Créé le: 22.10.2025
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L’Art de Vivre

Humour, Notre société, Théâtre

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© 2025 a Chantal Girard

Acte 1

1

Fébrilité, trac, agitation: 3 mots pour résumer l'ambiance qui règne, quelques instants avant le début du vernissage, dans la galerie de peinture "L'Art de Vivre". Humour, bêtise, parodie: 3 mots pour résumer la comédie que vous allez découvrir… en 3 actes, un peu comme au théâtre!
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Personnages:

Séverine         45-50 ans Belle femme, élégante et posée. Propriétaire de la galerie de peinture « L’Art de Vivre »

Brigitte           45-50 ans Excentrique, extravagante en tout. Brasse de l’air, se mêle de tout, bruyante et envahissante. Amie de Séverine de longue date

France            45 ans Veut absolument paraître plus jeune. Snob, Parade pour se faire remarquer. Femme de Maxime et mère de Patricia

Patricia          20 ans Mignonne, un peu nunuche écrasée par sa mère, pourrie par son père

Floriane         Âge indifférent Ecolo qui vit en marge de la société; Toujours pour ce qui est contre et contre ce qui est pour

Maxime          La cinquantaine, PDG. Néglige sa famille. Compense par des cadeaux somptueux à « ses femmes ». Fait la cour à Séverine

Antoine           Peintre mal dans sa peau, timide, touchant. Ne vit que pour ses ronds et ses carrés, l’essentiel de sa peinture. Amoureux platonique de Séverine depuis toujours

Dario              Petit malfrat qui se fait passer pour peintre. « Ami » de Brigitte, ami au sens artistique(!)

Jean-Charles  La trentaine Eternel étudiant, doué mais totalement à l’ouest

Fred Warner   Même âge qu’Antoine. Peintre qui a la côte. Ses œuvres sont remarquables

 

Décor: l’intérieur d’une galerie de tableaux et d’art.

A Jardin une vitrine donnant sur la rue. A Cour, au fond, une porte vitrée donnant sur une petite terrasse, avant Cour: un rideau cache une remise.
Les parois sont recouvertes des tableaux d’Antoine: des ronds et des carrés.

Un bureau, des sièges cossus, des bibelots, un téléphone design. Une table nappée avec tonnelet de vin, verres, fleurs, etc. Ici et là des dessertes avec petits fours, jus de fruits, serviettes en papier, le tout en vue du vernissage. Œuvres diverses d’art contemporain et classique.
Une partie de la paroi du fond est vide, on voit qu’il manque des tableaux.

 

La pièce se situe dans les années 90 début 2000. Il n’y a pas encore d’ordinateur et une très petite minorité de la population possède un téléphone portable. L’action se déroule le jour du vernissage des « œuvres » abstraites du peintre Antoine.

 

ACTE 1

 

Scène I           SEVERINE – BRIGITTE

 

Assise à son bureau Séverine repose le téléphone, Brigitte entre, coiffée avec un pétard, elle a un cabas plein de grands poireaux, un parapluie, un manteau sur le bras, un grand foulard autour du cou, une sacoche et un énorme trousseau de clés à la main. Pendant la scène elle éparpillera ses affaires n’importe où, dont ses clés sur le bureau. Elle s’agite sans cesse. Séverine, à l’opposé, est très calme.

 

BRIGITTE              Salut! C’est moi!

SEVERINE             Enfin! Ça fait plus d’une heure que je te cherche. Sais-tu qu’il est 17 heures!

BRIGITTE              Déjà?

SEVERINE             Oui, « déjà! » tu devais venir à 15 heures30!

BRIGITTE              Je sais, je sais! Mais j’ai été débordée.

SEVERINE             Ça ne change pas tu l’es toujours.

BRIGITTE              Écoute, je fais ce que je peux! Y’a pas de porte-parapluies?

SEVERINE             Non! Tu as vu le soleil qu’il fait?

BRIGITTE              (Pose son parapluie n’importe où) Non j’ai pas vu, j’ai pas eu le temps, je n’ai fait que courir depuis l’aube. Je me suis levée à 10h½ J’avais quatre rendez-vous entre 11h et 15h. Yvan, à 11h, tu sais Yvan…

SEVERINE             Oui, je sais, tu m’as déjà raconté l’épisode « Yvan ».

BRIGITTE              Ah c’est vrai! Donc je devais le retrouver à 11h. Je me réjouissais, j’avais rendez-vous avec LUI! Lui: l’homme de ma vie!

SEVERINE             L’homme de ta vie! Tu ne l’as vu qu’une fois et encore, de loin!

BRIGITTE              Tu comprends rien, il y a le « feeling » entre nous et ça, ça s’explique pas. Ce rendez-vous je n’l’aurais pas raté pour tout l’or du monde .

SEVERINE             (Moqueuse) Pour tout l’or du monde? T’es sûre ?

BRIGITTE              Tu sais très bien c’que je veux dire.

SEVERINE             Oui, mais j’aimerais que tu me le dises une autre fois, pour l’instant il y a plus urgent.

BRIGITTE              Si ce que je te raconte ne t’intéresse pas, dis-le!

SEVERINE             Si, ça m’intéresse, mais…

BRIGITTE              Bon, alors j’en étais où?

SEVERINE             (Soupir) Ton rendez-vous avec Yvan.

BRIGITTE              Ah oui! Vers 10h, j’étais dans mon lit, le téléphone sonne: c’était lui! Il m’annonçait qu’on ne pourrait pas se voir. Tu imagines ma déception?

SEVERINE             (S’impatiente) Pas vraiment, non.

BRIGITTE              Le culot du mec! Me téléphoner à 10h pour annuler un rendez-vous à 11h. Faut oser, quand même!

SEVERINE             Lui au moins il prévient…

BRIGITTE              Bref. Ce coup de fil m’a complètement désorganisée. Après Yvan, j’avais rendez-vous chez ma coiffeuse à midi.

SEVERINE             Tu as été chez le coiffeur??!

BRIGITTE              Oui. Mais comme je suis arrivée à midi et demi, elle n’a pas pu me prendre. Pour une demi-heure de retard elle aurait pu faire un petit effort. Penses-tu, elle n’a rien voulu savoir!

SEVERINE             Tu ne crois pas que c’est plutôt toi qui devrais faire un « petit effort » pour être à l’heure? (Elle sort dans la remise) Le salon de coiffure est dans ton immeuble, entre 10h et midi tu avais le temps de descendre, non?

BRIGITTE              (Brigitte seule en scène continue son explication) De toute façon aujourd’hui c’était mal parti pour moi, deux rendez-vous qui tombaient à l’eau… et c’était pas fini, il y avait encore celui de 14h.

SEVERINE             (off) Et celui-ci c’était avec qui?

BRIGITTE              Avec mon futur impresario.

SEVERINE             (off) Encore ?!!! Ça fait au moins le quatrième que tu rencontres ce mois.

BRIGITTE              Oui, mais les autres c’étaient des guignols! Lui c’était du sérieux, je le sentais, et tu connais mon flair! La tuile c’est que pour cette première entrevue j’étais coiffée avec un pétard! Qu’est-ce qu’il allait penser, j’en étais malade.

SEVERINE             (Revient avec des fleurs) Et qu’est-ce qu’il a pensé?

BRIGITTE              J’en sais rien! Il est pas venu!

SEVERINE             Il n’est pas venu? Tu veux dire que tu ne l’as pas vu?!!

BRIGITTE              Ben non, j’l’ai pas vu. Je l’ai attendu une heure!

SEVERINE             Mais tu es sûre du jour et de l’heure de ce rendez-vous?

BRIGITTE              Évidemment! tu penses bien que dans ces cas-là je note. (Temps) Enfin… je crois que c’était au « Castor »…

SEVERINE             Tu n’en es pas sûre? Tu viens de me dire que tu l’avais noté.

BRIGITTE              Oui, j’ai noté l’heure!… pas l’endroit. Mais je suis sûre que c’était un bistrot avec un nom d’animal… à poils, mais j’sais plus si c’était le « Castor » ou « L’Oslo ».

SEVERINE             Ce n’est pas tout à fait pareil!

BRIGITTE              Je sais! Mais moi je l’ai attendu au « Castor » et il n’est pas venu!

SEVERINE             Donc c’est à « L’Oslo » qu’il t’attendait!

BRIGITTE              A moins que ce soit lui qui se soit trompé de bistrot!

SEVERINE             Bref. Si à 15h tu étais libre, tu as fait quoi jusqu’à 17h? Ton quatrième rendez-vous c’était avec moi à 15h30. Le « Castor » est en bas de la rue. Alors?

