Créé le: 09.07.2020
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Le Renard

Fiction, Nouvelle, Polar

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© 2020-2024 Kurt Fidlers

« Il court, il court le Renard, Repère sa proie et vite, s’en empare. Sur ses talons, s’essouffle ce pauvre limier, Jamais ne réussira à saisir ce goupil futé ». Nouvelle écrite dans le cadre d'un concours qui avait pour thème "Disparition inquiétante au Touquet".
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Golf-Hôtel, Le Touquet, le 15 août 1920, au soir.

Adrienne de la Tourbière, veuve de feu François-Rodrigue du même nom, chancela sur les notes vibrantes de la suite n° 3 de Bach que le quatuor à cordes exécutait.

Aussitôt, des yeux se braquèrent sur elle.

Sans l’ombre d’une hésitation, Guy Laforge accourut auprès de la malheureuse qui, tapissée de soie et de plumes, s’effondra dans ses bras. L’homme de la Commission Internationale de Police Criminelle (CIPC) fut subitement mal pris par ce poids mort. C’est là que choisi la douleur de sa récente sciatique pour se réveiller et lui rappeler comme il était difficile d’entrer dans l’âge où l’on ne vous surnommait plus « Garçon », mais « Monsieur ».

Les invités qui parsemaient le petit salon s’agglutinèrent autour de la pauvre femme.

« La Tourbière », nom dont l’affublaient ses « proches », murmura quelques mots à l’oreille de l’enquêteur dont la moustache, habituellement nette et précise, retomba tel un pastiche.

Se reprenant instantanément, il jeta manu militari le corps flasque de l’aristocrate dans les bras de son collègue, Anastase l’Escuyer, qui venait de le rejoindre et se précipita vers le piédestal surmonté d’une cloche qui, constata-t-il, ne contenait plus qu’un vide sidéral.

–      Nom de…, maugréa-t-il devant l’absence du plus gros diamant que le monde ait porté. ANASTASE !

En fidèle assistant, celui-ci rallongea « La Tourbière » sur le tapis persan où, déjà, les curieux se rassemblaient pour venir en aide à la veuve.

Il se plaça aux côtés d’un Guy Laforge en sueur, dont le costume trois pièces semblait rétrécir à mesure que lui paraissait sur le point d’imploser.

–      Comment est-ce possible Monsieur ?

Celui-ci ne releva pas, le regard capté par l’enveloppe cachetée, déposée sur le coussinet où, en théorie, reposait le Zircon du Bengale. Anastase, lui, fut attiré par un petit détail sur le sol et auquel Laforge ne prêta aucune attention, trop occupé à s’emparer du pli. Le rabat cacheté à la cire avait pour emblème une tête de renard au sourire malicieux, qu’il décacheta d’une main fébrile et dont il lut les lignes brèves, écrites d’une main grossière :

 

« Il court, il court le Renard,

Repère sa proie et vite, s’en empare.

Sur ses talons, s’essouffle ce pauvre limier,

Jamais ne réussira à saisir ce goupil futé ».

 

L’enquêteur de la CIPC chiffonna l’offense.

–      Le scélérat, quelle outrecuidance ! Il se joue de nous, éructa Guy Laforge, écarlate. Anastase ! Bouclez-moi toutes les issues de… de ce… bouge !

L’assistance se tourna de concert dans sa direction, escorté par le quatuor qui suspendit son élan. Une chape de plomb s’abattit sur les salons de réception. Puis, un attroupement se concentra sous la rotonde du grand hall, avide de voir la cause de tout ce remue-ménage.

Anastase, comprenant que la soirée virait en eau de boudin, invita poliment les convives à reprendre leurs festivités, car « tout était sous contrôle », il s’agissait seulement d’un « petit incident malencontreux ».

Suspicieux, des groupes se reformèrent néanmoins, tandis que le quatuor reprit sa suite n° 3 là où il l’avait interrompue. Momentanément satisfait que les bavardages aient repris, Anastase se tourna vers son supérieur.

A voix basse, Laforge lui transmit ses recommandations. Certain que le Renard devait rôder parmi les invités ou le personnel, il demanda à Anastase d’user de discrétion pour ne pas éveiller les soupçons. Ils devaient appréhender le Renard, c’était une question d’honneur. L’honneur de la Patrie. Hors de question qu’un minable voleur vienne ici, se jouer de la Loi Française.

