Créé le: 22.10.2025
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L’Art de Vivre

Humour, Notre société, Théâtre

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© 2025 a Chantal Girard

Acte 3

3

3ème ACTE

 

3 semaines plus tard. Antoine est assis à califourchon sur une chaise devant le bureau, face au public, il est seul en scène. Il dialogue avec Séverine qui est dans la remise. Elle n’entrera que plus tard. Sur scène les 3 tableaux de Warner ont été remplacés par des toiles d’Antoine des ronds et des carrés, comme les autres. Dans un coin de la scène, un immense paquet est camouflé. Séverine est sensée ne pas le voir.

 

Scène  I               SEVERINE – ANTOINE

 

ANTOINE              Quand je pense a tout ce qu’il s’est passé en moins de trois semaines… Non mais je ne sais pas si tu te rends compte de la chance que tu as eu de t’en tirer à si bon compte!… Séverine? Tu m’entends?

SEVERINE             (Off) Oui, je t’entends.

ANTOINE              Donc si je récapitule depuis le début…

SEVERINE             (Off) (le coupant) Ah non! Tu ne vas pas recommencer avec ça, c’est un chapitre clos!

ANTOINE              Pour toi peut-être, mais tout n’est pas très clair pour moi. L’histoire est tellement compliquée! Donc je récapitule: le 1er avril -c’était vraiment bien choisi comme date- (il s’esclaffe) tout est prêt pour mon vernissage. Soit dit en passant que pour MON vernissage il y avait trois tableaux étrangers aux miens dans ta galerie… Bref. Enfin, quand je dis « bref” c’est une image, parce que ces trois tableaux on n’a pas fini d’en parler!

SEVERINE             (Off) Oui, en effet, depuis trois semaines on ne parle que de ça! Alors sois gentil, change de conversation!

ANTOINE              (Un temps, puis comme pour lui-même) Quand même j’aurais jamais crû que la comtesse était dans le coup.

Séverine entre sur cette dernière réplique avec un plateau et du café

SEVERINE             Tu le fais exprès ou si tu es réellement idiot?

ANTOINE              (Un peu vexé) Non mais en gros j’ai compris! Seulement …

SEVERINE             (Le coupe) Le seul rôle qu’elle a joué c’est celui de victime  Elle n’a jamais été “dans le coup” comme tu dis! Elle connaissait bien Dario pour s’être occupée de lui quand il était gamin. Tu t’en souviens, on l’a dit maintes fois.

ANTOINE              Jusque là c’est bon, c’est avec ce qui s’est passé après que j’ai plus de peine.

SEVERINE             Après, Dario a roulé sa bosse, comme tout le monde, à la différence près que lui, moins il en faisait et mieux il se portait. De là à tomber dans l’illégalité il n’y avait qu’un pas.

ANTOINE              Et de ce pas il est retourné chez la comtesse!

SEVERINE             Il était bien placé pour savoir qu’elle possédait un joli capital en œuvres d’art. En reprenant contact avec elle, il pouvait avoir accès à tout ce qu’elle possédait sans problème.

ANTOINE              D’accord, mais y’a un truc qui cloche : les tableaux étaient équipés d’un système d’alarme, il n’allait pas pouvoir se « servir » sans le déclencher!

SEVERINE             C’est justement là qu’il a eu de la chance. La comtesse, enchantée de retrouver « son petit », s’est empressée de lui montrer les trois Warner qui venaient d’être livrés. Tous les tableaux étaient effectivement sous alarme, sauf ces trois-là. Et, dans la conversation, elle le lui a dit.

ANTOINE              Elle est vraiment gourde!

SEVERINE           Réfléchis deux secondes! Elle ne pouvait pas se douter qu’il avait de mauvaises intentions. Quelques jours plus tard il a passé à l’acte sans être inquiété.

ANTOINE              (Admiratif) Il prenait quand même des risques. Il pouvait ne pas arriver à les placer, ces « Warner » parce qu’il ne faut pas oublier qu’il est connu lui !

SEVERINE             Dario avait bien préparé son coup. Connaissant Brigitte qui est toujours prête à voler au secours de SES copains artistes, il s’est tout bonnement servi d’elle.

ANTOINE              Mais quand elle a vu les tableaux, Brigitte aurait tout de suite dû se rendre compte que c’était des Warner! Il a la cote!

SEVERINE             Là, tu exagères! Est-ce que tu t’en es rendu compte, toi, que c’était des Warner? Non! Et moi non plus, j’ai tout au plus trouvé une ressemblance avec son style. Ces toiles sortaient de son atelier, elles n’étaient pas connues du public.

ANTOINE              Et puis, comme en plus, ces œuvres étaient contresignées Barlan, Dario pouvait être tranquille!

