Créé le: 14.08.2014
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Les points de sutures 2

Journal personnel

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© 2014-2024 Nicolas Rochey

D’autres prétendent que l’on peut se confier à ses amis.  Moi, je ne me suis jamais confié à personne…
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Des amis, des copains, des potes, des connaissances, des relations. Je n’ai jamais bien su quelle était la différence entre ces mots. Certains disent que les amis sont ceux sur qui l’on peut compter; alors j’ai effectivement beaucoup d’amis. D’autres prétendent que l’on peut se confier à ses amis. Moi, je ne me suis jamais confié à personne.

 

Durant ces derniers mois, les éligibles au titre d’amis se sont tous manifestés, mais pas tous de la même manière.

 

Il y a eu d’abord CS. Ça n’était pas une vraie surprise que ce soit lui. La surprise venait plutôt du fait que, si inquiet, il soit passé par Marie. « Nicolas ne répond plus à son mail professionnel depuis plusieurs semaines, que ce passe-t-il? Tout va bien? » Après la réponse de Marie sur mon état, il m’a envoyé un sms qui disait; « Je suis désolé de ce qui t’arrive. Courage. Appelle quand tu iras mieux pour aller boire un verre ». Ça, je l’ai pris comme une gifle et cette gifle à un nom, la distorsion cognitive. Moi, dans son sms j’ai entendu; « Démerde-toi tout seul, je serais à tes côtés seulement si tu vas mieux ».

 

Un soir au plus fort de la crise, j’étais seul, Marie et les filles étaient à Paris. Ils sont venus à deux, FF et CS, ils ont apporté des pizzas surgelées, insipides. Aller chez un dépressif à deux, ça rassure. On peut se soutenir d’un regard, lorsqu’abasourdi, on se demande si on ne s’est pas trompé d’adresse, et si la personne qui est là est bien celle que l’on a connue. On peut aussi se rassurer en partant, comme deux enfants qui se quittent après avoir traversé un cimetière, persuadés d’avoir parlé à un fantôme.

 

Puis il y a eu DC et FF (le même), mais toujours à deux. Ils m’ont appelé pour me dire qu’ils passeraient mardi soir pour me faire à manger. Ils amèneraient tout, je n’avais à m’occuper de rien, et on se ferait des pâtes au pesto. En fait cette visite avait été préparée avec Marie avant son départ. La soirée fut difficile, et malgré mes efforts pour me raconter et être le plus authentique possible, je me suis senti transparent. Il me semblait aussi lire l’effarement dans leurs yeux, peut-être même une certaine crainte.

 

Et puis il y a eu JM, d’apparence rigide comme un doyen d’école de commerce. Celui qui se battait déjà lui-même contre un état proche du mien. Celui qui a dit un jour à Marie; «Tu sais, Nicolas est plus bas que je ne l’ai jamais été ». Comme il avait vu juste. Cet homme réservé, parfois distant, avait lu cela d’un seul regard. Et lui JM, n’a ensuite jamais lâché l’affaire. Il m’a proposé un diner pour vendredi. Mon pauvre… vendredi… je ne sais même pas comment je serai dans une heure. J’inventais une excuse bidon pour décliner. Puis un cinéma mercredi. Un cinéma ? Tu veux dire avec des gens qui font la queue ? Une caissière à qui je vais devoir parler ? Dans tes rêves, oui. Il revenait pour une promenade dans les bois. Toujours non.

 

Sa femme lui disait de me foutre la paix, que ça paraissait clair que je voulais être seul. Et lui disait ; « Non, je continuerai. Un jour il acceptera ». Ses invitations étaient toujours aussi régulières, mais les propositions variaient tout le temps (bien plus que mes piètres excuses). Il tâtait, cherchait, jusqu’à trouver la chose qui me ferai me lever de mon canapé. Un jour, il a fait ce que j’appelle aujourd’hui le coup du pied dans la porte. Il m’a appelé sur la ligne de la maison et m’a dit d’un trait: «je-suis-en-moto-à-dix-minutes-de-chez-toi-j’arrive » et il a raccroché. L’effoiré, j’étais pris. Il ne m’a même pas demandé si j’étais libre (comment l’aurai-je été plus) ou si j’étais disposé (comment l’aurai-je été moins). Il s’est juste incrusté.

 

Il est venu et on est parti faire un tour dans les bois vers chez moi. Il ne s’est même pas excusé d’être venu à l’improviste. Il avait envie, besoin de me voir après tant de refus et ça, ça ne nécessite aucune excuse. On a parlé, beaucoup, de moi, de lui. Puis on s’est revu, et on a reparlé, de lui, de moi, de nos familles, du travail. Et encore, de nous, du cinéma, des blagues, de nous, de livres et de musique. Il avait réussi son coup. Merci JM.

 

Puis j’ai revu CS. On s’est fait une bouffe tous les deux. J’ai lu son soulagement quand il m’a vu ouvrir la porte du restaurant avec un grand sourire et l’œil qui pétillait. J’adore passer du temps avec lui, il a toujours tellement de trucs à raconter avec son enthousiasme contagieux. Ce soir-là, il m’a aussi avoué la peur qu’il avait eue en me voyant la dernière fois. Une peur pour moi, et surtout une peur pour lui. Il pensait à sa vie, son travail, sa famille et se disait qu’en tombant sur moi, cette chose n’était pas tombée bien loin de lui. C’était la toute première fois que l’on était aussi franc l’un envers l’autre et bon Dieu comme ça fait du bien.

 

Enfin, j’aimerai dire aussi à FF qui me disait, «Toi, Nicolas tu as toujours été en avance, tu t’es marié avant nous, tu as eu des responsabilités au boulot avant nous, là tu testes la dépression avant nous. T’es juste un précurseur », faite gaffe mes amis ! Il n’y a pas toujours de causes, de raisons ou de prédispositions, mais il y a des signes, des symptômes, des faux-fuyants. Et comptez sur moi pour vous les mettre en pleine poire si je les vois chez vous. Ne vous aventurez pas dans ce chemin. Je vous en empêcherai de toute mes forces.

 

Suite Les points de sutures chapitre 3

Commentaires (1)

We

Webstory
04.12.2016

La suite des points de sutures au chapitre 3: Enfermé. Sous Xanax. Juste libre d’aller du lit au réfectoire…

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