Bien que respectueux de sa hiérarchie, Anastase n’en demeura pas moins dubitatif sur les compétences de son supérieur, et songea par quel miracle Guy Laforge s’imaginait que les convives n’aient pas encore eu vent de la disparition du Zircon.

Il tourna les talons et se dirigea vers les miliciens qu’il allait sommer de cercler le périmètre de l’hôtel, dont les murs recevaient le gratin mondain du Touquet, de Paris et même d’outre-Manche. Au passage, il rassura les convives qui lui jetèrent des regards chargés de mépris. Anastase reconnut un général rattaché au président Raymond Poincaré, des industriels, ainsi que des portraits que la presse ne manquait pas d’étaler régulièrement dans ses manchettes.

Ignorant les regards de biais, Guy emboîta le pas de son assistant en direction des sorties, bousculant smokings et robes de cocktails sous les protestations outrées. En traversant le hall de réception, il se fit alpaguer par Édouard Lejeune Vème du nom, l’hôte de la soirée. Entouré par sa cour, l’aristocrate avait, pour la circonstance, mis à disposition le Zircon du Bengale dont sa famille était propriétaire depuis que l’arrière-grand-père d’Édouard l’avait découvert dans une mine de la région du Mymensingh. Récemment, l’héritier de la lignée avait fait l’objet d’une plainte pour gestion déloyale et faux dans les titres, du moins, c’est ce qu’avait lu Guy dans le très sérieux journal Écho de Paris.

L’homme de la CIPC fut pris au dépourvu.

–      Mon brave, que se passe-t-il donc ?

Embarrassé, le policier bafouilla une excuse en bon normand qu’il était puis s’esquiva. Édouard lui rendit un sourire que ses pairs auraient jugés forcé, mais que Laforge interpréta différemment. Le simple policier ne saisissait pas les excentricités et les codes de ces aristocrates.

M. Lejeune Vème du nom, le tança d’un regard noir.

Comme si de rien n’était, Guy s’immisça maladroitement dans les conversations dans le but d’y glaner des informations, c’est là qu’un homme à l’allure guindée vint à sa rencontre.

Un british, se dit-il.

Moustache précise, cheveux bruns coiffés à la dernière mode, smoking taillé sur mesure, il se présenta à lui sous l’identité d’Alistair Gordon de Scotland Yard. Guy Laforge demeura sur ses gardes malgré le badge étoilé que lui dévoila le dandy. A la question de Guy sur les raisons de sa présence, il lui répondit, avec son accent teinté d’anglicisme, qu’il avait été invité par M. Lejeune, himself.

Soudain, un cri retentit.

Aussitôt, les deux policiers se précipitèrent et pénétrèrent dans un petit espace privé dont ils ouvrirent la double porte à la volée.

Le quatuor suspendit son n° 7 en ré majeur D.94 de Schubert, mais las de cette nouvelle interruption, reprit avec entrain son allegro, entraînant instantanément les bavardages à reprendre.

Dans la bibliothèque, étendue sur le tapis persan, une jeune femme se relevait péniblement. Laforge s’accroupi auprès d’elle.

–      Que s’est-il passé Mademoiselle ?

Embrouillée, elle se tenait la tête, comme si elle venait de recevoir un coup.

–      Je… je ne sais pas… j’étais là. Et puis… plus rien. Aie… gémit-elle en se frottant le crâne.

A ses côtés gisaient les morceaux brisés d’un vase Ming.

–      Que faisiez-vous ici ?

–      Le Maître d’Hôtel m’a glissé un pli dans lequel on me conviait ici. Il n’était pas signé… Mais aidez-moi à me relever bon sang, pesta la belle qui reprenait peu à peu des couleurs.

Guy l’aida à s’asseoir dans le canapé face à l’âtre dont les braises se mourraient. Il exigea l’invitation, que la jeune femme extirpa de la manche de sa robe et tendit nerveusement à l’enquêteur qui parcourut rapidement le mot. Sa réflexion fut interrompue par Gordon qui quitta la pièce et revint avec un verre contenant un liquide couleur caramel. Guy l’interrogea du regard.

–      Un wemontant, Monsieur, se justifia le muscadin.

Méfiant, Guy observa les faits et gestes d’Alistair et ne put s’empêcher d’imaginer que le Renard aurait parfaitement pu se déguiser sous les traits de ce britannique qui était, pour la circonstance, bien mieux apprêté qu’un vulgaire enquêteur du Yard.