SEVERINE             Eh bien voilà! Tu as tout compris!

ANTOINE              Tout! …sauf une chose: pourquoi les plaintes ont été retirées? Parce qu’il y en avait deux, celle de la comtesse et celle de l’écolo.

SEVERINE             L’écolo, n’était pas tout à fait en règle avec la police, aussi elle n’a pas trop insisté.

ANTOINE              Elle, d’accord, mais la comtesse n’avait aucune raison de retirer sa plainte!

SEVERINE             Antoine, est-ce que tu as déjà aimé quelqu’un dans ta vie?

ANTOINE              (Tout réjouit) Oui, bien sûr… toi!

SEVERINE             Par exemple. Alors imagine que je t’ai volé des tableaux, mais tu ignores que c’est moi la coupable. Tu portes plainte, c’est logique, seulement plus tard tu apprends que c’est moi le voleur, est-ce que tu maintiens ta plainte?

ANTOINE              C’est complètement bête ce que tu dis! Je ne vois vraiment pas pourquoi tu me volerais des tableaux!

SEVERINE             C’est un exemple que je te donne!

ANTOINE              Et bien il est idiot ton exemple! Et puis je ne vois pas le rapport avec l’autre histoire.

SEVERINE             (Soupirant) Laisse tomber. L’essentiel c’est que les deux plaintes aient été retirées. Après tout c’est ce qui compte, non?

ANTOINE              (Un peu septique) Si, si…

SEVERINE             Et bien c’est parfait! (Prenant le plateau) Tu as fini? Tu veux bien garder la boutique, j’aimerai aller m’occuper des fleurs.

ANTOINE              Oh! Très volontiers!

 

 

Scène  II              ANTOINE – BRIGITTE puis SEVERINE

 

Antoine est seul en scène, Brigitte entre en trombe. Elle est euphorique et parle très fort.

 

BRIGITTE              Salut la compagnie! (Elle embrasse Antoine sur la bouche d’un bec sonore) Ça c’est pour toi mon petit vieux! (Regarde autour d’elle) Mais tu es seul?

ANTOINE              (sous le coup du « baiser »)  Oui… je suis seul! Ça ne te dérange paS?

BRIGITTE              Pas du tout! De-vi-ne-ce-qui-m’a-rri-ve!!

ANTOINE              (Que l’excitation de Brigitte gagne) Tu viens d’avoir le coup de foudre pour un homme comme moi…

BRIGITTE              Exact: le coup de foudre! Mais pas pour un homme. Enfin, pas vraiment.

ANTOINE              (Sous le coup) Brigitte! Tu ne vas pas me dire que tu préfères les…

SEVERINE             (Alertée par le bruit revient) Qu’est-ce qu’il se passe Antoine? (Voyant Brigitte) Ah c’est toi! J’aurai dû m’en douter!

BRIGITTE              Écoute Séverine, il m’arrive la plus belle chose de ma vie! Je suis folle!!

SEVERINE             (Moqueuse) Ça c’est pas nouveau!

ANTOINE              (Ecœuré) Elle vient d’avoir le coup de foudre… pour une femme!!!

SEVERINE             Quoi?

BRIGITTE              Mais l’écoute pas, il raconte n’importe quoi!

ANTOINE              C’est elle qui vient de me le dire!

SEVERINE             Alors, ce coup de foudre?

BRIGITTE              Incroyable! Je n’arrive pas encore à imaginer que ça m’arrive à moi! Dans moins d’une heure je serai à Lisbonne!

SEVERINE             Tu pars en fusée?

BRIGITTE              (Etonnée de ce que Séverine dit) Non, en voiture, pourquoi?

SEVERINE             Parce que Lisbonne en moins d’une heure, par la route…(Brigitte hausse les épaules) Tu pars avec ton coup de foudre?

BRIGITTE              Oui! Avec Albert Tigne!

ANTOINE              Tu vois je ne suis pas complètement dingue, c’est bien ce que j’avais compris. Albertine!

BRIGITTE              Pas “Albertine” andouille! Albert, comme le prénom A-L-B-E-R-T et Tigne comme la station… de ski… S-K-I ! Et Albert Tigne c’est le réalisateur! (Antoine reste bouche bée) Il a rien compris!

SEVERINE             Tu as dû sauter un chapitre parce que moi aussi j’ai de la peine à te suivre.

BRIGITTE              J’ai rien sauté du tout, je vous ai dit que j’avais signé un contrat avec lui.

SEVERINE             Ah! il me semblait bien qu’il manquait quelque chose : tu ne nous avais pas dit que tu avais signé un contrat.