BRIGITTE              Alors rien! Tu sais comme je suis, j’ai tellement de choses à faire que je n’arrive pas à toutes les mener à bien.

SEVERINE             Bon. Allons chercher les tableaux qui sont dans ta voiture.

BRIGITTE              Les tableaux? Quels tab… Les tableaux!!! Je les ai oubliés!

SEVERINE             Quoi? Non… ce n’est pas possible! Enfin, Brigitte! C’était bien pour que tu m’apportes les tableaux qu’on avait rendez-vous, non?

BRIGITTE              Si… mais ça m’est sorti de la tête.

SEVERINE             L’avantage avec toi c’est qu’il y a toujours un petit côté imprévu. Seulement cette fois ça ne m’amuse pas pas du tout!

BRIGITTE              Ah! lala! Tu vas pas dramatiser, c’est pas une affaire d’état! Je vais aller te les chercher ces trois malheureux tableaux. (Elle ne bouge pas)

SEVERINE             Mais j’espère bien! et tu te bouges! Dans moins d’une heure les premiers invités vont arriver et il faut encore que je suspende tes « œuvres »!

BRIGITTE              Mes œuvres! Si au moins c’étaient les miennes…

SEVERINE             Stop! Ce ne sont peut-être pas les tiennes mais c’est quand même pour te faire plaisir à toi que j’ai accepté d’exposer les toiles de ton copain.

BRIGITTE              Ça te dérange pas beaucoup. Trois toiles, c’est pas le Louvres!

SEVERINE             Si ça ne me dérange pas, Antoine, lui n’a pas vu la chose du même œil. Tu aurais dû l’entendre! Ça n’a pas été facile pour lui faire accepter.

BRIGITTE              Tu parles! Avec ton pouvoir de persuasion tu arriverais à convaincre la tour de Pise de se redresser! Alors avec Antoine qui ne vois de bien que toi, c’était gagné d’avance. Oh et puis ses états d’âme on s’en tape, l’essentiel c’est qu’il ait accepté.

SEVERINE             Ben voyons! du moment que …

BRIGITTE              (La coupe) C’est vraiment pas génial ce qu’il fait Antoine. Je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines à…

SEVERINE             Ah je t’en prie! Tes commentaires sur les toiles d’Antoine, une autre fois! Pour l’instant tu files en vitesse et tu reviens aussi vite… (Ironique) avec le matériel, si possible!

BRIGITTE              J’y vais! J’y vais! Inutile de s’exciter. Tu stresses alors qu’il y’a encore une heure.

SEVERINE             Là… je sens que je vais m’énerver…

BRIGITTE              (En sortant) Cool!

 

Brigitte sort. Séverine fait le tour de la galerie pour ramasser tout ce que Brigitte a laissé çà et là, elle sort dans la remise. Brigitte réapparaît.

 

BRIGITTE              J’ai perdu mes clés! (Elle fouille son sac) Merde!… Ah ben non, elles sont là! (Prend les clés sur le bureau et ressort)

SEVERINE             (Revient et s’affaire) Quelle calamité cette Brigitte!

 

Scène II         SEVERINE – MAXIME

 

MAXIME                Bonjour

SEVERINE             Ah c’est vous Maxime!… Mais quelle heure est-il?

MAXIME                Voyons… Que dit ma Rolex? 17 heures 7 minutes et 42 secondes.

SEVERINE             Vous êtes un peu en avance pour le vernissage, tout n’est pas encore prêt.

MAXIME                Pas de panique, je suis venu avant le vernissage… pour vous voir seul à seule. (Il s’approche d’elle) Vous avez changé de coiffure… j’aime beaucoup.

SEVERINE             Merci, mais…

MAXIME                (Lui prenant la main) Séverine, je suis venu vous demander une faveur.

SEVERINE             (Toussote) Quel genre de… faveur pourrais-je bien vous accorder?

MAXIME                Vous ne devinez pas?

SEVERINE             …Non

MAXIME                Séverine, vous seule pouvez faire mon bonheur.

SEVERINE             (Sur ses gardes) Attendez…

MAXIME                Ou plus exactement, le bonheur de Patricia qui va fêter ses 20 ans.

SEVERINE             (Soulagée) Ah!

MAXIME                Eh oui! Ma fille va avoir 20 ans et c’est pour ça que j’ai pensé à vous.

SEVERINE             Ah bon?

MAXIME                Je tiens à ce que Pat garde un souvenir concret de cet anniversaire. Aussi j’ai pensé lui offrir un tableau. C’est à la fois un agrément et un placement.

SEVERINE             C’est une excellente idée.

MAXIME                N’est-ce pas? Mais je ne connais pas très bien les goûts de ma fille, tandis que vous, vous les connaissez elle vient vous voir si souvent. Aussi je voudrais que vous vous occupiez de son cadeau.

SEVERINE             Écoutez Maxime, je pense qu’elle serait beaucoup plus touchée de recevoir un tableau que vous auriez choisi vous-même.

MAXIME                Je n’y connais rien, moi! En matière de peinture je connais la valeur marchande des tableaux, c’est le plus important, je vous l’accorde, mais pour Patricia ce n’est pas ce qui compte, alors autant lui faire plaisir et lui offrir quelque chose qui lui plaise.

SEVERINE             Et si vous demandiez à votre femme de s’en occuper?

MAXIME                France?! Ah sûrement pas! Ma femme et ma fille sont tellement différentes! Non, non, si France s’en occupait ce serait une catastrophe!

SEVERINE             Bien. Je m’en charge mais je veux votre avis, j’ai plusieurs toiles d’artistes différents dans l’arrière-boutique, venez les voir.

MAXIME                (Concupiscent) Avec vous dans l’arrière-boutique? Vous me tentez! Si j’avais le temps… Ce sera pour une autre fois… j’espère! Pour l’instant je vous laisse carte blanche.

SEVERINE             Donnez-moi au moins la tendance des couleurs, que le tableau s’harmonise avec celles de la chambre de votre fille.

MAXIME                Alors là vous me prenez au dépourvu… Ma femme a fait retapisser toutes les pièces pour la deuxième fois cette année et je ne saurais vous dire dans quelles couleurs nous vivons aujourd’hui! (Il ricane) Peu importe, une toile d’Antoine conviendra parfaitement.

SEVERINE             Je ne pense pas que ce soit le style de Patricia.

MAXIME                Non? Eh bien moi ça me plaît. Pour un esprit cartésien comme le mien c’est exactement ce qu’il faut.

SEVERINE             C’est à Patricia que le tableau doit plaire…

MAXIME                Ça lui plaira, j’en suis sûr. Allons-y pour un « Antoine ». Voilà, comme ça je vous aurais aidé, mais je vous laisse le choix de la toile.

SEVERINE             Comme vous voudrez. Quel montant comptez-vous mettre?

MAXIME                C’est sans importance. Nous reparlerons de ce détail plus tard. L’essentiel c’est que la toile plaise à Pat. Le reste: le prix, la couleur, la forme, la grandeur, je m’en f… remets à vous!

SEVERINE             Bien, je ferai de mon mieux.

MAXIME                J’en suis sûr! De toute façon ce tableau n’est là que pour faire patienter Patricia, son véritable cadeau ne sera livré que dans une quinzaine…

SEVERINE             Je serais curieuse de savoir quel sera son véritable cadeau.

MAXIME                Un bijou!

SEVERINE             Excellente idée. Bulgari? Cartier?

MAXIME                Kawasaki! 500 cm cubes, rouge!

SEVERINE             Une moto??! Pour Patricia?!

MAXIME                Mais vous me promettez de garder le secret?

SEVERINE             Ah ça… je ne dirai rien…!

MAXIME                (Voyant Brigitte avec les tableaux derrière la porte) Voilà une cliente, je vais lui ouvrir la porte. A tout à l’heure chère amie.

SEVERINE             A tout à l’heure. (Pour elle-même) Une toile d’Antoine et une moto… ça va vraiment lui faire plaisir à Patricia…!

 

Scène III        MAXIME – SEVERINE – BRIGITTE

 

Pendant que Brigitte entre, Maxime tient la porte

 

BRIGITTE              Merci ! Pendant que vous y êtes, apportez-moi mon sac qui est sur le toit de la voiture et fermez la portière! (A Séverine) Tu vois, je suis dans les temps, c’était vraiment pas la peine de faire tant d’histoires. Les voilà les tableaux.

SEVERINE             Parfait, pose-les là, nous allons les suspendre tout de suite.

 

Maxime revient avec le sac et le pose sur le bord de la vitrine

 

MAXIME                Je pose votre sac ici Mademoiselle?

BRIGITTE              C’est ça! Merci. Salut!

SEVERINE             (Etonnée) Tu le connais?

BRIGITTE              Non, pourquoi?

