Créé le: 22.10.2025
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L’Art de Vivre

Humour, Notre société, Théâtre

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© 2025 a Chantal Girard

Acte 2

2

Scène  I             SEVERINE – BRIGITTE

 

Le Lendemain. Séverine est à son bureau. Elle travaille en prenant un café-croissant. Derrière la porte, fermée, on voit arriver Brigitte chargée comme un mulet. Elle a un sac de voyage rouge, un appareil photos, son sac à main, un sac plein de poireaux, un sachet de croissants, un thermos, un gros réveil et une pile de journaux. Elle se cogne à la porte fermée en voulant l’ouvrir avec le coude.

BRIGITTE              Aïe! Zut c’est fermé. (Elle cogne) Ouvre!

SEVERINE             (Soupirant) J’arrive. Mais qu’est-ce que tu fais?

BRIGITTE              (Ignorant la question) Ça t’ennuierait de m’aider?

SEVERINE             Tu peux m’expliquer ce que tu fabriques?

BRIGITTE              Ça ne se voit pas? Je transporte mes affaires. (Elle sort et revient avec un lit de camp, un coussin, une couverture.)

SEVERINE             Tu déménages?

BRIGITTE              Momentanément, oui, par obligation.

SEVERINE             Par obligation? Tu n’as pas payé ton loyer?

BRIGITTE              Non, enfin si! Je vais t’expliquer, mais pas l’estomac vide. J’ai une faim de loup. (Réjouie) On déjeune?

SEVERINE             Toi alors tu es unique! Chargée comme tu l’es tu trouves tout naturel de faire une petite halte en passant -et du même coup envahir ma boutique- juste pour prendre le petit déjeuner!

BRIGITTE              Avec toi! C’est-y pas gentil ça?

SEVERINE             Tu peux me dire ce que tu viens faire chez moi à 8h½ du matin avec tout ce barda?

BRIGITTE              Tout ce barda! Faut toujours que tu exagères. (Elle se goinfre de croissants) T’en veux un? Ils sont encore tièdes.

SEVERINE             (Impatiente) Alors?

BRIGITTE              (La bouche pleine) Alors quoi?… Ah! Pourquoi je suis là! Mais où voulais-tu que j’aille? A part ici je ne vois pas où aller, moi

SEVERINE             Bon, alors tu avales d’abord, et tu m’expliques ensuite pourquoi tu as jugé utile d’encombrer ma boutique avec une partie de tes biens.

BRIGITTE              Piètres biens, tu avoueras! Enfin, mes “biens” ont un avantage: ils tiennent dans peu de place et dans la remise ils ne te dérangeront pas beaucoup.

SEVERINE             Tu veux entreposer ça dans ma remise? Mais pourquoi?

BRIGITTE              Parce que je me tue à te répéter que je ne sais pas où aller. T’as pas enlever tes boules “Quiès”? Non, ne dis rien! Ne t’inquiète pas, pour quelques jours, voire quelques semaines, l’arrière boutique est largement assez confortable pour moi.

SEVERINE             (Soufflée) Quoi?!! Parce que non seulement tu entreposes mais en plus tu comptes t’installer?

BRIGITTE              Voilà! T’as mis le temps mais t’as compris!

SEVERINE             (Contrariée) Toi, en revanche, ce que tu n’as pas compris c’est qu’ici -tu vois l’endroit où nous sommes?- Eh bien c’est une galerie d’art pas un terrain de camping!

BRIGITTE              (Avec emphase, mais drôle) Je te jure que je ne dresserai pas la tente! Alors c’est O.K.?

SEVERINE             Non, ce n’est pas “O.K.” comme tu dis. C’est un peu trop facile de disposer des gens comme tu le fais!

BRIGITTE              Mais c’est pas vrai?! Il faut toujours que tu mettes les bâtons dans les roues. Tu ne vas pas me dire que ça te dérange beaucoup, non?

SEVERINE             Eh bien voyons! Du moment que ça t’arrange, le reste tu t’en contrefiches

BRIGITTE              (A part) Ça commence bien…

SEVERINE             Il y a quand même quelque chose qui m’échappe: pourquoi es-tu partie de chez toi?

BRIGITTE              Mais parce qu’il y a Dario.

SEVERINE             Dario?… Il est chez toi?

BRIGITTE              Oui. Il ne savait pas où aller dormir, alors je lui ai prêté mon studio. Entre artiste il faut bien s’aider un peu non? Mais comme il est chez moi, j’peux pas rester, ça me paraît évident.

SEVERINE             Non mais dis-moi que je rêve?

BRIGITTE              (Tout sourire) Alors je m’installe?!

SEVERINE             (Fermée) Non! tu ne t’installes pas. Parce que si toi tu as des ressemblances avec l’Armée du Salut, moi pas.

BRIGITTE              (Réalise que Séverine ne rit pas) Séverine, tu plaisantes?… T’as pas l’air. Bon, et bien il va falloir que je trouve une autre solution… T’as pas une idée?

SEVERINE             (Compatissante devant la mine déconfite de son amie) Brigitte, est-ce que ça t’arrive de réfléchir avant d’agir?

BRIGITTE              (Soupirant) Qu’est-ce que tu veux, j’ai voulu rendre service à Dario.

SEVERINE             Décidément tu ne changeras jamais.

BRIGITTE              (Voit la partie gagnée) Bon, alors je fais quoi, je campe ou je décampe?

SEVERINE             Je ne vais pas te laisser à la rue. Tu t’installes mais à UNE condition: tu ne prends possession des lieux qu’après 19h et tu pars avant 8h le matin. Compris?

BRIGITTE              Puisque tu as des exigences, je m’y plierai. Tu me fais un petit café pendant que je finis de m’habiller?

 

Séverine sort remise. Pendant les répliques suivantes Brigitte sortira de son sac à main: un gros réveil, des boucles d’oreilles, un bracelet, un collier, une ceinture, des chaussures. Elle mettra les bijoux, sauf le collier, et changera de chaussures. Elle laissera toutes ses affaires en vrac sur le bureau. Puis regardant le réveil:

BRIGITTE              Quoi? C’est déjà 9h20! J’avais un rendez-vous à 9h. Un rendez-vous vraiment important… à l’autre bout de la ville.

SEVERINE             (off) C’est inutile d’y aller, vu l’heure.