BRIGITTE              Eh bien maintenant je l’ai dit! Il m’a donné un rôle dans son film qui se tourne à Lisbonne. C’est l’occasion de ma vie! Tu te rends compte?

SEVERINE             Oui, tout à fait. Et qu’est-ce que c’est comme rôle?

BRIGITTE              Je ne sais pas encore, mais c’est pas important. Ce qui compte c’est que je parte. Il m’a dit que je leur donnerai un coup de main pour les décors.

SEVERINE             Ah oui, d’accord ! Ton rôle c’est de transporter des décors!

BRIGITTE              Au début ! Mais l’essentiel c’est que je sois sur place quand l’un des rôles principaux tombera malade, je serai là, disponible, je pourrai reprendre le rôle au pied levé et sauver du même coup la situation et le film! C’est pas plus compliqué que ça. Mon truc à moi, tu vois, c’est d’être où il faut, quand il faut au moment où il faut!

SEVERINE             Je vois. Et si personne ne tombe malade?

BRIGITTE              Alors toi, pour « saper » le moral des troupes t’es vraiment championne! Mais si je t’écoutais je ne ferai jamais rien, moi!

SEVERINE             Tu as sans doute raison. Allez, dépêche-toi, sinon il va s’impatienter ton « coup de foudre », des fois qu’il lui prenne l’idée de partir sans toi!

BRIGITTE              Parle pas de malheur! Allez salut et à « je ne sais pas quand ». (A Antoine de la porte) Je ne t’embrasse pas mais le cœur y est, gribouilleur de mon cœur !

Brigitte sort comme elle est entrée: en trombe!

 

ANTOINE              C’est gentil ce qu’elle a dit, tu ne trouves pas?

SEVERINE             Oh si! Très gentil.

Brigitte revient et réouvrant la porte, elle crie depuis le pas de porte:

 

BRIGITTE              Si tu n’as pas de mes nouvelles d’ici quelques mois, regarde les affiches de ciné, on ne sait jamais! (Elle sort)

Scène  III    ANTOINE – SEVERINE

ANTOINE              (Rêveur) Le gribouilleur de son cœur… Dis, tu sais où c’est Tigne?

SEVERINE             Oui, bien sûr. Pourquoi tu me poses cette question?

ANTOINE              Parce que j’ai l’intention d’aller y faire un tour. Elle a dit qu’elle tournait un film là-bas.

SEVERINE             Ce n’est pas tout à fait ça, mais je t’expliquerai plus tard. Pour l’instant je retourne à mes fleurs. N’oublie pas que c’est toi qui t’occupes de la boutique.

Antoine ne réagit pas, il reste pensif. Séverine marque un temps avant de sortir.

 

SEVERINE             Antoine, ne fais pas cette tête, elle reviendra!

ANTOINE              (Qui fait la moue) C’est pas dit.

SEVERINE             Moi je te dis que si et plus vite que tu ne crois. Tu peux me faire confiance!

ANTOINE              (Dans ses pensées) C’est con la vie…

SEVERINE             (Taquine) Mais dis-moi… tu ne serais pas en train de me faire de la « ficelle »?!

ANTOINE              Non, non, ne crois pas ça, mais…

SEVERINE             …mais Brigitte te plaît bien.

ANTOINE              J’avoue qu’elle ne me laisse pas indifférent. Tu n’es pas jalouse hein? Parce qu’il n’y a rien entre elle et moi, c’est juré!

SEVERINE             Antoine, tu n’as pas à te justifier ! (Un peu moqueuse) D’ailleurs je vous vois très bien ensemble, Brigitte et toi vous feriez vraiment le couple de l’année!

ANTOINE              (Qui s’éclaire) Tu trouves?

SEVERINE             Absolument. Je te laisse à tes rêves, à tout à l’heure.

Séverine sort par la terrasse. Après un temps, Antoine va à la porte du jardin, dos au public

ANTOINE              T’en as pour longtemps?…

SEVERINE             (Off) Je ne sais pas, mais je vais faire au plus vite.

ANTOINE              Non, non, ne te dépêche pas, c’était juste pour savoir.

Scène  IV            ANTOINE – MAXIME

 

Antoine referme la porte-fenêtre et donne un tour de clé. Seul en scène.

 

ANTOINE              C’est plus sûr, des fois qu’elle revienne avant que j’aie fini.

 

Il sifflote et va chercher le paquet camouflé dans un coin de la galerie. Le paquet contient 3 tableaux qu’il déballe. Il décroche ses propres tableaux qui avaient pris la place des « Warner » du début, et les remplace par les 3 toiles du paquet. A ce moment entre Maxime, Antoine absorbé par son travail ne le voit pas. Maxime observe ce qu’il fait pendant un moment puis il intervient:

 

MAXIME                Qu’est-ce que vous faites Antoine?

