sermonné en me disant qu’il en aurait pour des mois à recevoir des critiques quant au choix de l’orateur et surtout à la teneur du discours, mais qu’il appréciait mon travail et que la liberté d’expression était, pour lui, sacrée et surtout dans un contexte où je n’engageais que moi et pas notre journal.
Voici donc le discours que j’ai tenu ce jour-là :
Mesdames, Messieurs,
On m’a demandé de vous entretenir de l’état du monde, de vous donner mon point de vue de journaliste, mais qui n’engage que moi et pas mon journal, sur ce qui se passe sur notre bonne vieille terre de nos jours. Au vu de la date de ce jour, je préfère vous en livrer une vision plus personnelle.
Aujourd’hui premier avril, est un jour où l’on peut se permettre de faire des gags, de raconter des histoires, de mentir un peu, de se gausser de la naïveté et de la crédulité de nos semblables, un jour joyeux où nos enfants accrochent des poissons dans le dos de leurs profs qui font semblant de ne pas les voir. Bref, c’est un jour qui a vocation de faire sourire ou rêver. Ce premier avril coïncide cette année avec le jour de Pâques, jour de la résurrection, symbole de vie et de paix pour les chrétiens.
Ces 2 évènements simultanés m’ont donné envie de me raconter des histoires, de vous raconter mes espoirs, même si à la fin, il faudra bien, malheureusement et pour le moment, ajouter “poisson d’avril”. Au terme de cette journée, voici donc quelques-unes des informations les plus réjouissantes de l’état du monde, telles que j’aimerais les lire ou les regarder dans les médias :
Les récentes élections présidentielles américaines qui ont eu lieu suite à la destitution par le congrès de l’ex-président Trump, ont mené à la présidence une candidate afro-américaine de 35 ans, égérie du mouvement anti-armes et candidate du nouveau parti écologique. En Europe, les partis « verts » ont remporté la plupart des élections nationales, reléguant dans les mauvais souvenirs les gouvernements xénophobes, nationalistes ou néo fascistes qui ont fait des passages ces dernières années, par exemple en Italie, Hongrie, Slovaquie ou Pologne.
Les troupes turques se sont retirées de la partie du Rojava (le Kurdistan syrien) qu’elles occupaient suite à la destitution d’Erdogan par le parlement. Tous les fonctionnaires, magistrats, professeurs injustement renvoyés ou emprisonnées en Turquie ont été libérés et réinstallés dans leurs fonctions antécédentes. Les autres prisonniers politiques ont été libérés et les droits démocratiques complètement rétablis, y compris ceux des Kurdes et d’autres minorités.
Des élections démocratiques viennent d’être organisées en Syrie où a été constitué un tribunal pour juger les crimes de guerre commis autant par les partisans du dictateur Assad que par les groupes jihadistes.
Une femme vient d’être nommé reine d’Arabie saoudite et a immédiatement instauré une monarchie constitutionnelle, nommé une première ministre et fait élire un parlement qui a voté des droits égaux pour tous les citoyennes et citoyens du pays.
La peine de mort est déclarée interdite par l’ONU. La liberté de croyance est garantie partout. Plus personne ne souffre de discrimination et en aucun cas de persécutions. Les religions sont les bienvenues à partir du moment où elles ne revendiquent pas l’exclusivité et qu’elles soient là pour aider les humains à se respecter les uns les autres, qu’elles ne pratiquent ni prosélytisme actif ni violence. Les droits humains et l’égalité hommes-femmes sont devenus la norme et les rares régimes qui ne les respectent pas encore sont soumis à de telles sanctions sur le plan économique ou des échanges énergétiques, qu’ils ne pourront que lâcher prise d’ici peu sous peine de voir leurs économies s’effondrer et leur population se soulever.
Le monde a beaucoup changé à cause d’un zest d’utopie qui fit office de levure dans une pâte de bon sens pétrie par des hommes de bonne volonté un peu partout sur la planète. Ces acteurs du changement étaient les partisans, sinon d’une décroissance, du moins d’une croissance économique soumise aux exigences d’un développement durable, d’une plus juste répartition des richesses et des ressources. Les fanatismes religieux, le nationalisme, le racisme, la xénophobie, sont en voie de disparition, ne trouvant plus de terrain favorable où répandre leurs poisons.
Au niveau énergétique, la sortie du nucléaire est presque terminée au niveau mondial. L’usage du pétrole et du gaz naturel sont sévèrement réglementés et ces ressources ne sont disponibles que pour un usage d’utilité publique. Ils ne sont utilisés que par des services d’urgences (transports aériens indispensables, police, pompiers, ambulances, hélicoptères de sauvetage, groupes électrogènes de secours dans les hôpitaux, centrales de télécommunications etc.).