BRIGITTE              Manquer un rendez-vous, moi? Jamais! Je suis peut-être en retard de temps en temps, mais je ne pose pas de lapin…

SEVERINE             (Revient avec une tasse) C’est toi qui vois, mais avant d’aller à ton rendez-vous tu ranges tes affaires dans la remise.

BRIGITTE              Maintenant??! Mais je viens de te dire que je suis archi-pressée! Je reviendrai tout à l’heure faire place nette.

SEVERINE             (S’énerve) Ah non! Là tu pousses trop loin!

BRIGITTE              Mais t’énerve pas, ça sert à rien. De toute façon la galerie est fermée le matin. A midi tout sera en ordre, je t’en donne ma parole. Allez salut, à tout de suite.

 

Brigitte qui a fini de se changer sur cette dernière réplique sort en courant. A ce moment le téléphone sonne. Séverine enjambe toutes les affaires de Brigitte et répond au téléphone fixe du bureau

SEVERINE             L’Art de Vivre, bonjour… Ah Maxime, comment allez-vous?… Comment? Je vous entends très mal…

BRIGITTE              (Revenant en courant) J’ai oublié le plus important! (Elle prend le collier et 2 croissants)

SEVERINE             (Au téléphone) Vous ne pouvez pas parler? Mais pourquoi?… Si j’ai lu les journaux ce matin… Non pas encore.

BRIGITTE              (La bouche pleine) Je te les ai apportés, ils sont là. Bye!

SEVERINE             (Au téléphone) Comment vous ne pouvez pas m’expliquer… Bien, je vais lire la presse… Vous arrivez… mais dites-moi…? Allô! Maxime? (Raccrochant) Il est bizarre, ça ne lui ressemble pas. (Elle prend les journaux et les regarde l’un après l’autre) Elle est pas vraie cette Brigitte, elle a réussi à m’apporter les journaux d’hier!

Scène  II                 SEVERINE – DARIO

Séverine va dans la remise et revient aussitôt avec son manteau et son porte-monnaie. Pendant ce temps entre Dario

SEVERINE             Bonjour monsieur, je suis désolée mais la galerie est fermée le matin.

DARIO                    La preuve que non puisque j’ai pu entrer -sans effraction!- c’est que la porte était ouverte!

SEVERINE             J’ai dû oublier de la refermer. Excusez-moi pour tout ce désordre, mais…

DARIO                   (La coupant) Oh alors moi le désordre je m’en fous! Je viens seulement voir l’effet que donne mes toiles mises en valeur dans une galerie.

SEVERINE             Pardon?!!

DARIO                    Il faut reconnaître que bien exposées, elles rendent pas mal.

SEVERINE             Ces toiles sont de vous?

DARIO                    Gagné!

SEVERINE             Mais alors vous êtes le fameux Dario.

DARIO                   (Menaçant) Pourquoi « fameux »?

SEVERINE             (Etonnée du ton) Pour rien… Si ce n’est que depuis quelques jours j’entends beaucoup parler de vous.

DARIO                   (S’avance vers elle) Ah oui? Qu’est-ce que vous sous-entendez par là?

SEVERINE             Je ne sous-entends rien, je veux simplement dire que depuis quelques jours vous prenez un peu trop de place dans ma vie.

DARIO                   Vous vous foutez de moi? C’est la première fois qu’on se voit!

SEVERINE             C’est exact, cependant vous vous imposer tout de même par l’intermédiaire de votre amie Brigitte.

DARIO                   Qu’est-ce que vous avez contre elle?

SEVERINE             Ah contre elle directement: rien! Mais depuis qu’elle vous côtoie elle deviendrait plutôt envahissante.

DARIO                   Je suppose que vous voulez parler de mes toiles?

SEVERINE             Entre autres.

DARIO                   Vous me faites marrer! Avouez que mes tableaux ont quand même plus leur place dans une galerie de peinture que ces croûtes! (Montrant les tableaux d’Antoine)

SEVERINE             Je vous prierai de garder vos commentaires pour vous!

DARIO                   Comme vous voudrez! Mais ce sont quand même mes toiles qui ont été vendues, pas les siennes!

SEVERINE             Le vernissage a eu lieu hier soir et c’est un peu court pour se rendre compte du succès d’une exposition.

DARIO                   Vu c’que peint votre protégé ça m’étonnerait qu’il trouve des acheteurs!

SEVERINE             En effet c’est probable qu’il n’y ait pas beaucoup d’acquéreurs si la galerie ressemble à un dépotoir, aussi comme Brigitte a eu l’élégance de vous céder son appartement et qu’elle a abandonné toutes ses affaires chez moi, je vous prierai de m’aider à les ranger dans la remise.

Elle commence à ranger les affaires de Brigitte dans la remise

DARIO                   (Rire mauvais) Ah, ah! Je commence à comprendre! Mais moi je suis artiste, pas déménageur!

SEVERINE             Justement, entre « artiste » on peut bien s’aider, non? Parce que si Brigitte joue les Saint-Bernard avec vous, c’est moi qui porte le tonneau!

DARIO                   Ça tombe bien: j’ai besoin de liquide.

SEVERINE             (Off) Qu’est-ce que vous avez dit?

Dario va vers la remise au moment où Séverine sort, ils se trouvent plus au moins coincés. Elle essaie de se dégager mais il l’en empêche.      

DARIO                   J’ai dit que j’ai besoin de fric. Vous avez vendu mes tableaux, alors donnez moi ce qui me revient.

SEVERINE            Laissez-moi passer!

DARIO                   Seulement si vous me donnez l’argent.

SEVERINE            Je vous réglerai ce que je vous dois à la fin de l’exposition, pas avant.

DARIO                   Ça c’est c’qu’on verra ! (Antoine arrive derrière la porte d’entrée.) Je vous laisse réfléchir, mais vite. Et sachez que, quoi qu’il arrive, je vous redonnerai de mes nouvelles, ne l’oubliez surtout pas…

Dario sort en bousculant Antoine

Scène  III                SEVERINE – ANTOINE puis JEAN-CHARLES

ANTOINE              C’est qui ce type?

SEVERINE             (Heureuse de voir Antoine) Antoine! Nous nous sommes déjà vus ce matin?

ANTOINE              (De méchante humeur) Tu sais bien que non, pourquoi tu me demandes ça?

SEVERINE             Parce que si on ne s’est pas encore vu on peut se dire bonjour.

ANTOINE              C’est vrai, excuse-moi, bonjour. J’ai apporté les croissants pour prendre mon petit déjeuner avec toi.