 

Antoine sursaute et se redresse dos au mur pour cacher les nouveaux tableaux

 

ANTOINE              Moi? Rien! … Ah c’est vous ! Vous m’avez fait peur.

MAXIME                Vous avez l’air un peu bizarre. Ça ne va pas?

ANTOINE              (Très vite, d’un seul trait) Moi? Non, non pas du tout, je vais très bien. Si vous vouliez voir Séverine : vous n’avez pas de chance, elle n’est pas là. Je lui dirai que vous avez passé. Au revoir Maxime, je ne veux pas vous retenir.

Antoine n’a pas bougé de sa position pendant qu’il parlait

 

MAXIME                Antoine, vous me cachez quelque chose…

ANTOINE              Oui… enfin… non… Si, je ne voulais pas que vous  voyiez ces tableaux.

MAXIME                Pourquoi? Qu’est-ce que c’est que ces tableaux?

ANTOINE              Chut!!! C’est une surprise pour Séverine, si vous criez ce ne sera plus une surprise.

MAXIME                Mais vous venez de me dire qu’elle n’était pas là! (Appelant) Séverine?

ANTOINE              Elle n’est pas là, je vous dis! C’est pour ça que j’en profite pour faire discrètement un petit changement.

MAXIME                Un petit changement… de tableaux? (Signe approbatif d’Antoine) Vous croyez vraiment que c’est une bonne idée après ce qu’il s’est  passé?

ANTOINE              Mais ça n’a rien à voir! Ce ne sont pas des toiles volées celles-ci, ce sont les miennes.

MAXIME                (Qui ne comprend pas) Les vôtres?

ANTOINE              Ça a l’air de vous étonner que ce soient les miennes.

MAXIME                Un peu oui. En tout cas il faut les enlever avant que Séverine ne les voies.

ANTOINE              Comment? Mais au contraire, moi je veux qu’elle les voies!

MAXIME                (Enlevant les tableaux) Essayez de comprendre, elle va avoir un choc en découvrant, une fois encore, d’autres toiles à la place des vôtres.

ANTOINE              Je viens de vous dire que se sont les miennes! Vous êtes dur de la feuille!

MAXIME                Moi je veux bien admettre que ce sont vos œuvres, mais elle ça m’étonnerait qu’elle y croie.

ANTOINE              De toute façon vous n’y connaissez rien. (Agressif et de mauvaise foi) Et puis ne touchez pas ces tableaux, vous allez les abîmer avec vos grosses mains!

MAXIME                (Soufflé) Mes grosses mains?? Qu’est-ce qui vous prend Antoine? Calmez-vous, voyons!

ANTOINE              (Furieux) Mais j’étais très calme jusqu’à ce que vous arriviez!

MAXIME                Qu’est-ce que je vous ai fait?

ANTOINE              (Même ton) Rien, absolument rien! Vous ne m’avez même rien acheté! Et pourtant vous en avez les moyens. Mais non, vous vous contentez de regarder, de porter des jugements, de tripoter…

MAXIME                Moi je tripote?

ANTOINE              Parfaitement vous tripotez! Mais vous n’achetez pas!

MAXIME                Nous y voilà! C’est surtout ça qui vous reste en travers de la gorge.

ANTOINE              La vérité c’est que vous ne pouvez pas me voir!

MAXIME                En peinture: non! Mais en nature vous me seriez plutôt sympathique si vous n’étiez pas aussi susceptible. Vous en êtes pénible par moment, et je me demande comment Séverine arrive à vous supporter depuis si longtemps.

ANTOINE              (Blanc de rage) Vous par contre ce qui vous reste en travers de la gorge c’est qu’elle, elle m’apprécie à ma juste valeur.

Scène  V              SEVERINE – ANTOINE – MAXIME

 

Séverine alertée par les éclats de voix veut entrer. Elle se cogne à la porte fermée. Elle frappe avec insistance.

 

SEVERINE             Antoine, ouvre!

MAXIME                Mais c’est Séverine!

ANTOINE              Évidement, qui voulez-vous que ce soit?

MAXIME                (Allant lui ouvrir) Vous m’aviez dit qu’elle n’était pas là.

ANTOINE              (Bougonnant pour lui-même) Elle était pas là, elle était là-bas.

SEVERINE             (qui entre) Merci Maxime (A Antoine) Pourquoi m’as-tu enfermée dehors?

ANTOINE              Je voulais te faire une surprise mais ce grand bobet m’en a empêché.

SEVERINE             Antoine! Qu’est-ce qu’il te prend de parler ainsi de Maxime?