L’Escuyer pénétra dans le salon, interrogea du regard son supérieur qui lui relata brièvement l’incident en lui tendant le mot. Anastase, n’attendant pas l’autorisation de sa hiérarchie, demanda son nom à la jeune femme.

–      Inès de Saxe-Cobourg, lui répondit-elle.

Il resta interdit une fraction de seconde puis murmura à l’oreille de Guy Laforge :

–      Une noble de la Maison de Belgique.

Son supérieur le scruta sourcils froncés, haussa les épaules pour signifier qu’il n’y avait que ça ici. Anastase le prit à part.

–      Monsieur, les aristocrates n’aiment pas beaucoup la mauvaise publicité. Admettons que cela vienne à s’ébruiter alors qu’il y a ici un escadron des meilleurs policiers de France, c’est l’incident diplomatique que nous risquons, sans compter nos têtes.

Laforge déglutit sur les paroles de son sous-fifre.

–      Vous avez raison Anastase. Que préconisez-vous ?

L’Escuyer suggéra de clore la pièce et de passer momentanément sous silence l’incident, ils aviseraient plus tard de l’attitude à adopter. Son regard fut attiré par le dandy.

–      Un invité providentiel qui nous vient du Yard, commenta Guy.

–      Scotland Yard ? Mais sur l’invitation de qui ?

–      M. Lejeune.

–      Nous devrions avoir une discussion avec lui, ne pensez-vous pas patron ?

Guy Laforge bomba le torse, il aimait sentir l’importance qu’il revêtait aux yeux de ses subalternes.

L’enquêteur de la CIPC donna instruction à Alistair Gordon d’assurer le rétablissement d’Inès de Saxe-Quelque-Chose puis, accompagné d’Anastase, alla à la rencontre d’Édouard Lejeune Vème du nom, qu’ils trouvèrent aussi volubile qu’à l’accoutumée, entouré de sa cour.

Le policier l’apostropha de manière cavalière ce qui eut pour effet de roidir l’aristocrate que pourtant rien ne semblait faire fléchir. Les enquêteurs l’emmenèrent à l’écart par soucis de discrétion vis-à-vis de ses invités.

–      M. Lejeune, j’aimerai comprendre par quel miracle le vol du Zircon n’a soulevé aucune réaction de votre part. Je trouve cela pour le moins étrange, déclara Guy Laforge.

Édouard lui rendit un visage stoïque.

Mais à force d’insister encore et encore, l’écorce de l’aristocrate s’effrita pour dévoiler une lueur fuyante et honteuse dans ses yeux, attitude qui interpella Anastase comme saisi par une brusque révélation :

–      Bon sang, mais c’est bien sûr ! C’était un faux !

Embarrassé, Édouard baissa les yeux.

Guy regarda les deux hommes ne saisissant pas le propos. Après d’interminables secondes où la lumière peinait à atteindre l’amas aqueux qui lui faisait office de cerveau, l’enquêteur de la CIPC ouvrit de grands yeux.

–      Vous… vous avez mobilisé une garnison des meilleurs policiers de France pour un objet de pacotille ? gronda Laforge.

Il n’y avait plus d’aristocrate, seulement un enfant pris sur le fait de sa mystification. Il opina et déclara :

–      Vous l’avez probablement lu dans la presse, on cherche à affaiblir mon nom. On m’accuse de gestion déloyale sous des prétextes fallacieux. Depuis plusieurs années, les affaires sont mauvaises, l’entreprise familiale est au bord de la faillite. Pour la renflouer, j’ai eu une idée qui, je le concède maintenant, était totalement dénuée de bon sens. Lors d’une soirée à Londres, un ami m’a parlé d’un cambrioleur habile, un maître dans l’art du déguisement, toujours prompt à se soustraire aux enquêteurs du Yard. C’est là qu’est née l’idée de faire voler un faux bijou pour toucher l’assurance.

–      Le Renard ou plutôt « The Fox », devrais-je dire, jubila Laforge.

–      Aucune idée. L’homme a pris contact avec moi incognito et m’a écrit qu’il prendrait ses dispositions pour le dérober à mon insu, ceci, afin que cela soit plus crédible aux yeux des assureurs.

–      Mais le vrai Zircon, maugréa Anastase, où se trouve-t-il ?