SEVERINE             Vous êtes plusieurs à avoir eu la même idée ce matin.

ANTOINE              (Voyant les deux tasses) Oui, je vois, tu as déjà déjeuné.

SEVERINE             Pas vraiment, non.

ANTOINE              Ah? Je croyais. Dis donc, à propos, c’est qui le type qui vient de sortir?

SEVERINE             A propos? A propos de quoi?

ANTOINE              Je ne sais pas… les deux tasses peut-être.

SEVERINE             Mais ma parole ! Tu serais jaloux ?

ANTOINE              Moi? (Pas convaincant) Pas du tout. Mais c’était qui?

SEVERINE            Tu ne le connais pas… C’était… c’était un client.

ANTOINE              (Hargneux) A 10h du matin? Tu me prends pour un idiot? La galerie est fermée!

SEVERINE            La preuve que non puisque tu es entré!

ANTOINE              Face à une telle évidence je n’ai plus qu’à aller chercher le café

SEVERINE             C’est une excellente idée. (Antoine va dans la remise et Séverine s’installe au bureau)

ANTOINE              (Bougonnant, off) Une excellente idée, c’est vite dit! Il faudrait déjà que j’arrive à atteindre la cafetière…

SEVERINE             Ne fais pas attention au désordre, je n’ai pas encore eu le temps de tout ranger.

ANTOINE              (Off) T’as pas besoin de le préciser, ça se voit!

Dans la remise le réveil de Brigitte sonne

SEVERINE             (Sursautant) Qu’est-ce que c’est?

ANTOINE              (Off) Le réveil! Tu t’en doutes un peu, non?

SEVERINE             Le réveil? Mais quel réveil?

ANTOINE              (Revenant de la remise, amer) Un peu plus j’arrivais trop tôt!

SEVERINE             Qu’est-ce que tu veux dire Antoine? Explique-toi!

ANTOINE              Oh! Il n’y a rien à expliquer, j’ai vu, c’est tout.

SEVERINE             Tu as vu quoi?

ANTOINE              (Abattu) Rien… rien si ce n’est ce type, le café encore chaud, le réveil, le lit…

SEVERINE             (Riant de la méprise) Mais enfin Antoine! Qu’est-ce que tu vas imaginer?

ANTOINE              (Explosant) Je n’imagine rien, je constate, c’est tout!

SEVERINE             Et je peux savoir ce que tu « constates »?

ANTOINE              (Hors de lui) Arrête de jouer à la plus fine avec moi! Je n’aurais jamais crû ça de toi, tu me déçois vraiment: t’envoyer en l’air en présence de mes tableaux, ça c’est le plus grand affront que tu pouvais me faire!

SEVERINE             (Soufflée)  Antoine, ça suffit! Là tu dépasses les bornes, tu deviens grossier et ridicule!

ANTOINE              Non mais ça c’est le comble! Depuis que je suis arrivé tu me traites d’idiot, de grossier personnage et ridicule par dessus le marché, et c’est moi qui dépasses les bornes?!?

SEVERINE             Mais quelle mauvaise foi, c’est pas vrai!!

ANTOINE              T’as quand même bien passé la nuit ici avec ce type, non?

SEVERINE             Oh et puis après tout tant pis. Tu veux savoir? Et bien tu vas savoir. Celui que tu as vu sortir tout à l’heure c’est Dario. Quand tu es arrivé je venais de faire sa connaissance.

ANTOINE              (Faiblement) Dario, ah… le peintre!

SEVERINE             Oui, le peintre! Je pense que tu commences à comprendre pourquoi j’hésitais à te dire qui il était. Je voulais ménager ta susceptibilité. Tu vois ça partait d’un bon sentiment.

ANTOINE              (Penaud) Séverine… Je…

SEVERINE             (Le coupant) Non, c’est moi qui parle! Pour que tout soit bien clair précisons les choses. Le lit et le réveil: Brigitte les a apportés tout à l’heure car depuis ce matin elle a pris pension dans la remise. Quant aux deux tasses, et aux croissants, Brigitte -toujours elle- avait l’intention de déjeuner avec moi.

ANTOINE              On est plusieurs à avoir eu la même idée…

SEVERINE             C’est exactement ce que je t’ai dit il y a un instant mais tu n’as pas voulu l’entendre.

ANTOINE              J’suis un con.

SEVERINE             Là, je crois bien que j’approuve!

ANTOINE              (Pour changer la conversation) Il y a des articles sur moi?

SEVERINE             Je ne sais pas, c’est Brigitte qui m’a apporté les journaux mais ce sont ceux d’hier, elle a dû les avoir aux rabais!

ANTOINE              (Tout gentil) Tu veux que j’aille te chercher ceux du jour?

SEVERINE             Se serait vraiment gentil. Je m’apprêtais à y aller lorsque Dario est arrivé.

ANTOINE              (Étonné) Dario?

SEVERINE             Antoine!

ANTOINE              Ah oui! J’suis bête, c’est ton peintre! Bon, et bien je vais chercher le journal.

SEVERINE             Et moi pendant ce temps je vais servir le café.

Séverine sort remise. Antoine prend sa pipe qui est dans sa poche et l’allume avant de partir. Jean-Charles entre au moment où Antoine s’apprête à sortir.

JEAN-CHARLES   (toujours aussi dans la lune, à Antoine) Bonjour maître.

ANTOINE              (Flatté) Bonjour! (à lui-même) Maître…!

Antoine sort la tête haute, la pipe à la bouche. Jean-Charles, seul, se met à quatre pattes sous le bureau. Séverine revient avec le plateau et les tasses. Elle les pose sur le bureau et aperçoit un homme sous le bureau.

SEVERINE             (criant) Ah!!

JEAN-CHARLES   (sortant la tête de sous le bureau) Qu’est-ce qu’il y a?

SEVERINE             Jean-Charles! Mais qu’est-ce que vous faites là? Vous m’avez fait peur!

JEAN-CHARLES   Je cherche des copies qui ont dû tomber par ici hier soir. Vous ne les auriez pas trouvées?

SEVERINE             Non.

JEAN-CHARLES   Alors ça doit être maître Pierrard qui les a ramassées, je viens de le croiser, il sortait de chez vous.

SEVERINE             Maître Pierrard?? Mais qui est-ce?

JEAN-CHARLES   Le prof de philo. Avec sa pipe je l’ai bien reconnu, je le rencontre régulièrement à la Fac.