MAXIME                Nous nous sommes un peu emportés, je ne savais pas que vous étiez là.

ANTOINE              (Têtu, à lui-même) Elle était pas là… elle était là-bas.

SEVERINE             Vous  Vous vous êtes emporté? Pourquoi?

MAXIME                Pour une histoire de tableaux. Il tenait absolument à changer ces toiles contre ces trois-là. J’ai voulu l’en empêcher.

SEVERINE             Mais quelle idée! Tu es inconscient ou quoi?

ANTOINE              Et voilà! Une fois de plus c’est moi le dindon et l’autre il fait le paon!

SEVERINE             Tu as fini de l’insulter, oui?

ANTOINE              T’inquiète pas, j’ai fini et du même coup je me tire. (Allant chercher ses 3 toiles restées par terre) Vous permettez? Je remporte mes toiles!

SEVERINE             Tu veux emporter tes toiles? Mais l’exposition n’est pas terminée!

ANTOINE              Rassure-toi je n’emporte pas tout, seulement celles que j’avais apportées tout à l’heure.

SEVERINE             Tu en as peint de nouvelles?

ANTOINE              Exactement, et d’un genre qui t’aurait plu, j’en suis sûr. Mais puisque tu ne veux pas les voir, tant pis!

SEVERINE             Je n’ai jamais dit que je ne voulais pas les voir!

Antoine traîne pour que Séverine insiste pour voir les tableaux. Il regarde de près les cadres.

 

MAXIME                (Bas à Séverine) Si c’est vraiment lui qui les a peint, c’est assez surprenant. Ça n’a rien à voir avec ce qui est exposé ici.

SEVERINE             (Bas également) Si c’est d’un style très différent de ce qu’il fait, c’est peu probable que ce soit de lui. J’aurais été la première personne à qui il aurait montré ses essais. Je le connais! (A Antoine) Tu ne veux vraiment pas que j’y jette un coup d’œil?

ANTOINE              Non, j’ai plus très envie que tu les vois… Enfin si tu y tiens, tu peux les regarder quand même.

SEVERINE             (Prenant les tableaux l’un après l’autre) Mais c’est splendide!

Elle en donne un à Maxime et prend du recul pour mieux l’observer

SEVERINE             Vous pouvez me le tenir?

MAXIME                Je ne sais pas si Antoine sera d’accord que je pose mes grosses mains…

ANTOINE              (A lui-même)  C’est malin!

SEVERINE             Remarquable…

ANTOINE              (Ravi, malgré tout) Vraiment… ça te plaît?

SEVERINE             Ah oui, ça me plaît! Oui!

ANTOINE              Alors profite de bien les regarder parce que l’artiste n’en a pas peint beaucoup du genre.

SEVERINE             Et c’est qui l’artiste?

ANTOINE              (L’air de rien) Moi. Bon ben maintenant que tu les as vu, je les reprends.

SEVERINE             Attends… Tu veux dire que c’est réellement toi qui… Non, non, tu ne me feras pas croire ça, c’est pas possible…

MAXIME                Moi non plus je ne l’ai pas crû.

ANTOINE              Évidement, lui il n’y connaît rien!

SEVERINE             J’aimerai que tu m’expliques, parce que, franchement on ne peut pas changer de style aussi radicalement du jour au lendemain.

ANTOINE              La preuve que si. Dis plutôt que tu ne m’en crois pas capable.

SEVERINE             Je n’ai pas dis ça.

MAXIME                Elle n’a pas dit ça.

SEVERINE             Mais c’est quand même étonnant…

MAXIME                Oui c’est quand même étonnant

SEVERINE             Pourquoi tu ne m’as pas montré ça plus tôt?

MAXIME                Pourquoi vous ne lui avez pas montré ça plus tôt?

ANTOINE              (A Maxime) Oh vous l’écho, mettez-la en veilleuse!

MAXIME                Pardon?

ANTOINE              Arrêtez de répéter tout ce qu’elle dit, ça m’énerve!

MAXIME                Bon, bon, d’accord.

SEVERINE             Antoine, si ces œuvres sont vraiment de toi, alors explique-moi pourquoi, avec ce talent, tu t’es borné à faire des ronds et des carrés pendant des années.

ANTOINE              Parce que c’est le genre de peinture qui se vend actuellement!

SEVERINE             Pas quand c’est toi qui peint!

ANTOINE              C’est sympa, merci! Mais je te rappelle que c’est toi qui m’as toujours encouragé à continuer dans cette direction.

SEVERINE             Je t’ai encouragé parce que je croyais que tu ne savais pas faire autre chose, et comme la peinture c’est ta vie, je ne voulais pas de faire de peine.