–      Dans le coffre de ma suite, à l’étage.

Anastase se frappa le front. Édouard, dubitatif, interrogea les policiers du regard sans saisir la teneur de ce qui se jouait là.

–      Anastase, accompagnez M. Lejeune à sa suite et vérifiez que le Zircon y soit encore, asséna Laforge.

Tandis qu’Anastase montait à l’étage avec un Édouard Lejeune secoué, Guy retourna auprès d’Inès de Saxe-Cobourg et du dandy. Lorsqu’il pénétra dans la bibliothèque, quelle ne fut pas sa surprise de le découvrir étendu parterre, inconscient et seul.

D’une claque énergique, il le réveilla et étouffa un cri de stupéfaction lorsqu’il découvrit ce qui se cachait dans la doublure de son veston.

Après quelques secondes, Alistair reprit connaissance et ouvrit de grands yeux sur le policier penché sur lui, le Zircon sous son nez.

–      Que s’est-il passé M. Gordon ? Ou devrais-je plutôt dire Le Renard ?

Sous le choc, le flegme britannique et l’allure de dandy en moins, Alistair marmonna :

–      Whou ?

–      Le Renard. C’est bien vous que M. Lejeune a engagé, n’est-ce pas ?

–      Non, pas diou tout. M. Lejeune m’a engagé, oui, mais j’ai ne souis pas celoui que vous appelez Le Wenawd.

L’Escuyer et Édouard réapparurent essoufflés. L’assistant tendit une enveloppe frappée du sceau du Renard à son supérieur. Ce dernier agita fièrement le Zircon comme un trophée. Anastase lui fit comprendre que celui qu’il tenait entre ses doigts n’était pas le vrai diamant, ni le vrai Renard d’ailleurs.

Guy Laforge ouvrit l’enveloppe et lut les lignes élégantes :

 

« Toujours court ce pauvre limier,

Trop dépassé par l’habileté du Renard futé,

Qui avec une facilité déconcertante, s’en est allé,

Cueillir de nouveaux fruits bien mûrs dans d’autres poulaillers. »

 

–      Mais… je ne comprends rien à cette satanée histoire Anastase, éclairez-moi.

–      Simple et élémentaire mon cher. M. Lejeune a engagé M. Gordon pour voler un faux Zircon (Alistair fustigea d’un regard noir Édouard qui haussa les épaules). Le britannique a profité de l’évanouissement d’Adrienne de la Tourbière pour le dérober et nous faire croire que nous avions affaire au Renard. Sauf que le bouton de manchette que j’ai retrouvé à côté du piédestal le désignait, je ne l’ai compris que quand vous m’avez présenté M. Gordon. Bien qu’habile, il n’en demeure pas moins un pickpocket – si j’ose utiliser cet anglicisme – et dont les connaissances en joaillerie sont limitées. Il en va tout autrement d’Adrienne de la Tourbière et de sa complice, celle qui s’est fait passer pour l’aristocrate de la Maison de Belgique. Jamais le Maître d’Hôtel n’a remis de pli à cette dernière, c’est elle-même qui l’a rédigé. J’ai comparé les calligraphies des deux mots et ils n’ont pas été rédigés de la même main. Par contre, celui trouvé dans le coffre de M. Lejeune correspond à l’écriture du mot qu’elle vous a donné pour justifier sa présence dans la bibliothèque. Cette mise en scène a permis à Adrienne de monter pour fracturer le coffre et subtiliser le vrai Zircon. On peut dire qu’elles se sont jouées de M. Gordon et de nous par la même occasion.

–      Et où sont-elles à présent ?

–      Volatilisées.

Subitement, un grand bruit sourd fit trembler les vitrages du Golf-Hôtel.

–      Qu’est-ce à nouveau ? sursauta Laforge.

Aussitôt, tous furent dehors, les yeux levés sur la voûte céleste inondée de gerbes de couleurs.

–      Mon feu d’artifice, s’extasia Édouard Lejeune.

–      Profitez-en tant que vous pouvez Monsieur, lui jeta Anastase.

Et tandis que le ciel se parsemait d’un magnifique panel de rosaces, de traits iridescents, dans le fond du tableau s’envolait une montgolfière où, à son bord, deux Renardes festoyaient allègrement leur réussite une coupe de champagne en main, un bijou inestimable dans l’autre.

 

A suivre dans Le retour d’Anastase L’Escuyer

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