A ce moment entre Floriane.

Jean-Charles va vers la porte de la terrasse, qui a le store baissé, croyant que c’est l’ascenseur, il appuie sur l’interrupteur, tout s’allume dans la galerie, et il attend.

Scène  IV             SEVERINE – FLORIANE – JEAN-CHARLES

FLORIANE            Quelle chance, c’est ouvert.

SEVERINE             En réalité: non, mais j’ai oublié de refermer la porte.

FLORIANE            Je le savais! Mon intuition ne m’a pas trompée. J’avais la certitude que je pourrais le voir ce matin.

SEVERINE             C’est vraiment un hasard parce que…

FLORIANE            (La coupant, comme inspirée) Il n’y a pas de hasard Séverine, ça n’existe pas le hasard… (S’approchant de son tableau) Oh… il est toujours là !

JEAN-CHARLES   (Croyant qu’on s’adresse à lui) Oui je suis toujours là! C’est incalculable le nombre de minutes qu’on perd à attendre les ascenseurs. Je crois que j’aurai aussi vite fait par l’escalier. (Il sort dans la remise)

FLORIANE            Qui c’est celui-là? Il me semble que je le connais…

SEVERINE             Oui vous l’avez vu hier soir, ici même. C’est Jean-Charles, un étudiant qui, un jour sera sans doute un érudit hors pair, mais qui pour l’instant est un étourdi hors circuit!

FLORIANE            Mais qu’est-ce qu’il fait dans l’arrière boutique?

SEVERINE             Il nous l’a dit, il préfère prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur: ça va plus vite!

FLORIANE            Mais c’est un escalier qui mène où?

SEVERINE             Nulle part: il n’y a pas d’escalier!

FLORIANE            Enfin Séverine! Vous vous sentez tout à fait bien?

SEVERINE             Parfaitement bien!

FLORIANE            Si vous trouvez normal que ce monsieur prenne l’escalier alors qu’il n’y en a pas, il y a forcément quelque chose qui ne tourne pas rond.

SEVERINE             Rassurez-vous je n’ai pas encore sombré dans la folie! Mais si vous connaissiez Jean-Charles vous ne vous étonneriez pas!

FLORIANE            Je vais voir ce qu’il fait. (Elle sort dans la remise)

SEVERINE             Si vous voulez.

Séverine va éteindre les lumières allumées par Jean-Charles. A ce moment Maxime entre en coup de vent très excité, contrairement à son habitude.

Scène  V            SEVERINE – MAXIME – FLORIANE – JEAN-CHARLES

MAXIME                Vous êtes seule Séverine?

SEVERINE             Pas tout a fait.

Il se rapproche d’elle est regarde à droite à gauche. Il parle assez bas.

MAXIME                J’ai fait l’impossible mais je n’ai pas pu me libérer avant.

SEVERINE             Enfin Maxime, vous semblez bizarre, que se passe-t-il?

MAXIME                (Prenant les journaux sur le bureau) Vous avez lu les journaux…

SEVERINE             Pas encore. Antoine est allé me les chercher. Ceux que vous tenez en mains sont d’hier.

MAXIME                Vous n’avez pas non plus écouté les nouvelles?

SEVERINE             Non.

MAXIME                Je commence à comprendre votre calme. Vous n’êtes donc pas au courant.

SEVERINE             Au courant de quoi? Expliquez-vous!

 

Jean-Charles revient de la remise suivi de Floriane

FLORIANE            Je l’ai remis sur le droit chemin! Avec un peu de chance s’il ne sort pas de sa trajectoire il risque d’atteindre la porte! (Jean-Charles sort.) Séverine, comme vous êtes occupée, est-ce que j’ose me servir un café, j’ai vu qu’il y en avait de prêt derrière.

SEVERINE             Bien sûr, faites comme chez vous.

FLORIANE            Merci!

Floriane sort dans la remise.

SEVERINE             Maxime je vous écoute. De quoi s’agit-il?

MAXIME                De ces toiles, Séverine. (Il montre les toiles de Dario)

SEVERINE             Qu’est-ce qu’elles ont?

MAXIME                Asseyez-vous. Il faut peut-être vous attendre au pire.

SEVERINE             (Ne veut pas s’asseoir) Mais enfin qu’est-ce qu’il y a? Parlez!

MAXIME                Je ne suis sûr de rien, mais j’ai un doute et j’aimerai que vous me rassuriez. Vous connaissez bien celui qui a peint ces toiles, n’est-ce pas?

SEVERINE             En réalité non, pas vraiment, c’est Brigitte qui le connaît et c’est elle qui m’a forcé la main pour que j’expose ses tableaux. Moi je l’ai à peine entrevu.

MAXIME                Ça c’est ennuyeux… Je m’inquiète sans doute à tord, mais la presse parle ce matin d’un vol de tableaux, trois exactement. Il s’agit de toiles de Warner, et comme hier vous m’avez fait remarquer que le style de ce peintre rappelait de manière frappante celui de Warner, le doute s’est installé en moi et je n’arrive pas à l’en chasser.

Pendant cette réplique Séverine a pâlit et s’est laissée tomber sur la chaise.

SEVERINE             Mon Dieu… ce n’est pas possible…

MAXIME                J’espère que je me trompe.

SEVERINE             (Se relevant d’un bond) Mais j’y pense, si ces toiles étaient celles volées, le voleur n’aurait pas pris le risque de venir ici ce matin!

MAXIME                Parce qu’il est venu ce matin? Alors ce ne serait qu’une coïncidence…

SEVERINE             (Pas sûre du tout) J’en suis sûre.

MAXIME                Non, Séverine, vous n’en êtes pas sûre. Mais dites-moi qu’est venu faire ce monsieur ici ce matin?

SEVERINE             Rien de spécial, il est simplement venu voir quel effet produisait ses toiles dans une galerie.

MAXIME                Il ne vous a rien dit de particulier?

SEVERINE             Non, si ce n’est qu’il voulait que je lui remette l’argent des tableaux.

MAXIME                Vous ne l’avez pas fait au moins?

SEVERINE             Non! Et comme Antoine arrivait, lui est parti.

MAXIME                Il est parti… sans rien dire?

SEVERINE             Si… maintenant que j’y repense il m’a dit à peu près ça « Je vous donnerai de mes nouvelles, ne l’oubliez surtout pas.

MAXIME                Mais voilà! Il vous menaçait… en douceur!

