Créé le: 25.09.2014
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Les points de sutures 4
Et d’ailleurs je m’en fous pas mal de comprendre à cet instant, je veux juste apercevoir de la lumière…
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J’avais tout lu: Comprendre la dépression, l’Affirmation de soi, la Pensée positive, la Santé par la relaxation, Tomber 7 fois se relever 8,… Et rien ne changeait. J’étais toujours dans le tunnel.
Le plus édifiant de ces livres était certainement “Comprendre la dépression”, une dizaine de chapitre. J’ai lu avec avidité les premiers qui traitaient des prédispositions, des symptômes (dont évidement je reconnaissais les miens). Viennent ensuite les chapitres sur les médicaments et sur les techniques de psychothérapie. J’ai tout compris des méthodes analytiques, systémiques ou cognitivo-comportementales. Vite la suite… J’allais enfin comprendre. Les derniers chapitres traitèrent de la prévention, de la rechute et des conseils à l’entourage.
Mais quel bouquin de merde. On m’a servi une entrée alléchante et un dessert dont je n’avais pas envie. Mais où était le plat principal; COMMENT je sors de ce tunnel?
— Monsieur Rochey, vous n’avez encore pas compris, me dit une infirmière du centre de Thérapie.
Sans blague, la nouvelle de l’année, évidement je ne comprends rien. Et d’ailleurs je m’en fous pas mal de comprendre à cet instant, je veux juste apercevoir de la lumière. Ensuite le travail de compréhension pourra commencer en thérapie.
— Mais ça n’est pas comme cela que ça marche, continue-t-elle. Vous avez passé votre vie à être un bon fils, un bon élève, un bon père et mari, un bon employé et là vous faite tout pour être un bon patient. Un patient modèle. Vous êtes toujours à l’heure, vous ne rater aucune séance, qu’elle soit individuelle ou en groupe. Vous n’êtes pas en stage commando ici. Ça n’est pas comme ça que ça marche.
Non mais je rêve. Alors c’est quoi que l’on attend de moi? Que je ne respecte pas mes engagements, que je vous envoie péter ?
— Alors dites-moi comment ça marche?
— Je ne sais pas.
Ah non. “Je ne sais pas” c’est ma phrase à moi. Je la prononce à tout bout de champ depuis trois mois. Qu’est ce qui te ferait plaisir de manger ce soir? Je ne sais pas. Qu’as-tu envie de faire ce week-end? Je ne sais pas. T’as besoin que je t’achète quelque chose au magasin ? Je ne sais pas.
Je ne suis pas venu vous voir pour entendre “je ne sais pas”. Vous devez savoir. Vous n’avez pas le droit de me voler ma phrase.
— Vous devez bien avoir un début de piste? Une orientation à me donner?
— Oui, vous devez accepter et vivre votre dépression. Vous devez vous écouter et lâcher prise.
A mon rendez-vous du lendemain, elle me demande comment s’est passé l’après-midi de la veille.
— Eh bien, je me suis écouté et j’ai lâché prise.
— Très bien, très bien Monsieur Rochey et qu’est-ce que ça a donné ?
— J’ai fermé les volets et j’ai passé la journée dans noir.
— Bien… Euh bien. Bon, en fait ça n’est pas comme ça que ça marche. Vous devez vous écouter et sortir, voir des amis, faire des choses que vous aimez.
— Pourtant quand je m’écoute c’est pas ce que j’entends. J’entends rien en général, mais en tout cas pas de voir des amis.
Et c’est là, à cet instant précis qu’elle m’a livré comme une recette miracle, un secret transmi d’amphithéatre en cabinet, la phrase la plus édifiante qu’il m’avait été donné d’entendre.
— Monsieur Rochey, écoutez-moi bien, maintenant vous devez vous faire plaisir!
Waow, il va pas falloir que je l’oublie celle-là. Quelle performance; mettre le verbe “devoir” et le mot “plaisir” dans la même phrase. Et sur un ton injonctif en plus. Mais pauvre gourde, le simple fait de devoir le faire annihile d’entrée la moindre parcelle d’un plaisir probable. D’où tu sors une phrase pareille? Et qu’est-ce qu’on fait du lâcher prise d’hier. Je dois faire ou laisser faire?
— Bon je pense que ça suffit pour aujourd’hui, je m’en vais, ai-je dis en reprenant mon sac.
— Monsieur Rochey, vous savez c’est compliqué la dépression. Tout n’est pas écrit, il n’y a pas vraiment de marche à suivre ou de méthode miracle, c’est un processus qui…
Mais d’où tu viens? Je sais parfaitement ce qu’est un processus. Ça a un début et une fin. Au milieu il y a des tâches qui peuvent être faite par différents acteurs. Certaines tâches sont conditionnelles et peuvent conduire à des sous-processus. Les boucles de Demming se chargent de la cohérence et l’évolution du processus. Je ne suis pas dans un processus, je suis dans un TUNNEL.
Et toi, t’as juste réussi à me révolter. Je me suis barré et dans la foulée, pour la première fois depuis des mois, errant dans la ville… j’ai eu ENVIE d’une glace.
Une colère, une envie. la vie qui tente un retour. Elle s’appelle Mme L. et elle avait gagné cette manche.
Suite Les points de sutures chapitre 5
Commentaires (1)
Webstory
26.10.2018
'Continuez au prochain épisode chapitre 5: Pour la première fois depuis des mois, je me sentais assez fort pour rencontrer quelqu’un. Avec ou sans son consentement, il allait être mon test.'
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