MAXIME                Elle ne voulait pas vous faire de peine…

ANTOINE              Oh alors vous l’écho!

SEVERINE             Tu as fini de t’en prendre sans cesse à Maxime?

MAXIME                Ne faites pas attention, c’est sans importance. D’ailleurs je profite de  ce petit aparté pour vous quitter, j’ai un rendez-vous. Je repasserai… plus tard.

ANTOINE              C’est ça. Quand je n’serai plus là!

SEVERINE             (A Maxime) Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué aujourd’hui! (Maxime fait un signe comme quoi ce n’est pas grave et il sort)

 

Scène  VI            SEVERINE – ANTOINE – FREDERIC

 

SEVERINE             Tu peux m’expliquer pourquoi tu es si détestable avec Maxime?

ANTOINE              Il te tourne autour et ça m’irrite!

SEVERINE             Lui? Mais qu’est-ce que tu vas imaginer! Il est simplement agréable avec moi et… poli! ce qui n’est pas toujours ton cas.

Sur la réplique suivante entre Frédéric. Il reste vers la porte, ni Séverine ni Antoine ne le voit.

 

ANTOINE              Revenons à notre discussion. C’est l’intrusion de Warner dans ta galerie qui m’a ouvert les yeux. La leçon était de taille, tu avoueras. Des trois tableaux « étrangers » exposés, tous ont été vendus. De toute ma collection: pas un seul n’a été vendu.

SEVERINE             Mais c’était des Warner!

ANTOINE              (Amer et moqueur) Bien sûr, c’était des Warner, mais personne ne le savait!

SEVERINE             C’est vrai. C’est donc bien la preuve que si quelqu’un a du talent…

ANTOINE              N’insiste pas, je sais! Je sais aussi que lorsque c’est moi qui tiens le pinceau le public boude l’évolution. A quoi bon s’entêter? Changeons de style! (Remonté à bloc) Le public préfère le ringard? Donnons-lui du ringard! Les paysages, moi je préfère les voir dans la nature qu’au-dessus de ma cheminée, il semble que ce ne soit pas le cas de tout le monde: il suffit de le dire! Je peins AUSSI des paysages. Mais peut-être préférez-vous des nus? Pas de problème, je fais AUSSI du nu! A l’occasion je peux même faire des ronds et des carrés! Non mais qu’est-ce que vous croyez? je suis un véritable artiste, moi!

SEVERINE             D’accord, mais c’est inutile de crier.

ANTOINE              Laisse-moi encore te dire une chose: quand on sait tenir un pinceau et qu’en plus on a fait les Beaux-arts, n’importe quel petit rigolo du style Warner peut peindre comme lui. C’est ce qu’on apprend à l’école. A la sortie tout le monde fait la même chose, mais, Dieu sait pourquoi, tout d’un coup y’en a un qui sort du lot. La raison de son succès? Y’en n’a pas! Parce qu’il ne faut pas croire que Warner soit plus doué qu’un autre, non ! Seulement, lui, il a l’avantage de plaire.

FREDERIC            C’est ce qui compte.

ANTOINE              C’est pas à vous que je m’adresse!

SEVERINE             Antoine, mesure tes paroles, c’est un client!

Séverine va essayer de le calmer pendant la réplique suivante et l’attirer à l’écart mais Antoine est déchaîné et il ne voudra pas bouger.

 

ANTOINE              Je m’en fous! De toute façon je n’ai plus rien à perdre car, sache-le, à partir de maintenant je ne retoucherai jamais plus un pinceau de ma vie. Je suis écœuré, dégoûté et je mesure mes paroles! Je te laisse en souvenir ces trois toiles qui semblent tellement te plaire. Tu trouveras peut-être acquéreur, sait-on jamais. Et si tu ne les vends pas, les cadres pourront toujours te servir à faire du feu pour tes longues soirées d’hiver, ça te réchauffera puisque moi je ne pourrai jamais le faire.

SEVERINE             Tu deviens ridicule. (Pour calmer le jeu elle dit malicieusement) Et moi qui croyais que tu avais des vues sur Brigitte!

ANTOINE              Oui j’en ai! Seulement elle c’est encore trop récent pour que je m’imagine en train de la réchauffer. Tandis que toi j’en ai rêvé toute ma vie, bon sang!

SEVERINE             Antoine, nous ne sommes pas seuls.

ANTOINE              Je sais, je n’en ai plus pour longtemps. J’ajouterai une seule chose : si quelqu’un ose encore prononcer le nom de Warner en ma présence, il va savoir comment, moi, je m’appelle. Et c’est aussi valable pour toi!

FREDERIC            (S’avance vers Antoine, amusé) Bonjour. Warner!