SEVERINE             Si ce que vous dites est vrai, on peut l’interpréter comme une menace, en effet… Je n’arrive pas à y croire.

MAXIME                En tout cas il faut prendre des mesures et vite!

SEVERINE             Qu’est-ce que je dois faire?

Scène  VI             SEVERINE – MAXIME – ANTOINE – FLORIANE

ANTOINE              (Revenant avec les journaux) J’ai acheté toute la presse, je me suis dit que…

SEVERINE             (Lui arrachant les journaux des mains) Donne!

ANTOINE              Qu’est-ce qui lui prend?

MAXIME                Alors vous non plus vous n’avez pas lu les journaux?

ANTOINE              A voir vos têtes ce n’est pas bon signe pour moi. Je préfère m’abstenir.

FLORIANE            (Qui a tout écouté. Acide) Vous avez tord! A votre place je serais plus curieuse que vous! Les articles de ce matin sont très instructifs…!

ANTOINE              (Croyant qu’on parle de lui en mal dans la presse) Oh! Je me doute de ce qu’on peut dire, personne n’a jamais compris ma peinture. Et la presse se fait toujours une joie de me démolir, ça me dégoûte!… Séverine, je suis désolé.

SEVERINE             Pas tant que moi.

FLORIANE            (Méchante) Désolée, vous? Laissez-moi rire! Vous vous êtes bien foutue de moi, oui! Mais ça ne va pas se passer comme ça, faites-moi confiance!

MAXIME                (Implorant) Mademoiselle, s’il vous plaît!

FLORIANE            Quoi “Mademoiselle, s’il vous plaît!? »

ANTOINE              Vu la tournure que prend la conversation, il ne doit pas s’agir de moi.

SEVERINE             (Enervée) Non il ne s’agit pas de toi, réfléchit deux secondes il n’y avait pas de journalistes, comment veux-tu qu’il y ait un article sur toi!

MAXIME                (A Séverine) Je vous en prie, ne perdez pas votre sang froid. (A Floriane) Et vous non plus, vous pensez bien que Séverine ne se doutait de rien!

FLORIANE            (Sarcastique) Elle ne se doutait de rien? Et puis quoi encore?!!

ANTOINE              (En aparté) Ça y est, j’ai compris! C’est la petite amie du peintre, le beau Dario…!

SEVERINE             Vous n’allez tout de même pas prétendre que je savais!

FLORIANE            Vous pouvez monter sur vos grands chevaux ça ne m’intimide pas. Et puis niez tout ce que vous voulez, de toute façon il y a des preuves!

SEVERINE             Des preuves? Mais quelles « preuves »?

ANTOINE              (Qui se veut rassurant, à Floriane) Ça ne sert à rien de vous mettre dans des états pareils, je suis au courant, je vais tout vous expliquer.

MAXIME                Comment, Séverine? Il est au courant? Là je ne comprends plus…

SEVERINE             (Lasse) Antoine je t’en supplie ne te mêle pas de ça!

ANTOINE              (Passant outre) Mademoiselle, comme vous en arrivant ce matin j’ai cru à la culpabilité de Séverine. Comme vous je me suis laissé abusé par les apparences le lit, le réveil, les deux tasses et lui qui partait…

SEVERINE             Enfin Antoine, il ne s’agit pas de ça!

ANTOINE              (A Séverine) Essaie de comprendre: moi-même qui ne suis attaché à toi que par des liens amicaux, je t’ai fait une scène! Alors elle, en étant directement impliquée dans l’affaire -et ne connaissant pas le fin mot de l’histoire- c’est normal qu’elle réagisse ainsi. Mets-toi à sa place, elle croit que Dario l’a trompée avec toi!

FLORIANE            Mais qu’est-ce qu’il raconte, celui-là?

MAXIME                Écoutez, là je crois qu’il y a confusion. (A Séverine) Qu’est-ce qu’il veut dire?

SEVERINE             (A Floriane) Ce qu’Antoine essaie de vous expliquer n’a strictement rien à voir avec le vol de tableaux, il vous a pris pour la petite amie de Dario.

Antoine tourne sur lui-même pour voir tous les tableaux suspendus dans la pièce.

FLORIANE            (Qui ne comprend rien) La petite amie de qui?

SEVERINE             De Dario Barlan: le peintre… Enfin, le contresignataire.

FLORIANE            (Sautant sur l’occasion) Bien! Très bien! En essayant de noyer le poisson, vous venez de vous vendre! La voilà la preuve: vous saviez qu’il s’agissait d’un contresignataire, vous venez de le dire!

ANTOINE              (Paniqué, à Séverine) Tu as parlé d’un vol? Mes tableaux!!

MAXIME                Rassurez-vous, il n’est pas question de vos tableaux. Tenez, lisez.

ANTOINE              « C’est en rentrant à son domicile, après quelques jours d’absence, que la comtesse Marie-Ange de Versagny a constaté la disparition de 3 tableaux qu’elle avait acquis récemment à l’atelier du très renommé peintre Frédéric Warner. Dans ce vol, le mystère reste complet: aucune trace d’effraction n’a été signalée par Robert, le jardinier, et il semble impossible que quelqu’un ait pu s’introduire dans la maison sans être immédiatement maîtrisé par les deux Doberman de la propriété. D’emblée une question se pose dans cette affaire: Madame la comtesse connaîtrait-elle le coupable? Une affaire à suivre. »

MAXIME                Vous saisissez maintenant?

ANTOINE              Je crois, oui. Les toiles signées Dario… (Il  va voir le nom en bas d’un tableau) Barlan, sont en réalité des Warner.

MAXIME                C’est ça.

ANTOINE              (Réalisant, outré) Séverine!! Tu ne vas pas me dire que tu as trempé dans une telle combine!

SEVERINE             Enfin, Antoine! Qu’est-ce que tu vas croire?

FLORIANE            Il croit ce qu’il voit. Si le fameux Dario était là, alors que « la galerie est fermée le matin », ce n’est pas par hasard, mais bien parce qu’il est votre amant!

MAXIME                (Se fâche à son tour) Alors là vous allez trop loin!

FLORIANE            Oh vous! La ferme!

MAXIME                Mais je vous interdis…

FLORIANE            Vous ne m’interdisez rien du tout! J’ai des yeux pour voir et ce que je vois est clair: vous bavez devant elle comme devant un fruit défendu, pas étonnant que vous gobiez tout ce qu’elle vous raconte! (À Antoine) Ils font un couple charmant! Lui: riche, aveugle et con, et elle: belle, lucide et malhonnête!

