Créé le: 11.02.2020
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Le parapluie rouge

Poème en prose

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© 2020-2024 Marie Vallaury

Joie, tristesse, espoir ... Il s'en passe des choses sous un parapluie.
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L’air est lourd, comme une colère en embuscade qui attend de surgir. Il règne une moiteur de fin d’été, qui sait ses jours comptés. Sur l’horizon, les hordes de nuages noirs crépitent d’éclairs intermittents, mais de pluie, point encore. La fraîcheur joue les vierges effarouchées, titillant l’espoir et se moquant de l’impatience.S’il n’y avait le roulement incessant des vagues, la scène semblerait figée en une atmosphère de fin du monde. La pénombre s’invite, bien qu’il soit encore tôt dans l’après-midi. Elle recouvre la mer démontée et la longue étendue de sable d’un gris sombre, menaçant. L’obscurité semble avaler les reliefs de la plage désertée, grignotant les galets, les touffes d’herbe sèche, les longues bandes d’algues entremêlées de coquillages et de débris déposés par la mer à la dernière marée.

Des fracas de tonnerre résonnent longuement, faisant écho aux rouleaux qui s’écrasent inlassablement sur la plage. Deux rythmes, de ciel et d’océan, qui s’accordent et se désaccordent, avec pour seul chef d’orchestre la souveraineté de la nature.

Mais la tension monte, s’accumule et réclame une porte de sortie. Au creux de l’air immobile se produit un soubresaut. D’abord timide, un souffle s’élève, hésite. Il effleure la frange des vagues, fait bruisser le feuillage des tamaris. Il prend confiance, enfle jusqu’à soulever des volutes de sable. Puis un coup de tonnerre plus puissant que les autres déclenche la furie du vent.

D’un seul mouvement, tout se mélange, le sable s’offre un vol au-dessus de la mer et l’écume salée s’abat en tourbillons sur la plage qui se creuse sous l’assaut. Le vent prend des intensités d’ouragan. Au cœur de cette apocalypse de gris et de noir, apparaît une tache d’un rouge de sang. Porté par une rafale, un parapluie rouge tangue, comme ivre d’espace et de liberté.Il monte sous l’impulsion du vent, droit et fier comme un i, conquérant les nuées orageuses qui semblent dans un premier temps l’accepter. Mais, agacées par son orgueil, elles retournent le prétentieux d’une bourrasque vengeresse qui l’aplatit sur le sol qu’il n’aurait jamais dû quitter.

D’où vient-il, ce parapluie abandonné aux caprices du vent ? Qui a-t-il abrité durant sa courte vie de parapluie ? Et comment a-t-il fini sur cette plage, dans cette tourmente, loin de toute humanité ?

Il a peut-être protégé les amours naissantes d’un jeune couple d’amoureux qui profitaient de s’y blottir pour échanger de timides baisers, la couleur vive du parapluie dissimulant le rose de leurs joues empourprées. Et un jour, parce que rien ne dure, la fiancée trahie était venue donner ses larmes à l’océan, confiant le parapluie à la plage qui avait vu éclore son premier amour.

Il a peut-être attiré l’œil d’un voleur du dimanche, qui, séduit par son rouge vif, l’a subtilisé dans le porte-parapluie de l’épicerie du village. Puis qui, rongé par la honte d’un geste impulsif, s’est débarrassé de l’objet du délit dans les dunes, loin des regards.

Il a peut-être accompagné cette joyeuse famille qui venait pique-niquer tous les dimanches de l’été, emmené par une mère anxieuse qui ne parvenait pas à faire confiance à la présentatrice météo, et a été oublié dans l’agitation du remballage en fin de journée.

Il a peut-être servi d’ombrelle à cette vieille femme qui venait tous les jours surveiller l’horizon, guettant vainement le retour de son mari parti en mer des années auparavant. Et qui un jour a abandonné le parapluie en même temps que son espoir.

Le vent s’en donne à cœur joie sur la plage dévastée. Il se glisse sous le parapluie rouge, fidèle compagnon de bonheurs et de pleurs, et d’une rafale moqueuse, l’emporte plus loin, vers d’autres destins, tandis que la pluie crève enfin les nuages.

 

 

 

 

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