SEVERINE             Tu ne le connais pas, tu lui donnes des ordres, tu le remercies à peine et, en plus, tu le tutoies… Mais tu sais qui c’est?

BRIGITTE              Non, c’est qui?

SEVERINE             C’est le PDG d’une des plus grande banques de la place!

BRIGITTE              (Sifflement) Une fois de plus j’ai du nez! J’ai bien fait de me mettre tout de suite en bons termes avec lui, ça pourra toujours servir. Tu le connais, toi?

SEVERINE             Qu’elle importance?

BRIGITTE              AU-CUNE! Décidément tu ne comprendras jamais rien au flair: tu n’en as pas! (Sautant du coq à l’âne)Tu sais, j’ai pensé à quelque chose en venant…

SEVERINE             …

BRIGITTE              Je me suis dit que ce serait plus judicieux de placer les toiles de Dario sur la paroi centrale, pour garder un certain équilibre. Les toiles d’Antoine à droite et à gauche et celles de Dario au milieu.

SEVERINE             Qu’elle bonne idée! Mais j’en ai encore une meilleure: on met tous les tableaux d’Antoine dans l’arrière-boutique et on garde une paroi par toile peinte par ton copain, ce serait encore mieux, non?

BRIGITTE              Il faut toujours que tu exagères. Ce n’est pas ce que je dis. Je peux me servir? J’ai une soif de chameau! (Se sert à boire et mange)

SEVERINE             Tu peux attendre quelques minutes, non? Les invités ne vont pas tarder. Aide-moi plutôt en me passant les toiles. (Ce que fait Brigitte)

BRIGITTE              (Fredonne « Etoile des neiges ») Alors, tu les trouves comment ?

SEVERINE             Magnifiques. Vraiment.

BRIGITTE              Tu vois, tu hésitais en voyant les photos, mais je savais que tu ne serais pas déçue.

SEVERINE             J’hésitais parce que ce n’est pas mon habitude d’exposer des toiles que je n’ai pas vues de mes propres yeux.

BRIGITTE              Tu sais bien que tu peux me faire confiance

SEVERINE             Avec toi je me méfie quand même un peu…! (Observant une toile qu’elle tient) Effectivement ton ami a du talent. Mais plus je les regarde et plus je trouve que son style et son coup de pinceau rappellent ceux de Warner.

BRIGITTE              (La bouche pleine) Tu trouves?

SEVERINE             Franchement, tu pourrais attendre que les gens arrivent avant de te servir!

BRIGITTE              Mais j’ai faim, moi!

SEVERINE             Et soif, je sais. Pourtant tu vas patienter encore un peu.

BRIGITTE              Pas longtemps! Voilà le premier pique-assiette qui se pointe. (Appuyant sur les mots comme un reproche) Il n’est pas en retard au moins, celui-là !

SEVERINE             Antoine, un pique-assiette! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre!…

BRIGITTE              Ah c’est lui Antoine?! Il ne ressemble pas à ses tableaux!

SEVERINE             Heureusement pour lui!

 

Scène  IV       SEVERINE – BRIGITTE – ANTOINE

 

ANTOINE              Me voilà enfin. J’ai bien cru que je n’arriverai pas à temps. Tu vas bien?

SEVERINE             Très bien, et toi? Pas trop nerveux?

ANTOINE              S’il te plaît, ne m’en parle pas, j’ai un de ces tracs! A chaque vernissage c’est la même chose: je suis malade!

BRIGITTE              (Chantant « Je suis malade » de Lama) « Malade, complètement malade »

SEVERINE             Brigitte!!

ANTOINE              Qui c’est? Une journaliste?

SEVERINE             Brigitte, une amie, mais rassure-toi, elle n’est pas journaliste.

ANTOINE              Pourquoi « rassure-toi? » Ça ne me dérangerait pas qu’elle soit de la presse, je me suis préparé à répondre à leurs questions et je suis certain que cette fois « ils » me feront un article du tonnerre.

SEVERINE             Je ne sais pas si nous aurons la chance d’avoir des journalistes ce soir…

ANTOINE              (inquiet) Mais tu les as bien convoqués?

SEVERINE             (Très vite) Oui oui bien sûr. (Antoine détaille les toiles de Dario, sceptique)

BRIGITTE              (Bas) Tu n’as pas invité la presse?

SEVERINE             (Idem) Je ne pouvais pas prendre le risque, il supporte très mal la critique et je connais aussi le genre d’articles que lui réserveraient les journalistes…

Pendant le dialogue entre Brigitte et Antoine, Séverine choisi la toile destinée à Patricia et met un point de couleur « vendu »

BRIGITTE              Je vais faire diversion! (A Antoine) Vous parliez de trac, alors permettez-moi de vous dire que j’en connais un bout! Le trac ça se commande pas! Mon nom est Brigitte. Brigitte de la Castille.

ANTOINE              Moi c’est Antoine, Antoine tout court.

BRIGITTE              Antoine-tout-court !

ANTOINE              Non… je voulais dire…

BRIGITTE              (Le coupe) Je sais! Vous êtes tout simplement Antoine: le peintre!

ANTOINE              Vous me connaissez?

BRIGITTE              Pas du tout. J’ai deviné, c’est mon 6ème sens.

ANTOINE              Ça c’est extraordinaire…

BRIGITTE              (Fait signe que oui de la tête) J’ai un don. C’est un don dont on dit c’est pas un don bidon! Ça vous épate, hein?! (Elle pique 2-3 canapés)

SEVERINE             Antoine! Brigitte te fait marcher, je viens de lui dire qui tu étais.

BRIGITTE              Et voilà! Une fois de plus elle me coupe mon effet! Elle a le chic pour ça.

ANTOINE              Oui, elle a beaucoup de chic…

BRIGITTE              (Eclatant de rire) Il est impayable ton peintre. Mais qu’est-ce que je vous disais moi? Ah oui! Le trac. Chaque fois que j’entre en scène…

ANTOINE              Vous êtes comédienne?

BRIGITTE              Comédienne, actrice, chanteuse, au choix! Je sais tout faire. Je vous donnerai ma carte quand je les aurais fait imprimer. (Reprenant un canapé. A Séverine) Ils viennent d’où les trucs salés, y sont vachement bons.

SEVERINE             Je n’en doute pas, mais j’aimerais bien que tu en laisses pour les autres.

BRIGITTE              J’espère qu’ils ne vont pas tarder, j’ai vraiment la dalle, moi! (A Antoine) Mais pour en revenir au trac, alors là je sais de quoi je parle! Chaque fois que j’affronte le public c’est comme si j’avais un nœud là.

ANTOINE              Oh oui! Je connais…

BRIGITTE              Et pourtant je passe des heures entières, seule, dans ma loge pour me conditionner et…

SEVERINE             (La coupant) Des heures entières dans ta loge! Tu parles! Tu arrives toujours à la dernière minute!

BRIGITTE              (Un peu vexée) Pas toujours! (À Antoine) Ce que je voulais vous dire c’est que, moi, le trac ça me donne la caquette.

SEVERINE             Brigitte!!

ANTOINE              Oh oui! Je connais…

BRIGITTE              Et puis ça c’est encore rien, j’ai un copain, lui il a fait un arrêt cardiaque à cause du trac.

Antoine pâlit et Séverine tente de faire diversion

SEVERINE             Oh zut! J’ai oublié…

ANTOINE              Qu’est-ce que tu as oublié, je peux t’aider?

SEVERINE             Non, toi il faut que tu reste ici pour les premiers arrivants, mais Brigitte pourrait se rendre utile.

BRIGITTE              Qu’est-ce que tu as oublié?

SEVERINE             Mes cigarettes.

BRIGITTE              J’y vais, qu’est-ce que tu veux?

SEVERINE             Comme d’habitude. Tiens. (Elle lui donne 10.-)

BRIGITTE              (Sort) Je me dépêche!

ANTOINE              Tu fumes?

SEVERINE             Non, mais c’est la seule façon de la faire taire et de préserver le buffet! (Lui montrant la toile « vendu ») Tu vois!

ANTOINE              Tu as vendu une de mes toiles?

SEVERINE             Naturellement! Tu doutes toujours de toi, et bien cette fois quelqu’un est venu avant le vernissage pour être sûr de pouvoir t’acquérir. C’est de bonne augure, non?

ANTOINE              Oui, mais ça alors je n’en reviens pas.

BRIGITTE              (Revenant) J’ai réfléchi: tu ne fumes pas?

SEVERINE             Non, excuse-moi, je suis un peu nerveuse, je ne sais plus très bien ce que je fais.

BRIGITTE              Toi?! Ça m’étonnerait! Je crois comprendre, mais pour la peine, vu que j’ai plus un rond, je garde, les dix balles!