ANTOINE              (Abasourdi) Comment? Lui, un homme marié, et toi?! Ça c’est le comble!

MAXIME                Mais je vous défends…

ANTOINE              C’est pas à vous que je parle!

SEVERINE             (S’énervant pour de bon) Cette fois s’en est trop! J’en ai marre de vos sous-entendus et de vos quiproquos! Jusqu’à preuve du contraire je suis encore ici chez moi et vous n’avez rien à y faire: alors sortez!!! (elle ouvre la porte)

MAXIME                Séverine, ressaisissez-vous, c’est inutile de…

FLORIANE            C’est vrai, ressaisissez-vous, Monsieur vous le demande si gentiment…

SEVERINE             (Hors d’elle) Vous, occupez-vous de vos oignons et retournez cultiver vos carottes!

FLORIANE            Plutôt que des carottes je vais cultiver des oranges! En tôle, c’est beaucoup plus apprécié!

ANTOINE              Pourquoi elle dit ça?

SEVERINE             J’ai dit sortez! Fichez-moi la paix, tous!

FLORIANE            Mais je sors! Seulement ne comptez pas vous en tirez comme ça, je vais de ce pas déposer une plainte.

SEVERINE            C’est ça, allez-y! Je peux même vous appeler un taxi!

Floriane sort

ANTOINE              Tu ne vas pas la laisser faire?

MAXIME                Allons Antoine, sortons. (Antoine va pour sortir) Je vais appeler mon avocat pour lui demander conseil. Vous pouvez compter sur moi.

SEVERINE             Merci. Heureusement que vous êtes là.

ANTOINE              (Avec humeur) Je croyais qu’elle préférait rester seule!

MAXIME                Je viens. (A Séverine) Surtout fermez la porte à clé.

Maxime sort avec Antoine qui est sur le pas de porte. Séverine va chercher les clés dans la remise, à ce moment le téléphone sonne. Après hésitation elle répond.

 

Scène VII   SEVERINE – BRIGITTE

SEVERINE             (Au téléphone) L’Art de Vivre, bonjour… Non madame, la galerie n’est pas ouverte ce matin… De 14 à l8h tous les jours à l’exception du lundi… Je vous en prie. (Elle raccroche, l’air soucieux, à ce moment entre Brigitte.)

BRIGITTE              T’en fait une tête, qu’est-ce qui t’arrive? (Séverine ne répond pas.) C’est pas grave au moins?

 

Séverine ne répond toujours pas, elle laissera parler Brigitte sans même essayer de la contredire

BRIGITTE              Mais réponds! C’est Antoine, c’est ça hein!?

 

Devant le silence de son amie elle imagine les choses et les dit à voix haute en s’en persuadant.

BRIGITTE              Il a fait une tentative de suicide? J’en étais sûre! Et naturellement il s’est raté! Enfin dans un sens heureusement, au moins il est encore vivant. Mais à toi j’espère que ça va servir de leçon, je t’ai toujours dit que les paumés du style Antoine ne pouvaient t’apporter que des emmerdes, tandis que…

SEVERINE             (La coupant) Tandis que quoi?

BRIGITTE              (Montrant les toiles de Dario) Tandis que lui il y de l’avenir!

SEVERINE             (Criant presque) Alors ça pour avoir de l’avenir, il y de l’avenir! Il faut dire que tu as eu une idée géniale en me poussant à accepter ces toiles. Merci!

BRIGITTE              (Bouche bée) Tu dis ça sur un ton… Tu m’en veux pour ce qui est arrivé à Antoine?

SEVERINE             Arrête avec Antoine! Il va très bien Antoine, il sort d’ici!

BRIGITTE              Mais tu viens de me dire…

SEVERINE             Ah non ! Pardon TU as dit, tu as monté tout un scénario autour de rien, comme d’habitude!

BRIGITTE              Attends… là je ne te suis plus…

SEVERINE             (Lui tendant les journaux) Lis, tu vas comprendre.

BRIGITTE              Mais j’ai déjà lu les journaux avant de te les apporter.

SEVERINE             Ce sont ceux d’hier que tu m’as apporté! Lis!

BRIGITTE              (Elle lit)… Pourquoi tu me fais lire ça?

SEVERINE             Tu ne t’en doutes pas un peu?

BRIGITTE              Non. Je ne vois pas ce qui te mets dans un état pareil, au contraire tu devrais être contente en exposant les œuvres d’Antoine tu n’as pas de risque que ce soient des toiles volées! Imagine un peu la tête que tu ferais si tu avais eu dans ta galerie ces… Warner…

SEVERINE             Eh bien justement! Ils sont là !

BRIGITTE              Ah ben merde!… des Warner! … Mais alors t’avais vu juste!

SEVERINE             C’est tout ce que tu trouves à dire?

BRIGITTE              Qu’est-ce que tu veux que je te dise d’autre? C’est pas moi qui les ai volés ces tableaux. C’est quand même pas de ma faute!

SEVERINE             C’est peut-être de la mienne?

BRIGITTE              Évidemment non… Mais alors moi j’en reviens pas que Dario ait fait ça, j’aurai jamais crû ça de lui!… Du coup t’es dans un sale pétrin.

SEVERINE             NOUS sommes dans un sale pétrin!

BRIGITTE              Nous, si tu veux.

SEVERINE             Si je veux! Non mais tu réalises la gravité de la situation? Je vais être appréhendée pour recel et toi avec, comme complice.

BRIGITTE              Tu crois?

SEVERINE             Ça me semble évident.

BRIGITTE              Alors ça, ça m’arrange pas du tout! Il faut se tirer de ce bourbier et vite. (Style « Eurêka »!) J’ai une idée!

SEVERINE             Dieu sait !

BRIGITTE              Tu connais bien tous ceux qui sont venus hier soir au vernissage? Alors voilà: tu les contactes un par un pour leur expliquer et pour leur demander de ne pas parler des toiles de Dario. Côté journalistes, pas de problème, aucun n’est venu, encore heureux qu’Antoine n’ait pas la cote! Tu devines ta suite? Je fais disparaître les trois toiles définitivement: ni vu, ni connu, le tour est joué!

SEVERINE             Tu arranges tout comme des noix sur un bâton, mats tu oublies que les tableaux sont vendus.