Les véhicules vont beaucoup moins vite et fonctionnent à l’électricité ou à l’hydrogène. L’électricité, elle, provient de l’hydraulique y compris des marées, du solaire, de l’éolien, auxquels s’ajoutent selon les régions, le gaz de fermentation des déchets végétaux ou des déjections animales. Le chauffage domestique ne se fait plus que par des pompes à chaleur quand il n’est pas devenu carrément caduc à cause de l’isolation très performante des bâtiments et de l’optimisation du rayonnement solaire.
Les produits de consommation courante sont essentiellement transformés et consommés sur place. Les échanges internationaux indispensables et le tourisme lointain se font désormais presque exclusivement par bateaux, l’utilisation de l’hydrogène pour les moteurs d’avion n’étant pas encore vraiment fiable. Mais les gens, il faut le dire, ne se plaignent pas de vivre et de bouger plus lentement, de manière moins frénétique que celle qui a caractérisé la fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième.
Les paradigmes du monde de la finance ont changé drastiquement : la bourse a pratiquement perdu son rôle de moteur de l’économie et l’argent alimente en priorité l’économie réelle, la production. Les marchés boursiers sont soumis à des règles strictes qui empêchent la spéculation par une fiscalité exorbitante sur tous les gains qui ne sont pas liés directement à la production de biens et de services. Il y a bien assez de ressources pour espérer voir la majorité des habitants de notre planète vivre grosso modo avec le niveau de vie des classes moyennes de nos pays occidentaux. Mais pour cela, il était devenu évident qu’il fallait prendre aux plus riches et ne leur laisser aucun endroit dans le monde où ils puissent soustraire leurs fortunes et leurs revenus indécents au fisc et au bien commun. Si les ressources fiscales sont utilisées au niveau local, les normes, elles, sont mondiales. Il n’y a plus de paradis fiscaux, il n’y a plus aucune concurrence ni échappatoire à ce niveau-là.
Les grands mouvements migratoires disparaissent peu à peu depuis que les habitants des pays autrefois les plus pauvres retrouvent une vie meilleure chez eux en raison de tous les efforts internationaux faits pour en accélérer le développement, grâce notamment à cette fiscalité intelligente qui a permis de dégager des moyens pour développer les régions les moins favorisées, qui, de régions aidées et soutenues, sont devenues des partenaires économiques fiables et participant au bien-être de tous. Les ressortissants de ces pays trouvent maintenant sur place de quoi faire vivre leurs familles.
Les pays sont maintenant regroupés en fédérations par continents mais avec des lois fiscales et pénales similaires, ou du moins comparables partout, ce qui ne laisse que très peu de place pour l’injustice et l’arbitraire. Les armées nationales existent encore mais à une échelle réduite, assurant surtout un travail de protection de la population en cas de catastrophe naturelle ou assumant, sur mandat de l’ONU, des missions de maintien de la paix dans des zones encore réfractaires au nouvel équilibre mondial, là où de rares pouvoirs arbitraires subsistants pourraient déclencher des guerres civiles ou de voisinage.
Les dictateurs, les despotes, les fanatiques de tous poils ou simplement les malfrats ont perdu ce qui constitue leur logistique : l’argent. Au fur et à mesure que s’éradiquait la misère, la possibilité de recruter des hommes de main a pratiquement disparu.
Bien sûr, l’être humain restant ce qu’il est, il n’a pas été possible d’éliminer complètement l’avidité, la bêtise et la violence. La police et la justice restent donc des garants de l’ordre démocratique et du droit de chaque individu à vivre libre, en sécurité, en paix et décemment.
Partout dans le monde, le pouvoir politique a été fortement décentralisé, un peu à l’image de ce qui a toujours existé en Suisse. Les régions peuvent ainsi mieux gérer, et plus souplement, les ressources, les échanges et l’aménagement du territoire. Les habitants se sentent ainsi plus concernés, participent mieux aux prises de décision et s’engagent plus dans les collectivités publiques.
Poisson d’avril ? Je dois bien reconnaître que pour le moment, ces bonnes nouvelles du monde ne sont qu’espoir et utopie et peuvent répondre à la définition d’un poisson d’avril.
Mais finalement, à bien y réfléchir, est-ce vraiment inconcevable que de tout faire chacun à notre niveau, pour obtenir la victoire de la paix sur la guerre, de l’intelligence sur la bêtise, de la solidarité sur l’égoïsme, de l’ouverture sur le repli sur soi, de la tolérance sur le dogmatisme et le fanatisme, de l’amour sur la haine, du futur possible sur l’apocalypse programmée et tout bêtement, du bonheur sur la sinistrose ?