ANTOINE              Voilà quelqu’un! (Va pour sortir vers la remise)

BRIGITTE              Ah ben! Pas trop tôt!

SEVERINE             Antoine?! Tu ne vas pas te défiler, ta place est ici maintenant.

ANTOINE              (off) Oui, mais… j’ai une urgence!

BRIGITTE              C’est la caquette!

SEVERINE             (A Brigitte) Enfin, s’il te plaît!

 

Scène  V         SEVERINE – BRIGITTE – ANTOINE – PATRICIA

 

SEVERINE             Bonjour Patricia (elle l’embrasse)

PATRICIA               Bonjour, mes parents ne sont pas encore là?

SEVERINE             Pas encore, mais ils ne sauraient tarder.

PATRICIA               Alors je reviendrai un peu plus tard.

SEVERINE             Mais non, restez. Je vais vous présenter Antoine.

BRIGITTE              Tu as de la réserve de canapés, parce qu’il n’y en a pas des masses! Quand tout le monde se sera rué sur le buffet.

SEVERINE             Il y a tout ce qu’il faut à l’abri sur la terrasse, tu rempliras au fur et à mesure.

BRIGITTE              Tu peux me faire confiance, je m’en occuperai.

SEVERINE             Antoine!?

ANTOINE               J’arrive, je vérifiais si tout était en ordre.

SEVERINE             (à part à Antoine) Maintenant tu restes ici, tu as compris? Antoine, je te présente une admiratrice.

ANTOINE               Ah bon?

SEVERINE             Patricia La Ferle

PATRICIA               Bonjour Monsieur.

ANTOINE               Enchanté, Mademoiselle.

BRIGITTE              (Brigitte intervient) La Ferle, tient, ça c’est un nom qui sonne bien pour le théâtre. Moi c’est Brigitte… Brigitte de la Castille.

PATRICIA               Oh! Je connais!

BRIGITTE              (Flattée) C’est vrai?!

PATRICIA               Oui, j’y suis allée en vacances l’année dernière, c’est une très belle région.

BRIGITTE              (Qui ne comprend pas) Où ça?

PATRICIA               En Castille, dans votre pays

BRIGITTE              Mais je ne suis pas espagnole! De la Castille c’est mon nom de théâtre!

PATRICIA               (Gênée, dans un souffle) Excusez-moi, j’avais mal compris.

SEVERINE             On n’entend que toi Brigitte. Occupe-toi plutôt de servir les boissons. Patricia boirait certainement quelque chose et Antoine a besoin d’un petit remontant.

BRIGITTE              Et moi aussi! (À Patricia) Vous prenez quoi?

PATRICIA               Rien, merci.

BRIGITTE              Comment « rien »? un coup de rouge. Comme tout le monde! Surtout que celui-là c’est pas de la piquette!

 

Patricia n’ose pas protester, Brigitte va remplir un verre. Pendant ce temps entre Jean-Charles. Antoine voyant se pointer un nouvel arrivant se défile une fois de plus.

 

Scène  VI       LES MÊMES et JEAN-CHARLES

 

Jean-Charles, derrière la porte vitrée, à l’extérieur essaie d’ouvrir mais il est chargé de livres et ne réussit pas à le faire. Séverine va lui ouvrir la porte. Il gardera ses livres, encombrants, sur les bras, pendant tout le temps.

SEVERINE             Entrez, Jean-Charles, entrez! Ça me fait très plaisir que vous ayez pu vous libérer.

JEAN-CHARLES   Je vous l’avais promis. J’ai pris une petite récréation pour vous.

SEVERINE             J’apprécie beaucoup. Vous serez sans doute enchanté de faire la connaissance d’Antoine. Antoine?

ANTOINE              (off) Voilà, voilà j’arrive.

SEVERINE             Qu’est-ce que tu fais dans l’arrière boutique?

ANTOINE               Je cherchais un cendrier.

SEVERINE             (A Antoine) Si tu ressors une seule fois, tu auras à faire à moi. Je te présente Jean-Charles. Il prépare un doctorat en physique quantique, mais il a eu la gentillesse de se libérer quelques instants pour faire ta connaissance.

ANTOINE              Enchanté!

BRIGITTE              (Vers le tonneau avec Patricia) Séverine!! J’arrive plus à fermer le robinet!

SEVERINE             Excusez-moi.

JEAN-CHARLES   Vous êtes le mari de Séverine?

ANTOINE              Non, hélas… Mes facultés n’ont jamais réussi à la séduire. Je suis sur la liste d’attente… depuis 30 ans!

JEAN-CHARLES   C’est pas possible!? Mais vous êtes inscrit dans quelle faculté pour attendre un poste aussi longtemps?

ANTOINE              Non, je dis que je suis un ami de Séverine depuis 30 ans. Mon nom est Antoine.

JEAN-CHARLES   Antoine…

SEVERINE             (A Brigitte) Si tu tournes dans le bon sens ça va mieux!

JEAN-CHARLES   Attendez… Antoine… Mais oui! On se connaît!

ANTOINE              Vous croyez?

JEAN-CHARLES   Oui, oui, vous êtes professeur de mathématiques à la Faculté.

ANTOINE              Ah non !… Vous devez faire erreur. E… Ex… Excusez-moi (il sort, remise)

SEVERINE             (Montrant la toile réservée pour elle) Patricia comment trouvez-vous cette toile?

Pendant les répliques suivantes, Jean-Charles reste planté au milieu de la scène, en train de réfléchir. Mimiques

PATRICIA             (Hésite) J’aime bien les couleurs mais comment se fait-il qu’Antoine ait des styles aussi différents? Il n’y a rien de commun entre ces toiles et celles-ci (montrant celles de Dario)

SEVERINE             En effet ! Ces paysages ne sont pas d’Antoine, c’est un autre artiste qui les a peint.

 

Elles continuent leur conversation

 

BRIGITTE              (A Jean-Charles) Vous voulez boire quelque chose?

JEAN-CHARLES   (Dans ses pensées)

BRIGITTE              (Lui faisant des signes devant le nez) Coucou! Vous avez soif?

JEAN-CHARLES   (Réalisant qu’on lui parle) Pardon?

BRIGITTE              (Articule comme s’il était sourd) Je disais : VOUS VOULEZ BOIRE QUELQUE CHOSE?

JEAN-CHARLES   Oh ! Il y a un distributeur? Alors volontiers un café au lait. (Fouille ses poches) Attendez j’ai de la monnaie!

BRIGITTE              Mais non y’a pas de distributeur! Y’a un tonneau de pinard et en plus c’est gratuit!

 

Scène  VII      LES MÊMES et FRANCE

 

France arrive avec une étole de vison sur le bras, foulard, sac et chaussures Chanel. Les mains couvertes de diamants et un collier tape-à-l’œil… qui n’est pas du toc. Elle doit sentir le fric à plein nez. Lorsqu’elle parle c’est avec des intonations snobinardes, elle saute du coq à l’âne, sans faire de temps entre les sujets différents qu’elle aborde et elle n’écoute pas ce qu’on lui dit.

 

PATRICIA              (Soupir) Voilà ma mère…

SEVERINE             France! Je me demandais si vous pourriez passer ce soir.

FRANCE                Ma chère! Pour vous il y a toujours une place dans mon emploi du temps! Ah! Mais laissez-moi vous admirer (elle tourne autour de Séverine) vous êtes merveilleuse, cette tenue vous va à ravir. Vous n’avez pas vu mon mari?

SEVERINE             Pas encore, il ne va certainement pas tarder.

JEAN-CHARLES   Séverine…

FRANCE                Je vois que vous êtes très occupée, ne vous souciez surtout pas de moi, je me débrouille toute seule! Ah ! J’adore vos vernissages, Séverine, ils sont toujours d’une classe! Par contre il fait une chaleur ici, c’est suffocant. Où puis-je poser mon vison? Entre nous je n’aimerai pas le laisser n’importe où, (petit rire forcé) c’est une petite bête qui coûte une fortune.

SEVERINE             Brigitte peux-tu t’occuper de Madame La Ferle?

BRIGITTE              C’est comme si c’était fait!

SEVERINE             Jean-Charles je vous écoute.

JEAN-CHARLES   Je voulais vous demander: Alexandre que fait-il dans la vie?

SEVERINE             Alexandre?

JEAN-CHARLES   Oui, le monsieur que vous m’avez présenté, je crois que je le connais mais je n’arrive plus à le remettre.

SEVERINE             Ah! Antoine! Mais c’est notre peintre!

JEAN-CHARLES   (Ahuri) Vous repeignez la galerie?