BRIGITTE              Vendus? Mais à qui? A Maxime… il emportera une toile d’Antoine à la place d’un Warner. Evidemment il ne gagnera pas au change, mais ça…! A qui d’autres?  A moi! Là tu vois ce que je veux dire…!

SEVERINE             Et le troisième?

BRIGITTE              A Floriane! Elle est cool, elle comprendra, j’en donne ma main à couper!

SEVERINE             Alors tu peux t’inscrire au club des manchots!

BRIGITTE              Pourquoi?

SEVERINE             Parce Floriane qui était là tout à l’heure, n’a rien voulu comprendre et elle est allée déposer plainte.

BRIGITTE              La garce!

SEVERINE             Désolée pour ton plan, mais de toute façon il ne me tentait pas: faire disparaître ces Warner m’aurait fait mal au cœur.

BRIGITTE              Mais si elle a porté plainte, la police va débarquer ici!

SEVERINE             C’est probable

BRIGITTE              Il faut ficher le camp!

SEVERINE             Pour aggraver mon cas par un délit de fuite? Non merci, c’est suffisant comme ça.

BRIGITTE              Bon, ben moi j’ai plus d’idée. Tout ce que je te propose tu le prends de haut. Alors à toi de faire marcher tes petites cellules grises. (Elle s’assoit  et se met à lire le journal)

SEVERINE             C’est vraiment le moment de lire! Tu ne crois pas qu’il y a plus urgent? Primo tu vas me débarrasser séance tenante l’arrière boutique de tout ton bazar. Si la police débarque ici je ne veux pas qu’elle découvre ce capharnaüm!

BRIGITTE              Non mais ça c’est la meilleure! Je viens juste de m’installer et, comme ça, parce que madame perd les pédales, il faut que je redéménage. Non mais tu ne sais vraiment pas ce que tu te veux, ma pauvre Séverine!

SEVERINE             La pauvre Séverine elle en a ras le bol de tous ces dingues qui gravitent autour d’elle!

BRIGITTE              Merci!

SEVERINE             (Elle secoue Brigitte) Oui j’en ai marre de jouer les bonnes poires! Tu comprends? Alors pour une fois c’est moi qui décide et tu me débarrasses le plancher avec ton déménagement!

BRIGITTE              (Voyant que Séverine ne plaisante pas) Tu veux que je parte? O.K. C’est comme si c’était fait. La remise sera nickel d’ici dix minutes et la police, si elle vient, pourra fourrer son nez partout sans que tu aies honte. Si tu m’aides ça ira plus vite!

Elle va chercher ses affaires dans la remise et les mets vers la porte sur les répliques suivantes

BRIGITTE              Et puis retrouve ton sourire c’est ta meilleure arme!

SEVERINE             Tu vas aller où?

BRIGITTE              Où veux-tu que j’aille? J’en sais rien! Mais t’inquiète pas je trouverai bien une autre « bonne poire » pour m’héberger.

SEVERINE             Si j’ai un conseil à te donner c’est de déloger ton locataire dans les plus brefs délais. Tu t’imagines ce que tu risques si la police trouve Dario chez toi?

 

Le téléphone sonne, hésitation de Séverine. 2 – 3 – 4 sonneries.

BRIGITTE              Eh bien réponds! (Comme Séverine hésite, elle décroche) Galerie L’Art de Vivre, bonjour… Oui… Non… Oui c’est moi… Comm…

                               Tu es où?… Mais non! T’es complètement dingue, tu n’peux pas faire ça! …Non non! Écoute-moi!… Il a raccroché.

SEVERINE             C’était lui

BRIGITTE              Ouais! … Il ne va pas tarder à arriver…

SEVERINE             Quoi?! Il ne va pas oser revenir ici quand même?!

BRIGITTE              (Réalisant) Comment? Il est déjà venu?

SEVERINE             Oui, un peu avant que tu arrives, « monsieur » est venu se présenter, si on peut dire! Mais comme je n’étais pas au courant du vol je ne me suis pas méfiée sur le moment.

BRIGITTE              Et lui, comme il s’est rendu compte que tu n’étais pas encore au courant, il ne t’a rien dit.

SEVERINE             Que voulais-tu qu’il me dise?

BRIGITTE              Je ne sais pas moi… mais au téléphone il n’avait pas l’air d’avoir de bonnes intentions.

SEVERINE             Ça veut dire?

BRIGITTE              Ça veut dire qu’il a une idée pour ne pas se faire coincer. Il vient pour te faire chanter.

SEVERINE             Ah Bravo! C’est vraiment un type bien, ton copain!

BRIGITTE              Mon copain…! Si tu savais comme je m’en veux. J’ai pas l’air comme ça, mais je suis tout à fait consciente de la gravité de la situation.

SEVERINE             En tout cas si il ose passer la porte il va savoir de quel bois je me chauffe!

Scène VIII            SEVERINE – BRIGITTE – DARIO

Dario entre dans la galerie

BRIGITTE              (A part) Il a osé !

DARIO                   (Ironique) Tiens je vois que les déménagements se poursuivent!

Séverine prend les clés posées sur le bureau et les lances à Brigitte

SEVERINE             Brigitte, attrape et ferme la porte!

DARIO                   Alors… On enferme le loup dans la bergerie?

SEVERINE             C’est ça! Seulement dans cette bergerie, contrairement aux apparences, il y a des brebis galeuses!

DARIO                   (Rire sarcastique) Vous m’en direz tant!

Séverine s’approche de lui et lui assène 3 gifles en rafale avant que, surpris, il ne réagisse.

SEVERINE             Ça, c’est pour les tableaux: une par toile!

DARIO                   (Menaçant) Alors là, tu vois, c’est un geste que tu n’aurais pas dû faire. Tu vas le regretter et ça va te coûter cher.

Il la pousse en arrière et la fait se coucher à moitié sur le bureau.

SEVERINE             Lâchez-moi, brute!

DARIO                   La ferme!

A ce moment Brigitte se servant des clés comme d’un revolver les lui plantes dans le dos

BRIGITTE              (Voix grave) Haut les mains!

Surpris, Dario lâche prise et lève les mains. Séverine en profite pour se redresser et le pousser, il tombe assis sur la chaise. Séverine saisi la statuette en bronze sur le bureau et le menace

DARIO                   (Mielleux) Allez, ça va, je suis bon joueur, vous avez gagné. Je me rends.