ANTOINE              Ah vous si vous me cherchez vous allez me trouver!

SEVERINE             (Qui réalise que c’est Warner) Antoine!! (Interrogative à Frédéric) Warner?

Il lui fait signe que oui

 

FREDERIC            (A Antoine) Vous ne m’avez pas dit comment vous vous appeliez?!

ANTOINE              Pour le savoir vous n’avez qu’à regarder les tableaux, c’est écrit dessus en bas à droite comment je m’appelle! (Il sort par la remise en disant ça)

FREDERIC            C’est bien ce qu’il me semblait!

SEVERINE             Excusez-le, monsieur, mais…

Antoine revient agité, il cherche quelque chose. A Séverine.

ANTOINE              T’as pas vu ma pipe?

FREDERIC            C’est moi qui vous dois des excuses, j’aurais pu me présenter autrement, mais je n’ai pas résisté à l’envie de faire fulminer Antoine!

SEVERINE             Je ne comprends pas…

ANTOINE              Y’a rien à comprendre! c’est un… con (dit dans un souffle presque muet)

FREDERIC            Tu n’as vraiment pas changé! Tu as toujours aussi drôle quand tu montes sur tes grands chevaux. Moi, par contre, j’ai dû changer parce que tu n’as pas l’air de me remettre.

ANTOINE              On se connaît?

FREDERIC            Et comment: Frédéric!

ANTOINE              (Qui réalise qu’il le connaît) Crétin!

SEVERINE             Antoine!

ANTOINE              Mais c’est Crétin. Tu sais bien, celui dont je t’ai souvent parlé. On était aux Beaux-arts ensemble. Ça fait un sacré bail!

SEVERINE             Attendez, moi je ne vous suis plus. J’ai crû que vous étiez…

FREDERIC            Warner? Vous avez bien compris. C’est moi en effet, mais je peins sous un pseudonyme. Crétin ce n’est pas idéal comme nom d’artiste, vous avouerez!

ANTOINE              Quoi? Warner c’est toi?

FREDERIC            Tu t’intéresses toujours autant à ce qui se passe dans le domaine de la barbouille à ce que je vois! Il y a vingt ans que j’ai changé de nom!

ANTOINE              Et bien tu m’excuseras mais je l’ignorais. Remarque que je me suis souvent demandé ce que tu étais devenu, parce que ça m’étonnait que tu n’aies pas percé, avec le talent que tu avais déjà à l’époque.

FREDERIC            Ce n’est pas tout à fait ce que tu disais à l’instant…

ANTOINE              (Qui ne relève pas) Maintenant je comprends, je cherchais un Crétin. J’aurais pu chercher longtemps!

FREDERIC            Et bien moi c’est par les journaux que j’ai appris que mes toiles côtoyaient involontairement les tiennes. Je me suis dis que c’était la bonne occasion pour te recontacter.

ANTOINE              En tout cas t’as bien fait. Ça me fait vraiment plaisir de te revoir. Il faut fêter ça. On va aller tous les deux se boire une bonne bouteille au “Castor ».

FREDERIC            Tu pourrais au moins inviter madame à se joindre à nous!

ANTOINE              Séverine? Elle ne boit pas.

SEVERINE             Ça dépend des occasions!

ANTOINE              Ah bon? Mais de toute façon toi tu ne peux pas venir, tu dois garder la boutique.

SEVERINE             Et si on la buvait ici cette bouteille?

ANTOINE              Tu as du pinard caché dans ta remise?

SEVERINE             Non, mais on peut aller en chercher, l’épicerie est à deux pas.

FREDERIC            C’est une excellente idée. Tu y vas Antoine?

ANTOINE              Et toi tu fais quoi pendant ce temps?

SEVERINE             Il me fera la conversation, n’est-ce pas?

FRDERIC            Avec grand plaisir.

ANTOINE              Ah non! La conversation c’est avec moi que tu vas la faire, et Séverine ira à l’épicerie.

FREDERIC            Tu as toujours aussi galant!

ANTOINE              Et toi toujours aussi dragueur!

SEVERINE             Pendant que vous refaites connaissance, je vous laisse garder la boutique.

Séverine prend son porte feuilles et sort.

Scène VII     SEVERINE – ANTOINE – FREDERIC – BRIGITTE

FREDERIC            Dragueur moi? Pas tant que tu crois, je vais t’étonner je suis marié et père de deux garçons.

ANTOINE              Toi? Non!!

FREDERIC            Et si!

ANTOINE              T’es marié, alors ça je n’en reviens pas! Depuis quand?

FREDERIC            (Riant) Depuis que j’ai épousé Brigitte.