SEVERINE             (Riant) Mais non! C’est l’artiste qui expose ici, celui qui a peint ces tableaux.

JEAN-CHARLES   Ah bon! (Il regarde les tableaux de Dario de très près en ôtant ses lunettes)

BRIGITTE              Il est un peu farfelu ton copain à lunettes ! Complètement à côté de ses pompes! (intriguée) Qui c’est?

SEVERINE             (Avec tendresse) C’est Jean-Charles…le demi frère de la fille du mari de la cousine de ma marraine. Il est étudiant…

BRIGITTE              (La coupant) A son âge?! Ben y doit pas être doué!

SEVERINE             Au contraire, il est surdoué mais il vit dans un autre monde, jour et  nuit plongé dans ses bouquins.

BRIGITTE              Au point où il en est, il n’a pas seulement plongé: il est en train de couler!

FRANCE                Ma chère amie mais quelle idée géniale d’exposer ces horreurs (montrant les toiles d’Antoine) avec les chefs-d’œuvre d’Antoine! En comparaison ils ressortent extraordinairement bien! (Se tournant vers Jean-Charles qu’elle prend pour Antoine) Vous allez avoir un succès fou!

JEAN-CHARLES   (Complètement éberlué) Moi??

SEVERINE             (Intervenant) Je crois qu’il y a confusion, ce n’est pas Antoine. Antoine c’est… mais où est-il encore allé celui-là?

BRIGITTE              Je vais le chercher et j’en profiterai pour vérifier s’il reste assez de papier Q (Elle dit « Q » très bas et se touche la fesse en même temps. Regard furieux de Séverine)

FRANCE                (A Jean-Charles) Je vous ai pris pour quelqu’un d’autre mais c’est sans importance. (Cherchant quelque chose à dire, elle sort une ineptie) Donc vous, vous ne peignez pas? (Regard éberlué de Jean-Charles) Vous  ne trouvez pas qu’il fait chaud ici? (Elle s’évente. Jean-Charles ne répond rien.)

 

Pendant la suite Jean-Charles tournera sur lui-même et finira par s’installer au bureau, où il posera ses livres et s’y plongera, il ne verra absolument pas ce qui se passe autour de lui.

 

SEVERINE             (S’éclaircissant la voix) Vous voyez France, ce que fait Antoine est beaucoup plus moderne, beaucoup plus abstrait…

FRANCE                (Interloquée) Ah!… C’est ça ?

SEVERINE             C’est ça! Mais il faut savoir que la carrière d’Antoine est très prometteuse.

FRANCE                (Intéressée) Ah bon!?… (Cherchant ce qu’elle va dire pour ne pas paraître stupide) En effet, c’est… c’est… simple et… géométriquement parfait ! Oui c’est ça! Original en tout cas, très original: j’aime beaucoup. Vraiment!

 

Brigitte entre à ce moment avec Antoine

 

SEVERINE             Permettez que je vous présente notre artiste: Antoine.

FRANCE                Cher ami je suis très honorée de faire votre connaissance. Patricia! Ne reste pas dans ton coin, viens te joindre à nous! Tu n’auras pas tous les jours la chance de côtoyer une célébrité!

BRIGITTE              (Bas à Séverine) Tu parles d’une célébrité!

SEVERINE             (Sévère) J’ t’en prie!

BRIGITTE              (Voyant entrer Maxime) Oh tiens ! Voilà le banquier, n’aie crainte je vais être parfaite!

 

Scène  VIII    LES MÊMES et MAXIME

 

FRANCE                Mais voilà celui qu’on attendait plus!

MAXIME               Bonsoir!

 

Antoine profite de l’entrée de Maxime pour sortir dans la remise. Brouhaha de voix, les répliques se chevauchent

 

PATRICIA              Bonsoir papa

BRIGITTE             Bonsoir, vous me reconnaissez?

SEVERINE            Merci d’être des nôtres, Maxime.

FRANCE               Max! Je suis là!

MAXIME              (Bas à Séverine) Comment ne pas la voir! (A France) Bonsoir ma chère.

PATRICIA              Papa, j’ai vu une toile qui me plaît énormément, j’aimerais te la montrer.

MAXIME               J’arrive, mais je veux d’abord faire la connaissance de l’artiste.

 

Séverine sort chercher Antoine.

 

BRIGITTE              (A Maxime) Tout à l’heure quand nous nous sommes croisés, pressée et chargée comme je l’étais, je n’ai pas eu le temps de me présenter.

MAXIME                Mais moi non plus je ne me suis pas présenté: Maxime La Ferle

BRIGITTE              Ah ben m…. alors!  Vous êtes le mari de la…

MAXIME                …De la dame en jaune (ou rose, bleu, selon). Et vous?

BRIGITTE              (Déçue) Moi c’est Brigitte, une amie de Séverine.

SEVERINE             (off) Cesse tes gamineries, les gens qui sont là veulent te voir!

ANTOINE              (Entrant derrière Séverine) Oui je sais mais j’ai des « problèmes »…

MAXIME                Rien de grave j’espère?

ANTOINE              Non, non…

BRIGITTE              (A Maxime) Il a des démêlés avec la chasse d’eau! Qu’est-ce que je vous sers?

ANTOINE              Un p’tit coup de rouge, volontiers.

BRIGITTE              C’est à monsieur que je m’adresse. Vous, vous ne devez pas boire, c’est pas bon pour ce que vous avez.

ANTOINE              Qu’est-ce que j’ai?

MAXIME               Je prendrai la même chose que l’artiste. (À Antoine) Nous allons trinquer à vos œuvres!

ANTOINE              Merci!

FRANCE                Max! (Appuyant sur les mots) Viens admirer ces toiles, c’est de toute beauté! (Bas) Entre nous je trouve ça horriblement laid.

MAXIME               Ce n’est pas l’avis de Patricia. Je lui ai acheté le tableau qui lui plaît pour son anniversaire.

FRANCE                Ah? Bon, si ce barbouilleur a  la cote il faut que nous possédions un original. Si tu pouvais ouvrir les fenêtres ça m’obligerait parce que moi j’étouffe ici.

BRIGITTE             (Avec les verres, à Maxime) Et voilà pour le liquide! Pour le solide vous vous débrouillerez bien tout seul.

FRANCE                Ce tableau va faire pâlir de jalousie Wanda de Bret. Je me réjouis d’avance. Max tu es un mari génial!

MAXIME               Wanda de Bret?

FRANCE                Germaine Planton, si tu préfères.

MAXIME               Ah oui! C’est vrai, elle a changé de nom.

FRANCE                Elle n’a pas seulement changé de nom, elle a tout changé : le nez, le menton, les fesses, les seins…

MAXIME               Je te trouve bien sévère, elle n’est pas mal du tout Germ… Wanda.

FRANCE                Pas mal? Tu es aveugle ou quoi? Quand je pense que nous avons le même âge! A la voir on lui donnerai au moins 45 ans (avec évidence) 10 ans de plus que moi.

MAXIME                Elle doit largement les avoir si elle a ton âge.

FRANCE                Mufle! (Elle lui tourne le dos) Oh mon Dieu! Je suis en nage!

MAXIME               C’est bien ce que je dis: tu es en âge d’avoir des bouffées de chaleur.

FRANCE                Goujat ! Ça tu me le paieras! (Elle va se resservir au tonneau)

MAXIME               (A Séverine) Je peux vous parler?

SEVERINE            Bien sûr. Sortons, nous serons plus tranquilles. (Ils sortent terrasse)

 

Scène  IX       JEAN-CHARLES – BRIGITTE – PATRICIA – ANTOINE – FRANCE

 

JEAN-CHARLES   Est-ce que quelqu’un pourrait me prêter une gomme?

ANTOINE              Pour quoi faire?

JEAN-CHARLES  Pour rectifier une erreur dans mes calculs.

ANTOINE              (A Brigitte) Il calcule quoi?

BRIGITTE              L’âge du capitaine peut-être! Allez prenez ça (elle lui tend un plateau)

PATRICIA              Maman…

FRANCE                Je t’ai déjà répété cent fois de ne pas m’appeler « maman » quand nous sommes en société.

PATRICIA              Je n’arrive pas à t’appeler France, maman.

FRANCE                Mais enfin, c’est mon prénom! Tu appelles bien tes amies par leur prénom, alors pourquoi pas moi?

PATRICIA              C’est différent.

FRANCE                Alors explique-moi parce que je ne vois pas où est la différence!

BRIGITTE             (Vers France; Antoine la suit avec le plateau) L’artiste vous propose son nectar! Grand crû du Bordelais, Château je ne sais plus quoi.

FRANCE                Merci, je suis déjà servie.

BRIGITTE              Un petit amuse-gueule pour éponger?