SEVERINE             (Ironique) Tu remarques que monsieur devient raisonnable et même poli!

BRIGITTE              Je crois que Dario a une proposition à te faire.

SEVERINE             Ah bon!? Je vous écoute.

Dario fait mine de se lever.

SEVERINE             Assis!! Ou je vous fracasse la tête!

DARIO                   Faites la maligne, tant que vous pouvez, mais je vous avertis que si vous continuez à me narguer je ne donne pas cher de votre boutique!

SEVERINE             Venons-en au fait, qu’est-ce que vous voulez de moi?

DARIO                   Primo: le fric que vous avez encaissé pour mes tableaux.

SEVERINE             Je ne l’ai pas, ils ont été vendus à crédit.

DARIO                   Ça c’est votre problème, moi je veux l’argent et tout de suite. Secundo, vous ne m’avez jamais vu, vous ne savez rien de moi et vous ignorez mon nom.

SEVERINE             Votre nom? Mais tout le monde a pu le voir! Il est inscrit en toutes lettres sur ces toiles!

DARIO                   Je vois que vous me prenez réellement pour un imbécile! Barlan est un nom d’emprunt, pauvre pomme! Et comme vous n’avez pas l’air très dégourdie je vous signale que si vous ne respectez pas mes conditions je fous le feu à la galerie. Et je ne plaisante pas!

BRIGITTE              Tu oublies une chose, c’est que moi je le connais ton nom. Ton vrai nom!

DARIO                   Et alors? Tu la boucles, un point c’est tout!

BRIGITTE              Je me demande bien pour quelle raison je me tairais! Je n’ai rien à perdre, moi, je n’ai ni galerie, ni fric, ni foute, ni brique! Alors tu penses si je m’en fiche!

DARIO                   Tu ne parleras pas, parce qu’elle ou toi: c’est pareil, pour elle le résultat sera le même. (A Séverine) Vous voyez ce que je veux dire?

SEVERINE             Tout a fait. Et maintenant sortez!

DARIO                   Volontiers, mais d’abord il faudrait m’ouvrir la porte et me remettre ce que vous me devez.

SEVERINE             Je viens de vous dire que je n’ai pas d’argent ici.

DARIO                   Tiens… J’aurai pensé que vous y teniez plus que ça à votre galerie.

Brigitte est allée ouvrir la porte.

SEVERINE             Brigitte, est-ce que tu as de l’argent sur toi?

BRIGITTE              Moi?! Évidemment non, comme si j’avais l’habitude de me balader avec des billets de mille!

Pendant ces deux répliques Dario est passé derrière le bureau et a pris le portefeuille de Séverine dans son sac. Il sort plusieurs billets de 200.-

DARIO                    (Sifflement) Eh ben dit donc ! Pour quelqu’un qui n’a pas d’argent sur lui, c’est pas mal!

SEVERINE             Posez ça immédiatement ou j’appelle la police!

DARIO                   Mais allez-y, ne vous gênez pas! D’ici que les flics arrivent je serai loin, par contre les tableaux, eux, je doute qu’ils se fassent la malle tout seul ! Et ce serait une bonne surprise pour les flics de trouver le butin dans cette élégante galerie! (à Brigitte) Toi tu te la coinces! (à Séverine) et vous tâchez de bien retenir la leçon, si vous voulez que je sois gentil avec vous.

Brigitte a ouvert la porte et Dario se dirige vers la sortie. A œ moment entre Jean-Charles. Dario, voyant Jean-Charles, devient courtois.

DARIO                   Mesdames, au plaisir de vous revoir… peut-être! (Il sort)

Scène  IX             SEVERINE – BRIGITTE – JEAN-CHARLES

Jean-Charles se retourne sur Dario

 

JEAN-CHARLES   Je l’ai déjà vu quelque part…

SEVERINE             (Enervée) Qu’est-ce que vous venez encore faire ici? Vous vous êtes trompé de bâtiment cette fois? Il faut vous acheter une boussole!

JEAN-CHARLES   (Qui ne comprend pas) Pourquoi?

BRIGITTE              Vous connaissez la personne qui vient de sortir?

JEAN-CHARLES   Oui, je crois, mais je n’arrive pas à lui remettre un nom.

BRIGITTE              Faites un effort!

SEVERINE             (Lasse) Laisse tomber Brigitte.

BRIGITTE              Pas du tout, si lui le connaît il pourra témoigner sans que ni toi ni moi ne disions rien! Et ça l’autre, ne l’a pas mis dans ses conditions!

SEVERINE             Tu perds ton temps! Jean-Charles croit toujours connaître les gens qu’il rencontre, seulement il confond tout le monde.

JEAN-CHARLES   (Qui sent qu’il dérange) Je crois que je tombe mal. Je ne vais pas vous déranger longtemps, je viens simplement rechercher ma calculatrice que j’ai oubliée tout à l’heure. (Il va vers le bureau) Elle doit être par là.

SEVERINE             (A Brigitte) J’ai réfléchi, je vais téléphoner à la police, c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

BRIGITTE              Et tu vas leur dire quoi?

SEVERINE             Que les Warner sont chez moi. Si je dis ce qui s’est réellement passé, Ils me croiront peut-être. Je leur expliquerai que j’ignore tout de cet individu, ce qui est vrai je ne connais même pas son nom!

JEAN-CHARLES   (Exclamatif) Dario!

SEVERINE et BRIGITTE (Sursautant) Il est revenu??!!

JEAN-CHARLES   Qui ça?

BRIGITTE              Dario.

JEAN-CHARLES   Non, mais je viens de me souvenir de son nom. Oui, oui c’est bien lui: c’est Dario.

SEVERINE             Ça c’est une révélation…!

JEAN-CHARLES   (Se parlant à lui-même) C’est juste… Dario Renoir…

SEVERINE             (A Brigitte) Quand je te disais qu’il mélange tout, la preuve, il croise quelqu’un dans une galerie de peinture et il le prend pour Renoir !

BRIGITTE              Tu as tord, Jean-Charles n’est pas aussi farfelu que tu crois parce que Dario s’appelle effectivement… Renoir.

SEVERINE             Tu plaisantes?

BRIGITTE              Non, non, je t’assure.

SEVERINE             Alors ça c’est le bouquet! Je comprends pourquoi il ne voulait pas apposer sa véritable signature sur les tableaux. Renoir…!

 

FIN DU 2ème ACTE

 

 

10 minutes d’entracte

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