Créé le: 31.10.2014
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Les points de sutures 6

Journal personnel

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© 2014-2024 Nicolas Rochey

— Tu veux quoi comme musique à ton enterrement ?
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Parmi toutes les choses dont je n’ai plus été capable durant ces mois d’été; regarder un film entièrement, m’intéresser à un article de journal ou avoir une conversation qui dépasse trois phrases, la plus étonnante a été mon rapport à la musique.

 

Tous ces mots, ces riffs et ces mélodies que j’avais adorées m’étaient devenues insupportables. Ces playlists que j’avais créés, ces morceaux inconnus, dénichés puis adorés étaient une torture.

 

Je me suis rendu compte que tous les morceaux qui me touchait recélaient une grande part de tristesse. ” Blacker than black “, ” The bitter end “, ” Tomorrow may not be better “.

 

Pendant des années, je m’étais injecté de la mélancolie par voie auditive, et à haute dose. ” Les écorchés ” impossible à écouter, suivante…” Insomnia ” non, skip aussi. Je vais bien trouver un morceau écoutable au moins quelques minutes avant de tomber sur la phrase ou le refrain qui me fera skiper. ” Desperate Andy ” skip, ” Bullets “, ” Lost “, ” Soulstorm ” skip, ” Hate my life ” SKIP.

 

Un jour, boulversée en rentrant de l’enterrement d’un ami d’enfance décédé subitement, Marie m’a demandé, sans y prendre garde, avec tout le tact d’un uppercut;

— Tu veux quoi comme musique à ton enterrement ?

Mâchoire fracturée.

— Parce que moi j’en ai choisi une si ça devait m’arriver.

Feinte sur la droite.

— Mais toi tu écoutes tellement de styles différents, que je ne saurai même pas lequel choisir pour bien faire, pour te faire plaisir.

 

Bien faire… plaisir… KO pour le compte, je parvenais juste à murmurer dans un souffle, en mode automate, la seule phrase possible:

— Je ne sais pas.

 

Cette question m’a hanté tout l’été. Peut-être “Relax, take it easy” de Mika qui exprime un magnifique équilibre entre la tristesse et la résilience. Bof, pas sûr. En fait, je ne sais pas.

 

J’y pensais sans arrêt. Je n’arrivais pas à prendre rendez-vous chez le dentiste pour soigner une carie (en fait, je me disais “à quoi bon être enterré avec une dent saine”), mais comme je n’avais pas encore décidé de ma chanson, il fallait bien que je l’affronte ce sadique en blouse, avec son assistante qui se vengerait de je ne sais quoi en m’enfonçant quatre doigts, un miroir, un tuyau d’arrosage et un aspirateur dans la bouche.

 

En vacances, peut être au plus haut de la crise, je posais accroupi sur le sable au soleil couchant, avec ma brassée de filles de chaque côté. Au moment du shoot, le sourire crispé, je me demandais si cette photo serait la dernière qu’elles auraient de leur papa. Mais bordel, je n’avais toujours pas ma chanson.

 

Aujourd’hui, j’ai retrouvé le plaisir de mes morceaux préférés, ” I’m not a fool ” ou ” Breaking the habit ” me font à nouveau vibrer, mais plus tout à fait comme avant. Avec des émotions plus identifiées, plus conscientes.

 

Aujourd’hui aussi ma carie est réparée et on a pris plein d’autres photos de famille. Mais je n’ai toujours pas ma chanson. En fait, je m’en fous pas mal, j’ai pas l’intention qu’on la joue prochainement. Par contre, je pense que l’assistante de mon dentiste continue de fourrer ses doigts dans la gueule de n’importe qui.

 

Suite Les points de sutures 7

Commentaires (3)

We

Webstory
26.10.2018

'Continuez au prochain épisode chapitre 7: J’ai honte. Je marche en regardant mes pieds. Le droit, le gauche, le droit, le gauche. Je crains que l’un d’eux n’apparaisse plus et que je m’écroule. '

ro

root
23.02.2015

Bonjour, j'ai été très intéressé par la justesse et l'humour de votre récit. Malheureusement, depuis quelques mois, vous n'écrivez plus... Seriez-vous guéri? Ce serait dommage! Que vous n'écriviez plus, je veux dire.

Starben CASE
10.02.2015

Cynique, juste et plein d'humour. A quand Sutures 7? On en redemande!

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