FRANCE                Ça ira, merci. (A Patricia) Tu voulais me parler ma chérie?

PATRICIA              Oui, j’aurais aimé que tu voies un tableau qui me plaît beaucoup.

FRANCE                (Patricia lui montre une toile de Dario) Mais ce n’est pas d’Antoine, ça!

PATRICIA              Non, je sais, mais je préfère.

FRANCE                Mais comment peux-tu préférer ça? C’est d’un banal, tout le monde fait ça ! Tandis qu’Antoine, lui c’est différent, son style est personnalisé! Moi j’adore c’est tellement plus original, plus moderne, et plus connu!

PATRICIA              Plus connu… pas tant que ça. Antoine ne peut exposer que chez Séverine, c’est la seule qui accepte parce que c’est un ami d’enfance, mais autrement il ne vend rien.

FRANCE                Mais qu’est-ce que tu racontes. Enfin! C’est toi qui n’y connais rien!

PATRICIA              Peut-être, mais c’est Séverine qui me l’a dit, et elle, elle s’y connaît.

FRANCE                Tu es bien comme ton père, c’est le dernier qui a parlé qui a raison!

BRIGITTE              Antoine, débrouillez-vous pour remplir le buffet, il n’y a presque plus rien. Moi je sors un moment!

ANTOINE              Mais je ne sais pas où c’est…

BRIGITTE              Cherchez un peu, ça vous occupera!

 

Scène  X   TOUS sauf BRIGITTE

 

Brigitte sort, terrasse, alors que reviennent Séverine et Maxime. Antoine, lui, sort dans la remise.

 

FRANCE                A propos de ton père, je me demande où il est?

MAXIME               Je suis là. J’ai même une petite surprise pour ma fille.

PATRICIA              Pour moi?

SEVERINE            Antoine peux-tu venir un instant.

ANTOINE             (off) Je cherche la réserve de canapés, Brigitte m’a chargé de cette mission. (Revenant) Ça n’se passe pas trop mal pour le moment, tu ne trouves pas?

SEVERINE            Ça se passe même très bien, Monsieur la Ferle est ton premier client.

ANTOINE              Vous me comblez, monsieur. Vraiment je suis très touché de voir que vous appréciez ma peinture.

MAXIME               Elle est accessible à un large public, il est normal qu’elle trouve acquéreur.

ANTOINE              J’en suis heureux. La peinture est ma vie et je ne vis que pour elle.

MAXIME               Je comprends, mais…

FRANCE                (Bas à Maxime) Il faut que je te parle tout de suite, c’est urgent.

MAXIME               Je t’écoute.

FRANCE                Patricia se fiche éperdument d’Antoine et de ses, soi-disant, « œuvres ». D’ailleurs il n’a pas la cote.

MAXIME               Mais qu’est-ce que tu peux savoir de la cote d’Antoine? Tu n’y connais rien.

FRANCE                Je sais ce que je dis, Antoine est un traîne-savates et cette information n’émane pas de moi mais de quelqu’un qui sait ce qu’il dit. Et puis de toute façon Patricia est tombée amoureuse de l’autre.

MAXIME               Elle est amoureuse de qui?

FRANCE                Du pont. Si tu veux lui faire plaisir, c’est ce tableau qu’il faut lui offrir.

MAXIME               Dupont?

FRANCE                (Allant vers le tableau au pont) Du pont ! Si tu veux lui faire plaisir, c’est ce tableau qu’il faut lui offrir.

MAXIME               Si tu penses…

FRANCE                Mais évidemment que je pense !

MAXIME               Séverine, je suis désolé, je vais certainement vous décevoir mais il y a un petit changement.

 

Maxime parle bas à Séverine, France se joint à eux.

 

PATRICIA              (A Antoine) Vous connaissez Séverine depuis longtemps?

ANTOINE              Depuis toujours, nous étions en classe ensemble.

PATRICIA              Ah bon! Et vous peigniez déjà à cette époque?

ANTOINE              (Hésitant un peu) Oui… oui, mais je faisais des motifs géométriques plus petits… enfin je dirais plutôt qu’ils étaient moins grands… (puis avec emphase, comme si il avait appris par cœur son texte) Mais très vite je me suis mis à travailler sur la déconstruction et la reconstruction de mes créations en jonglant sur les clivages rompant la monotonie de l’œuvre tout en incorporant des juxtapositions qui permettent à l’œil, averti ou non, de saisir la simplicité de mes représentations…

PATRICIA              Ah…

 

Jean-Charles se lève du bureau et applaudit, c’est le seul qui a compris quelque chose à cette tirade, puis il se rassoit et se replonge dans ses bouquins

 

JEAN-CHARLES  Bravo!

SEVERINE            (Ennuyée mais fait bonne figure) Je vous comprends Maxime, ne vous faites pas de souci je vais arranger ça

MAXIME               Je vois bien que ce changement vous contrarie un peu…

SEVERINE            Moi, non, mais c’est Antoine qui va être un peu froissé.

FRANCE               Oh Antoine, Antoine! On n’entend parler que de lui. Je ne comprends pas pourquoi vous n’avez pas convié l’autre, le seul véritable artiste de ce vernissage.

Sur cette dernière réplique Floriane entre. Elle sera prise de tics à chaque contrariété.

 

Scène  XI            TOUS + FLORIANE et BRIGITTE

 

FLORIANE            Salut!

SEVERINE             Floriane! Ça me fait plaisir que vous soyez là.

FLORIANE            J’ai cru que je n’arriverais jamais à venir! J’étais à un meeting pour la sauvegarde des insectes.

SEVERINE             Floriane est toujours en train de se battre pour préserver notre vieille terre!

FLORIANE            Et il y a à faire! Mais nos manifs commencent à sensibiliser les masses. D’ailleurs j’ai apporté quelques tracts. La faune qui fréquente votre galerie n’est pas très militante à en juger par son allure.

 

Brigitte est revenue de la terrasse sur la réplique de Floriane

 

SEVERINE             Laissez-les là, je verrai ce que je peux faire.

FLORIANE            Pas question, je vais les distribuer tout de suite.

BRIGITTE              Donnez, je m’en occupe, ce soir je suis à l’intendance et je serai parfaite jusque dans les détails.

SEVERINE             Je préférerais que tu t’occupes des boissons et des canapés, Floriane n’est pas encore servie.

FLORIANE            Non, non rien pour moi. J’ai des carottes de mon jardin. Je ne mange que ce que je cultive, comme ça je suis sûre d’avoir des produits « bio » qui ont poussé dans une terre saine, nourrie par des vers engraissés par mes soins.

BRIGITTE              Vous engraissez des vers?

FLORIANE            Ben oui! Je suis lombricultrice.

BRIGITTE              Lombric… quoi?

FLORIANE            Lom-bri-cul-trice! J’élève des vers pour faire de l’engrais bio.

BRIGITTE              (Qui la prend pour une dingue) Ah oui, bien sûr! Et c’est un métier qui se pratique en solitaire, le vers?

FLORIANE            (Ne saisit pas le jeu de mots, très sérieuse) Le plus souvent, oui, c’est une profession qui n’a pas beaucoup d’adeptes.

BRIGITTE              (Qui se moque d’elle, mais très sérieuse) Ça m’étonne pas. Un petit « verre » de rouge alors? Vous verrez il n’est pas piqué des vers celui là! A moins que vous ne fassiez aussi votre vin!

FLORIANE            Je ne bois jamais d’alcool, seulement de l’eau de source.

BRIGITTE             Si vous avez votre bâton de sourcier on pourrait peut-être en trouver une dans le coin! (Floriane la foudroie du regard) Je plaisantais!

SEVERINE            Maxime, je crois que vous aviez quelque chose à dire à votre fille. Vous lui avez parlé d’une surprise mais elle ignore de quoi il s’agit.

MAXIME               C’est exact.

PATRICIA              Je suis impatiente, papa.

 

On entend parler et rire Floriane et Brigitte.

 

SEVERINE             Antoine, tu peux aller me chercher mon sac s’il te plaît.

ANTOINE              Tu en as besoin tout de suite?

SEVERINE             Oui, il est dans l’arrière boutique.

ANTOINE              Tu n’as sans doute pas fait exprès, mais tu choisis juste le moment où ma fierté peut s’exprimer pour m’éloigner.

SEVERINE             (Insistante) S’il te plaît… (Antoine sort)

MAXIME                Pour marquer tes 20 ans ma chérie, je tenais à t’offrir quelque chose qui te fasse plaisir et qui en même temps soit durable. Il te plaît ce tableau?

PATRICIA               Oh oui! Je ne me lasse pas de le regarder.

MAXIME                J’espère que tu ne t’en lasseras jamais parce qu’il est à toi. Bon anniversaire!

