Créé le: 04.09.2014
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Les points de sutures 3
Enfermé. Sous Xanax. Juste libre d’aller du lit au réfectoire…
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Une petite phrase me tourne dans la tête. Un conseil que m’a donné Élias, un machiniste portugais rencontré au 2JC. Le 2JC, l’unité fermée de l’hôpital. Fermée, ça veut dire à clef. J’y ai passé six jours. Enfermé volontaire.
Dès le matin, j’ai su que cette journée allait mal finir. Finir à l’hôpital vraisemblablement. Il n’y a pourtant rien eu de particulier ce jour-là, mais j’étais allé plus loin que mes forces ne me le permettaient.
Je ne me suis pas vraiment rendu compte de ce que voulait dire “unité fermée”. Jusqu’à ce que je demande à aller fumer une cigarette. On m’a dit très calmement: ” on ira bientôt tous ensemble à la promenade “. Qui va “tous ensemble à la promenade ” ? Les prisonniers, les crèches, les fous.
Enfermé. Sous Xanax. Juste libre d’aller du lit au réfectoire, du réfectoire au canapé, du canapé au lit. J’ai espéré sentir monter en moi une révolte. Elle n’est pas venue.
” Arbitre, changement. Nicolas, tu sors un moment. Vas te reposer “. J’étais sorti du terrain, off-line, déconnecté, remplaçant de ma vie.
Hors du jeu pendant six jours. Une prise en charge totale; on va ” à la promenade tous ensemble”, on mange quand on nous appelle et on prend son traitement quand on nous l’amène. Plus de choix, plus de décision, plus de doute.
Pas de révolte donc, juste une résignation. J’ai besoin de ça ! J’ai besoin de ne rien choisir, de ne rien décider, juste quelques heures.
Les portes fermées sont à la fois privatives et sécurisantes. Je n’ai pas accès au dehors, mais le dehors m’effraie.
J’ai juste la force de tenter de réguler les médicaments que je prends. Antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères. En sécurité, je peux expérimenter l’espacement ce ceux-ci. Oser aller explorer l’inconfort du manque, sans béquille, sans fard, seul face à mon âme.
Être enfermé, n’avoir rien d’autre à faire que de plonger au plus profond de soi. Sonder le vide immense que l’on y trouve. Le vide, plus d’envie, plus de flamme, pas d’espoir. Se rencontrer nu, faible et se permettre de laisser venir l’angoisse. Puis reprendre un Xanax.
L’angoisse. Voilà bien une émotion que je déteste. Autant je respecte la peur, j’exècre l’angoisse. La peur est utile, elle prévient du danger. Les muscles se tendent pour fuir ou riposter, la transpiration vient refroidir le corps en alerte. C’est une réaction normale à un danger externe et réel, ici et maintenant.
L’angoisse est une invention de l’esprit. Elle vient de l’intérieur. On souffre d’apporter dans le présent un désagrément du futur. Qu’il soit improbable n’a pas d’importance, il suffit qu’il soit possible.
L’angoisse c’est la négation de l’audace. C’est le degré zéro de la confiance. C’est la mort de l’enthousiasme.
Celui qui vit sans peur est un inconscient. Celui qui vit sans angoisse, qui est-il ? J’ai longtemps cru être celui-là. C’était faux. Mes angoisses étaient bien là, contenues depuis toujours et je les ai toutes vécues en six jours. Entre deux Xanax.
“Nicol ! chorte bite del Janax. El té rendra fou.” me répétait Élias.
Commentaires (3)
Elise Thrall
24.09.2018
'Magnifique (tous les chapitres)'
Webstory
04.12.2016
Continuez au prochain épisode Chapitre 4: Et d’ailleurs je m’en fous pas mal de comprendre à cet instant, je veux juste apercevoir de la lumière…
Webstory
04.12.2016
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