ANTOINE              Brigitte?! (Dépité) J’aurais pas pensé qu’elle était mariée…

FREDERIC            Tu la connais?

ANTOINE              Bien sûr que je la connais. Qui ne connaît pas Brigitte!

FREDERIC            Oh!… à peu près tout le monde… Mais toi tu la connais d’où? (Le téléphone sonne plusieurs coups sans qu’il y ait de réaction) Tu ne réponds pas?

ANTOINE              (dans ses pensées) Non, je n’ai rien à répondre.

FREDERIC            Mais c’est toi qui gardes la boutique, réponds au téléphone!

ANTOINE              Et Séverine elle fait quoi? (Il décroche en réalisant soudain que Brigitte s’appelle Crétin. Dans l’appareil) Crétin! C’est la meilleure! (à part) Elle s’appelle Brigitte Crétin! (dans l’appareil) Comment ça « restez poli »? (Il raccroche étonné) Pourquoi il me dit ça?

FREDERIC            (Navré de la bêtise d’Antoine) Pour rien.

Brigitte entre

BRIGITTE              Salut, gribouilleur de mon cœur! (À Frédéric) Monsieur!

FREDERIC            Bonjour madame.

ANTOINE              (Réalisant sa méprise) Madame… mais alors c’est pas ta femme!

FREDERIC            Non, pourquoi penses-tu que c’est ma femme?

BRIGITTE              Tu vois je suis déjà revenue. J’ai raté le coche, une fois de plus!

SEVERINE             (Revenant avec 2 bouteilles) Brigitte! Mais qu’est-ce que tu fais là? Tu n’es pas en route pour Lisbonne?

BRIGITTE              Eh non! Comme tu vois! Pour une fois que j’étais à l’heure et bien je me suis trompée de jour. Le grand départ c’était hier!

SEVERINE             (Soupire) Incroyable! Et alors?

BRIGITTE              Et alors rien! Mais je vois que j’arrive à pic pour boire un coup. Ça tombe bien je crève de soif!

ANTOINE              Alors t’es pas partie?

BRIGITTE              Non!

ANTOINE              Pourquoi?

BRIGITTE              J’ t’expliquerai.

Coup de Klaxon insistant dehors.

BRIGITTE              Zut! Mon taxi! Dis donc, Séverine, tu peux me prêter 34 balles, j’ai plus un rond pour payer le chauffeur.

SEVERINE             (Sortant l’argent) Tu ne peux pas prendre le bus, non? Ça me reviendrait moins cher.

BRIGITTE              Merc ! (Elle sort)

Séverine ira chercher les verres et les servira pendant les répliques suivantes

FREDERIC            Qui est cette charmante femme?

ANTOINE              Une Brigitte. Et comme t’en as déjà une, tu ne t’occupes pas de celle-ci!

FREDERIC            (Moqueur) Il faudrait d’abord que tu me la présentes pour que je m’en occupe!

ANTOINE              Alors ça tu peux toujours courir!

FREDERIC            Mais c’est qu’il serait jaloux!

SEVERINE             Si vous voulez trinquer, je vous y invite.

FREDERIC            (Prend le verre qu’elle lui tend) Merci!

Antoine prend également un verre. Les trois lèvent leur verre.

FREDERIC            (A Séverine) Au plaisir de vous avoir rencontrée. (A Antoine) A ta Brigitte!

ANTOINE              A la tienne!

SEVERINE             A vos retrouvailles et à votre succès à tous les deux.

A ce moment Brigitte revient avec une énorme valise, un sac de voyage, un appareil photo, un cabas qui déborde de tout ce qu’on veut et deux chapeaux posés sur se tête l’un sur l’autre.

BRIGITTE              Je peux y mettre dans la remise?

SEVERINE             Tout ça?!! Pourquoi?

BRIGITTE              Parce que, comme je partais en principe pour assez longtemps, j’ai prêté mon appartement à des amis… Seulement vu la tournure qu’ont pris les événements, j’ai pensé que je pourrai réintégrer la remise…

Séverine lève les yeux au ciel et proteste

SEVERINE             Ah non! Cette fois tu te débrouilles autrement!

Antoine saisissant l’occasion, tente sa chance:

ANTOINE              T’as qu’à venir chez moi !

BRIGITTE              Oh oui! Merci, gribouilleur de mon cœur! (En disant ça elle lui saute au cou)

 

FIN DU DERNIER ACTE

 

 

 

La pièce « L’Art de Vivre » a été créée au Théâtre de l’Espérance, à Genève. Elle a été jouée du 12 avril au 13 mai 2007 ainsi que pour la soirée de gala de la FSSTA (Fédération Suisse des Sociétés Théâtrales d’Amateurs)

 

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