PATRICIA               Oh papa! Merci! Maman! J’ai envie d’embrasser tout le monde! (Ce qu’elle fait)

ANTOINE               Voilà ton sac.

SEVERINE             Merci, pose-le sur le bureau, je n’en ai pas besoin pour le moment.

ANTOINE              Mais… Vraiment je ne comprends pas (à Brigitte) les gens sont quand même bizarres, même ceux qu’on croit bien connaître.

BRIGITTE              Ça, c’est vrai! Allez, buvons un coup. A la vôtre et à la chance qui finira bien par vous sourire un jour ou l’autre.

ANTOINE              Qu’est-ce que vous voulez dire?

BRIGITTE              Rien! Cul sec et maintenant on s’embrasse et on se tutoie!

ANTOINE              D’accord.

PATRICIA              Je vous embrasse c’est un jour exceptionnel!

ANTOINE              En effet, c’est un jour exceptionnel, je n’ai jamais eu ce succès, ni côté métier, ni côté femmes!

BRIGITTE              Viens, on sort un moment.

 

Brigitte et Antoine sortent sur la terrasse. Patricia embrasse Jean-Charles qui est toujours plongé dans ses bouquins.

 

JEAN-CHARLES   (Surpris et complètement hors course) Ah bonjour! Ça me fait plaisir de te revoir! Mais rappelle-moi, on se connaît d’où?

PATRICIA               On ne se connaît pas! Mais je suis tellement heureuse que j’embrasse tout le monde.

JEAN-CHARLES   (A Floriane) Elle est heureuse pourquoi?

FLORIANE            Vous n’étiez pas là quand son père lui a offert le tableau?

JEAN-CHARLES   Non…

FLORIANE            Tiens, pourtant j’ai cru vous voir tout à l’heure.

JEAN-CHARLES   L’heure? (Il se lève et sort une montre gousset de sa poche) C’est 19h33.

FLORIANE            Merci… mais…

JEAN-CHARLES   (Il lui sert la main) Je vous en prie. J’ai été très heureux de faire votre connaissance. (Il se rassoit au bureau)

 

Floriane s’éloigne du bureau et regarde les tableaux. Le portable de Maxime sonne, il répond.

 

MAXIME                La Ferle, j’écoute… Oui… Oui, oui… (Il sort rue en continuant les « oui »)

FRANCE                 Le téléphone! Mon Dieu j’allais oublier: il faut absolument que j’atteigne Astrid, j’ai une chose d’une importance capitale à régler avec elle. (Prenant le combiné du téléphone sur le bureau et composant déjà le numéro) Je peux?

SEVERINE             Je vous en prie, faites comme chez vous.

FRANCE                (A Séverine) J’espère que le tableau de Pat va très rapidement prendre de la valeur. J’imagine d’ici la tête de Rosemonde de la Grange quand elle apprendra que j’ai eu plus de flair qu’elle! Elle qui se prend pour une experte en matière de peinture, alors qu’elle n’y connaît absolument rien!

FLORIANE            Séverine, vous avez quelques minutes à me consacrer?

SEVERINE            Bien sûr, je suis à vous.

FRANCE                (Au téléphone) Astrid! Je vous trouve quelle surprise!… (Elle  va mimer une partie de la conversation téléphonique)

MAXIME               (Revenant de la rue en fermant son portable) Séverine, il faut que je vous quitte: un imprévu! Vous ne m’en voulez pas?

SEVERINE             Non, je comprends très bien.

MAXIME                Je passerai demain vous dire un petit bonjour.

SEVERINE             Je serai là! (Elle l’accompagne à la porte)

MAXIME               (A la cantonade) Bonne soirée! (Il sort)

PATRICIA              Je t’accompagne papa, attends-moi. Au revoir Séverine, je passerai revoir mon tableau dès que possible.

SEVERINE            Quand vous voudrez. Mais n’oubliez pas que la galerie est fermée le matin.

 

Patricia rejoint son père qui l’attend dehors et ils disparaissent

 

Scène  XII     SEVERINE – FLORIANE – FRANCE – JEAN-CHARLES – BRIGITTE

 

Brigitte revient de la terrasse pour s’approvisionner en gâteaux. Elle remplit une assiette

 

FRANCE                (Au téléphone) …En fait j’ai besoin d’un petit renseignement pratique, je ne sais jamais ce qu’il convient de porter comme toilette dans ces ventes de charité…… Vous porterez votre robe « Nuit de chine »?! Mais ne l’avez-vous pas déjà mise une fois?!

BRIGITTE              (Fredonne) Nuit de Chine, nuit câline…

SEVERINE             (Sévère) Brigitte!

FRANCE                Moi? Oh rien de spécial! Un petit modèle Lagerfeld tout aller… mais je ne sais pas quelles chaussures mettre avec…

BRIGITTE              (En ressortant terrasse) Des bottes de jardinier! C’est le nec plus ultra avec du Lagerfeld!

 

France continue sa conversation dos au public pendant le dialogue entre Séverine et Floriane. Jean-Charles est toujours assis au bureau.

 

SEVERINE             (A Floriane) Excusez-moi, je vous écoute.

FLORIANE            (Mangeant une carotte) Il y a longtemps que je rêvais de m’offrir une petite folie en matière de peinture, et là, je viens d’avoir le coup de foudre!

SEVERINE             Je suis curieuse de savoir quelle toile d’Antoine à su vous séduire.

FLORIANE            Aucune, quelle horreur! Ce que fait ce paumé est à gerber. Je suis allergique à tout ce qui rappelle le « nucléaire » (elle est prise de tics)

SEVERINE             (Déconcertée) Vous trouvez le style d’Antoine « nucléaire? »

FLORIANE            Absolument, c’est l’œuvre d’un dégénéré. Derrière ces formes qui semblent anonymes c’est tout un monde de déchéance qui se profile. Ces figures géométriques rappellent les cheminées d’usines, les terrains vagues, les HLM où les gens s’entassent. Regardez!… Vous commencez à saisir ce que veut montrer l’artiste ?

SEVERINE             Vous avez beaucoup d’imagination…

FLORIANE             Mais oublions Antoine Machin, il ne m’intéresse pas. Non, le tableau qui m’a flashé c’est celui-ci: tous les éléments sont présents dans cette œuvre transcendantale, l’eau, la terre, le feu, l’air, l’animal, la culture, la non-discrimination, la compréhension, l’amour… (un simple coucher de soleil)

SEVERINE             Cette toile est en effet très belle mais je dois avouer que, quel que soit le style, vous avez beaucoup d’imagination!

FLORIANE            Tout est là! Il suffit de fermer les yeux pour voir le non-dit, le non peint… Ce doit être l’œuvre d’une vieille âme… Mais vous n’êtes pas initiée, vous ne pouvez pas comprendre.

FRANCE                (toujours au téléphone) … Au revoir, ma chère! (Elle raccroche) Cette Astrid elle est charmante mais soûlante! Elle me raconte sa vie, comme si je n’avais que ça à faire! (Personne ne l’écoute)

FLORIANE            Je vous le paie et je l’emporte.

SEVERINE             Je suis désolée mais c’est impossible, les tableaux ne peuvent quitter la galerie avant la fin de l’exposition.

FLORIANE            Ah non! Je ne veux pas m’en séparer déjà alors que nous venons de nous rencontrer!

FRANCE                (à Jean-Charles) Mais où est Patricia?

JEAN-CHARLES   (complètement dans ses bouquins) Elle n’est pas venue au cours aujourd’hui.

FRANCE                Qu’est-ce qu’il raconte?

SEVERINE             Écoutez Floriane, vous me le payez et il sera à vous dans un mois.

FLORIANE            (Déçue) Puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement… Mais vous me permettez de rester encore un moment avec lui?

 

Floriane prend un tabouret et s’assoit, dos au public, face au tableau. Elle prend des poses diverses de quelques secondes ou fait une danse incantatrice devant le tableau.

 

Scène  XIII         LES MEMES + ANTOINE

 

SEVERINE             Bien sûr! (Puis passant derrière le bureau) Excusez-moi Jean-Charles, je voudrais prendre mon bloc de factures.

JEAN-CHARLES   Vraiment! Ce n’est pas possible de travailler dans ces conditions! Tout le monde me dérange, parle, téléphone à côté de moi, c’est incroyable! Je n’avais jamais fait attention qu’il y avait tant de bruit dans cette salle d’études.

SEVERINE             (Riant) Mais vous n’êtes pas dans une salle d’études vous êtes chez moi!

FRANCE                Il est bizarre votre ami.