Personnellement j’y crois. Je crois même que cela commence au quotidien, par ce bonheur tranquille qui nous donne la force, l’espoir et la patience nécessaires pour être, chacun à notre manière, acteur de ce changement mondial par notre engagement quotidien ?
Est-ce vraiment incongru que de faire l’éloge de la gentillesse dont la définition reste largement galvaudée et ne nous laisse qu’une impression de mièvrerie façon loukoum, dégoulinante à souhait, alors que la gentillesse, la vraie, demande infiniment plus de force que la violence qui est la réponse des faibles et le refuge de la bêtise ?
Et pourquoi ne pas commencer par des objectifs tout simples tout simples atteignables par tout un chacun dont je vous laisse quelques exemples :
Partager les tâches du ménage ? Ne pas négliger ni son couple ni ses proches ?
Prendre tout le temps nécessaire avec nos enfants et leur permettre de se forger des personnalités capables de construire à la fois leur bonheur et le monde de demain ?
Consommer autant que possible de la nourriture locale, si possible bio et pour le reste, se renseigner si ce que nous achetons est produit manière respectueuse de l’environnement et avec des conditions de travail décentes ?
Participer à la vie locale du quartier ou du village ? S’engager dans nos communautés sur le plan politique ou associatif ?
Réfléchir avant de se déplacer : la voiture ou l’avion sont-ils indispensables ? Peut-on faire autrement ?
Oublier et savoir relativiser les querelles de famille, de voisinage, les jalousies, les médisances et autres stupidités et futilités chronophages ? Et j’en passe…
Je sais, je sais, l’épithète de bisounours ne plane jamais très loin de mes espoirs même si je vous assure que ma rage contre l’injustice sous toutes ses formes n’a rien de celle d’un bisounours. Mais cela ne me touche guère. J’ai toujours eu la chance de savoir ouvrir mon parapluie pour recevoir des insultes et des jugements qui coulent ainsi sur mon indifférence.
Cela dit, à tout prendre, je préfère être traité de bisounours que de me comporter en connard malveillant !
Mesdames, messieurs, à vous de choisir, comme des millions de vos semblables, ce que vous voulez faire de notre planète, de notre humanité.
Je vous remercie pour votre attention.
Dire que j’eus droit ce jour-là à un tonnerre d’applaudissements ne serait pas vraiment conforme à la vérité. Il y en eut, certes, car ces gens-là ont tout de même du savoir-vivre.
Mon patron me remercia froidement et je sentis la contrariété jusqu’aux bout de ses doigts quand il me serra la main pour prendre congé avant d’entamer l’ordre du jour prévu de l’assemblée. Il eut malgré tout le temps de me glisser : « On en parle demain matin dans mon bureau, OK ? ».
On en parla et il m’exprima l’incongruité qu’il ressentait face un tel discours devant cette assemblée et la gêne que cela lui occasionnerait dans les contacts avec les membres de son club. Mais il ne m’en tint pas rigueur, me paya même ce qui avait été convenu avec le club, décréta que « l’incident était clos » et m’envoya travailler.
Comme dans tout microcosme professionnel, notre rédaction avait les mêmes proportions de gens sympas, drôles, ouverts, travailleurs et serviables et son contingent inévitable de personnalités grincheuses et quérulentes, de prétentieux à l’ego gonflé à l’hélium, sachant toujours tirer la couverture à eux, cherchant la lumière des projecteurs ou enfin de glandus capables de passer inaperçus, de faire le minimum et de filer, l’air de rien, les tâches ingrates ou pénibles aux collègues. Mais dans l’ensemble, l’équipe me convenait et je tâchai de faire mon travail avec le maximum de rigueur professionnelle et d’engagement.
C’est donc aussi par conscience professionnelle et loyauté envers mon chef et mes collègues que je n’ai pas rechigné quand il m’a appelé, ce matin, un samedi, pour me dire : « Louise, j’ai besoin de vous à Villarlod. On vient de recevoir un téléphone d’un informateur du village qui nous dit qu’il se passe quelque chose de grave à la buvette du téléski, apparemment une prise d’otage ou quelque chose comme ça. Vous filez là-bas, vous faites votre job et vous me tenez au courant.
Et c’est pour cette raison que je suis ici en train de vous raconter ma vie en attendant qu’il se passe quelque chose.
Depuis un moment, fatiguée de ressasser ma vie passée, je me suis assoupie et même carrément endormie à force d’attendre contre ce tronc d’arbre.
Subitement, je me réveille brusquement et reviens à la réalité présente.
(à suivre)
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