 

Brigitte et Antoine reviennent de la terrasse

 

JEAN-CHARLES   C’est pas vrai ?! J’ai dû me tromper de salle. Excusez-moi, je vais débarrasser et vous laisser la place (disant ça il fait tomber tous ses bouquins) Je suis désolé, vraiment. (Séverine se baisse pour l’aider) Laissez-moi faire, il y a un ordre précis!

BRIGITTE              Pour l’instant c’est plutôt un désordre précis! Antoine toi qui t’y connais en mathématiques, aide-le!

ANTOINE              Moi? Mais je ne connais rien aux chiffres!

BRIGITTE              C’est pas nécessaire de le lui dire, fais « comme si », on gagnera du temps, sinon il sera encore là demain. (À Séverine) Le banquier est parti?

 

Antoine aide Jean-Charles à ramasser ses livres puis ce dernier sort par la terrasse et revient quelques instants plus tard, il semble un peu perdu, et sort dans la remise.

 

SEVERINE             (ennuyée par son manque de tact) Oui…

BRIGITTE              Ça c’est la meilleure! Il ne m’a même pas dit au revoir.

FRANCE                Mon mari était pressé, vous voudrez bien l’excuser? (Geste de Brigitte qui s’en fiche)

FLORIANE            Moi je m’en vais aussi, « Les Chiennes de garde » m’attendent pour une réunion. (Au tableau qu’elle a réservé) Toi je te laisse avec la chienne de garde de la galerie.

SEVERINE             Je veillerai sur lui comme sur un os! Soyez sans crainte!

FLORIANE            (Complètement « allumée » elle parle au tableau) Au revoir, toi. (Faisant des gestes s’incantation vers les tableau) Soit patient, nous n’allons pas être séparés longtemps, je te retrouverai demain matin, dès l’aube.

SEVERINE             Dites-lui plutôt à demain après-midi, la galerie ouvre à 14h.

FLORIANE            14h!? Eh bien! C’est là qu’on voit les différences de classes: les bourgeois travaillent quand ils veulent, eux! Enfin bref. Je serai là à l’ouverture demain.

 

(Floriane sort en envoyant un baiser au tableau.)

 

BRIGITTE              Elle est cool l’écolo, mais elle a pas la lumière à tous les étages!

 

Scène  XIV         SEVERINE – BRIGITTE – FRANCE – ANTOINE – JEAN-CHARLES

 

FRANCE                Quant à moi je vais également prendre congé.

SEVERINE             Brigitte, peux-tu donner son étole à Madame La Ferle?

BRIGITTE              A vos ordres! (Elle sort : remise)

FRANCE                C’était remarquable, ma chère, comme toujours. Il y a juste un détail auquel vous n’avez pas pensé…

SEVERINE             Lequel?

FRANCE                Soit dit entre nous, vous auriez dû couper le chauffage.

SEVERINE             Mais France, il n’y a plus de chauffage depuis un mois!

FRANCE                Vous êtes sûre? (signe affirmatif de Séverine) Alors ce sont ces pierres qui rejettent la chaleur emmagasinée, ça ne peut être que ça.

 

Brigitte revenant de la remise avec le vison  de France elle tient Jean-Charles par la main.

 

BRIGITTE              Devinez qui est là?

JEAN-CHARLES   Je m’étais installé à côté vu que je n’ai pas trouvé la bonne sortie.

SEVERINE             Mais qu’est-ce que vous faisiez dans mon arrière-boutique?

BRIGITTE              Il te l’a dit : il ne trouvait pas la sortie. Alors il s’est remis à potasser ; mais maintenant il s’en va (elle le prend par les épaules et le guide en zigzag à travers la pièce) Pour la porte vous prenez d’abord à droite, puis à gauche, puis encore une fois à gauche, vous descendez les deux marches (elle lui appuie sur la tête pour qu’il se baisse) Attention! Baissez la tête le plafond est très bas!

SEVERINE             (Sévère, tandis que les autres rient) Brigitte! Ça suffit!

BRIGITTE              On rigole! d’ailleurs, oh magie! La porte est là, il n’a plus qu’à sortir. (Jean-Charles sort sans comprendre) Et il est sorti! (S’adressant à France) Le vison de madame est avancé.

FRANCE                Merci.

BRIGITTE              (L’aidant) La couleur de votre étole c’est bien « Apocalypse à San Remo »?

FRANCE                Non! C’est un brun (ou autre couleur) tout simple.

BRIGITTE              Ah bon? J’aurai vraiment cru que c’était Apocalypse à San Remo de…

SEVERINE             Brigitte!

BRIGITTE              (Innocente) Oui?

FRANCE                (A Séverine) Chère amie je vous dis à très bientôt, c’était parfait!

SEVERINE             Antoine, Madame Laferle prend congé.

ANTOINE              (Qui est resté à l’écart) Excusez-moi, je pensais… Au revoir madame, merci d’être venue…

FRANCE                Au revoir Antoine et bravo pour le service vous étiez parfait! Vous pourrez toujours vous recycler! Bonne soirée Séverine.

SEVERINE             Bonne soirée à vous aussi. (France sort)

BRIGITTE              Et moi, je suis transparente? Non mais! Personne ne me dit au revoir, ils n’ont aucune éducation tes invités!

 

Scène XV           SEVERINE – BRIGITTE – ANTOINE

 

BRIGITTE              Eh bien! Ceci dit, ça s’est passé comme sur des roulettes!

SEVERINE             Oui (à part à Brigitte) enfin presque (fort) n’est-ce pas Antoine?

ANTOINE              J’en sais rien. Je sais seulement que tu as vendu deux toiles, mais tout compte fait je ne sais même pas si ce sont les miennes.

SEVERINE             (Ennuyée) Antoine…

ANTOINE              Je voulais te dire Séverine, je suis déçu, vraiment très déçu: il n’y avait pas un seul journaliste. Pas un!

SEVERINE             Que veux-tu que je te dise, ils n’ont sans doute pas pu venir.

BRIGITTE              Bon! Ben moi j’vous laisse, j’ai un rendez-vous important à 19h30.

SEVERINE             Une fois de plus tu es en avance! C’est vingt et une heure!

BRIGITTE              Déjà? Alors bye, à demain! Salut… l’artiste (Brigitte sort.)

SEVERINE             (Antoine fait toujours la moue) Antoine s’il te plaît ne fais pas cette tête! On ne peut pas juger du succès d’une exposition le jour du vernissage!

ANTOINE              Demain ça ne marchera pas mieux qu’aujourd’hui, tu le sais très bien, puisqu’il n’y a pas eu de journalistes!

SEVERINE             Ça évidemment… Pourtant je pense que Brigitte remplacera avantageusement cette presse sur laquelle tu comptais tant.

ANTOINE              (S’éclaire un peu) Ouais! Brigitte elle est sympa, elle (appuyant  sur « elle »)

SEVERINE             Et elle, elle t’aime bien d’après ce que j’ai pu voir, c’est la meilleure pub que tu puisses avoir, parce que, crois-moi, quand elle a quelqu’un à la bonne elle le fait savoir !

 

Brigitte réapparaît sur le pas de la porte

 

BRIGITTE              Séverine!!

SEVERINE             Qu’est-ce que tu as oublié?

BRIGITTE              (Geste pour qu’elle vienne, puis à voix basse) Je voulais seulement te demander de me réserver le tableau de Dario qui n’est pas vendu.

SEVERINE             (Fort) Pour toi?!

BRIGITTE              Chut! Crie pas, ce n’est pas nécessaire qu’il entende.

SEVERINE             Mais enfin Brigitte, réfléchis, tu ne pourras pas le payer!

BRIGITTE              Pas aujourd’hui, évidemment, mais je vais trouver la somme.

SEVERINE             C’est ridicule. Tu n’arrives pas à joindre les deux bouts et tu veux acheter un tableau. Ça c’est bien toi!

BRIGITTE              J’en ai envie, ça me regarde, non? Eh puis Dario a besoin d’argent!

SEVERINE             D’accord! C’est surtout ça la raison! Tu ne penses pas que tu en as déjà assez fait pour lui?

BRIGITTE              Ça, ce sont mes oignons! Alors c’est ok? « Je te réglerai avant l’août, foi d’animal, intérêt et principal! »

ANTOINE              Je peux savoir de quoi on parle?

BRIGITTE              Secret professionnel! Oh dis donc Séverine! Tu pourrais me prêter cinquante balles, je n’ai pas un rond sur moi. J’te les rendrais demain.

SEVERINE            Tu ne crois pas que tu pousses un peu, non?

BRIGITTE              Bon, bon, j’ai compris, tant pis: j’ferai la manche! Allez je me barre parce que cette fois je suis vraiment en retard!

 

FIN DU 1er ACTE

 

 

10 minutes d’entracte 

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